25 octobre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel de ville de Dartmouth, jeudi 25 octobre 1984.

Madame le maire,
- Messieurs les présidents,
- Mesdames et messieurs,
- En très peu de mots, je tiens à vous dire mes remerciements pour cet accueil dans votre ville et dans votre comté. En effet, nous sommes quelques-uns ici à avoir connu cet endroit, à y avoir vécu même, soit quelques jours, c'est mon cas, soit quelques mois, c'est le cas de quelques responsables d'aujourd'hui qui, à l'époque, étaient tout simplement des Résistants de la France Libre. J'ai connu aussi quelques habitants. J'ai même retrouvé, à l'instant, le pilote du Moto Torpedo Boat qui m'a conduit jusqu'au rivage, enfin à quelque distance du rivage, de Bretagne. Et nous avons évoqué le rite qui consistait à descendre une barque et à donner une boussole à celui qui n'avait plus qu'à ramer dans une direction fixée sur la boussole, sans savoir s'il se trouvait en Hollande, au Danemark, au Portugal, en Bretagne.
- Je n'ai découvert l'endroit où je me trouvais qu'en rencontrant un breton, quelque temps plus tard, sur la grève. Naturellement ce sont des souvenirs forts, mais moi je ne l'ai fait qu'une fois. Des pilotes comme celui-là l'ont fait vingt fois, trente fois, cinquante fois, cent fois, c'est-à-dire que tout le risque était pour eux. Je me souviens bien de cette nuit du 25 au 26 février 1944. Je venais de passer deux à trois jours sur un bateau dans la rade. Donc quand on me dit : "Est-ce que vous avez habité à Kingswear ?" ou "Est-ce que vous avez habité à Dartmouth ?" Je dis : "Ni l'un, ni l'autre, j'ai habité sur l'eau". C'est à cette occasion que les marins anglais qui étaient là m'ont enseigné l'usage du jeu de fléchettes. Nous n'avions que cela à faire, il faut le dire, en attendant la traversée.\
Cela me ramène à une période très intéressante de ma vie £ j'en garde un très bon souvenir. Je n'ai pas du tout le sentiment de venir aujourd'hui alors que tout est agréable et que c'eût été désagréable avant, pas du tout. Pour notre jeunesse, - sans doute mesurions-nous mal le malheur du monde en général - mais pour nous qui étions mêlés à l'action, c'était vivre pleinement, avec le sentiment, bien entendu, d'accomplir un devoir. Cela fait donc partie, au fond, de nos bons souvenirs.
- Je suis heureux, madame le maire, messieurs les présidents, d'avoir pu échanger ces quelques propos avec vous en témoignage de ce qu'a fait votre pays pour la liberté du monde, en association avec les résistants, les officiers responsables engagés qui, dans l'armée britannique, nous apportaient un -concours à la fois courageux et charmant. Nos -rapports étaient très bons. Tout cela me permet à Dartmouth, dans cet hôtel de ville, de revivre toute une partie de ma vie, qui remonte à quarante ans, et même maintenant à un peu plus, et l'on peut ainsi mesurer les étapes d'une existence dont le point de départ dans la vie nationale était peut-être plus anonyme, mais n'en n'était pas moins exaltant.
- Je vous remercie aussi pour cette belle aquarelle qui me rappellera, une fois rentré chez moi, ce beau paysage : ce fort à l'entrée, je m'en souviens fort bien £ cette rivière, la Dart je pense, puisqu'on est à Dartmouth et l'accueil, cette fois-ci un peu plus solennel que l'autre fois, avec le Dupleix qui se trouve là, ses marins au garde-à-vous et les coups de canon. A l'époque sur ces MTB, notre rôle était de partir le plus discrètement possible, donc je suis revenu dans des conditions qui ne rappellent pas, à l'évidence, ce voyage déjà très ancien.
- Merci à Dartmouth, merci à Kingswear, merci au Davon. Je me réjouis de constater que le jumelage fonctionne très bien : j'ai vu à l'instant que vous étiez jumelés avec Courseulles. Je connais bien Courseulles. J'y ai de très bons amis. Bientôt j'irai les voir et nous évoquerons ensemble Dartmouth, ce qui sera une nouvelle façon de parler de vous.\