28 novembre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de son voyage officiel en Syrie, sur la politique étrangère de la France au Proche et Moyen-Orient et les relations franco-syriennes, Damas, mercredi 28 novembre 1984.

Comme vous le savez rendez-vous était pris à cette heure-ci pour que je puisse rencontrer la presse. Le Président Hafez Al-Assad a exprimé le souhait de prendre part à cette réunion. Bien entendu cela ne pouvait qu'être utile à votre information. Je terminerai tout à l'heure mon voyage en Syrie. Voyage fort occupé par de nombreuses conversations, fort intéressant non seulement en raison de son contenu politique mais aussi par les belles choses que j'ai pu voir et le rappel d'une histoire qui comme vous le savez se situe parmi les grandes histoires du monde. Histoire de l'homme, histoire de l'art.
- Le contenu politique, nous sommes là pour en parler. Nous avons eu hier et avant hier des échanges de vue très nourris, fort longs, parce que c'était nécessaire. L'accueil qui m'a été réservé, ainsi qu'à la délégation française qui m'accompagnait, nous a permis de traiter de tout ce qui nous paraissait utile. J'exprime au Président Assad à la fois le sentiment que je lui dois pour l'hospitalité qui nous a été réservée en même temps que la clarté des explications mutuelles. La presse qui se trouve ici réunie représente sans doute de nombreux pays. Je suis à sa disposition comme l'est le Président Assad pour répondre, pour le temps qui a été prévu, aux questions qui nous seront posées.\
QUESTION.- Monsieur le Président, peut-on parler à l'issue de cette visite d'une amélioration ou d'un tournant des relations franco - syriennes ? En attendez-vous des résultats, des mesures visibles et concrètes ou seulement une amélioration du climat général de ces relations ?
- LE PRESIDENT.- Il convenait d'améliorer nos relations avec la Syrie et à cet égard, vous le savez nous avions a mettre un certain nombre de choses au point. Quant à l'explication à laquelle nous avons procédé, il s'agissait précisément de savoir si, au-delà des divergences de vue ou d'opinion sur la situation au Proche et au Moyen-Orient, et des positions différentes qu'ont adoptées nos pays sur le -plan de la stratégie mondiale, si nous pouvions continuer ou reprendre un dialogue qui dure depuis longtemps entre la Syrie et la France et qui est un élément important de l'histoire de nos deux peuples.
- Il est de nombreux domaines où la France a des intérêts, pas simplement matériels, de tous ordres en Syrie. Et comme la France a une tradition, une présence et un rayonnement dans l'ensemble de cette région du monde, comment imaginer que nous puissions servir à la paix, ou à l'apaisement des esprits, protéger l'équilibre de cette région sans que cela fût débattu avec la Syrie dont chacun sait le rôle fort important, sinon même décisif qu'elle remplit dans ces temps modernes ?
- Nous n'avons pas pu débattre pendant toutes ces heures sans travailler précisément à l'amélioration de nos relations. Et je crois qu'on peut dire que sans qu'aucun renonce à ses choix fondamentaux, notre relation directe entre la Syrie et la France a pris un tour utile, heureux. Utile en tout cas selon les conceptions de la France et heureux, dans la mesure où il n'est pas bon que deux pays cessent de dialoguer. S'accroissent alors les malentendus. Comment sortir de cette situation, sinon par l'explication et la conversation ?
- Et comme le fondement même des relations entre la Syrie et la France est mêlée à notre histoire et représente à la fois des conflits et des périodes d'amitié, de coopération profonde, mieux vaut choisir le dialogue et l'avenir que s'en tenir aux difficultés que chacun connaît. Cela remonte d'ailleurs bien au-delà de la période présente. Nous en avons eu, des confrontations ou des antagonismes, et nous en avons eu des périodes plus harmonieuses. Nous avons en somme travaillé à ce que cette période plus harmonieuse pût désormais recommencer. Voilà le choix que nous avons fait. Quand on entrera dans le corps du débat, des questions disons plus concrètes sur des sujets précis, vous pourrez appréciez l'-état de ces conversations.\
QUESTION.- Monsieur François Mitterrand au nom des journalistes je vous souhaite la bienvenue. En tant qu'hôte de notre pays, hôte du Président Hafez-Al-Assad, monsieur le Président comment évaluez-vous votre rencontre avec le Président Hafez Al-Assad et comment considérez-vous l'influence de cette visite sur les relations à venir entre les deux pays la France et la Syrie et comment évaluez-vous le rôle de la Syrie au Liban et dans d'autres domaines surtout dans la préservation de l'unité du peuple libanais ?
- LE PRESIDENT.- J'ai déjà précisé il y a un moment à l'intention de la presse française, que la situation de la Syrie dans le Proche et le Moyen-Orient est une position qu'on l'approuve ou qu'on la désapprouve reconnue par tous comme déterminante et, en tous cas, comme déterminante pour un cheminement vers la paix et vers l'équilibre de cette région du monde. C'est donc un point acquis. Nous l'avons toujours su à Paris, ce n'est pas une découverte. Simplement, les appréciations pour le moins divergentes sur un certain nombre d'événements qui se sont produits au Proche-Orient ont fait qu'au travers de ces dernières années, et même peut-être au-delà, nos analyses s'étant écartées, nos relations se sont en même temps espacées et divers événements nous ont opposé.
- A partir de là, il faut choisir. Est-ce qu'on évite l'explication ? Est-ce qu'on la refuse ? - et naturellement, les choses s'aggravent - ou, est-ce que, tenant compte à la fois des réalités et d'un passé très riche de relations actives entre la Syrie et la France, il ne vaut pas mieux engager le dialogue ? C'est ce que nous avons fait. C'était le parti de la sagesse, d'autant plus qu'à compter du moment où l'on agit ainsi, on redécouvre tout ce qui nous unit : le rôle rempli par beaucoup de Français en Syrie et alentour dans les domaines multiples de la science, de l'archéologie, de l'éducation, de l'instruction, dans le domaine des échanges. Bref, la France a toujours été présente ici, d'une façon ou d'une autre, et il convient pour moi de défendre cette présence et si possible de l'accroître.
- De quelle façon puis-je augurer l'avenir ? Je crois de la façon la plus simple : la présence du Président Hafez Al-Assad, les longues heures de conversations et la mise au net de toute une série de positions pour bien examiner de quelle façon elles pourraient se rejoindre sur certains points, dans la fidélité à nos amitiés et à nos choix. C'est un travail de responsables, de responsables politiques. Je crois que la France joue un rôle important dans le monde. La Syrie aussi. De part la contribution de ceux qui nous ont précédé à travers les siècles, dans la querelle ou dans la paix, nous devons rechercher comment contribuer à l'équilibre mondial. Et dans cet équilibre mondial, il y a au premier chef le Moyen-Orient et dans ce Moyen-Orient, il y a au premier chef la Syrie. Voilà comment s'est posé le problème et comment nous avons cherché à le résoudre.\
QUESTION.- Je voudrais poser une question d'abord au Président Mitterrand. Est-ce que parmi les points d'accords, monsieur le Président, il y a l'avenir du Liban ?
- LE PRESIDENT.- Pour la France il est très aisé d'énoncer l'objectif recherché : souveraineté, indépendance, intégrité du Liban. Chaque fois qu'il a été fait appel à la France, elle a répondu et notre démarche continuera bien entendu d'être la même. Vous savez que la France participe actuellement à la force des Nations unies qu'on appelle la FINUL et qui remplit, doit remplir, un rôle plus important encore dans le Sud du Liban. Vous savez que 80 observateurs français, à la demande du gouvernement libanais et sous son autorité, jouent un certain rôle apaisant, jugé utile puisque l'on nous en demande davantage. Vous savez que nous souhaitons que le Liban puisse exercer sa responsabilité et assurer lui-même, autant qu'il est possible, sa sécurité d'où l'importance de l'armée nationale, de l'armée nationale libanaise sous l'autorité d'un gouvernement de réconciliation ce qui, si j'en juge par l'opinion qu'exprime le Président Gémayel avec lequel j'entretiens des relations amicales, paraît en bonne voie, sous couvert bien entendu de tout ce qui peut à tout moment survenir.
- Il faut donc que le Sud du Liban retrouve sa liberté d'action, de mouvement et c'est pourquoi la France a toujours été favorable, j'aurai l'occasion de l'exprimer en d'autres circonstances, toujours été favorable à l'évacuation des forces israéliennes. Je le dis avec d'autant plus de sérénité que nous entretenons avec l'Israël de bonnes relations. Mais cela ne veut pas dire que nous soyons d'accord sur toutes les initiatives prises par ce pays, bien entendu.
- Quant au rôle de la Syrie, il est forcément différent du nôtre. Nous sommes Européens, nous ne smmes pas de cette région même si nous y avons des traces profondes et si par -rapport au Liban nous avons une grande communauté de culture, de langage et toute une histoire derrière nous, quels que soient les Libanais, de quelque rite ou religion qu'ils soient. La Syrie est non seulement de cette région, non seulement elle appartient au peuple arabe comme le Liban et nul n'ignore ici, j'imagine, ce que fût l'histoire de cette région à travers les temps et donc les liens intimes entre Syriens et Libanais. Il n'empêche que même s'il s'agit de la même famille et souvent même sans jeu de mots, des mêmes familles, il n'empêche que c'est un Etat souverain et qu'il doit le rester. Voilà la position française et il n'y a pas lieu de douter que cette pensée claire a été exprimée. Le Président Assad exprimera la sienne.
- Dans la mesure où la Syrie contribue, peut contribuer à ce que la guerre civile, tragique et meurtrière qui dure depuis une dizaine d'années, cesse de déchirer le Liban, avec l'accord des principaux responsables légitimes de ce pays, qui s'en plaindrait ? Le problème est naturellement qu'en fin de compte la personnalité de chacun soit respectée. Voilà quelques données. Je ne peux tout dire sur ce sujet, ce serait trop long mais voici en termes très simples j'ai exprimé la position de la France.\
QUESTION.- A la lumière de vos entretiens avec le Président Hafez El Assad, est-ce qu'il y a eu un rapprochement dans vos points de vue sur la tenue de la conférence internationale de paix au Proche-Orient, quels sont les points d'accord et s'il y a eu une nette amélioration dans ce sens ou un développement dans ce sens ?
- LE PRESIDENT.- J'ai déjà précisé mon point de vue sur la conférence. En tant qu'objectif, la démarche du Président Assad nous paraît tout à fait convenable. Nous insistons simplement, nous du côté français, sur les extrêmes difficultés qu'il y a à surmonter avant de parvenir à ce résultat diplomatique. Le passé nous montre bien que toutes les médiations ont échoué. On ne peut mener des médiations qu'avec l'accord des partenaires. Jusque-là cet accord ne s'est jamais réalisé. L'Organisation des Nations unies, le Conseil de sécurité, ont adopté des résolutions. Elles ne sont pas véritablement entrées dans les faits. C'est donc beaucoup plus une question de méthode et de démarche assurées, patientes, conduisant vers cet objectif international, qui souligne la position de la France.
- Quel est le bon moyen de parvenir à la paix dans la justice ? Voilà la question. Le point de vue de la France a toujours été que la parole appartenait d'abord aux partenaires. J'ajouterai : souvent partenaires-adversaires, puisque c'est eux qui vivent là et qui continueront d'y vivre. Mais qu'ensuite, le pays du voisinage et ceux qui ont leur mot à dire, bien entendu, en accord avec les Nations unies, doivent et même peuvent à tout moment intervenir. C'est ce que nous faisons, chacun de son côté, jusqu'ici £ ce sera mieux, toujours si c'est possible de le faire ensemble, pour examiner si la méthode à suivre est la bonne pour parvenir aux résultats souhaités par le Président Hafez El Assad. Voilà ce que je puis vous dire sur ce point.\
`Suite réponse sur les problèmes israélo-arabes`
- Quant à l'ensemble des positions, on connaît bien les points de vue différents de la Syrie et de la France, par exemple sur la guerre entre l'Irak et l'Iran. On connaît bien les positions différentes par -rapport aux problèmes israélo-arabes. Mais il est aussi des points communs, en particulier la soumission aux décissions internationales. Ca m'a beaucoup intéressé d'entendre par le Président Assad lui-même quelle était l'explication et l'historique des positions syriennes par -rapport aux problèmes qui, aujourd'hui, opposent jusqu'à la guerre, l'Irak et l'Iran. Et c'était un éclairage qui ne pouvait m'être donné par personne d'autre mieux que par lui et qui, indiscutablement, ajoute à ma connaissance de ces faits.
- Quant aux problèmes israélo-arabes et particulièrement au fait qu'actuellement Israël et la Syrie sont en -état de guerre... bien entendu, la France ne vit pas cet -état de chose, la France n'est pas directement partenaire. Simplement, elle appartient aux membres permanents du groupe de sécurité. Elle a donc une responsabilité très particulière. Vous savez qu'elle s'est associée aux grandes résolutions qui commandent ce problème politique.
- La France, faut-il le répéter, dispose d'un rayonnement important dans les Proche et Moyen-Orient. L'histoire a voulu qu'elle entretint des relations actives avec les différents camps, aujourd'hui opposés. Alors, nous avons noué une approche, différente, nous avons des relations nombreuses avec Israël. Je l'ai dit tout à l'heure. J'ai employé exactement l'expression : "de bonnes relations". Ca ne nous empêche pas d'approuver ou désapprouver tel acte de la politique israélienne. Par exemple je n'ai pas approuvé, chacun le sait, le pacte israélo-libanais récent qui a cessé d'ailleurs d'exister à l'initiative libanaise. Je ne vais pas faire la liste des initiatives que j'ai déplorées, en particulier l'ouverture de la guerre au Liban. Enfin, ce n'est pas moi qui fait la politique d'Israël, c'est Israël qui fait la sienne. Il n'empêche que, par bien des aspects, nous sommes de ceux qui ont adopté dès 1948 l'existence d'Israël, qui garantissons ses droits à l'existence et nous sommes fidèles à cet engagement.
- Notre situation n'est pas la même que celle d'un pays en guerre contre celui où je me trouve aujourd'hui, qui a un contentieux d'une -nature très vive puisqu'il s'agit même d'un problème territorial, ou bien un autre contentieux qui tient aux relations très fortes qui unissent l'ensemble des habitants arabes des régions en question, qui ne connaissent pas de frontière, alors que la France ne se trouve pas dans cette situation. C'est dire que chercher l'identité serait absurde. Il y a des voies différentes, et nous restons libres de nos appréciations, mais le seul fait de pouvoir en discuter et, le cas échéant, de pouvoir peser sur un cours meilleur des choses pour que soit rendu justice aux peuples et que soit mieux protégé les Etats, qui s'en plaindra ? Personnellement, je trouve cela très utile.\
QUESTION.- Vous avez affirmé dans vos déclarations les plus récentes (...) essentiel (...) bien sûr des droits de l'Homme et l'équilibre(...) Ces principes (...) de prendre l'un d'eux pour voir s'ils ne posent pas de problème de doctrine puisque c'est défini dans les droits de l'Homme lorsqu'il s'agit de frontières sûres à la France. Des frontières sûres, en soutenant des frontières sûres en l'Etat qui, à caractère colonial il faut reconnaître, a des frontières -israéliennes - toujours variables, toujours négociables, frontières 47, 48, 67, et j'en passe qui occupent des territoires beaucoup plus qui ne puissent absorber comme population indigène. En soutenant des frontières sûres qui sont différentes des frontières reconnues, la France (...) pouvoir vers les pays entre les Arabes et les Israéliens et s'est amenée par voie de conséquence et de compensation à faire l'équilibre entre Arabes et non-Arabes £ autrement dit, en soutenant, en donnant une position favorable à la frontière sud-israélienne, ne sera-t-elle pas amenée à prendre une attitude défavorable à l'égard des Iraniens ? N'est-ce pas qu'il y a des observateurs qui ont dit que ça continue d'être le blocage jusqu'à maintenant et des frontières sûres posent aussi un problème des droits de l'Homme. Est-il des droits de l'Homme ... par exemple de retourner chez lui. Aurais-je le droit moi libanais, de visiter les lieux de ma naissance qui se trouvent en deça des frontières sûres du moment, ne serait-ce que pour visiter ma terre que je ne peux pas ou m'incliner sur le tombeau de ma soeur assassinée chez elle à des kilomètres des frontières par cela même (par ceux-là même ?) (...) disent menacés et qu'on nous traite de terroristes.
- Je m'excuse d'avoir dit des choses d'une façon personnelle, mais (...) à la conférence du Président français pour lequel, je crois, il n'y a pas de différence qualitative entre le droit de l'Homme et le droit de l'Homme ...
- LE PRESIDENT.- Naturellement, il n'y a pas de différence dans les droits de l'homme et ce qui vaut ici, vaut là. Je ne pense pas qu'il puisse y avoir de contestation entre nous là-dessus et je ne crois pas jamais avoir établi de distinction, selon le pays où je me trouvais, pour apprécier les droits de l'homme ou les offenses faites aux droits de l'homme. Donc sur la dernière partie de votre intervention, sur le droit de circuler, sur le droit d'aller, de revenir dans sa famille, d'aller sur les lieux où l'on est né, où on est attaché, le droit de libre circulation, le droit de libre croyance, le droit d'appartenir à des minorités, d'être respecté en tant que minorité ou de ne pas se voir, si l'on est de la majorité, opprimé par une minorité : tout cela fait partie de ce qui est tristement devenu le pain quotidien des responsables du monde pour parvenir à faire respecter des droits de l'homme toujours plus menacés. Il n'y a pas du tout de différence d'appréciation sur la deuxième partie de votre intervention. Vous me trouverez sur ce -plan toujours aux côtés de ceux qui souffrent d'injustice de la façon la plus claire, la plus contrète. Je ne cherche pas à m'évader de ce dilemne où vous voulez me placer. Tout simplement, on voudra bien insérer chaque cas particulier dans la définition que j'en donne, faute de pouvoir naturellement traiter de chaque cas particulier l'un après l'autre.\
`Suite réponse sur le problème des frontières israéliennes`
- Sur le -plan politique, il n'en va pas différemment. Il faut que les principes puissent s'accorder, mais il existe un droit international. Ce droit, la France y a contribué. Dans l'affaire en question, je comprends très bien que nos amis arabes aient une opinion différente, je comprends très bien, mais, nous, en tant qu'Etat, en tant que nation, la France a pris part à un certain nombre d'actes majeurs. Le premier de ses actes, c'est la reconnaissance de l'Etat d'Israël. Nous ne sommes même pas soviétique. A partir de là, nous avons garanti l'existence de cet Etat.
- Sont intervenues ensuite les guerres et des modifications dans la détention des territoires. Les Nations unies sont de nouveau intervenues et ont apporté une définition qui a été contestée sur certains points, je veux dire quant à l'interprétation ou à la traduction, mais qui marque bien qu'il y a une différence de droit majeure entre les frontières de l'Etat reconnu comme tel et les territoires qui sont, aujourd'hui, sous l'autorité d'Israël. Mais cela ne comporte pas de conséquences juridiques autres que celles qu'a unilatéralement déterminé Israël lui-même.
- Donc, je ne vois pas en quoi la France se trouverait en désaccord profond avec le monde arabe à cela près que pour les Arabes qui ne reconnaîtront pas, jamais, le cas échéant, l'existence même d'Israël dans les limites qui lui ont été reconnues, c'est un problème de conviction ou de conscience pour eux. Naturellement, il y a une différence d'appréciation historique. Cela est une évidence. Vouloir la souligner n'ajouterait rien à la chose. Je crois que la sagesse doit présider à ce difficile débat et la France reste fidèle à ses engagements y compris à celui de 1948.\
QUESTION.- Vous êtes d'accord par principe à une conférence internationale, en particulier au Moyen-Orient. On le sait que l'Amérique, Israël sont contre la tenue d'une pareille conférence. Votre position signifie-t-elle une position indépendante de la ligue américaine et qui ne supporte pas, ne soutient pas la politique israélienne au Moyen-Orient ?
- LE PRESIDENT.- Si vous avez l'obligeance d'interroger les dirigeants américains sur l'indépendance de la France, ne vous inquiétez pas, ils vous renseigneront. Egalement les dirigeants israéliens, nous l'avons assez montré. Pour nous, la meilleure méthode, c'est celle qui réussira. Et nul ne peut prétendre à l'avance tant que l'expérience n'est pas faite, que telle méthode est meilleure que telle autre. De toute façon, ce qu'il faut c'est chercher la façon de résoudre ce problème et nous ne récusons pas du tout, nous, au contraire des Américains ou des Israéliens par exemple, nous ne récusons pas du tout cette méthode d'une conférence internationale. Simplement, nous en savons la précarité parce que l'expérience l'a montré. Et d'autre part, ne pas imaginer qu'une conférence internationale pourrait se substituer à l'accord des partenaires. Je le répète, ce qui se passe au sein de l'assemblée, de la conférence permanente la plus internationale qui soit, c'est-à-dire l'Organisation des Nations unies `ONU`, le montre bien. Donc, la position prise par la Syrie est une position, j'imagine, de grande patience. Mais, je ne peux pas dire que cette direction soit mauvaise. Elle permet d'engager beaucoup de confrontations qui seront utiles. Mais nous n'en sommes pas, loin de là, à la conclusion, vous le savez bien, puisque plusieurs des partenaires principaux s'y refusent. Voilà c'est tout ce que j'ai à dire à ce sujet.\
QUESTION.- ... problème palestinien, est-ce que vous avez fait un pas en avant ?
- LE PRESIDENT.- Par -rapport au problème palestinien, je ne crois pas, dans la mesure où la France non seulement n'a pas le moyen, mais estime n'avoir pas à régler ce problème si difficile à la place des partenaires.
- Peut-être votre question s'applique-t-elle strictement aux problèmes palestiniens "OLP" et non pas à l'ensemble des problèmes entre les Palestiniens et les Israéliens. Il me semble que finalement c'est plutôt ce que vous voulez me demander. Vous savez pour la France, la position est très simple. Ce sont les Palestiniens eux-mêmes qui désignent leurs dirigeants et ces dirigeants, c'est avec ceux-là que nous discutons. Vous savez qu'il n'y a pas lieu d'avoir d'ailleurs une sorte de reconnaissance officielle, pas en tant qu'Etat, c'est une armée, c'est une organisation de lutte. Mais nous avons quand même des relations. Il existe, cela s'est installé avant même que je ne sois chef de l'Etat en France, une délégation à Paris. Il y a des relations et depuis cette époque notre ministre des relations extérieures `Claude Cheysson` a eu plusieurs occasions de rencontrer les dirigeants de l'OLP, particulièrement M. Yasser Arafat. Mais nous prenons, nous, en tant que puissance étrangère, les responsables qu'on nous désigne. Nous n'avons pas de choix à faire. Là s'arrête ma réponse. C'est pour ça que le progrès dépend des Palestiniens eux-mêmes. Il ne dépend pas de moi. On peut toujours donner de bons conseils. Mais enfin, les conseils sont, dans l'-état actuel des choses, rarement entendus. Je n'ai rien d'autre à dire à ce sujet.
- QUESTION.- Justement à propos de M. Yasser Arafat, vous avez vraisemblablement une approche différente de celle du Président Assad ?
- LE PRESIDENT.- Je vous ai dit la mienne. Lorsque notre gouvernement ou tel ou tel de nos ministres, ou tel ou tel de nos agents, rencontre un responsable palestinien, il rencontre le responsable que les Palestiniens désignent, en ce qui concerne l'OLP j'entends, parce que les deux choses peuvent être confondues ou peuvent ne pas l'être. Mais, dès qu'il s'agit de l'OLP, c'est avec les dirigeants désignés par cette organisation que nous discutons. Ca me paraît d'une simplicité extrême.\
QUESTION.- Les attentats quotidiens (...) au sud du Liban. Est-ce que (...) résistance populaire (...).
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, chaque pays et chaque peuple défend ses intérêts comme il l'entend. Il est certain que la plus grande sagesse, la plus urgente sagesse, c'est que chacun rentre chez soi et on ne verra pas se développer ce type de lutte qui peut prendre, en effet, des aspects terroristes.
- Je considère qu'Israël peut, naturellement, discuter et négocier sur les garanties de sa sécurité, ça c'est une discussion tout à fait utile. Mais il ne faut pas rester au Liban. D'ailleurs il n'aurait pas dû y entrer. Alors les actes qui s'y déroulent dépendent de la conscience du peuple local. Moi, je n'ai pas du tout à les encourager. Je pense, simplement, qu'il est urgent aussi que l'armée nationale libanaise puisse exercer son rôle qui est celui de la sécurité à l'intérieur des frontières de cet Etat. En attendant, je crois que c'est une bonne chose que dans le Sud, dont vous me parlez, les Nations unies puissent disposer d'une force d'interposition. Cela évitera le terrible engrenage du terrorisme et de la répression qui ne fait qu'accroître les haines et qui devrait pouvoir se résoudre autrement, dans l'-état où nous sommes et au moment où je parle, par une rapide évacuation. A partir de là, le problème ne se posera plus. Voilà ce que je pense. J'aurai d'ailleurs l'occasion de le dire à M. Shimon Peres, que je reçois à Paris dans quelques jours et avec lequel, comme vous le savez, j'entretiens des relations anciennes et d'amitié, ce qui permet le langage de la franchise.
- QUESTION.- Pour prolonger le sujet, monsieur le Président, je voudrais savoir si vous vous sentez tout à fait à l'aise lorsque le Président Assad semble assimiler le terrorisme à la résistance nationale ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que le Président Assad s'est exprimé l'autre soir à propos des territoires de Cisjordanie et du Liban. Je viens de répondre pour le Liban il y a un instant. Je suis hostile à toute forme de terrorisme qui atteint, ce qui est le cas le plus général, des innocents. Le reste est affaire militaire et chacun sait que la France - cela a été rappelé - l'a pratiqué en son temps. Tout ce qui est d'ordre militaire organisé peut être compris, tout ce qui frappe aveuglement des innocents est, selon moi, interdit. Voilà ma réponse.\
QUESTION.- Monsieur le Président, tout d'abord ma première question s'adresse au Président Mitterrand, avez-vous eu l'occasion dans vos conversations d'informer le Président Assad sur la conviction de beaucoup de Français que la Syrie aurait pu, d'une façon ou d'une autre, jouer un rôle dans des actes qui ont été douloureusement ressentis en France, notamment d'abord la mort d'un ambassadeur de France et de plusieurs soldats français au Liban et, d'autre part, concernant ce terrorisme, son intrusion dans la vie internationale et l'utilisation que pourraient en faire certains Etats, avez-vous eu l'occasion de vous exprimer l'un et l'autre à ce sujet - et cette question s'adresse aux deux Présidents - avez-vous abouti à des conclusions semblables ?
- LE PRESIDENT.- Mais, monsieur, je n'ai pas un langage différent quand il est privé ou quand il est public ! C'est le même partout, le Président Assad connaissait parfaitement mes positions avant de me rencontrer. Il n'y a pas eu la moindre contradiction dans mes propos. Le propre du terrorisme c'est qu'il est souvent anonyme. Il n'a pas été permis à la France, en tout cas à son gouvernement, d'accuser, puisqu'il y a eu toute une série de relations, d'accusations de presse dont je ne connais pas le fondement, il n'a pas été possible d'estimer que soit l'assassinat de l'ambassadeur Delamare, soit les explosions dramatiques qui se sont succédés à Beyrouth, avaient la Syrie pour origine et comme le Président Assad a toujours affirmé que tel n'était pas le cas, je ne vois pas pourquoi cette parole serait mise en doute.
- Il y a un problème dont nous n'avons d'ailleurs pas parlé mais sur lequel nous avons eu, dans le passé, à mettre la Syrie en cause, c'est l'affaire de la Rue Marbeuf. Mais là il s'agissait d'attentats dont certains Français ont été victimes mais qui pouvaient être un aspect lointain des luttes intestines entre citoyens des pays du Proche-Orient puisqu'il s'agissait, en l'occurrence, de Libanais. Cela n'était pas plus licite, naturellement, sur le sol français et à ce moment-là nous avons eu une explication, de caractère diplomatique, avec la Syrie, étant entendu que, moi, je suis tout à fait hors d'-état d'authentifier une signature. Donc, à partir du moment où ces questions se sont posées, il y a la preuve que nos relations n'étaient pas bonnes. Est-ce qu'il ne valait pas mieux que, d'une façon délibérée, on décide de passer à un autre climat, qui ne sera plus celui de la suspicion mutuelle ?
- Ma position sur les terroristes est bien connue, je ne sais si je dois employer une litote, en disant que je n'approuve pas. Mais j'en pense encore beaucoup plus.\
QUESTION.- Vous parlez de l'équilibre stratégique et de ce qu'a fait le Président Mitterrand, les deux conceptions sont identiques, est-ce que cet équilibre est syro-israélien ou arabo-israélien ? Merci.
- LE PRESIDENT.- Je puis vous dire que j'ai abordé ces problèmes stratégiques avec le Président Assad alors que nous disposons d'amitiés différentes ou d'une hiérarchie différente dans nos amitiés, on le sait bien exactement sur les trois terrains principaux qui ont fait l'objet essentiel de vos questions : Irak - Iran, Israël - Pays arabes, Liban. Quoique ce qui a été dit sur le -plan du Liban, doit suffire et marque bien le point actuel dans lequel nous sommes et sur lequel nous avons vraiment beaucoup de points communs. Mais tout cela est enveloppé dans une conception stratégique - vous avez d'ailleurs employé le terme - et précisément, peut-être deux pays, comme les nôtres, qui ont leur mot à dire dans les affaires du monde et qui se connaissent, qui engagent un dialogue qui doit désormais être très positif, traité dans un esprit très constructif, pour une meilleure compréhension mutuelle, peuvent faire entendre leurs voix partout où ils sont et là où ils sont de façon complémentaire, autour de quelques idées majeures dont la première est celle de l'équilibre.
- L'équilibre des forces Est-Ouest, c'est un discours que je tiens, vous le savez bien, constamment en Europe. Mais l'équilibre dans les régions du monde et, particulièrement, dans celles qui sont les plus sensibles, c'est également une donnée à retenir £ c'est le langage que je tiens pour l'Europe. Comment m'étonnerais-je de l'entendre exprimé dans la bouche du Président Assad lorsqu'il s'agit du Proche et du Moyen-Orient ? Ma préoccupation est la même et je crois pouvoir dire que l'un des points importants de nos conversations a consisté, précisément, à resserrer la conception que nous pouvons avoir de la mise en place de cet équilibre nécessaire : on commence par les armements, qui peuvent détruire le monde, et l'on en arrive à traiter des problèmes tout à fait pratiques de la vie quotidienne là où il y a des guerres, des conflits, des violences, d'une part afin de les régler et, d'autre part, si on ne les règle pas, au moins pour y contenir leur contagion. Donc, je peux dire que, sur ce point-là, c'est sans doute l'un des plus sensible et l'un des plus féconds qui ont été abordés par le Président Assad et moi-même. Nous avons essayé d'examiner la situation du globe telle qu'elle se trouve, laquelle inclut naturellement pour moi, européen, la situation actuelle de l'Europe, pour le Président Assad le problème du Proche et du Moyen-Orient, étant bien entendu que je m'intéresse au Proche et au Moyen-Orient et qu'il s'intéresse aussi à l'Europe. Nous ne sommes pas enfermés dans des cellules isolées mais nous avons, naturellement, un ordre de préoccupations différent.\
QUESTION.- Je voudrais demander également au Président Mitterrand s'il a invité le Président Assad à se rendre en France ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'avons pas procédé à des invitations nouvelles car, aujourd'hui, je réponds à la visite faite par le Président Assad à Paris. C'est en 1976 que le Président, chef d'Etat, se trouvait dans notre capitale et cela faisait huit ans que la France n'avait pas répondu à cet acte de politesse et d'amitié. Je pense qu'il était grand temps d'accomplir cet acte en 1984. Est-ce que nous allons recommencer le cycle des invitations, certainement. Je pense que le chef de l'Etat syrien viendra un jour en France, ce serait une bonne chose. Nous n'avons pas pensé, puisque nous sommes dans un processus qui s'achève, celui des invitations réciproques, à le renouveler mais, bien entendu, c'est parce que l'on avait autre chose à se dire. S'il s'agissait de se poser ce genre de questions ce serait facilement résolu. Mais enfin nous n'avons pas pris date, c'est bien clair.\
QUESTION.- Monsieur le Président Mitterrand, pour nous, voir de façon plus claire la position de la France de l'occupation par Israël des hauteurs du Golan, est-ce que vous allez en parler avec votre ami Peres au moment de sa visite ?
- LE PRESIDENT.- Quand cet événement s'est produit, je me suis exprimé, j'ai même écrit à ce sujet. J'ai repris la parole ou la plume lorsque une situation de droit a été unilatéralement décidée par Israël, situation de droit ... situation juridique, en tout cas, nouvelle. C'est tout à fait clair : il s'agit d'un territoire qui n'est pas israélien, il ne l'a d'ailleurs jamais été quelle que soit l'époque et il appartient à la Syrie. Il appartient maintenant aussi à la Syrie et à Israël d'examiner comment aborder ce problème mais, sur le -plan du droit international, ma position a toujours été claire. Je ne pensais pas que j'aurais à la rappeler aujourd'hui. Cette partie du Golan appartient à la Syrie : c'est clair.\