1 février 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, au Palais des Sports de Rennes, notamment sur la situation économique et sociale de la France, l'Europe et l'unité nationale, vendredi 1er février 1985.

Mesdames, messieurs, chers amis,
- Comment n'éprouverais-je pas quelque émotion à me retrouver dans cette salle, en compagnie de beaucoup d'entre vous qui se trouvaient déjà là il y a peu d'années ?
- On me comprendra - les autres me pardonneront - si je leur dis d'abord à quel point je trouve force et volonté dans ces compagnons, ces amis fidèles qui, dans les temps difficiles, ont toujours été présents, non pas pour moi, mais pour défendre avec moi ce qui est notre projet en même temps que notre idéal £ les autrs me pardonneront si je m'attarde un instant pour dire qu'ils sont nombreux en France ceux qui ne lâchent pas pied, ceux qui, ayant mesuré la difficulté du combat politique et de la responsabilité, n'en sont pas moins là, présents et volontaires, et ceux-là, auront le courage qu'il faudra. Rien ne vous fera quitter la route que nous avons choisie parce que nous avons le sentiment, vous et moi, que c'est l'intérêt de la France.
- Mais j'ai des choses à dire aussi aux autres, ceux qui n'étaient pas là, avec moi, au temps où il fallait décider de ce que serait la France du changement en 1981. Ceux-là aussi sont les bienvenus car il est nécessaire que nous puissions, partout en France, retrouver le dialogue, et même si je ne les convaincs pas, je me dois de remercier ceux qui viennent à moi et qui acceptent qu'on parle ensemble, et de la France et des Français.
- Enfin, je penserai à ceux - et ils existent, on s'en doute - ceux qui sont contre et qui ne veulent pas entendre parler d'autre chose que d'être contre, qui ne veulent même pas entendre mes arguments. Ils existent. Il s'en trouve par ici, ils sont aussi les bienvenus.
- Je n'oublie pas que les uns et les autres, tous ensemble, oui, tous ensemble : majorité, opposition... ils sont la France. Et je n'oublie pas davantage que je les ai en charge. Honneur et responsabilité que la mienne ! Oui, c'est sûr, responsabilité que la mienne ! Tous les Français, quels qu'ils soient, d'où qu'ils viennent, quoi qu'ils veuillent, j'ai pour devoir de servir ce qu'ils ont en commun, et cette part commune est plus importante qu'on ne croit, emportés que nous sommes par les divisions, les contestations, les querelles.
- On croit toujours que la vie politique française se résume aux diatribes, aux polémiques et aux disputes ! Non ! Il est aussi quelques domaines - et je vais les traiter - où les Français sont capables de se rassembler dans les travaux de la paix, aussi durs qu'ils soient, comme ils l'ont été dans les travaux de la guerre. Songez que deux générations ont connu depuis le début de ce siècle les drames majeurs dont l'Europe ne s'est pas encore relevée. J'ai l'intention de vous parler de l'Europe, pas seulement de l'Europe, bien entendu, car on n'y comprendrait pas grand'chose du côté de la France si en même temps je ne mettais pas au net pour l'opinion française ce qu'est l'-état de notre pays au moment où l'Europe aborde une phase décisive de son histoire.\
L'-état de la France ? Encore faut-il que je rappelle nos objectifs, les objectifs de celles et ceux qui, en 1981, ont décidé le changement.
- Le premier de ces objectifs, c'est vrai, c'était de réduire les injustices dont souffre notre corps social. Une France plus juste, une France plus fraternelle. Le deuxième de ces objectifs, c'était de réformer les structures pour rendre possible le premier, diffuser la responsabilité, la décentralisation, donner à la puissance publique plus de force pour qu'elle s'impose là où c'est nécessaire, aux monopoles privés qui conduisaient l'économie de l'Etat, l'économie de la nation. Réformer les structures et bien entendu - troisième objectif - redresser l'économie, car elle en avait grand besoin et nous allons nous expliquer à ce sujet. Le quatrième de ces objectifs était et reste, en dépit du travail accompli, d'élargir les libertés. Les libertés ici, en France, et les libertés dans le monde. La part de la France dans le concert des nations est immense et parfois déterminante. Elargir les libertés. Et le cinquième objectif : accroître le rayonnement international de la France.
- Je ne pourrai ce soir, en l'espace de quelques quarts d'heure, ni aborder, ni esquisser une réponse sur chacun de ces points. Je traiterai de l'-état de la France à l'heure où je m'exprime et puis, après avoir dit ce qui va, selon moi, et ce qui ne va pas, je développerai, au regard de l'Europe, les comparaisons nécessaires.
- On entend dire tant de choses et pas mal de balivernes tombées le plus souvent de bouches très augustes, ou bien qui croient l'être. Les fausses évidences, les fausses vérités, les statistiques retouchées... Oui, quand j'aurai développé ces points, on saura en quel -état se trouve la France en Europe, et devant l'Europe, la comparaison à établir par -rapport à nos partenaires de l'Europe. Nous faisons cause commune, nous sommes dans la même -entreprise, nous sommes liés par le même destin, l'Europe, l'Europe du Marché commun `CEE`, l'Europe que nous connaissons, qui peut s'élargir, je le souhaite, mais l'Europe telle qu'elle est et non pas telle qu'on l'imagine. Je m'arrêterai un instant sur certains aspects du fonctionnement de cette Europe, au regard particulièrement, - m'adressant ici, à Rennes, à une région très agricole, - du Marché commun agricole.
- Enfin, je traiterai de l'avenir de l'Europe tel que je le vois dans 4 ou 5 directions essentielles. Telle sera la cohérence de mon propos.
- La France et l'Europe, la France dans l'Europe, l'Europe avec la France.\
1981, mois de mai, c'est vous qui l'avez fait... mai 1981, vous et d'autres partout dans le pays, riches d'espérances, d'ambitions, d'idéal, et voilà qu'il faut affronter la dure réalité... Quelle est-elle ? Oh, je résume.
- Une pression terrible venue de l'extérieur, un prélèvement sur le pouvoir d'achat de la nation, les deux chocs pétroliers, le choc du dollar... Il faut faire avec cela. Il faut, sinon composer, du moins faire entrer cette donnée dans nos calculs. Les chocs pétroliers, le choc du dollar : une saignée dans le corps de la France.
- Le vieillissement de notre appareil industriel, trop souvent délabré, face à quelques secteurs de pointe en bonne santé. Ah ! que de temps perdu ! Quand je parlerai du chômage, je dirai que le plus souvent le chômage d'aujourd'hui est le résultat du manque de modernisation d'hier.
- Voilà deux causes : prélèvement qui vient de l'extérieur, vieillissement de l'appareil industriel et vous le savez bien vous, Bretons, l'arrivée au même moment, l'arrivée en force des techniques nouvelles, bond prodigieux, saut dans la connaissance et le savoir, mutation qui n'est pas simplement déplacement d'un degré à l'autre, mais changement de la -nature des relations internationales. Et devant ces techniques nouvelles, non seulement les productions ne sont pas adaptées, mais encore les hommes, les femmes ne sont pas formés ... Oh ! que ceux qui l'étaient déjà me pardonnent, heureusement il y en avait, mais ils étaient l'exception, l'avant-garde, ils le savent bien. Le gros de la troupe ne suivait pas. Si l'on veut comprendre l'effort des gouvernements que j'ai constitués, il est là : faire que la France tout entière, pas à pas, se rende maîtresse de son destin, en s'adaptant à ces technologies, en préparant les forces productives aux responsabilités qui sont les leurs, qui le seront de plus en plus et en réduisant, autant qu'il est possible, les dégâts de ce prélèvement extérieur.\
`suite le prélèvement extérieur` Il est des réponses à ces questions.
- La première, croyez-moi, elle est dans le refus de l'inflation, dans la désinflation. Qu'on cesse avec cette hausse constante des prix qui a marqué les temps passées. La désinflation, elle commande tout le reste. Moins d'inflation, pas d'inflation, et nos industries redeviennent compétitives, et notre croissance devient saine, et les emplois cessent de tomber à la casse, le plein emploi réapparaît à l'horizon... Mais pendant la période de l'effort que ne faut-il supporter et que ne doivent supporter les travailleurs en peine ! Comment pourraient-ils douter de notre volonté, de notre présence sur le terrain ? Mais il faut comprendre, il faut que chacun le comprenne, notre appareil industriel, trop longtemps délaissé, ne répond pas sur commande. Il convient, mesure après mesure, de lui donner ses chances dans le combat de la compétition internationale. Hors cela, rien à faire, tout le reste tombe, aucun résultat durable. Faudrait-il entretenir artificiellement tous les secteurs en déclin ? ce serait ruiner la nation. Ce qu'il faut, par des mesures économiques et sociales, c'est pourvoir au nécessaire : penser à fabriquer l'instrument qui fera sortir la France de la crise. D'abord en finir avec l'inflation, en tous cas la réduire et parvenir aux niveaux de prix de nos concurrents.
- La deuxième réponse, je l'ai déjà dite, elle est dans la modernisation. Eh oui ! Il faut avoir des industries, il faut avoir une agriculture, il faut avoir un commerce et un artisanat, il faut avoir tous les corps intermédiaires capables d'affronter directement les nations les plus évoluées. Ce n'est pas si facile, mais c'est la condition première du succès.
- Troisièmement, il faut pouvoir investir, et pour investir, il faut que les entreprises, publiques ou privées, puissent conquérir des marges. Il faut que l'investissement soit supporté, aidé, facilité, favorisé. Bien entendu je parle de l'investissement productif, celui qui ne va pas dans la seule poche de quelques-uns, mais sert l'intérêt national. Le meilleur investissement, c'est la formation, ce sont les femmes, les hommes. Un tel instrument représente un effort colossal, un effort d'éducation et de savoir, et un effort financier, vous l'imaginez bien.
- Quatrièmement, il faut une croissance saine, celle que j'ai évoquée tout à l'heure : une croissance sans inflation, reposant sur une bonne base industrielle. Il ne sert à rien de dire croissance ... croissance ... Si nous nous contentons des mots, si nous ne nous attaquons pas aux causes pour nous retrouver au lendemain de cette fâcheuse aventure, responsables d'avoir cassé davantage encore, d'avoir détruit et surtout d'avoir détruit, cette fois-ci, l'espérance.\
Mais il est une autre réponse, et cette réponse elle est d'ordre psychologique et moral. Voyons ! Vous qui venez de tous les milieux, qui connaissez toutes les expériences, qui souffrez autant que la moyenne de la population de la France du chômage, ou de la menace du chômage, qui vous inquiétez comme les autres pour votre pouvoir d'achat, qui avez besoin d'élever votre famille, de disposer de l'école d'à côté qui formera vos enfants : vous êtes comme les autres ! Eh bien, j'attends de vous, plus que de quiconque, le ressort psychologique et moral qui s'ancre sur un terrain où l'on ne cède pas d'un pouce, où l'on décide - j'ai déjà employé ce verbe et à l'infinitif, au point de susciter parfois même l'ironie - où l'on décide de persévérer.
- Persévérer dans la politique engagée. Ne pas se laisser détourner, résister aux appels de la démagogie, ou bien de l'abandon, gagner du terrain jour après jour, affronter s'il le faut l'impopularité, refuser de céder à toutes les tentations qui viennent du dedans de soi-même £ persévérer dès lors que l'on a en soi aussi la certitude que c'est la bonne route, assurément.
- Et cependant, même si nous sommes sûrs de nous et de ce qu'il faut faire, nous sommes parfaitement capables de concevoir qu'il est des défaillances, des ratés, parfois des reculs, que l'on peut faire mieux et que l'on peut faire autrement. Nous sommes capables de le dire tout seuls, sans qu'on nous place une règle entre les deux yeux, sans qu'on nous frappe sur le bord de l'épaule ! Nous sommes capables de le comprendre tout seuls et nous recevons la leçon avec d'autant plus de modestie que ce ne sont pas les responsables de la situation présente qui nous en font la remarque !
- Oui ! Persévérer, mais faire mieux là où on le peut et faire autrement quand il le faut.\
Ce qui va. Ce qui peut être corrigé. Ce qui ne va pas.
- N'attendez pas de moi un paysage faussé par le besoin de rassurer, n'attendez pas de moi de complaisance, ce qui serait trahir la conception que j'ai de mon devoir. Ce qui va. Ce qui doit être corrigé. Ce qui ne va pas. Et je m'en tiens, en cet instant comme tout au long de cet exposé, à l'-état de la France sur le -plan économique et social. Je traiterai ailleurs, si l'occasion m'en est donnée, des libertés, par exemple, ou de la politique extérieure, hors l'Europe qui est l'axe même de mon propos ce soir.
- Ce qui va. Oh... Soyons simples, énumérons £ l'énumération ne sera pas complète elle serait lassante... Allons à l'essentiel.
- L'inflation, la hausse des prix. C'est important. Enfin ! Qui ne serait pas capable de comprendre qu'il vaut mieux avoir une inflation plus basse, de telle sorte qu'en réalité le pouvoir d'achat se trouve amélioré par le seul fait que les prix sont moins hauts ?... Excusez toutes ces vérités de La Palice... elles sont très souvent ignorées ! Oui, cela vaut mieux que des augmentations qui ne correspondent à aucune création de richesse, qui seraient bues tout de suite, dévorées par la hausse des prix future. Bref, j'aime mieux m'en tenir à une politique des salaires et des revenus raisonnable, en veillant à préserver le pouvoir d'achat - mais à condition que l'inflation finisse par céder - plutôt que de laisser filer, comme en d'autres temps, et ensuite céder à tout et à n'importe quoi, par besoin politique ou bien électoral !
- Eh bien, l'inflation, avec, en 1984, 6,7 % d'augmentation d'une année sur l'autre, l'inflation est à son point le plus bas depuis 1971 ! 1971... Vous avez repéré la date : c'était avant la crise qui n'a commencé qu'en 1973 - 1974. Nous retrouvons le rythme d'inflation - trop fort encore - d'avant la crise. La baisse est supérieure à tout ce que nous avons connu depuis la crise ! Voilà pour l'inflation.\
Le commerce extérieur, qui comporte deux domaines :
- Les marchandises. C'est ce qu'on appelle ordinairement le "commerce extérieur" £
- et puis, la balance des paiements, qui est le vrai chiffre, c'est-à-dire non seulement le -rapport entre l'importation et l'exportation de marchandises, mais aussi tous les services, les assurances, les transports,... C'est la balance des paiements qui fait qu'un Etat, si elle est déficitaire, doit s'endetter pour rembourser.
- Or, le déficit de notre commerce extérieur "marchandises" est le plus faible depuis 1978. Notre balance des paiements est aujourd'hui équilibrée, à quelques millions près. Notre commerce extérieur s'est développé de telle sorte que son déficit, qui était de 62 milliards de francs en 1980, de 43 ou 44 milliards en 1983, atteint seulement 19 milliards en 1984. Quant à la balance des paiements, je viens de vous le dire, elle est pratiquement équilibrée.\
L'épargne... L'épargne populaire... Le livret A... Le livret rose, que nous avons créé... Le livret A : savez-vous que, depuis 1965 - depuis vingt ans à l'heure où je m'exprime - l'épargne a toujours coûté cher à l'épargnant parce que, du fait du développement de l'inflation, elle n'était pas convenablement rémunérée ? Le chiffre actuel - 6,7 % - d'inflation annuelle, le point moyen du taux d'épargne populaire - livret A - pour la même année - 7,1 - et pour le livret rose - 8,1 - montrent que, pour la première fois depuis bien longtemps - en tout cas depuis dix ans - l'épargne, enfin, est normalement rémunérée.
- L'excédent de nos échanges industriels. On m'a dit que diverses personnes, apparemment qualifiées, avaient exprimé un doute sur la puissance de nos exportations. Eh bien ! Notre excédent industriel atteint son plus haut niveau : près de 100 milliards de francs -, tandis que nos réserves en devises sont les plus importantes que nous ayons eues depuis 1974, c'est-à-dire avant la crise !
- La Sécurité sociale, avec un excédent de 18 milliards, se trouve dans la situation la meilleure... je n'ai pas à rechercher bien loin - on pourrait peut-être contester ce que je dis à peu près depuis toujours !
- Les prélèvements obligatoires - les impôts, d'un côté, les charges sociales, de l'autre - ont augmenté d'un point chaque année depuis 1973 : 36 % du produit intérieur brut `PIB`, 37 %, 38, 39, 40...% Cela a continué avec nous. J'ai recueilli pratiquement 43 % du produit intérieur brut, c'est monté à 44, à 45 - un peu moins... - et, pour la première fois depuis 1971, les prélèvements obligatoires baissent - vont baisser... - dans le -cadre des dispositions votées en 1984, d'un point. Cela représente des milliards.\
Voilà quelques données... oh, il en est d'autres ! Vous les retrouverez au cours de la soirée. Est-ce que vous croyez que je vais m'en satisfaire ? Est-ce que vous croyez que nous allons en rester là ?
- 6,7 % d'inflation, c'est trop ! Un déficit extérieur "marchandises" de 19 milliards c'est trop ! Une balance des paiements équilibrée, ce n'est pas assez ! Une épargne rémunérée à quelques bouts de centimes, ce n'est pas convenable ! Un excédent industriel de 100 milliards, il faut faire plus ! Une Sécurité sociale en équilibre et un peu mieux... il faut se créer des aises supplémentaires en veillant toujours à préserver ce formidable acquis social.
- Les prélèvements obligatoires, une baisse de 1 point... 1 point c'était, au moment où je l'ai dit - au mois de septembre 1983 - 45 milliards en moins. Eh bien, il faudra continuer cette année, pas dans les mêmes proportions - cela ne serait pas possible et cela nuirait à certaines interventions nécessaires de l'Etat - mais il faudra continuer de réduire patiemment l'ensemble des charges qui pèsent sur les contribuables. Non pas parce qu'il faut chercher à leur faire plaisir - un contribuable, vous connaissez le moyen de lui faire plaisir, s'il y a encore des impôts à payer ? ... Bon, ne recherchons pas la lune ! - mais parce que le contribuable, est un citoyen, il a un sentiment de justice, il sait bien ce qu'il peut faire, il sait aussi ce qu'il ne peut pas faire et il devine que lorsque les charges de tous ordres atteignent 50 % du produit national `PIB`, il y a péril pour l'initiative, pour l'entreprise, pour la liberté. Si j'avais laissé aller les choses - un point par an, comme avant - on en serait bientôt à 50 %, la moitié, et on en arriverait non seulement à un sentiment de répulsion, de refus, mais aussi de révolte. Il faut que les citoyens sachent que dans l'Etat où ils vivent ils disposent d'une liberté suffisante pour disposer de leurs gains, à la condition encore de pourvoir aux besoins collectifs.
- Eh bien, puisqu'il faut faire mieux, restons solides au poste, tous, refusons la commodité, ne faisons pas halte au bord de la route, prenons à peine le temps de reprendre le souffle. Allons-y, continuons la pression sur l'inflation, améliorons le commerce extérieur, fortifions nos excédents, veillons à la justice de l'impôt, améliorons nos réserves, de telle sorte qu'après avoir fait ce bilan positif sur ces points-là, - il en est d'autres - je concluerai : nous sommes encore loin du compte !\
Il ne suffit pas de se comparer aux autres £ je ne cherche pas une victoire sur les statistiques, je cherche avec vous une victoire sur la crise !
- Ce qu'il faut corriger, c'est d'abord le déficit budgétaire. Il n'est pas très élevé, il est de 3,3 du produit intérieur brut `PIB`. Il était, il y a deux ans, inférieur à celui de tous les pays d'Europe. Depuis lors, quelques-uns d'entre eux - je pense à la Grande-Bretagne et à l'Allemagne - nous ont distancés : leur déficit budgétaire est moindre. Cela nous indique notre devoir, parce qu'un déficit budgétaire, cela doit être financé. De même que le déficit extérieur doit être compensé par un endettement extérieur, pour les remboursements, de même le déficit, ou les déficits publics - il en est de toutes sortes - doivent être compensés par un endettement intérieur. Pour que vous jugiez : notre endettement intérieur est, aujourd'hui, l'un des plus faibles du monde, du monde industriel, bien entendu. L'un des plus faibles du monde, ce qui ne veut pas dire qu'il faille s'endetter davantage. Mais cela signifie que les cordons de la bourse sont bien tenus et que notre déficit budgétaire ne dépasse pas nos forces £ encore faut-il veiller à ce que soient restreintes ou jugulées toutes les tentations de débordement.
- Notre endettement extérieur, c'est la deuxième correction nécessaire £ l'endettement extérieur est trop lourd non pas qu'il soit écrasant, car un endettement extérieur doit faire entrer un paramètre que nos critiques oublient toujours, sans doute par ignorance, car je ne saurais accuser leur honnêteté. L'endettement extérieur doit être apprécié en tenant compte des réserves, c'est-à-dire par -rapport à la richesse dont on dispose. A cet égard, notre endettement extérieur est qualifié de modeste par l'OCDE, mais moi je ne dirai pas la même chose £ je dirai qu'il est trop lourd. Notre endettement extérieur est inférieur à celui de la plupart de nos concurrents industriels, à l'exception de peu de pays - le Japon ou l'Allemagne - mais il faut payer, payer ce que l'on doit £ il faut payer ce déficit extérieur, considérable, accumulé tout au long des années, les charges qui à tout moment nous accablent. De notre endettement actuel, le tiers vient de responsabilités antérieures, mais il va s'accroissant. Dès lors que nous avons équilibré notre balance des paiements, nous pouvons commencer à stopper cette blessure, qui, loin d'être mortelle, reste dangereuse.\
Et ce qui ne va pas, c'est l'emploi.
- Il faut comprendre, mesdames, messieurs et chers amis que l'emploi ne peut être que la résultante de tous les autres paramètres économiques que je viens de citer.
- Impossible de développer l'emploi avec l'inflation. Si nos entreprises ne vendent pas leurs marchandises parce qu'elles sont trop chères, si on ne les achète pas, si l'entreprise ferme, on se retourne du côté de l'Etat, et l'Etat se retourne du côté des contribuables. Et nous voilà de nouveau dans le cycle infernal.
- Si l'on ne s'attaque pas - je reviens au début de mon propos -, à la modernisation de l'appareil, comment voulez-vous que telle entreprise défaillante, ou vieillotte, soit capable de lutter dans un marché ouvert ? Et il faut que nous restions ouverts parce que la France doit faire la preuve qu'elle est capable d'ouvrir les frontières, d'être meilleure partout où il y a affrontement international. Le reste serait un faux-semblant, qui précéderait des réveils tragiques. En effet, j'ai dit : non à la fermeture des frontières et au protectionnisme, et je continuerai. Si notre capacité commune décline - on assiste aujourd'hui au contraire à son redressement - l'emploi s'en va. Si l'appareil industriel ne supporte pas la concurrence, l'emploi s'en va. Les entreprises, les usines ferment. Et voilà ce qui se passe et que vous observez partout : c'est 2400000 travailleurs sans emploi £ pour eux, leur famille, leur voisinage, c'est l'angoisse, l'angoisse qui s'empare de tous, - y compris de ceux qui sont pourvus d'un emploi,- une angoisse responsable de cette désagrégation du moral du pays.
- Alors, vous me direz, mais pourquoi ce chômage ? Qu'avez-vous fait ? Je me suis, nous nous sommes - le gouvernement Mauroy, le gouvernement Fabius - attaqués aux racines du mal : les déficits et l'inflation. Nous nous sommes attaqués aux racines du mal : le vieillissement, l'inadaptation aux technologies nouvelles. A partir de là, on peut repartir du bon pied. Alors, me direz-vous, "quand ? Vous avez hérité de 1700000 chômeurs £ vous en êtes à 2400000, c'est trop". C'est trop. C'est cela qui occupe mon esprit, c'est la priorité absolue. Au-delà des débats intellectuels, vous imaginez la peine et la souffrance que tout cela implique, surtout pour des femmes, des hommes comme vous, comme moi, qui ont fondé toute leur action sur l'espérance d'apporter ou d'essayer d'apporter à chacun le juste moyen de vivre - "juste" dans le sens de la justice - chacun selon ses talents mais pouvant recevoir selon ses besoins. C'est le mal, et pendant ces trois premières années, il était impossible, sans avoir guéri le mal à la source, d'empêcher la progression du mal.\
Le chômage a doublé sous le gouvernement constitué entre 1974 et 1976. Il a doublé de nouveau sous les gouvernements de 1976 à 1981 et il a augmenté de 37 % entre 1981 et aujourd'hui, ce qui veut dire - ce ne sera une consolation pour personne - 300 % d'augmentation dans les sept années précédentes, 37 %, oui, mais d'augmentation quand même, depuis 1981.
- Rien ne peut compenser cela. Il n'est pas à attendre d'un débat politique je ne sais quel succès de tribune. Le mal est là, nous avons commencé à corriger le "terrain" et je dis que nous sommes maintenant en mesure de nous attaquer au chômage, non seulement par les moyens sociaux dont nous disposons encore, non seulement par les moyens éducatifs - la formation - mais encore par les moyens économiques, et je m'explique :
- Les moyens sociaux ? Ils sont multiples. Ils ont été employés avec un certain succès, puisqu'on a vu pendant un temps le chômage pratiquement demeurer au même niveau, ce qui allait contre la vérité économique d'un pays qui n'était pas guéri, mais c'était un magnifique effort de solidarité nationale. Cet effort, il faudra le continuer.
- Les moyens éducatifs ? La formation. L'Allemagne a 120000 chômeurs de moins que nous. Les autres grands pays industriels concurrents d'Europe sont, malheureusement pour eux, beaucoup plus touchés que nous. Ils ont un chômage tragique, qui, aujourd'hui, se situe au niveau que j'ai dit.
- En Allemagne `RFA`, les jeunes gens, jusqu'à 19 ans, sont retenus par l'université ou par les formations : ils n'entrent donc pas dans la statistique du chômage. Alors qu'on en finisse avec cette dispute sur les critères de calcul pour tout : inflation, commerce extérieur, épargne, endettement, chômage ! Les critères sont ceux que nous avons reçus ! Ce sont les mêmes institutions qui les établissent, avec les mêmes personnes. Nous n'avons rien changé de ce qui sert à mesurer les taux d'évolution de notre vie économique et sociale. C'est dire que les résultats dont nous vous parlons sont calculés sous le contrôle de fonctionnaires nationaux et internationaux qui, depuis de très longues années, bien avant 1981, déterminaient déjà les paramètres en question.
- L'effort de formation, oui, c'est vrai, et nous nous en flattons : 900000 jeunes sont en formation par la puissance publique dans les entreprises. Et nous y avons ajouté ces Travaux d'utilité collective qui permettent d'employer, de former à la vie sociale et professionnelle quelque 100000 jeunes gens. Nous allons vers l'objectif de 200000 que j'avais prescrit au gouvernement. Des villes entière - Rennes en particulier, et j'entendais Edmond Hervé s'exprimer à l'Hôtel de Ville - des villes comme le vôtre pour résorber l'absence d'emplois, pour toute une jeunesse entre 18 et 21 ans. Il faut insister sur ces Travaux d'utilité collective, mais ils ne suffisent pas, ce ne sont pas des emplois, ce ne sont pas des salaires, cela ne remplit pas le vide, c'est simplement un moyen de retenir la jeunesse d'une façon qui peut l'intéresser et qui peut la former.\
Alors, il reste la clé de toute chose : l'emploi résulte de la réalité économique. Nous avons sauvé le textile. Oui, en 1981, avec le Plan Dreyfus. Nous sommes en train de rétablir les chances de l'industrie du bois. Nous nous attaquons à l'industrie du cuir - disparue. Nous restaurons la machine-outil. Nous pansons autant que nous le pouvons les maux de la sidérurgie.
- Toutes les sociétés nationales, les entreprises nationales que nous avons organisées en 1981 et 1982, toutes se sont redressées £ certaines d'entre elles, comme Rhône-Poulenc sont bénéficiaires - elles étaient gravement déficitaires. La CGE reste en tête, brillamment productive. Bull, perdue - que de fois a-t-on dit que la France n'était pas capable d'avoir ses entreprises d'ordinateurs ! - se redresse vite. Si elle n'avait pas la lourdeur de ses frais financiers accumulés pendant des années et des années, elle serait bénéficiaire ! La sidérurgie, même, celle qui se trouve à la traîne de l'industrie européenne tout entière, connaît aujourd'hui un mieux-être en raison des mesures, difficiles et courageuses, que nous avons prises. Je pourrais continuer... Péchiney, Saint-Gobain, Thomson, l'ensemble des sociétés nationales constituées depuis 1981 sont dans une situation supérieure à celle qu'elles connaissaient auparavant.
- Mais il faut comprendre aussi que l'Etat se comporte en actionnaire honnête : 40 milliards ont été versés à ces entreprises, pour 1,5 milliard versé aux mêmes entreprises lorsqu'elles étaient privées, pendant les dix années précédentes. Pour la sidérurgie, plus de cent milliards ont été dépensés dont soixante dix en pure perte, et destinés généralement à des entreprises privées qui laissaient à l'Etat la production de l'acier, celle qui perd de l'argent et qui gardaient la transformation de l'acier, celle qui en gagnait. Soixante dix milliards de francs actuels, vous imaginez ?\
Le chômage, eh bien ! le gouvernement le sait, il prépare des mesures. Oh ! il ne fera pas un plan supplémentaire de lutte contre le chômage, mais vous en verrez les effets, je suis confiant. Oh ! le chômage ne cessera pas d'ici longtemps encore, mais la courbe commencera à s'inverser et ce jour-là, les Françaises et les Français retrouveront l'espoir et ils sauront que nous avions raison. Aujourd'hui ils en doutent. Oui, ils en doutent. Dites-vous bien que c'est le chômage qui sert d'accusation majeure contre la majorité politique. Oui, le chômage. Même si l'imputation est injuste, on ne peut pas exiger de chaque Français qu'il se comporte en clinicien ou en économiste. Il sent simplement la venue du mal, cela le prend à la gorge £ alors, il se retourne du côté de ceux qui gouvernent et qui décident et dit : "c'est de votre faute" et je dois, et nous devons accepter ces mains et ces doigts dressés, dirigés vers nous. "Qu'allez-vous faire ? Quelle est votre réponse ? Vite, dépêchez-vous, nous crions au secours ". Nous devons entendre, et nous devons agir, mais dans le sens que j'ai dit, et non point dans le sens contraire.\
J'ai dit que je voulais vous parler un moment du Marché commun agricole. En effet, on pourrait croire de mon discours qu'il est uniquement consacré à l'industrie. Marché commun agricole. Parce qu'il faut en finir avec une légende, celle qui voudrait que la France soit un "traîne-patin" en arrière des autres, nos principaux concurrents dotés de toutes les vertus et de tous les mérites. Mais ce n'est pas vrai du tout.
- La France supporte fort bien la comparaison. Oui, elle a un chômage un peu plus lourd que l'Allemagne mais moins lourd que les autres pays importants du Marché commun et même que tous les autres, à l'exception du Luxembourg.
- La France a un commerce extérieur moins brillant que celui de l'Allemagne qui fait, je crois cette année, 150 milliards de francs d'excédent. Mais nous faisons mieux que la Grande-Bretagne et que l'Italie et mieux que d'autres pays pourtant réputés prospères mais de moindre importance. Et souvenez-vous qu'au début de chaque année, nous avons un prix à payer de 180 milliards de francs pour l'énergie tandis que la Grande-Bretagne commence avec un bénéfice de 70 milliards ce qui veut dire que si la nature nous avait plus richement dotés de ce point de vue, notre situation serait encore meilleure comparée à celle des autres.
- Mais sur ces points - j'ai parlé tout à l'heure de l'inflation, j'ai parlé du commerce extérieur, j'ai parlé des excédents industriels - la France est bien placée en Europe, c'est-à-dire qu'elle peut se diriger hardiment dans la Communauté économique européenne `CEE`, et regarder bien en face l'élargissement de cette Europe. Nous n'avons pas à craindre, nous sommes capables, nous sommes organisés, nous avons les moyens de produire et de concurrencer, et la qualité et la quantité répondent aux besoins.\
Je suis Européen profondément, pas simplement parce qu'une Europe véritable serait la plus forte, ce n'est pas vrai, en tout cas pas dans tous les domaines, mais parce que cela me paraît être une construction nécessaire à divers points de vue, et d'abord sur le -plan agricole.
- Le Marché commun agricole, mesdames et messieurs, a été extraordinairement bénéfique pour la France, pour les céréales £ il l'a été pour le blé, il l'a moins été pour la viande, il ne l'a pas été pour le vin, ou pour l'horticulture, ou pour les fruits et primeurs. Voilà la réalité. Mais, au total, notre agriculture s'est développée depuis le début du siècle, plus vite qu'aucun autre secteur £ il faut préserver le Marché commun agricole, car il est menacé par plusieurs pays partenaires.
- C'est le Marché commun agricole qui a doté la Grande-Bretagne d'une agriculture. C'est le Marché commun agricole qui a doté l'Allemagne d'une agriculture. Et voilà que ces deux pays éprouvent aujourd'hui quelque hésitation, marquent leur inquiétude devant le budget, le modeste budget agricole de l'Europe, qui représente à peine 1 % du produit intérieur brut de la Communauté. On serre la vis, on économise, on met en péril les restitutions dont vivent nos agriculteurs, nos producteurs exportateurs.\
`Suite sur le budget agricole de la CEE`
- Il est menacé £ il l'est aussi par les erreurs de direction £ je vais rapidement les évoquer :
- - Parlons d'abord de la France. Paysans bretons, vous ai-je assez entendu protester, y compris dans la rue quand vous n'entriez pas, quelquefois, dans les bâtiments publics ! Je vous ai beaucoup entendu protester contre les montants compensatoires monétaires, cette invention française ... cette invention française de 1969, et qui veut dire que, devant les fluctuations monétaires, une compensation soit édictée, une sorte de prime pour le pays le mieux placé et une sorte de taxe pour le pays qui l'est moins, de telle sorte que la France est considérablement ... considérablement désavantagée depuis déjà de longues années, depuis cette époque-là, depuis 1970, dans ses relations, notamment avec la Hollande et avec l'Allemagne.
- Les montants compensatoires monétaires inventés par la France ... et c'est encore la France qui a demandé que ce soit la Communauté qui les administre, ce qui était un danger supplémentaire. Comme quelques années auparavant il avait été décidé, sous la pression du général de Gaulle, que les décisions seraient prises, non pas comme l'édictait le Traité de Rome, à la majorité dans la plupart des cas, mais à l'unanimité. Pour obtenir le démantelement des montants compensatoires monétaires, il fallait obtenir l'accord de ceux qui en profitaient £ il suffisait que l'un d'entre eux, en raison de ces réglementations inventées avant 1981, à l'initiative de la France, dise oui. Ah ! Français, vous êtes un peu dans le besoin £ nous gagnons de l'argent sur votre dos £ ah ! mais nous sommes si généreux, si gentils ! votre protestation est reçue .. Mais nous nous sommes cassé le nez pendant des années pour arriver à faire comprendre à nos partenaires que c'était la brisure du Marché commun agricole que de persévérer.
- Sachez qu'avant 1981, l'écart maximum entre les prix français et allemands a été de 30 points au bénéfice de l'Allemagne, et que nous l'avons réduit à 3,4 et que sur ces 3,4, 2 vont être démantelés dans les mois qui viennent. Sachez qu'il n'y a plus de montants compensatoires français, ni sur le porc, ni sur le vin. Vous croyez que c'était commode ?
- Il y avait quelque injustice dans cette condamnation des gouvernements que j'ai formés, dans cette condamnation de notre politique, et je ne puis m'empêcher de penser qu'il y avait, au-delà de la colère que je comprends, une sorte de profonde réalité politique qui se servait de ces arguments faux pour accabler la majorité.\
Producteurs de lait, vous vous plaignez de ce que les produits de substitution aux céréales, ces produits venus d'Amérique, soja, tourteaux de toutes sortes qui alimentent les animaux, vous vous plaignez qu'ils arrivent sans taxe de l'autre côté de l'océan, jusqu'à nous, pour nourrir à bas prix les animaux hollandais ou anglais. Vous vous plaignez, et vous avez raison. Comment ? ce Marché commun, union douanière, tarifs préférentiels, qui ouvre largement ses portes aux productions américaines de telle sorte que peuvent s'édifier des industries agricoles qui n'ont plus rien à voir avec les exploitations familiales agricoles exigées par le Traité de Rome - on appelle cela de l'agriculture "hors sol" -. Dans cette bizarre conception, on n'a pas besoin d'un sol pour faire de l'agriculture. Eh bien ce Marché commun agricole européen s'est ouvert parce que l'influence américaine est déterminante et qu'il est des pays qui ne savent pas résister.
- Et la France a souscrit en 1962 à un Traité de commerce international, - dans le -cadre du GATT - signé par 80 pays, et selon lequel ces fameux produits américains d'alimentation du bétail franchiraient les frontières de l'Europe sans taxe, ou alors très faible.
- Et j'ai vu se lever une certaine révolte paysanne contre les montants compensatoires, les nôtres peut-être, contre les produits de substitution américains, à cause de nous peut-être, 1969, 1962, j'en ai discuté avec les responsables. Ils savaient bien que j'avais raison et que tout mon effort, et celui du gouvernement, et des ministres des relations extérieures, des ministres de l'agriculture, consistaient essentiellement à faire reculer nos partenaires dans leurs exigences £ cela était possible par le Traité de commerce de 1962, repris à diverses reprises £ ce n'est pas encore possible, il faut l'accord des 80, la France s'est liée, et maintenant, à nous la charge de nous délier, mais de nous délier par la négociation. Quand on a signé un contrat, on ne peut pas s'en défaire tout seul.\
Paysans et producteurs bretons, il faut que vous le compreniez, à partir du moment où, dans le -cadre de l'Europe, le compromis de Luxembourg fait qu'il faut l'unanimité pour décider et qu'il suffit qu'un seul pays refuse pour tout bloquer alors, comment voulez-vous faire aboutir une négociation ? Ce que nous avons obtenu est déjà important. Alors, on a décidé les fameux quotas laitiers. On va encore s'expliquer là-dessus.
- Mesdames et messieurs, l'Europe `CEE` produisait 105 millions de tonnes de lait, elle en consommait ou exportait 85 millions. Et comme les prix sont garantis aux producteurs, il faut les payer, ces 105 millions, et comme on n'en consomme que 85, il faut stocker 20 millions de tonnes. D'une part, la dépense de l'achat, c'est une promesse, il faut la tenir £ d'autre part, le coût du stockage. Comment voulez-vous qu'une économie tienne bon dans ces conditions ? Au nom de quels principes refuser ces quotas sur la production, c'est-à-dire disons les mots comme ils sont, une réduction de la production ? Comment le faire ? L'Irlande n'a renoncé à rien parce qu'elle vit de cette production. L'Italie, qui est très peu productrice et qui est cliente des pays comme l'Allemagne ou la France, a obtenu de maintenir sa production. Nous avons consenti 2 % de réduction, les autres 6,37 %, guère davantage, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, la Hollande, le Danemark. Il faut que vous le sachiez, la France est le premier producteur de lait de l'Europe, l'Allemagne le deuxième, environ 27 millions de tonnes d'un côté, 25 de l'autre. Nous avons décidé de proposer aux producteurs de lait plus âgés que les autres, je ne dirai par âgés - qu'est-ce que je dirais moi-même - un peu plus âgés que les autres, nous leur avons proposé de se retirer et nous avons offert une compensation allant jusqu'à 30000 F... 50000 ont demandé à bénéficier de cette mesure. Ils ont obtenu satisfaction. De telle sorte qu'aujourd'hui, ayant par le fait-même réduit sa production, la France se trouve à l'aise dans le quota qui lui a été fixé.\
`Suite sur les quotas laitiers`
- Il reste un problème difficile à résoudre : si, globalement, nationalement, la France ne souffre pas de la réduction de sa production pour les raisons que je viens de dire, régionalement ou individuellement, des inégalités se sont créées.
- En principe, on n'avait pas le droit, à l'intérieur d'un pays, de corriger les effets de la mesure européenne. Mais nous avons obtenu la possibilité de réaliser des transferts d'une région à l'autre, et, je vous le dis, nous avons demandé, nous demandons à la profession de bien vouloir accepter ces transferts, son avis est nécessaire. Et parmi les propositions que nous faisons, il y a un transfert important vers les régions de l'Ouest et particulièrement de la Bretagne, parce qu'elles produisent en intégrant toujours plus de progrès technique. Donc, nous sommes pour le transfert et nous le réaliserons. Nous avons créé une réserve de 70000 tonnes pour pouvoir régler certaines difficultés, mais il n'empêche que les producteurs de Bretagne vivent encore dans l'inquiétude, ce n'est pas fait : que la profession nous dise oui et ce sera accompli.
- Deuxièmement, les jeunes : il faut leur obtenir ... quel terme non technocratique emploierai-je ... il faut pour obtenir des avantages supplémentaires, des transferts ... on va dire aussi des transferts, bien que ce ne soit pas le mot, des ressources supplémentaires pour qu'ils puissent s'installer ou développer, quand ils étaient installés, les entreprises auxquelles ils avaient consacré déjà des crédits importants. Ainsi, après les transferts, il faut s'occuper des jeunes agriculteurs, plus nombreux en Bretagne qu'ailleurs, car la Bretagne, il faut le savoir, est aujourd'hui encore l'une des deux ou trois plus importantes régions d'Europe sur le -plan de la production agricole. Cette énergie, cette force - la capacité d'intelligence et d'innovation des producteurs de cette Bretagne - il ne faut pas les perdre, il ne faut pas ruiner l'acquis mais toujours l'améliorer.
- Quant à la troisième mesure, je sais qu'elle rencontre des oppositions. Mais, moi personnellement, je pense que dans la redistribution des quotas de ces prochaines années, il faudrait faire une différence entre les gros producteurs et les petits.\
Et voilà que se pose le problème de l'élargissement qui à cause du vin rassemble des foules à Montpellier.
- Il s'agit des accords de Dublin `Conseil européen` que j'ai signés. J'ai participé à la négociation et ce sont de bons accords. Là non plus il n'est pas question de reculer, même si l'entrée de l'Espagne et du Portugal, c'est une éventualité d'excédents et de surproduction sur le vin. Le problème est le même que pour le lait : il faut arrêter tout de suite cette course insensée à la production. L'Espagne produit déjà aujourd'hui la moitié de la production française. Et cela représente plus encore pour l'Italie. En outre, l'Espagne garde une capacité de production importante en raison de la -nature de ses terres et de la capacité de ses habitants et elle peut nous rattraper en peu d'années et nous distancer largement.
- L'accord de Dublin implique l'arrêt des progrès des productions espagnole, française et italienne. Qui a protesté ? L'Italie .. La France quant à elle a le plus grand intérêt à limiter les faux progrès italiens et les capacités réelles de l'Espagne.
- Nous avons donc assuré, avec l'Office du vin, des moyens qui permettront d'empêcher la concurrence déloyale, je veux dire éventuellement déloyale, des nouveaux arrivants dans le Marché commun.
- Le vin, le vin de consommation courante, qui, naturellement, représente le travail, le bien, l'orgueil souvent de ces viticulteurs du Midi. Vont-ils croire que nous les avons abandonnés ? Nous les avons protégés : repoussant les objectifs à dix ans, quatre puis six, nous nous sommes donnés le temps d'aligner les conditions de prix de revient en tenant compte du coût social et du coût fiscal dans la comparaison des prix espagnols et français.\
Je crois qu'il est sage d'accepter dans l'Europe du Marché commun, la présence de l'Espagne et celle du Portugal, qui pose moins question. Que ces pays ne cèdent pas à d'autres attractions qui se proposent, qu'ils viennent rejoindre le gros de l'Europe, ils en sont par la culture, l'histoire et la géographie. Et l'amitié franco - espagnole, il faut la restaurer. Désormais Toulouse et Bordeaux ne seront plus dans un cul de sac mais intermédiaires entre le Nord et le Sud. L'équilibre sera rétabli entre les pays du Sud, les pays latins et les pays du Nord habitués à gouverner l'Europe. Il le faut et les décisions de Dublin, pour les fruits et légumes, et les décisions de Dublin pour le vin, je vous le dis, garantissent nos intérêts et ceux de nos producteurs.
- Je sais que c'est une responsabilité difficile à prendre. Je sais que la réaction immédiate est de refuser ce genre de décision. Mais une fois encore, je fais appel à la responsabilité de l'Etat, à celle du Président de la République dès lors que les préalables et les conditions que j'ai posés, il y a déjà bien longtemps, c'était peut-être en 1976 ou 1977 à Montpellier, ont été remplis, dès lors qu'un autre chapitre, mais je vous épargnerai l'énoncé, celui de la pêche, se trouve également traité de façon satisfaisante, alors il faut franchir le pas et l'industrie et l'agriculture française, les producteurs de lait, trouveront là une puissante et nombreuse clientèle qui servira nos intérêts.\
Mesdames et messieurs, chers amis, je chante les louanges de l'Europe, j'en connais mieux que quiconque les défauts et les vices. Je sais ce que recouvrent les concurrences parfois sordides, l'élan européen n'est pas le même partout, il y en a même qui marchent à reculons. Mais l'Europe, c'est la seule construction capable de répondre à des besoins essentiels.
- Je vais simplement vous citer, comme cela, rapidement avant de terminer, l'Europe et les techniques, l'Europe et l'espace, l'Europe et le tiers monde, l'Europe des droits de l'homme, l'unité politique de l'Europe.
- C'est moi qui ai demandé en 1982 à Versailles, aux autres pays industriels rassemblés comme ils le sont chaque année dans des capitales différentes, c'est moi qui ai demandé à Versailles que soit engagée une grande négociation sur les technologies, les bio-technologies et les technologies d'informatique, d'électronique, l'exploration des océans, que sais-je encore ?...
- Et nous nous sommes mis au travail tout de suite, en augmentant les crédits de la recherche française, de telle sorte que nous avons rattrapé nos principaux concurrents. Aujourd'hui l'Allemagne, l'Angleterre, la France réunies dépensent plus de crédits pour la recherche que le Japon ou les Etats-Unis d'Amérique. Mais ils n'en profitent pas, car leurs divisions organiques les empêchent de bénéficier dans leurs réalisations de cette formidable recherche fondamentale.
- Nous nous sommes mis en disposition, par l'effort de recherche, de gagner des marchés nouveaux. Et déjà, on aperçoit un certain nombre de réussites extraordinaires en Grande-Bretagne, en Italie.. Je suis allé en voir récemment à Grenoble, on en voit non seulement dans l'Europe du Marché commun, mais dans d'autres pays comme la Suède, la Suisse, d'autres encore qui viennent se joindre à nous.\
L'Europe des techniques, et parmi ces techniques, il y a celle de l'espace. La France remplit un rôle éminent dans la construction et le lancement d'Ariane. Ariane 5 sera en mesure de lancer dans l'espace, bien au-delà de ce qu'on imagine aujourd'hui, de véritables stations habitées. C'est un moyen pour l'Europe d'égaler les plus hautes performances mais c'est aussi un outil déterminant de puissance au XXIème siècle, quand seront dépassées les technologies d'aujourd'hui.
- J'ai proposé, à Versailles d'abord, et après à La Haye que l'Europe s'engage dans la construction d'une station orbitale, mais voilà que, dans le même moment, les Etats-Unis d'Amérique nous proposent d'entrer dans leur projet qui consiste précisément, avec les moyens colossaux dont ils disposent, à aller déjà s'installer dans l'espace, avec nous... mais à la condition d'y participer. Encore faut-il que la dépense consacrée à Colombus et celle consacrée au projet de navette Hermès ne dépassent pas nos forces £ plusieurs pays d'Europe s'y refuseraient. Nos envoyés sont allés à Rome et le ministre de la recherche et de la technologie, M. Curien, a emporté l'adhésion des européens : Ariane et Ariane 5 auront leur emploi... et il sera possible - à partir de notre participation à Colombus, mûrement étudiée, élément par élément - de construire tout aussitôt ou en même temps la station européenne.
- Je considère que cette avancée modifiera, dans les trente ans qui viennent, toutes les données de la stratégie mondiale, y compris de la stratégie nucléaire, au point que j'ai dit à nos partenaires que si l'Europe s'y refusait, la France le ferait. Ils nous ont entendus, mais nous ne sommes qu'au début de la route, vous le savez bien. Voilà une grande construction : l'Europe présente dans l'espace. Vous savez bien que deux puissances seulement aujourd'hui sont capables d'en faire autant, et même d'en faire davantage, mais nous serons là, nous, l'Europe, et nous, la France.\
J'ai cité l'Europe et le tiers monde. Oui, je dois dire que c'est une vocation particulière à notre pays, nous avons l'expérience de ces régions, nous en avons fréquenté l'histoire parce qu'une sorte de fraternité, au travers même de l'époque coloniale, s'est créée, qui s'est magnifiée, perpétuée, transformée. Et elle existe toujours entre les pays du tiers monde et la France.
- A peine étais-je élu en 1981, j'allais au Mexique, je m'adressais aux peuples du tiers monde à Mexico et je disais aux peuples souffrants, opprimés, privés de leur liberté politique et de leur liberté économique et réduits à la misère par les plus grands intérêts du capital international, je leur disais : votre combat et votre lutte sont justes.
- Le devoir du monde occidental, c'est de contribuer à l'émancipation de ces peuples : alors ils n'auront pas envie de se retourner vers d'autres. Mais si on les accule au désespoir, si on ruine leurs chances de liberté, où iront-ils ? Que feront-ils ? Ce sera un nouveau risque pour l'équilibre du monde, payé par la misère de milliards d'êtres humains ! Je l'ai répété partout, dans combien de capitales étrangères - on me le reproche parfois, et pourquoi ? - au Caire, ou à New-Delhi, à Bujumbura, partout j'ai répété le même discours. Voir s'élargir le fossé qui sépare les pays riches du Nord des pays pauvres du Sud c'est une menace pour la paix plus lourde encore que l'affrontement nucléaire. Là est le mal véritable des siècles à venir, tandis que les démographies s'affolent là-bas et s'étiolent chez nous.
- Voilà un problème majeur. Nous en avons saisi nos partenaires européens et ils l'ont compris. Avez-vous mesuré l'importance des Accords de Lomé - Lomé III, comme on dit, c'est-à-dire pour les années 1985 à 1990 mis au point aujourd'hui par Edgard Pisani, après Lomé II, qui avait été mis en oeuvre par Claude Cheysson, c'est-à-dire par deux Français. Lomé II a représenté 4,6 milliards d'Ecus, et Lomé III représentera, pour les cinq ans à venir 7,4 milliards, c'est-à-dire un peu plus de 5,3 milliards pour les pays d'Afrique, des Caraïbes et certains petits pays du Pacifique. L'Europe a marché, L'Europe s'est enthousiasmée, l'Europe a compris que les positions économiques, que les relations humaines, que les positions stratégiques, que la présence tout simplement exigeaient cet effort.\
`Suite sur l'aide au développement`
- Je dois dire que la France a toujours occupé la place qui lui revenait, c'est-à-dire l'inspiration, et je dois dire aussi l'exemple, puisque nous sommes le seul pays industriel parmi les grands à avoir accru notre aide au tiers monde, au moment même où nous réduisons notre budget. Et nous allons remplir les obligations internationales auxquelles nous avons souscrits : 0,7 % du produit intérieur brut `PIB` pour l'aide au tiers monde et 0,15 pour les pays les moins avancés.
- Je crois à cette mission de la France, je crois à cette mission de l'Europe. Il faut que se lèvent partout les garçons et les filles qui assureront le relais, qui iront tracer dans chacun de ces pays les petites rigoles - avant même les adductions d'eau - qui permettront à la population de l'ancienne Haute-Volta de survivre, tout simplement, et au Sahel de ne pas périr de misère.
- La France a consacré, pour la famine en Ethiopie, deux fois plus d'argent que les Etats-Unis d'Amérique ! La France consacre pour le Sahel, non seulement francophone, mais également pour quelques autres pays voisins - lusophones, hispanophones, anglophones - un effort hors de toute comparaison, et nous avons accepté, à Dublin d'assumer à nous seuls le quart des ressources nouvelles, c'est-à-dire 100000 tonnes qui iront vers ces pays de l'Est de l'Afrique. Ce n'est pas suffisant. Et les instances internationales prennent un retard qui devient criminel. Mais la France tient ce langage et aligne ses actes sur ses paroles.
- De la même façon, je puis vous dire ce soir - la nouvelle est publique à Paris depuis cet après-midi - que nos partenaires européens viennent d'accepter la création d'un Fonds spécial pour l'Afrique dans le -cadre de la Banque mondiale, ce qui était la revendication fondamentale de tous nos amis africains. Enfin, c'est fait. Les contributions sont apportées, elles apporteront 1,2 milliards de dollars en supplément des sommes que je viens de citer.\
Voilà la tâche de l'Europe :
- - la conquête des techniques, maîtresse du monde £
- -la conquête de l'espace, dernière dimension des -rapports de puissance £
- - l'Europe et le tiers monde : mission fondamentale d'éducation et de solidarité. Que tous ceux qui ont eu la chance d'être bien formés et de bénéficier d'un sol riche viennent et tendent la main. Nous devons servir non seulement à distribuer des vivres, mais à apprendre à ceux qui en ont besoin comment les vivres se forment, comment le blé pousse, ou le maïs, comment les fruits et légumes, le long du Niger, vont pouvoir - le haricot ou la fraise, c'est déjà le cas - représenter des capacités d'exportation pour les pays du tiers monde. Encore faut-il qu'une spéculation sur les places de Chicago, de New York ou de Londres, ne vienne pas ruiner en un instant des plans de développement de deux ou de trois ans !
- - l'Europe des droits de l'homme.
- Oui, nous avons signé des conventions européennes ou universelles estimant que le principal pour la France était de tenir sa place dans le concert des nations, appelées à garantir l'exercice des droits de l'homme. Jamais nous n'avons manqué à ces obligations. Là encore, c'est un domaine sur lequel nous rencontrons l'opinion de l'immense majorité des Français.
- On la rencontre pour les techniques, on la rencontrera pour l'espace, on la rencontre pour le tiers monde, hors des petits groupes extrémistes, on la rencontre sur les droits de l'homme. Et moi, je ne doute pas un seul instant de l'authenticité des sentiments de ceux qui se disent adversaires politiques de l'actuelle majorité gouvernementale parce qu'eux aussi, ce sont des démocrates et des républicains, eux aussi veulent défendre les droits de l'homme. Alors, qu'au moins, sur ce -plan-là, on réalise ce rassemblement que j'appelle de mes voeux, là et dans d'autres domaines.\
Mais tandis que j'évoque cette Europe ... qui sait... une autre, dans l'ombre, chemine : l'Europe du terrorisme.
- Eh oui.. Il y a peu, un officier français `le général René Audran`, aujourd'hui, un industriel allemand `Ernst Zimmermann`, ailleurs.. Ainsi vont les choses, dès lors qu'une minorité veut avoir raison toujours et partout, y compris par le sang, par haine de tout ce qui est organisation de la société, et aussi, parfois, servant consciemment ou inconsciemment d'agent à des stratégies internationales.. Ils tuent ! Il faut les mettre à la raison !
- Oui, j'ai décidé l'extradition, sans le moindre remords, d'un certain nombre d'hommes accusés d'avoir commis des crimes. Je n'en fais pas une politique. Le droit d'asile, dès lors qu'il est un contrat entre celui qui en bénéficie et la France qui l'accueille, sera toujours et a toujours été respecté £ il n'était d'ailleurs pas demandé, dans la circonstance, en temps utile. Je refuse de considérer a priori comme terroristes actifs et dangereux des hommes qui sont venus, particulièrement d'Italie, longtemps avant que j'exerce les responsabilités qui sont miennes, et qui venaient s'agréger ici ou là, dans la banlieue parisienne, repentis... à moitié, tout à fait... je n'en sais rien, mais hors du jeu. Parmi eux, sans doute une trentaine de terroristes actifs et implacables. Ce sont justement ceux qu'on ne contrôle pas, c'est-à-dire qu'on ne sait pas où ils sont ! On dit qu'ils sont en France ?
- La France est quant même un pays - sans que je puisse préjuger en quoi que ce soit de ce qui se passera demain - dans lequel on a connu une trace moins sanglante qu'ailleurs, même si elle est encore trop sanglante. Mais je dis hautement : la France est et sera solidaire de ses partenaires européens, dans le respect de ses principes, de son droit £ elle sera solidaire, elle refusera toute protection directe ou indirecte pour le terrorisme actif, réel, sanglant. Ce terrorisme est de toutes espèces - encore les expèces se rejoignent-elles le plus souvent - mais que l'on puisse disposer de la vie d'un homme, d'une femme, simplement parce qu'on a une autre conception de la vie, du monde, de l'avenir parce qu'on a une autre théorie, une autre religion, un autre projet ... tuer comme cela. Je serai donc de ceux qui refuseront tout compromis !
- Il y a eu des imputations que je n'accepte pas £ elles émanent, ici ou là, de tel ou tel pays étranger qui, souvent, se "dédouane", si je puis ainsi m'exprimer, d'une absence de vigilance en accusant autrui. Parlons clair : la France est un pays qui respecte la vie, qui refuse le terrorisme, y compris notre terrorisme à nous, si j'ose dire, le terrorisme corse, le terrorisme basque, tout autre terrorisme du même ordre, alors que j'accepte, et profondément, l'affirmation de chaque minorité.
- Je disais, tout à l'heure, aux dirigeants des assemblées régionales bretonnes, que, selon moi, on n'avait pas assez fait par exemple pour les cultures et les langues bretonnes depuis trois ans. Je leur ai dit qu'il fallait élargir les heures d'enseignement ou d'information, qu'il le fallait raisonnablement, parce que certaines tentatives ont été faites dans ce sens, et elles ont échoué... je pense à Radio-France. J'ai dit que j'avais décidé de créer un Conseil national des langues de France. J'ai dit que je recommandais au gouvernement la création d'un CAPES breton - lettres modernes.
- Je comprends l'exaspération et je peux comprendre que l'exaspération pousse à dépasser les limites des droits de l'homme. Je comprends, mais je n'excuse pas et, dans le -cadre de ma responsabilité, je ne laisserai pas passer, il faut qu'on le sache, ici comme ailleurs.\
Voilà, mesdames, messieurs et chers amis, un exposé qui a laissé de côté tant de problèmes qu'il serait utile de traiter ensemble... car je ne pourrai pas revenir chaque semaine... pour poursuivre ce propos.
- Parlant de l'Europe, qu'ai-je plaidé ? L'unité. L'unité politique. C'est pourquoi à Dublin j'ai demandé que soit mis en oeuvre, comme je l'avais obtenu à Fontainebleau, un programme resserrant l'unité politique des signataires du Traité de Rome.
- Ce que je veux dire, c'est qu'il faut cette unité sur quelques causes essentielles.. Vous aurez remarqué que je n'ai pas parlé de la Nouvelle-Calédonie, j'aurai d'autres occasions de le faire incessamment.. Je ne pouvais pas traiter de façon exhaustive de l'ensemble des problèmes, et puis je fais confiance, le gouvernement fait confiance au délégué `Edgard Pisani` qu'il a choisi, qui s'exprime en notre nom.. Mais l'unité, cette -recherche pour soi-même, dans sa vie personnelle, celle de ses sentiments, de ses passions parfois, pour l'accomplissement de l'esprit, pour la compréhension de la matière. L'unité !... un peuple comme le nôtre, si souvent déchiré... les Espagnols ou les Anglais des guerres de religion, inspirant les clans et les factions en 1985 quels seraient leurs noms aujourd'hui ?... On pourrait très vite les trouver !...
- Va-t-on laisser le tissu français déchiré ? N'y a-t-il pas cette patrie que nous aimons, cet admirable visage de la patrie, le nôtre à tous, Françaises et Français qui m'écoutez ou qui m'écouterez, à tous, à tous qui y sont nés et à tous ceux qui y sont venus et qui y seront, à tous, vous entendez ! Aucun n'est exclu, ni dans mon esprit, ni dans mon coeur, ni dans mon action £ je n'ai jamais considéré un adversaire comme perdu pour le dialogue ou l'amitié ! Jamais ! Je sais bien que les passions idéologiques vont loin, que les antagonistes raciaux dépassent la raison, je le sais et peut-être de façon inexpiable, mais nous, au moins, nous irons partout en disant que nous sommes ouverts à l'unité, au rassemblement dès lors que la démocratie s'exerce pleinement ! Nous, nous dirons à toutes les Françaises et tous les Français que nous sommes des leurs et qu'ils sont des nôtres, que nous ne faisons pas des séparations politiques le fin du fin.
- Et moi, Président de la République française, premier responsable de la nation, devant elle-même, devant le monde, face au passé et à l'avenir qui commence au moment même où je m'exprime, j'en appelle à cette faculté de se comprendre et, peut-être, de s'aimer, franchissant les barrières et les séparations, parlant clair, disant son fait, apportant chacun la force de sa conviction, même s'il faut se jeter parfois à la face les chiffres et les idées. Mais nous sommes du même pays, vous, Bretons et vous autres, Français de toutes autres provinces, de toute autre région, vous Français d'ici et d'ailleurs, vous êtes un même peuple. Mon devoir, d'abord, est de vous le rappeler. Mon devoir est ensuite d'y veiller. Mon devoir, il est partout le même : rassembler les Français.\