24 juin 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant le Conseil général de l'Hérault à Montpellier, lundi 24 juin 1985, sur le rôle du Conseil général dans la vie de la région.

Je n'ajouterai que quelques mots en réponse à cette allocution extrêmement dense et dont je remercie le président Saumade. Vous l'avez rappelé, j'ai moi-même été très longtemps un élu local et national pendant trente-cinq ans et toujours au même endroit. Ce qui veut dire que, durant un peu plus d'un tiers de siècle, j'ai pu suivre l'évolution du petit pays que je représentais.
- Comme élu local, président du conseil général, ces problèmes que vous étudiez, je les ai connus. Je ne les ai pas oubliés. Mais la grande différence entre votre époque et la mienne, c'est que la loi de décentralisation n'existait pas et de ce fait, j'essayais par d'autres moyens d'acquérir pour mon département une certaine autonomie en face du pouvoir central. J'y suis arrivé d'une certaine façon en utilisant tous les moyens qui nous étaient donnés, qui étaient rares, mais qui existaient. J'avais acquis la conviction qu'il fallait créer un autre -cadre, qu'il n'était pas normal de ne pas faire confiance davantage aux élus, que ce soient les conseillers généraux ou que ce soient les maires £ et que tous ces élus étaient parfaitement capables de gérer eux-mêmes ce qui était jusqu'alors confié au représentant de l'Etat £ qu'une meilleure répartition était possible et que les agents de l'Etat exerçant leur fonction d'autorité y gagneraient, même en autorité, en consacrant leurs efforts aux tâches nationales de représentation du gouvernement et de coordination.
- Les commissaires de la République sont les responsables de tout ce qui touche à l'activité de l'Etat reporté sur le -plan local. Cette division étant bien établie, les financements sont transférés, vous disposez d'un outil que j'ai regretté de ne pas avoir. Je vous regarde donc avec un peu d'envie. Non pas qu'exercer ce pouvoir soit aussi agréable qu'on pourrait le croire. On est responsable et on supporte donc les chocs et les contrechocs. On doit exprimer aussi et parfois affronter une population. On doit faire entendre la voix de la raison. On est obligé d'aligner les dépenses sur les ressources.\
On est obligé de prévoir et de réserver pour la planification du futur ce qui vous est ardemment demandé pour la dépense du présent. Bref, on est obligé de refuser et pas simplement de demander. Cette symbiose, entre les devoirs d'un élu, je crois que vous la réussissez assez bien. Et connaissant M. Saumade et un certain nombre d'entre vous, j'étais bien sûr que ma confiance dans les élus départemantaux serait justifiée. J'observe que de plus en plus, il y a des politiques départementales, dans le bon sens du terme : on conçoit, on prévoit, on gère, on administre et on crée peu à peu un -état d'esprit, une certaine façon pour la population, de concevoir l'engagement de chacun. On devient un peu citoyen de son département. L'attachement au département reste très vif £ en tout cas dans des départements comme le vôtre, dans un département comme celui que je représentais.
- Et quand on a une capitale comme Montpellier, des sites historiques et des lieux aussi marqués que ceux qui jalonnent l'histoire et la géographie de l'Hérault, on a de quoi parler. Vous êtes les héritiers d'une grande, d'une très grande histoire qui s'identifie dans certaines grandes circonstances avec l'histoire de la France. Après avoir marqué, aussi bien au temps de l'époque romaine qu'avant, la véritable unification du royaume de France et de la nation française, vous avez une originalité, une identité qui ne peut être confondue avec aucune autre. D'où l'importance de la langue, d'où l'importance de la culture. Vous êtes gestionnaires d'une fraction de la France et vous avez pour charge de la représenter dans son identité, je veux dire dans son originalité, dans sa différence.
- J'estime que le droit à la différence est l'un des droits les plus importants que j'ai reconnus depuis que je suis chef de l'Etat. On dira qu'on en abuse parfois ici et là, voyez ce qui se passe en Corse. Je suis allé en Corse proclamer le droit à la différence, non parce que nous sommes dans la période du trouble, que les choses n'ont pas reposé et que naturellement quand on obtient quelque chose, on veut toujours davantage, mais parce que ce droit à la différence permet aux institutions régionales d'être elles-mêmes et le cas échéant de n'être pas identiques entre elles, même si nos habitudes de penser, nos habitudes juridiques, la jurisprudence du Conseil d'Etat, conduisent à identifier à la virgule près telle région à une autre qui pourrait très bien vivre de sa façon à elle. On peut, avec la pratique des choses, et à mesure que le temps avancera "différencier" le droit à la différence. Le Languedoc existe et à l'intérieur du Languedoc, l'Hérault a sa particularité.\
Je suis très heureux de voir que des femmes ou des hommes comme vous, très attachés à ce qu'ils sont, très enracinés dans leur terre, préservent ces valeurs. Au-delà de la France, la Communauté `CEE`, on en a parlé suffisamment. Vous allez être obligés de prendre ces problèmes à pleines mains. Préparer l'élargissement, il ne s'agit plus de dire oui : c'est fait, c'est signé, ce sera ratifié. A partir de là, quelle qu'ait été votre pensée auparavant, agissez ! Et je vous fais confiance aussi pour cela. J'ai de vieux amis qui ont été très réticents à l'égard de cet élargissement, et je sais que ce sont des gens réalistes. Même s'ils vous ont dit : "il n'aurait pas dû faire cela", ils disent maintenant que c'est fait : "il faut défendre le Languedoc". Je les aiderai là où je suis, c'est-à-dire au sein de la Communauté, et eux ils m'aideront là où ils sont c'est-à-dire dans le -cadre de leurs fonctions. Et vous verrez qu'on gagnera.\
J'ai écouté avec beaucoup d'attention ce que vous avez dit qui était très instructif et avait beaucoup de vie. Vous êtes un élu et vous avez pris maintenant, une responsabilité qui appartenait naguère à l'administration. Je suis très heureux de voir que les qualités très réelles de notre administration ont trouvé un bon héritier. Et qu'en plus, vous apportez l'originalité de penser, la façon de voir d'un élu qui a la pratique des choses, et qui, en contact avec la population, ne peut pas avoir simplement le langage d'une technocratie qui aurait sinon tendance à prévaloir.
- Monsieur le président, mesdames et messieurs, nous terminons notre journée. Je vous rermercie de votre accueil. Une séance au conseil général apparaissait comme utile sinon même nécessaire pour compléter le tableau que j'ai commencé à tracer dès neuf heures ce matin. Et puis ça correspondait à mes goûts personnels. Je suis resté, je vous l'ait dit, très attaché à ces fonctions. Ma carrière de président du conseil général a été brisée en 1981, d'une certaine façon... Je ne veux pas faire de coquetterie, mais vraiment j'ai ressenti comme une sorte de manque. Maintenant quand je vais dans mon département j'y suis invité et j'y vais souvent, ça m'est quelquefois pénible car ces fonctions de président du conseil général sont celles qu'il m'a été le plus pénible de quitter : c'était 250000 habitants et ces 250000 personnes, on peut dire que je les connaissais, je savais comment ils étaient, je savais comment étaient leurs parents, je savais comment réagissaient leurs enfants. On avait un compagnonnage de vie. C'est ce qui pourrait manquer à un Président de la République. Il est vrai que ses fonctions ne durent pas trente-cinq ans, rassurez-vous. Mesdames et messieurs, sept ans c'est déjà très long, au point que cela semble fatiguer certains. Alors, je ferai ce que j'aurai à faire... Je n'aurai en tout cas pas le temps de m'habituer et je retrouverai avec beaucoup de joie, non pas le mandat, mais la connaissance des choses et des gens qui ont été pour moi l'une des parties les meilleures de ma vie. Merci pour votre accueil. Je vous féficite et je vous remercie.\