22 juin 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, au centre de presse du MID à Moscou, vendredi 22 juin 1984.

Mesdames et messieurs,
- A l'issue de cette deuxième journée de présence à Moscou, je suis heureux de rencontrer des journalistes, soit ceux de ce pays, soit ceux qui sont venus de l'extérieur. Comme vous le savez, c'est demain, après un voyage à Volgograd que je regagnerai la France. Et dès maintenant, après les conversations politiques qui ont eu lieu il m'est possible de répondre à vos questions. Je vous serai donc reconnaissant de bien vouloir les poser.
- QUESTION.- Je voudrais vous demander maintenant si cela vous gêne beaucoup d'avoir été censuré par les médias soviétiques c'est-à-dire que vous avez porté un toast hier `allocution lors du dîner au Kremlin` - vous avez dit un certain nombre de choses - et les Soviétiques ne l'ont pas su et ne le sauront probablement jamais. Vous avez parlé de sujets qui parlent un peu de l'Afghanistan, des droits de l'homme, des SS 20, Sakharov et ces noms-là ne sont pas passés. Alors, est-ce que cela vous gêne ou est-ce que vous en avez pris votre parti.
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas lu les journaux soviétiques. Je n'en ai pas eu le temps. Ce n'est donc pas du dédain. C'est probable, puisque vous me le dites. Je le constaterai, bien qu'il m'ait été rapporté que la télévision hier soir ait été assez explicite. C'est une situation que j'étudierai mais je ne suis pas chargé des dispositions prises en Union soviétique. Donc, censurer est un mot qui s'applique peut-être, mais je dois dire aussi que je ne connais pas beaucoup de journaux, en France, qui me fassent l'honneur de reproduire in extenso tout ce que je dis. Mais, naturellement, ils s'efforcent de dire l'essentiel. Si c'est justement l'essentiel qui a disparu, la comparaison n'est plus du tout valable. J'apprécierai quand je saurai.\
QUESTION.- (Inaudible).
- LE PRESIDENT.- Eh bien, c'est ce que l'on va voir ! Ce qui est vrai, c'est que nous avons pu parler ouvertement de tous les sujets qui nous importaient, aux uns et aux autres, que cela s'est fait sur un ton qui permettait un travail en commun et je n'ai pas observé qu'il y eut un blocage sur quelque sujet que ce fût. Quant aux effets, aux conséquences durables ou pas de ces rencontres ou de ces conversations, c'est l'avenir qui nous le dira. Il semble que les bases qui ont été définies au cours de ces deux jours soieent suffisamment solides pour, qu'en effet, apparaissent d'utiles conséquences.
- QUESTION.- Excusez-moi, monsieur le Président, si ma question peut vous paraître un peu indiscrète...
- LE PRESIDENT.- Si vous n'étiez pas indiscret, qu'est-ce que vous feriez là...
- QUESTION.- ... pourquoi cette fois-ci, on n'a pu trouver opportun de suivre cette... (inaudible).
- LE PRESIDENT.- La question n'a pas été posée. Je me suis rendu à ce Mausolée en 1975 - donc je le connais déjà. Sur le -plan de la tradition française, c'est vrai que mon prédécesseur s'y est rendu. Mes deux autres prédécesseurs précédents ne l'avaient pas fait. Il n'y a donc pas de tradition même s'il peut y avoir des usages ou des traditions à prendre. Je n'y suis en rien hostile. C'est une question de courtoisie à l'égard d'un pays qui célèbre ceux qu'ils estiment être ses gloires nationales. Je n'ai aucune réserve à l'égard de ce genre de manifestation. Seulement, la question n'a pas été posée. Elle n'a donc pas été résolue. Mais n'y voyez aucun problème de fond. Ce n'était pas prévu. Mais je répète : cela n'a posé aucune problème de principe. J'y suis déjà allé, je suis prêt à y retourner. J'y reviendrai s'il le faut. C'est un lieu qui inspire la réflexion, qui compte beaucoup dans l'histoire de votre pays. Je le respecte donc.\
QUESTION.- (en soviétique)
- LE PRESIDENT.- Je ne pourrai qu'approfondir ou compléter ce que j'ai dis sur la place de Normandie `à Utah Beach`. Il y a eu un grand combat, une grande guerre. Du sort de cette guerre a dépendu la liberté, en tout cas la libération de mon propre pays. C'est dire l'importance que je lui attache, indépendamment de l'importance considérable de l'événement.
- Plusieurs grands pays ont été alliés dans ce combat face au nazisme. Il y avait les alliés de l'Ouest, ceux qui ont procédé au débarquement du 6 Juin, en Normandie et que j'ai célébré. Je n'ai pas manqué d'y associer ceux de l'Est qui, quelques jours plus tard, après Stalingrad, mais dans une situation extrêmement difficile, avec Léningrad assiégée, sur une ligne qui allait jusqu'à la Mer noire, a vu les troupes soviétiques engager l'offensive victorieuse. Le 12 juin : cette concomittence des dates a certainement permis le succès commun car le débarquement à l'Ouest, engagé le 6 juin, n'a pu véritablement débloquer la guerre qu'au bout de deux mois, en dépit du magnifique courage des soldats alliés, parmi lesquels les Français. Et, le fait que 4 millions d'Allemands - de soldats allemands - très braves, très courageux aient pu, au -prix de vies soviétiques très nombreuses, être fixés par les armées soviétiques, a indiscutablement contribué largement à la victoire finale commune.
- Voilà ce que je pourrais dire. Je n'emploie pas ici un langage de stratège militaire. Mais cela mérite d'être examiné, de ce point de vue, pour marquer la solidarité réelle des deux fronts. Bref, l'un ne peut pas s'expliquer sans l'autre. C'est vrai dans les deux cas.\
QUESTION.- Monsieur le Président, que pensez-vous des négociations franco - soviétiques que vous donnez ici à Moscou ?
- LE PRESIDENT.- C'est déjà la question que me posaient mes premiers interlocuteurs. J'ai déjà dit que la conversation avec les plus hauts dirigeants de ce pays a permis d'aborder successivement, jusqu'à la fin de cette matinée, les problèmes internationaux : le désarmement, l'équilibre des forces, selon la conception classique mais aussi sous les aspects les plus actuels des diverses formes d'armement, dans l'espace, chimiques, les problèmes de dissémination, les problèmes de contrôle - sur le -plan international, nous n'avons pas parlé que des menaces de conflits, mais enfin, cela a été l'essentiel - pour que l'équilibre des forces, dont je parle si souvent, soit préservé. Bien entendu, la notion d'équilibre est variable selon l'interlocuteur auquel on s'adresse. Mais, une négociation, cela veut dire tenter de rapprocher les points de vue pour qu'on parle vraiment des mêmes choses. Et je pense que l'on a avancé au cours de ces deux journées. Et cet après-midi, nous avons parlé des relations bilatérales, commerciales, technologiques, culturelles.
- J'ai le sentiment que ce voyage a été utile. Naturellement, pour l'instant, j'ai un point de vue assez subjectif. Et nous avons besoin, les uns et les autres, d'examiner, de réfléchir pour tirer le meilleur profit au bénéfice de la paix et de nos relations mutuelles de ce qui a été engagé à Moscou et qui, indiscutablement, est un fait nouveau dans la politique de nos pays, depuis déjà quelques années.
- QUESTION (M. Bortoli).- Monsieur le Président, si vous aviez à qualifier l'atmosphère de ces négociations, quels adjectifs choisiriez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Sérieux, réfléchi, très attentif, d'une dialectique et d'une information sûres. De la courtoisie, pas de blocage. L'affirmation des principes qui inspirent nos actions - qui ne sont pas identiques en toutes choses - et finalement, comme un désir d'avancer dans le domaine où on le peut, car la France ne s'est pas posée en médiateur entre les deux blocs et s'est bien gardée de trancher, de décider, de proposer pour l'aboutissement d'un dialogue dans lequel nous ne sommes pas, je veux dire la négociation interrompue de Genève. Mon opinion, il m'arrive de l'exprimer. Mais je n'ai pas, pour ce qui me concerne, et la France non plus, à pénétrer à l'intérieur de la négociation. C'est un argument que j'ai développé lorsqu'il a fallu débattre des résolutions communes à Londres, il y a peu de temps, avec nos alliés, nos amis, des grands pays industriels. Mon attitude est la même ici et là. Ce n'est pas bien difficile.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais vous poser une question sur les futurs contacts franco - soviétiques. Le porte-parole, qui a indiqué il y a un peu moins d'une demi-heure, qu'à son sens la France et l'Union soviétique devraient élaborer les actions parallèles sur la scène internationale et que les Soviétiques voulaient continuer les cosultations politiques de façon régulière. Est-ce que c'est comme cela que vous...
- LE PRESIDENT.- Cela a été évoqué, en effet. Cela n'a pas été décidé mais je n'éprouve aucune hostilité à ce que l'on se voit plus souvent. Il a existé, je crois, en 1970, une sorte de convention, un protocole - qui impliquait des rencontres régulières, plusieurs fois par an, entre les ministres. En 1979, il y a encore eu réaffirmation de ces choses. Non, je ne suis pas du tout hostile à cela. Je pourrais même y être favorable. Pour l'instant, j'ai agi selon ce qui m'est apparu comme utile, oppotun, de façon que l'on se voit quand on a vraiment des choses à se dire. Cela pourrait aussi être une marque de relations cordiales de se rencontrer sans avoir rien à se dire ! Et puis, on a peut-être toujours quelque chose à se dire entre deux pays comme l'Union soviétique et la France.
- Vous aurez pu observer que, à cet égard, ma démarche a été assez prudente. Je n'ai pas non plus déclaré à mes interlocuteurs soviétiques qu'il me faudrait chaque fois trois ans pour décider. Et eux non plus ne me l'ont pas dit. Donc, de ce fait, il y aura certainement d'autres rencontres dans un délai raisonnable.\
QUESTION.- ... est-ce que dans le domaine Sakharov, la France peut faire avancer les choses dans le meilleur sens possible ? En ce qui concerne d'ailleurs Sakharov et aussi en ce qui concerne les autres, mal connus, qui sont dans les conditions de vie de Sakharov ?
- LE PRESIDENT.- J'agis toujours dans le sens de mes propres convictions. Je veille à tracer une frontière aussi précise que possible, mais ce n'est pas facile, entre la -défense des droits universels - contenu d'ailleurs dans les conclusions d'Helsinki - et ce qui pourrait être ingérence dans les affaires intérieures d'un pays souverain. C'est une frontière difficile à tracer. Il faut donc que des propositions expriment surtout la sincérité, la bonne foi pour qu'elles soient respectables. J'espère, effectivement que des mesures d'ouverture seront prises. Je dis ce que j'avais à dire avec les égards que je dois à l'Union soviétique. Ce que j'ai dit est parfaitement compris et je n'ai rien à ajouter présentement. Si je puis être utile, je m'efforcerai de l'être. Utile à des individus, utile à des collectivités. L'Union soviétique est un grand pays, ses peuples sont des peuples amis. Il faut leur parler franchement par le respect mutuel, avec des égards. Les meilleurs égards, c'est de ne pas dissimuler sa penée. Il me semble que cela est clair. Mais comme on en a déjà beaucoup parlé, je ne suis pas sûr qu'en parler encore ajouterait quoi que ce soit à ce qui est connu de tous et servirait la cause que vous souhaitez servir.\
QUESTION.- (inaudible)
- LE PRESIDENT.- Si je connaissais le moyen de faire cesser le conflit du Moyen-Orient, je n'oserai pas le garder pour moi.
- QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Première question : la demande d'évacuation des armées étrangères. La France a toujours demandé que les armées étrangères soient évacuées, quittent les pays - surtout ceux qui le demandent - en tout -état de cause et que chaque peuple puisse le déterminer lui-même, c'est le cas du Liban, c'est le cas du Tchad. L'armée française est toute prête à quitter ce pays dès lors qu'il n'y aurait plus d'occupation étrangère. Donc, nous sommes tout à fait logique avec notre prise de position. C'est vrai pour le Liban. Je ne sais pas quel est le moyen dont dispose le gouvernement libanais pour être écouté des uns et des autres mais la position de la France est simple, et elle est facile à rappeler.
- Moyen-Orient. Oui, nous sommes favorables à une conférence avec tous les participants, tous les intéressés. Nous y sommes tout à fait partisans. Simplement nous constatons que ce n'est pas facile à réaliser. Tout le monde s'y ait limé les dents : les Nations unies, les plus grandes puissances, les meilleurs arbitres. Donc s'il s'agit d'une pétition de principe je suis tout prêt à le répéter. S'il s'agit de considérer que c'est la seule méthode je crais que le conflit ne se prolonge.\
QUESTION.- Selon le porte-parole de M. Tchernenko lorsque vous avez abordé les questions des droits de l'homme, vous l'avez fait en des termes tels que sans être ... Avez-vous le sentiment d'avoir réussi...
- LE PRESIDENT.- Les droits de l'homme ne sont pas la propriété des Etats-Unis d'Amérique, ils peuvent être, cela dépend d'elle la propriété de la Russie. C'est une propriété commune, universelle. C'est également, bien qu'elle ne réclame aucun droit de propriété un domaine dans lequel la France, à-travers les siècles, s'est plusieurs fois signalée, de la déclaration des droits de citoyen de 89 `1989` à la déclaration universelle des droits de l'homme dont j'ai parachevé l'application en France, en appliquant toutes les dispositions notamment sur le droit de recours individuel des Français devant la Cour internationale.
- Aucun pays n'est sans reproche et je ne dis cela absolument pas sans poser la France en exemple. Disons que c'est pour nous une de nos plus grandes traditions. Je ne sais pas ce qu'a dit le porte-parole de M. Tchernenko que vous avez donc entendu, et pas moi. S'il s'agissait d'estimer que chaque fois que la France parle des droits de l'homme, elle parle américain cela risquerait d'être une erreur d'interprétation et je ne vois pas sur quoi je pourrais engager cette discussion.
- Nous parlons en notre nom, selon notre pensée. Peut-être s'agissait-il de faire un lien direct entre le principe des droits de l'homme et la situation particulière de telle ou telle personne. J'ai déjà dit que l'attitude de la France ne voulait jamais être provoquante, qu'elle se plaçait d'abord au regard de l'intérêt des personnes et qu'elle l'affirmait fermement mais paisiblement avec ardeur cependant où selon elle se trouve le droit. Il y a beaucoup de pays mesdames et messieurs où les droits sont bafoués. Je ne sais ce qu'en pensent les différents porte-parole mais je n'ai pas besoin de porte-parole pour vous dire que quand la France parle des droits de l'homme, elle parle de ce qu'elle connaît.\
QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Ce que je pense de l'économie et du commerce ? Vous êtes soviétique £ je pense que l'on ne vous vend pas assez et qu'il y a un déficit excessif de la France à l'égard de l'Union soviétique. Bien entendu, nous cherchons à réduire ce déficit et si même nous inversions les termes du problème nous ne serions pas fâchés, mais dans ce cas-là ce serait les soviétiques qui diraient qu'ils se plaignent de ce qu'on ne leur achète pas assez. Pour l'instant c'est nous qui achetons le gaz et il n'y a pas encore assez de biens d'équipement ou de produits alimentaires vendus à l'Union soviétique. Voilà, on a parlé de cela, on ne va pas parler que de cela. Je ne fais pas ces voyages pour parler du commerce bien que ce ne soit pas le moins du monde méprisable. J'ai des représentants pour cela et les représentants, les dirigeants soviétiques en ont débattu avec nous. Ils ont fait valoir d'ailleurs qu'en 1983 il y avait eu un progrès, un net progrès. Ce qui continue d'inquiéter la France c'est que s'il est vrai que ces progrès sont réalisés, l'avenir reste sombre parce que les grands contrats d'équipement ne sont pas assez nombreux. Donc, si le court terme peut être assuré, le long terme ne l'est pas. C'est l'objet de la négociation. Il faut qu'on propose aux soviétiques des choses qui les intéressent, à des prix qui leur conviennent. Nous pensons qu'il serait possible de procéder à des échanges sur la base des monnaies de nos principaux concurrents ce qui faciliterait nos échanges. Cette discussion est engagée. Il serait surprenant qu'elle soit sans suite. Donc je réponds franchement en matière d'échanges commerciaux nous avons des progrès à faire.\
QUESTION.- Quels enseignements avez-vous tirés...
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas fait exactement le lien, étant donné la -nature des travaux qui m'attendent à Fontainebleau. J'aurai donc le temps de vous en parler lundi ou mardi. Il est certain que la Communauté `CEE` a intérêt à réussir dans ses objectifs pour être une force qui compte dans le débat universel mais je n'ai pas observé ici au cours de nos conversations de tensions particulières à ce sujet. Dans mes fonctions actuelles, et tout à fait provisoires, de président de la Communauté puisque c'est jusqu'au 30 juin prochain, 1er juillet si vous voulez, j'ai pu tenir à mes interlocuteurs divers propos qui touchaient à un certain développement de la Communauté elle-même, précisé que bon nombre de décisions prises par la France le sont vraiment par la France et non pas par la Communauté qui a des compétences mais pas encore sur toutes choses. Même si je souhaite qu'elle ait davantage compétence dans de plus nombreux domaines.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il paraît que le Président Reagan lorsqu'il évoque ce qu'il se passe ici à Moscou utilise fréquemment le qualificatif de "glaciation". Alors je voulais vous demander si vous trouvez la cour du Kremlin moins verglacée que prévu, plus verglacée que prévu et si vous aviez communiqué au Président Reagan un degré de température à Moscou ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas très au courant de la façon dont parle le Président Reagan - s'il en parle pour l'instant, ce qui ne me semble pas - de l'-état actuel du dialogue américano-soviétique "plus ou moins glacial". J'ai l'impression qu'à cet égard on est quand même plus proche du pôle que de l'équateur. Mais ce n'est qu'une impression, comme vous en avez sans doute aussi. Je ne suis pas partie prenante moi, dans cette négociation, même si cela m'intéresse.
- Dans les relations franco - soviétiques, qui naturellement ne peuvent pas trancher les problèmes de l'équilibre mondial, il n'y a pas "glaciation" et je dois dire, m'adressant à vous mais au-delà de vous aux dirigeants soviétiques qui nous ont reçus, que si l'on est allé dans le sens souhaité d'une meilleure compréhension cela est dû et pour beaucoup à leur attitude, à l'ouverture de nos conversations, même si cette ouverture n'a pas donné dans toutes les perspectives d'immédiats résultats.
- Mais ce n'est pas une "glaciation". Je me méfie de la puissance des mots. Donc il y a plutôt eu réchauffement. Alors ne pourrait-on dire, tandis que nos alliés américains connaissent des relations encore plus refroidies avec l'Union soviétique, vous, vous allez en sens inverse, donc vous n'êtes pas des alliés très homogènes. Nous sommes fidèles à nos alliances, mais nous sommes autonomes. Si la France peut servir à un réchauffement général sur la base de propositions claires pourquoi ne le ferait-elle pas ? Les problèmes de désarmement ne sont pas strictement limités à ceux du -rapport de force nucléaire, de la force intermédiaire en particulier qui a été la négociation la plus difficile, celle des FNI de Genève.
- Il y a beaucoup d'autres aspects : guerre chimique, armement dans l'espace, contrôle, sur lesquels la France a beaucoup à dire. Elle a déjà dit quelque chose sur l'espace par le dépôt d'une proposition à Genève, dans le -cadre des conversations sur le désarmement. Donc, je crois que de ce point de vue, l'Union soviétique a trouvé quelque intérêt réel à en discuter avec nous. Le rôle de la France ici comme ailleurs est à la fois d'être loyale avec ses engements et de permettre quand elle le peut les ouvertures nécessaires.\
QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Nous sommes les amis de la République fédérale allemande et nous n'aurions quand même pas le mauvais goût, parce que nous nous trouvons dans une autre capitale, de parler de revanchards allemands. Nous sommes fidèles à nos amitiés conquises heureusement sur tant de conflits dommageables à nos deux pays. Donc, jamais je ne me permettrai de souscrire à cela mais cela ne nous a pas été demandé. Je pense que l'analyse très stricte du discours de M. Tchernenko vous a donné le sentiment d'une approche. Moi je ne l'ai pas ressenti, et vraiment ce sujet n'a pas été, n'a pas figuré dans nos conversations. Naturellement l'Union soviétique est libre d'en penser ce qu'elle veut. C'est un pays responsable qui a beaucoup souffert de la dernière guerre, qui en porte encore les marques. Il faut le comprendre. Mais les rencontres entre dirigeants soviétiques et allemands existent, leurs relations diplomatiques sont constantes. Je ne sais pas ce qu'ils se disent entre eux. En tout cas, moi, que je sois à Moscou, à Washington ou à Paris ou à Bonn je n'ai aucune raison de dissimuler que la France et l'Allemagne réconciliées ont entrepris ensemble de donner une nouvelle signification à l'Europe. Je crois que ce qui a caractérisé ces entretiens c'est vraiment une grande franchise, c'est-à-dire une certaine considération mutuelle que je trouve très appréciable et que j'éprouve pour l'Union soviétique, que je respecte.\
QUESTION.- (inaudible)
- LE PRESIDENT.- Oh je ne le prendrai pas si mal que cela ! D'ailleurs c'est écrit à peu près tous les jours dans la presse soviétique. Vous ne nous faites pas beaucoup de compliments sur notre politique économique. Moi, cela ne me vexe pas. Les journalistes français m'ont habitué et comme je pense que les journalistes français se trompent, je pense que les journalistes soviétiques se trompent aussi. Ils ont le droit de se tromper, ils ont parfaitement le droit de s'intéresser à la situation économique de la France. Ce que vous me dites est naturellement plus fin que cela. Vous me dites : "oui mais vous trouveriez peut-être un peu désagréable qu'ils vous en parle à leur tour, qu'ils prennent en compte ce qu'écrit la presse. Bon, la presse je veux bien faire la distinction : disons qu'à cet égard ils sont très polis, très bien élevés, et si M. Tchernenko a estimé utile de souligner que le travail faisait partie des droits de l'homme je pense qu'il a raison. C'était une petit pierre dans notre jardin quand même mais elle ne m'a pas fait mal parce que c'est vrai que le chômage est une atteinte aux droits de l'homme. Les atteintes aux droits de l'homme il y en a d'autres, j'en ai parlé. Voyez que finalement c'est agréable lorsque l'on peut parler de tout et rester bons amis.
- QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Tant que le gouvernement soviétique ne procèdera pas à une annonce en accord avec le gouvernement français, il sera prématuré de s'exprimer £ c'est pourquoi je ne l'ai pas fait hier soir bien que j'ai eu poussé cette conversation dans notre entretien particulier avec M. Tchernenko. Je pense que c'est une éventualité très plausible.\
QUESTION.- Est-ce que vous pensez que quels que soient les systèmes communistes, il y a toujours une façon de se comporter avec eux, de les comprendre, de se faire respecter d'eux ?
- LE PRESIDENT.- Quel que soit le système dont on se réclame il y a des valeurs internationales auxquelles il convient de se plier, d'observer, de respecter, et je pense que les échanges humains recourent à quelques critères constants. On a confiance, on n'a pas confiance, on exprime sa conviction, on ne l'exprime pas, mais finalement tout se sait, il n'y pas de mystère. De telle sorte qu'il vaut mieux établir des relations diplomatiques sur la base de la clarté. Je répète, avec les dirigeants soviétiques j'ai abordé cette conversation avec la plus grande gravité. Si l'heure est venue de vous en parler sur un ton détendu, il n'empêche que l'objet-même de notre rencontre exigeait de part et d'autre la plus grande gravité en raison même de la -nature des sujets que nous avions à traiter. J'ai observé cette règle de prendre avec sérieux ce qui m'était dit et de m'exprimer sans doute possible sur les intentions de la France. Communistes ou pas, ce n'est pas mon problème, quelque idée que j'en ai personnellement. Mon problème c'est de représenter la France le mieux possible, de défendre ses intérêts et de travailler pour la paix dans l'équilibre en Europe et dans le monde.
- Voilà ce que je peux vous dire à ce sujet. Je suis venu ici à Moscou pour rencontrer certaines personnes et en particulier le premier dans ce pays `Constantin Tchernenko`. Je lui dois l'obligation moi aussi de politesse.
- QUESTION.- (inaudible)
- LE PRESIDENT.- Ce sont des cas que je connais, ce sont des cas qui ont été évoqués, ce sont aussi parfois des cas qui ont été résolus. Je vous remercie. Je remercie la presse soviétique. Je remercie la presse internationale et la presse française pour m'avoir permis cet échange de vues.\