10 mai 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. François Mitterrand, Président de la République, accordé à la télévision norvégienne, Paris, Palais de l'Élysée, jeudi 10 mai 1984.

QUESTION.- Monsieur le Président, quels domaines voyez-vous surtout que la coopération entre la France et la Norvège puisse développer ?
- LE PRESIDENT.- Nos relations sont modestes. Elles le sont trop, spécialement nos relations économiques. Cela est dû à bien des facteurs historiques et géographiques, l'éloignement, l'orientation traditionnelle des circuits des échanges. Mais la planète se rétrécit tous les jours. La Norvège et la France sont de plus en plus associées dans une série d'actions importantes sur le -plan de leur sécurité, leur conception du monde, relations entre les hommes, sur l'évolution de la civilisation et nous avons suffisamment de richesses mutuelles pour pouvoir accroître ces échanges économiques. Dans quels domaines ? Vous le savez. Dans le domaine de la télématique par exemple. Nous avons à l'heure actuelle une coopération sur le -plan pétrolier et des hydrocarbures - les Norvégiens par la possession qu'ils ont de gisements importants à l'exploitation desquels les Français participent par des techniques très évoluées.
- Puis, nous avons naturellement des problèmes importants qui touchent à la défense. C'est ainsi que je pense avoir l'occasion de visiter le musée de la défense très significatif du comportement norvégien marqué par le courage et par la constance. Je pourrais continuer longtemps mais voilà l'essentiel.\
QUESTION.- Est-ce qu'il y a des accords concrets prévus pendant votre visite en Norvège ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas l'objet de ma visite. Je m'occupe rarement de traiter les contrats lors d'un voyage, surtout lors d'un voyage d'Etat qui est fait pour améliorer la connaissance mutuelle, pour rendre hommage à un peuple, à ses dirigeants, à ses souverains. Les ministres qui m'accompagneront auront certainement l'occasion de traiter les quelques problèmes pratiques. Il y a peu de contentieux. Il y a - et c'est le sujet que nous traitions tout à l'heure - à accélérer ou à multiplier des relations qui ne peuvent que, je crois, s'approfondir. Aujourd'hui, nous sommes, nous, Français, des clients plus que nous ne sommes des vendeurs pour la Norvège. Notre déficit commercial est sensible. Il est vrai que l'apport pétrolier joue pour beaucoup dans cette comparaison. Il serait injuste d'en tirer des conclusions définitives.
- Mais je voudrais aussi profiter de l'occasion que vous me donner pour vous dire qu'une visite qui ne peut être consacrée par des Chefs d'Etat à des discussions de contrats commerciaux, même si cela y contribue, doit me permettre à moi de dire, comme je le fais maintenant, au peuple norvégien que je suis très honoré d'être son hôte pendant deux journées. Je connais ce pays. J'y suis allé déjà plusieurs fois £ j'ai visité plusieurs de vos villes. Peut-on dire que l'on connait un peuple parce qu'on y accomplit quelques voyages touristico-culturels ? Ce n'est pas suffisant. C'est pour moi très important et je veux que, si vous le voulez bien, vous transmettiez au peuple norvégien mes sentiments d'amitié.\
QUESTION.- Merci, monsieur le Président. Passons un peu aux questions internationales et les difficultés dans la Communauté européenne. Est-ce que vous voyez, c'est ce qu'on appelle l'Europe à plusieurs vitesses, comme une solution réaliste et possible ?
- LE PRESIDENT.- Oui, sans aucun doute. Ce n'est pas l'axe de la politique que nous menons. L'axe de cette politique, c'est de donner, au contraire, plus de substance et plus de cohérence à la Communauté `CEE` elle-même : les 10 qui seront peut-être et même probablement 12 bientôt. Donc, c'est quand même ça la -recherche politique essentielle. Mais il ne faut pas que la Communauté s'enferme dans le formalisme. Il y a de très grandes -entreprises technologiques qui peuvent être très bien menées par des pays de la Communauté et par d'autres. Après tout, nous sommes tous Européens. Voyez ce qui s'est passé pour l'Airbus : vous avez plusieurs pays de la Communauté plus l'Espagne par exemple. Voyez ce qui se passe pour le JET et les initiatives prises actuellement autour de l'exploitation de l'énergie atomique où vous voyez coopérer les dix pays de la Communauté, plus la Suède et la Suisse. Je suis tout à fait favorable à des formules de ce genre à condition de ne pas les systématiser sans quoi il y aurait substitution d'une vague entité à l'entité très réelle et très précise que doit devenir de plus en plus l'actuelle Communauté économique européenne.
- Les Norvégiens sont, bien entendu, tout à fait maîtres de leurs décisions. C'est un pays souverain et je respecte leur souveraineté. Ils n'en restent pas moins des voisins et des amis très proches et il faut que l'on puisse traiter avec eux chaque fois que cela sera nécessaire.\
QUESTION.- Vous avez mentionné la défense, tout à l'heure, monsieur le Président. Alors, comment voyez-vous le rôle de l'Europe dans le monde des supers-grands ?
- LE PRESIDENT.- Je l'ai exprimé souvent. L'Europe doit rechercher les bases de son indépendance. Elle est soumise, aujourd'hui, aux -rapports de force entre les deux plus grandes puissances : Etats-Unis d'Amérique et Union soviétique. Elle vit encore sous le statut dit de Yalta, mais enfin, cette expression est devenue populaire et significative du partage de l'Europe en deux. Il faut que l'Europe, un jour, échappe à cette loi. Bien entendu, cela ne peut pas s'improviser. D'autre part, il ne faut pas ajouter aux tensions déjà suffisamment nombreuses qui existent sur la surface du globe. Mais c'est un idéal, c'est une -recherche, c'est un objectif.
- Puis la condition de cette indépendance, au moins sur le -plan de la Communauté `CEE`, est liée par une organisation stricte mais aussi avec les autres parce que nous avons les mêmes intérêts de liberté, l'indépendance pour chacun de nos pays. Il y a aussi, comme je vous le disais tout à l'heure, la culture. Je pense qu'il est très important pour nous de concevoir toute une série de dispositifs, y compris dans le domaine de la sécurité collective permettant d'affirmer davantage l'identité de l'Europe.
- Je le répète, n'inventons pas de choses irréalisables, la situation donnée est une situation qui s'impose encore à nous. On ne peut pas faire un trait dessus. Mais toute démarche qui nous conduira à faire plus l'Europe, j'entends l'Europe occidentale, en attendant que la coupure de l'Europe s'efface. je souhaite aussi tout ce qui nous permettra de faire plus d'Europe vaudra beaucoup mieux que d'en faire moins.
- Pour la défense, eh bien, il y a l'Alliance atlantique. La France n'a pas la même situation dans l'Alliance que ses autres partenaires puisqu'elle n'appartient pas au commandement intégré militaire de l'Alliance `OTAN`. Mais enfin, elle est loyale dans cetta alliance. Et donc nous sommes solidaires, votre peuple et le mien pour les grands choix qui doivent nous apporter sécurité collective et paix.\