13 octobre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la mairie de Soustons (Landes), samedi 13 octobre 1984.

Monsieur le maire,
- Messieurs les maires,
- Mesdames et messieurs,
- M'arrêter à l'hôtel de ville de Soustons et dans cette ville... Je ne pouvais pas poursuivre ce voyage en Aquitaine, dans vos cinq départements, et particulièrement dans celui des Landes, sans m'arrêter à Soustons. M. Montus m'en avait parlé et cela rencontrait mes sentiments. Ce n'était pas nécessaire, sans doute, sur un certain -plan, puisqu'il n'est pas rare que je me rende au bourg, au centre de la commune où j'habite.
- Mais j'ai pensé que, dans le -cadre de ma fonction, il était peut-être utile de marquer l'intérêt, l'importance que j'attache à cette commune, pas simplement parce qu'elle m'est chère, parce que beaucoup de visages me sont familiers, mais aussi parce que c'est une petite cité qui a marqué sa place dans l'histoire de cette région, et dont la vitalité est tout à fait remarquable. J'ai pu observer, depuis quelques trente ans, et même davantage depuis que je viens, à tout moment, dans les Landes, j'ai pu observer les incessants progrès, l'ouverture, la transformation qui s'affirment aujourd'hui et qui montrent bien que ces femmes et ces hommes, très attachés à leurs traditions, sont aussi capables de regarder vers l'avenir. C'est d'ailleurs une caractéristique des Landais. Que de fois on a décrit ces régions comme abandonnées ! On les traverse vite £ on a l'impression d'une certaine monotonie. Telle est la mauvaise légende. La réalité est tout à fait différente lorsqu'on sait - comme vous l'avez fort bien dit - s'arrêter et voir, observer, écouter la nature d'abord, dans sa diversité.
- A quoi s'ajoute cette lumière exceptionnelle qui, elle, change à tout moment avec le reflet de l'océan, celui de la terre et la qualité des hommes. Rarement j'ai rencontré, je dois le dire, dans ma vie, une telle faculté de connaissances, d'accueil, d'intuition et, j'allais dire, d'intelligence, une telle capacité d'appréhender les temps nouveaux.\
Et pourtant on disait, il n'y a pas si longtemps que le déclin de la forêt conduirait ces départements à vivre plus difficilement encore que dans le passé. Et c'est vrai que bien des professions ont disparu, dont nous aurions besoin aujourd'hui. Il est certain que la soudure ne s'est pas très bien faite. Lorsqu'on observe et que l'on étudie les moyens que pourrait apporter la forêt au pays tout entier, on se dit qu'il est bien dommage que les hommes et les femmes de cette terre soient, bien souvent, partis. De telle sorte que ceux qui y ont été fidèles, parce qu'ils ont souvent pu y vivre, ont une tâche deux fois plus difficile pour maintenant : assortir l'oeuvre qui peut, tout naturellement sortir du sol - un sol plus riche qu'on ne le suppose - et la population qui vivra sur ce sol.
- Et cette forêt comporte de multiples richesses. Ceux qui ont dû organiser le sol autrement, avaient très souvent une vue moderne. A compter du moment où l'eau - qui ne manque pas par ici - est maîtrisée, organisée, on s'aperçoit soudain que l'on peut tout faire. Le département des Landes offre des multiples exemples. Faut-il parler du maïs ou de l'asperge ? Mais le bois lui-même, cela a été un de mes soucis principaux et c'est un de mes soucis principaux. Et messieurs les ministres qui sont là, M. le ministre de l'intérieur `Pierre Joxe`, M. le ministre des relations avec le Parlement `André Labarrère`, M. le secrétaire d'Etat au budget `Henri Emmanuelli` - ils sont trois - sans parler des parlementaires, savent bien que c'est presqu'une sorte d'obsession. Je leur parle toujours de la forêt.
- Il faut veiller, sur le -plan fiscal, à préserver les acquis. Parce qu'un arbre, cela met du temps à pousser, quand même. Il faut avoir une vue projetée sur plusieurs générations. Il faut voir loin£ il faut être patient. Et lorsque l'on ne l'est pas, on ne peut pas vivre ici. Tandis que lorsqu'on est patient, on est capable de mettre en ordre les structures d'un pays, qui doit aller vers sa prospérité. Que de fois l'ai-je répété, quand on songe que la France est le plus grand pays forestier d'Europe, qu'ici c'est le plus grand massif forestier, avec un million d'hectares, et que le bois est notre deuxième poste en déficit du commerce extérieur, après le pétrole. On rêve, c'est un mauvais rêve. Il semble que la puissance publique n'ait pas su reconnaître, à travers les temps, la capacité des hommes de ce pays, n'ait pas compris les richesses potentielles. Je ne vais pas vous faire d'exposé à ce sujet, ce matin, et ma route doit me conduire maintenant dans trois autres villes des Landes.\
Mais je voudrais que vous compreniez, mesdames et messieurs, que l'expérience que j'ai acquise, grâce à vous me permet, m'a permis, me permettra encore de veiller à donner à cette région, parce que la France en a besoin, parce que ce n'est pas pour faire plaisir, un élan économique nouveau. En tout cas, il s'agit de protéger l'essentiel, de ne pas atteindre le point de rupture, d'assurer - comme je le disais tout à l'heure - la soudure entre les temps et entre les générations. Les chiffres que vous citiez, monsieur le maire, c'est plus d'un millier d'enfants scolarisés dans votre commune. D'où votre aspiration à ce que l'enseignement porte de plus en plus vers les technologies nouvelles, l'appréhension du monde moderne, pour enrichir cette qualité d'accueil et cette valeur touristique. Les chances de Soustons sont grandes, encore faut-il savoir en user. Et je suis heureux de rencontrer ce jeune maire et tous ces élus, les jeunes et les moins jeunes, que je connais pour la plupart depuis très longtemps et qui, non seulement, aiment leur pays - il faut les entendre parler des Landes, mesdames et messieurs qui venez de l'extérieur - mais qui sont tout à fait désireux de franchir la passe pour que l'on connaisse ici l'épanouissement qui peut être parfaitement conçu et réalisé.\
Moi, je suis quelquefois un peu malheureux, parce que j'habite en effet - je vais très mal le dire, c'est inimitable, quand on n'est pas Gascon - Latche, difficile à écrire, il faut reconnaître que vous avez accablé les journalistes tout à l'heure, mais ils ont quelques excuses. Latché, en tout cas, c'est une erreur. Ce qui est vrai et ce que je m'applique à dire, depuis un certain nombre d'années, j'auraiss dû le faire le premier jour, j'aurai dû me méfier : " j'habite la commune de Soustons". C'est tellement plus facile. Il n'est pas commode d'expliquer que chaque maison a un nom, ici. Naturellement, on finirait par ne plus s'y reconnaître. Soustons, c'est plus simple. Alors là, est toute une histoire. Ceux qui s'y intéressent et qui sont aussi de l'extérieur, auront le temps de s'y pencher. Mais c'est une vieille histoire. Et cette commune est immense - je ne sais pas si c'est exact mais on me disait un jour - aussi grande que la ville de Paris. Alors, naturellement, pour entretenir une commune aussi vaste avec les moyens que représente une population plus réduite, cela ne doit pas être facile tous les jours.
- Je voudrais rendre hommage, ici, aux capacités d'intelligence et de travail de la population de Soustons. Je voudrais rendre hommage aussi à ses qualités d'amitié. Vous aviez raison de le dire. Il y a ici, comme ailleurs et c'est bien normal, les divisions politiques, spirituelles, intellectuelles, sociales, qui marquent toute société contemporaine, dans le monde industriel.
- Mais je dois dire que pour ce qui concerne ma famille et moi-même, nous avons été accueillis par tous au point que nous, qui sommes moins au courant que vous, nous ne distinguons pas très bien. Nous savons simplement que nous avons affaire à de braves gens, d'une façon générale, et à des gens de coeur qui ont accueilli les étrangers que nous étions - ce n'est plus tout à fait le cas quand même. Mais enfin, ils nous ont accueilli avec tant de gentillesse et de simplicité et de fidélité, que je veux rendre hommage à cette vertu française, parfois trop oubliée.
- Vive Soustons ! mes chers amis. Vive la République ! Vive la France !\