8 décembre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du dîner offert par le maréchal Mobutu, Président de la République du Zaïre, Kinshasa, samedi 8 décembre 1984.

Monsieur le Président,
- Madame,
- Mesdames et messieurs,
- Je suis très heureux de me retrouver aujourd'hui, en visite officielle cette fois, au Zaïre où j'avais déjà participé, en octobre 1982, à la conférence des chefs d'Etat d'Afrique et de France, si remarquablement organisée par vos soins, monsieur le Président, à Kinshasa, dans ce Palais et dans cette salle. J'en garde le meilleur souvenir et l'invitation que vous m'avez fait il y a quelques mois de revenir ici pour pouvoir marquer d'une façon plus solennelle la relation entre nos deux pays, je l'ai acceptée de grand coeur.
- Cette visite se situe à un moment particulièrement important de la vie politique du Zaïre. Pour la troisième fois, vous avez reçu, il y a quelques jours, l'investiture suprême, et vous allez conduire les destinées de votre pays pour sept années nouvelles. Qu'il me soit permis, à cet égard, de vous exprimer, au nom de la France, mes voeux très chaleureux pour le succès de ce mandat. Quelle responsabilité pour ce peuple appelé aux plus hautes destinées et dont vous aurez à assurer, par des temps difficiles, l'unité et les chances d'avenir par l'effort du présent !
- Monsieur le Président, votre pays, on le sait bien - il suffit de regarder une carte de géographie - est au coeur du continent. Il en résume la diversité mais aussi la beauté. Des rivages de l'Atlantique jusqu'aux cimes du Kivu, du fleuve Chari aux plateaux du Shaba, le Zaïre n'est-il pas l'un des plus grands pays de l'Afrique, l'un des plus riches et l'un des plus peuplés ? L'un des plus riches, potentiellement par tout ce qui existe dans son sol, sur son sol, par la qualité de ses hommes. Tout y est immense, à commencer par le fleuve magnifique qui donne son nom à ce pays et que je redécouvrirai demain, en votre compagnie. Immense, cette forêt qui couvre le centre du pays, et dont vous me rappeliez qu'elle représentait 60 % de la surface forestière de l'Afrique. Oui, l'une des plus grandes du monde, irriguée d'innombrables rivières, sorte d'Amazonie africaine. Immenses, ces richesses dont je parlais, que recèle votre sol, qu'il s'agisse du cuivre, du cobalt, du diamant, de l'or et tous les minerais précieux, du pétrole, que sais-je encore ? Quelqu'un a dit "un vrai scandale géologique", mais un scandale heureux et prometteur pour l'avenir du Zaïre.\
Et il y a, ne l'oublions pas, la terre et l'eau, les éléments, et pour les maîtriser, les hommes à profusion, qualifiés pour animer, exploiter, mettre en valeur les cultures les plus diverses. Ce pays, dont j'ai dit la fascinante immensité, est aussi un carrefour de peuples et de langues, l'un des berceaux de la grande civilisation bantoue. Bref, tout cela fait une terre hospitalière, un peuple où la force du coeur ne le cède en rien à celle de la terre. Et puis, pour nous Français, comment oublier, mais vous venez de le rappeler, que le Zaïre c'est aussi, avec ses quelques 30 millions d'habitants, le deuxième pays francophone du monde, deuxième après la France, mais, au train où va votre démographie, et en raison de la grandeur du Zaïre, peut-être un jour, le premier !
- Voilà une raison supplémentaire, à mes yeux, pour que votre pays constitue une étape essentielle du voyage, et des voyages, que j'accomplis en terre africaine. Que j'accomplis inlassablement, parce que je crois à la force du dialogue, à sa nécessité, à la relation personnelle et humaine qui s'est établie, là, qui s'établit, ici, et qui représente, je le crois le meilleur moyen de définir en commun une politique, de comprendre les aspirations, d'être à l'écoute d'un grand peuple. Ce peuple, il a fallu, il vous a fallu le rassembler en respectant sa diversité, mais j'imagine, monsieur le Président, que la tâche n'est pas aisée. Elle est celle des pionniers £ et je vous disais tout à l'heure, au cours d'une conversation, que vos lointains successeurs auront peine à comprendre ce que fut cette époque du vingtième siècle, où il fallut tout faire, pour tous, afin qu'un pays comme celui-ci puisse s'affirmer, se protéger, grandir et s'accomplir. Monsieur le Président, vous vous êtes attaché à garantir la paix, la sécurité et la stabilité du Zaïre, et pourtant, on le sait, c'est une région du continent parmi les plus exposées, exposée aux contrecoups des mutations qui secouent en ce moment même l'Afrique australe. Et le cortège de misères que les troubles intérieurs et les interventions extérieures provoquent dans d'autres parties de l'Afrique, les maux de toutes sortes dont sont accablées les malheureuses populations civiles qui en sont les inévitables victimes, tout cela nous montre bien que nul progrès, nul développement, nul bien-être, je dirais même, nulle justice, ne peuvent être durablement acquis dès lors que la paix et la sécurité ne sont pas fermement assurées.\
Ces conditions étant réunies, alors il faut avancer hardiment dans la voie du développement et du progrès. A cet effet, il importe que le Zaïre occupe la place qui lui revient et il a besoin dans un monde interdépendant, de l'aide des autres comme il peut apporter beaucoup aux autres, si, comme vous l'avez dit, cette aide mutuelle est fondée sur une confiance réciproque.
- Vous avez engagé votre pays dans un effort très courageux de redressement économique face à la crise qui nous frappe tous, mais plus encore ceux qui n'avaient pas eu le temps d'organiser et d'exploiter les richesses dont ils disposent. Rigueur financière et remise en ordre, à quel -prix ! Ce sont les peuples qui payent ce -prix et souvent la communauté internationale et surtout celle des pays développés devrait mieux comprendre que l'on ne peut assurer ce redressement sur le seul sacrifice des peuples les plus pauvres. Cela nous conduit, naturellement, à tenter de définir ce que doit être une politique mondiale comme j'ai essayé de l'expliquer maintes fois depuis trois ans sur toutes les tribunes du monde où je me suis rendu, où l'on m'a convié. Ce fut à Mexico ou bien à Ottawa, à Cancun ou dans les diverses capitales d'Afrique du Nord ou d'Afrique noire, sans oublier de grands pays d'autres continents. Chaque fois, j'ai rappelé ce que, à mon sens, je crois indispensable pour assurer non seulement le développement des pays dits grossièrement du sud, mais aussi pour que les pays dits du nord puissent eux-mêmes surmonter leur crise.\
A cela des remèdes : j'en parlerai davantage dans les jours qui suivent, mais dès maintenant je veux que l'on sache bien que la France connaît son devoir. Vous avez bien voulu rendre hommage à mon pays, monsieur le Président. C'est vrai que parmi tous les pays industriels, la France est le seul qui ait accru son aide, soit multilatérale, soit bilatérale, au cours de ces années de crise. Alors que l'on assiste partout à une rétractation, une rétention, une réduction sensible de la solidarité internationale.
- Alors que chacun d'entre nous, c'est le cas de la France, doit lutter contre l'inflation, doit appeler son peuple à l'effort rigoureux, ce qui conduit à des limitations de consommation, à des sacrifices consentis par ceux qui trop souvent sont toujours appelés à les apporter sur l'autel de la communauté nationale.
- Alors que nous avons un budget dont l'augmentation une année sur l'autre est inférieure à la réduction obtenue, pourtant sensible, du niveau de l'inflation. C'est dire que nous avons réduit sévèrement le -train de notre Etat, réduit l'apport ou la subvention de notre Etat vers les différentes fractions de notre collectivité nationale. Nous avons dans le même moment, je le répète, seul grand pays industriel, accru et largement, notre contribution à la solidarité internationale au regard du tiers monde.
- Je le dis pour que ce soit clair, car il est évident que la France avec ses 55 millions d'habitants ne peut pas assumer la charge de substitution dès lors que les plus grands pays semblent renoncer à la mission et au devoir qui sont les leurs. Il est évident que nous ne pouvons nous substituer et que dès lors nous ne pouvons compenser auprès de nos plus fidèles amis ce qui est retiré aux circuits internationaux. Notre part s'accroît dans une part globale qui diminue. Mais la nôtre s'accroît, je veux dire par là que la France est plus présente qu'elle ne l'était encore lors des périodes de croissance ou d'abondance que nous avons connues.Je continuerai parce que ma conviction la plus profonde est que c'est un devoir que de participer fortement, en mesurant l'effort avec sagesse mais toujours en l'amplifiant pour que les peuples du tiers monde puissent accéder à la maîtrise de ce que contient leur sol, de ce que permettent leurs cultures, c'est-à-dire de l'ensemble des virtualités qui forment le lien entre la civilisation d'hier et celle de demain.
- Il faut s'attaquer avec plus de cohérence et d'énergie que ne le fait aujourd'hui le monde industriel à soutenir le cours des matières premières indispensables pour la vie du tiers monde, contribuer puissamment à ce que se développe l'autosuffisance alimentaire de chacun de ces pays, condition de leur indépendance véritable, développer des sources énergétiques autres que le pétrole, intervenir par l'accroissement de nouvelles liquidités des grandes institutions internationales. Nous sommes loin du compte. Mais, j'espère que la parole de la France sera plus encore écoutée dès lors que chacun aura la conviction que ses actes sont conformes aux paroles.\
Vous-même, monsieur le président et vous tous, Zaïrois, vous avez obtenu des résultats sensibles reconnus par la communauté internationale. Vous aussi vous avez la détermination qui vous permettra de poursuivre dans cette voie difficile. Vous êtes appelés à jouer un rôle de plus en plus éminent en Afrique et par là dans le monde. Vous le jouez déjà ce rôle grâce, il faut le dire monsieur le président, à votre expérience personnelle et, on le sait bien à la carrure que vous avez acquise aux yeux de tous.
- Vous avez affirmé à l'instant votre solidarité avec les grandes causes africaines : souveraineté, indépendance, développement mais en même temps dialogue et coopération. N'avez-vous pas au demeurant une frontière commune - je ne sais si mon compte est exact - avec neuf pays qui sont ainsi vos voisins directs et avec lesquels il faut à tout moment rechercher les voies du compromis et de l'entente. Ce n'est pas toujours très aisé.
- Cette coopération, le Zaïre la pratique au sein des organisations régionales dont vous êtes membre, avec les pays extérieurs à ce continent, dont la France, et vous savez bien que cet accord est solide et durable entre nous.\
Je ne voudrais pas omettre de citer le -concours, chaque jour plus affirmé, de la Communauté européenne `CEE` aux pays en voie de développement et je veux saluer ici la signature, acquise aujourd'hui même à Lomé, de la nouvelle convention qui lie les pays membres de la Communauté économique européenne à plus de 60 pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.
- Grâce à cette convention, c'est un montant de 7,4 milliards d'écus, soit au cours actuel, plus de 210 milliards de Zaïres, qui sera accordé aux 66 partenaires au cours de la période 1986 - 1990. Cette aide ira pour sa plus grande part aux partenaires africains de la Communauté.
- Pourquoi dis-je cela ? C'est parce que la lutte a été dure au sein de cette institution et c'est la France, je m'en enorgueillis, qui a su arracher la décision un temps hésitante à ses principaux partenaires. Et vous n'ignorez pas que si on en arrive à un nouveau Lomé, il y en eut d'autres et que Lomé, qui signifie l'accord de l'Afrique et de l'Europe pour une admirable construction, résulte à l'origine d'une conception française. De même nous encourageons la création d'un fonds spécial pour l'Afrique au sein de la Banque mondiale afin d'obtenir ces liquidités dont je parlais, des nouvelles sources de financement à l'appui des stratégies de développement et, dans l'hypothèse de cette création, nous avons déjà décidé de mettre de côté sur notre propre budget une première tranche de 500 millions de francs pour que, dès 1985, nous participions à ce fonds. Nous avons de même prévu budgétairement d'y consacrer des sommes de même importance pendant les années qui viennent.
- Je ne dis pas cela pour flatter plus qu'il ne conviendrait le rôle de la France. Je veux dire simplement que sont loin derrière nous les amertumes ou les ressentiments, les regrets ou les nostalgies de l'époque coloniale. Il ne doit en rester aucune trace et si quelqu'un en apercevait alors je veillerais, en raison même de ma responsabilité, en l'occurrence du caractère historique, à ce que jamais plus la France ne puisse apparaître comme une force de domination en un temps où désormais la coopération est seule en mesure de répondre aux besoins des hommes sur la terre.\
Vous avez évoqué un problème particulier mais qui touche le monde entier, celui de l'Afrique australe. Vous vous préoccupez de l'avenir de cette région et il es vrai que plusieurs conditions doivent être rassemblées si l'on veut que la paix l'emporte sur l'oppression. La première répond à une exigence morale et de dignité : il faut que dans tous les Etats soit assuré le respect des Droits de l'Homme et abolie toute discrimination raciale. La deuxième a trait à l'achèvement de la décolonisation en Afrique et à l'accession à la souveraîneté internationale du dernier territoire encore dépendant qui se trouve dans la région. La troisième enfin concerne ici comme ailleurs la cessation de toute ingérence extérieure.
- Oh, il y a, nous le savons, des évolutions en cours compte tenu de l'importance des enjeux puisqu'il s'agit du destin de plusieurs pays de l'Afrique australe. Je ne les commenterai pas maintenant mais je puis vous assurer que je suis attentivement la situation et ses développements. Si les solutions qui s'esquissent remplissent les conditions que je rappelais à l'instant, elles recevront mon appui et mon -concours et, en tout -état de cause, je serais disposé, dès lors qu'on m'y inviterait, à contribuer, là aussi, aux équilibres indispensables.
- Vous savez aussi que la France a participé au groupe des Cinq. Que mon pays s'en soit mis en congé, dans diverses circonstances, c'était précisément pour marquer sa réprobation devant les lenteurs ou les complicités. Notre choix est clair, nous serons aux côtés de ceux qui veulent être libres.\
Ainsi, monsieur le président, madame, mesdames et messieurs, ai-je voulu définir en quelques pages l'action de la France en Afrique et plus particulièrement par -rapport au Zaïre qui me reçoit. Je traite et je traiterai avec le premier responsable du pays et ses collaborateurs le détail concret de nos relations bilatérales mais encore fallait-il tracer le -cadre à l'intérieur duquel s'exerce l'action de la France.
- Je ne voudrais pas terminer cet exposé sans vous rendre hommage madame la présidente. Je sais que vous vous employez particulièrement à promouvoir avec beaucoup de discrétion et d'efficacité la politique d'émancipation et de promotion de la femme zaïroise. Me tournant vers vous, madame, je lèverai à mon tour mon verre à vos enfants, à ceux qui vous sont chers. J'ai l'avantage d'en connaître déjà plusieurs et de savoir à quel point cette famille est unie et vous monsieur le président sachez qu'au-delà des vôtres par le sang, votre famille, c'est ce peuple tout entier qui vous est cher. S'il s'agit d'élargir ce cercle de famille à tous ceux qui méritent d'être aimés et servis, comment ne pas former des voeux pour la réussite d'une action qui pendant sept années doit encore conduire le Zaïre vers la réussite de ses projets. Au nom de tous les Français qui sont ici vos invités je porte donc mes voeux par-delà vos personnes au peuple zaïrois auquel je souhaite longue vie et victoire sur les difficultés de l'heure, espoir et force. Il en est capable, il l'a prouvé.
- Monsieur le président, madame, oui je lève à mon tour mon verre et j'obéirai à la tradition ayant exprimé les souhaits personnels qui vont vers vous et ceux qui vont vers votre peuple £ il me reste à célébrer en trois mots ce qui importe £ aussi : "vive l'amitié franco - zaïroise "
- Meilleure santé madame, à votre santé monsieur le Président.\