3 novembre 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, au siège de la MAIF, Niort (Deux-Sèvres), jeudi 3 novembre 1983.

Monsieur le président,
- Mesdames et messieurs,
- En effet, si je suis parmi vous, ici, à la MAIF, ce n'est pas tout à fait par hasard, c'est aussi parce que venant dans la région Poitou-Charentes et commençant ce voyage par les Deux-Sèvres, j'étais naturellement attiré par une réalisation d'une ampleur exceptionnelle et d'une signification remarquable.
- Cela fait beau temps que je connais la MAIF. Comment aurais-je pu ignorer ses initiales, ayant pour beaux-parents deux instituteurs et avec tout ce que cela entraîne, de voisinage, de relations multiples dans ce milieu qui m'est cher. Et j'ai pu apprécier à travers le temps - vous avez parlé d'un cinquantenaire - l'évolution assez rare de cet organisme, j'allais plutôt dire de cette institution. Avoir réussi, à-partir d'un milieu social déterminé, à franchir les étapes de l'après-guerre, du dernier après-guerre et tout ce que cela signifie d'obstacles, d'évolutions, de mutations, d'adaptations bref, de victoires de l'esprit sur les habitudes, sur le conservatisme et, disons les choses sur une ambiance qui n'était guère favorable à vos efforts. Cela mérite d'être souligné. C'est pourquoi j'y consacre les premiers mots de cette allocution. Cela dit, j'aimerais quand même que vous sachiez que j'ai grand plaisir à me trouver parmi vous, vous qui vous êtes tous dérangés pendant quelques quarts d'heure pour participer à cette rencontre. J'ai pu depuis mon entrée dans ces locaux ou plutôt dans cet ensemble, admirer la qualité architecturale, la façon dont on a su concevoir cet ensemble pour que ceux qui y travaillent s'y trouvent bien.\
J'ai pu en visitant les salles d'informatique considérer la marche en avant très rapide, l'effort demandé à un personnel appelé à s'adapter d'année en année à des technologies nouvelles. Je le disais tout à l'heure à M. Germain : il eût été quand même fâcheux que dans un milieu comme celui-ci on ne put trouver les ressources d'intelligence pour fournir les logiciels, pour que vous puissiez vous-mêmes vous fournir à vous-mêmes tous les élements indispensables pour, dépassant simplement la boîte ou la machine, la remplir et la remplir d'intelligence.
- Mais je veux que vous sachiez qu'à-partir d'un exemple aussi significatif que celui-ci, la chance de la France aujourd'hui à l'instar de la MAIF, c'est de pouvoir aborder la concurrence avec les Japonais `Japon` et avec les Américains `Etats-Unis` qui ont beaucoup d'avance sur le -plan matériel, pour l'aborder par l'aspect logiciel, par l'aspect programmatique, où l'on est demandeur, où l'étranger est demandeur. Nous disposons à l'heure actuelle d'un capital d'intelligence, de connaissance et d'expérience peut-être unique au monde. J'ai d'ailleurs demandé à plusieurs spécialistes de se pencher sur ce problème, j'ai fait des constatations dont certaines sont fâcheuses et d'autres sont heureuses. J'ai pu constater, notamment, que les jeunes gens jusqu'à vingt ans étaient, lorsqu'ils sont mis dans la compétition, pouvaient être les meilleurs. Mieux formés que tous les autres y compris leurs enfants et les jeunes gens des deux pays que j'ai cités, parce qu'ils ont une meilleure formation mathématique, une meilleure formation de l'esprit. Mais ensuite nous perdons du terrain, parce que la transformation, le passage de l'éducation et de l'instruction à l'industrie, en France, a connu des défaillances. Nous n'avons pas encore assez assuré le passage entre la formation et l'emploi. C'est pourquoi je suis très heureux de constater qu'ici les choses ont été faites à temps.\
Pourquoi est-ce que je m'adresse à vous, sachant que mes paroles dépasseront ces murs pour atteindre beaucoup d'autres Français ? C'est parce que quatre domaines abordés par la MAIF me paraissent pouvoir représenter un modèle pour beaucoup d'autres. Je pense en-particulier aux relations sociales. Assurément le type de société que vous constituez appelle tout naturellement un certain choix d'esprit et aussi un certain mode de vie. Et d'après les documents qui m'ont été fournis, j'ai pu constater que vous aviez su aborder le problème de la durée du travail et par voie de conséquence du temps choisi, parvenant à des accords qui aboutissent, je crois, à une moyenne de 36 heures 45, ce qui signifie - il ne faut jamais oublier cet élément d'appréciation - que non seulement la productivité a été assurée, qui compense, mais aussi que les emplois ont pu être fournis. On m'a donné un chiffre de 180 emplois qui ont pu être créés au-cours de ces quatre dernières années. Et croyez-le c'est précisément l'un des grands objectifs que nous recherchons. Parvenir à dominer les problèmes de la durée du travail et donc du temps de vie par voie de conséquence, faire que la réduction du temps de travail ne nuise pas à la production, d'où la nécessité d'une productivité compensatoire, car en même temps nous ne voulons pas que le pouvoir d'achat des travailleurs qui connaissent l'abaissement de la durée du travail soit atteint. Et puis comment dans une société surchargée où l'adaptation de la société ne va pas aussi vite que le progrès économique et que le progrès technologique, comment réduire cette coupure entre ces deux phénomènes et faire que, pendant la période difficile, l'emploi soit au maximum sauvegardé ? C'est tout notre problème. J'ai donc noté avec beaucoup d'intérêt que vous aviez su aborder ce problème et y apporter des solutions utiles.\
La protection du consommateur : c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup. Il faut que les Françaises et que les Français apprennent de plus en plus à prendre part à la décision, au contrôle, bref, qu'ils soient responsables et croyez-moi, beaucoup de problèmes qui nous sont posés, notamment sur le -plan des prix, pourraient commencer d'être résolus simplement parce que chaque consommateur aurait une claire conscience de ce qu'il convient de faire. A condition que le consommateur se sente en sécurité avec le fournisseur, avec le producteur.
- Le deuxième point sur lequel je voulais insister, toujours m'adressant à d'autres qu'à vous, parce que vous vous le savez, c'est que le souci du consommateur, c'est-à-dire de la relation avec le client, a été surtout si l'on pénètre un peu dans cette procédure assez complexe des assurances, même très complexe, a été toujours de simplifier de rendre compréhensibles au consommateur, puisqu'il faut l'appeler comme cela, rendre compréhensibles les actes qu'il accomplit. En même temps qu'un sentiment de sécurité, ne pas avoir signé un contrat dont on ignorait le terme ou le sens second, de telle sorte qu'au moment où le drame arrive on se sent démuni devant une compagnie d'assurance qui n'est plus le protecteur que l'on attendait, mais l'adversaire qu'il faut combattre. Et je dois dire qu'à cet égard, la MAIF a su répondre à cette nécessaire exigence.\
Enfin sur le -plan de la modernisation. J'ai parlé de la salle informatique, je savais par M. Stern que la MAIF avait su nous aider dans l'effort de réappropriation nationale de cette production indispensable qu'est l'ordinateur qui fait que la France, dans le domaine de l'informatique, apparaît comme un pays capable d'atteindre et de préserver le troisième rang dans le monde et de concurrencer victorieusement, dans certains secteurs, les deux pays les plus avancés du monde, je répète : le Japon et les Etats-Unis d'Amérique. Cette modernisation qui vous a permis d'être depuis 25 ans des clients fidèles de Bull, et permettez-moi de vous le dire, vous avez eu du mérite. Vous avez du mérite parce que ces sociétés ont été ballotées, achetées, vendues, échangées, on ne sait plus exactement ce que cela devenait, vous ne saviez plus exactement à qui vous aviez à faire. Maintenant vous avez à faire à une société française qui participe éminemment à la reconquête d'un marché essentiel et on le doit au fait qu'il y a eu des gens comme vous qui soient restés fidèles à cette production française. Acheter français, il ne faut pas tomber dans cette manie à qualité égale, naturellement et il faut absolument fournir une qualité qui vous permette de continuer cette modernisation. Nous sommes en mesure de le faire. Je suis sûr que dans peu d'années nous arriverons par-rapport à la production d'ordinateurs à un niveau qui étonnerait ceux qui multiplient aujourd'hui les prédictions catastrophiques. Cela commence à aller beaucoup mieux, l'opinion le saura un peu plus tard. Ceux qui vivent ces problèmes comme vous, le savent déjà.\
Enfin, vous appartenez à un domaine aux contours encore un peu vagues et qui représente cependant une aspiration fondamentale de notre société que l'on appelle l'économie sociale. Et il est vrai que l'économie sociale, c'est une façon - unique sans doute, dans les temps modernes - d'aborder de façon collective, tout en respectant l'individualité, l'appréhension des problèmes économiques d'une façon sociale, l'économie sociale, cela porte bien son nom, très exigeante, qui doit être très exigeante par la participation, la responsabilité, l'échange, l'information et la qualité. Personne n'est dispensé de rechercher la qualité, sans quoi nous sombrerons. Mais nous ne sombrerons pas parce que nous avons assez de Français, de producteurs français, d'une part, et d'autre part une conscience civique suffisante pour être capables de préserver, de développer, d'accroître la qualité de la production française.
- Voilà un exposé un peu long. Je tenais à le faire parce que lorsque je parle de modernisation, de nouveaux modes de relations sociales, lorsque je parle tout simplement de l'économie sociale, je dessine ainsi, pour l'ensemble des Français une marche à suivre et c'est très agréable pour moi que de me trouver dans des locaux, dans ce site dans une ville où on a su le comprendre avant bien d'autres. Je n'oublie pas, naturellement celles et ceux qui me reçoivent autour de vous, monsieur le président, et qui ont su prévoir, agir, travailler pour soi-même en même temps qu'ils ont travaillé pour les autres, bref, aussi préfigurer un type de société dont vous pouvez bien penser qu'il m'est cher.
- Est-il un seul d'entre vous qui se sente amputé dans son individualité parce que vous avez fait cet effort collectif ? Je ne le crois pas, à condition de sauvegarder certaines valeurs. Est-il un seul d'entre vous qui puisse nier en même temps la valeur de cet effort collectif ? Certainement pas. Vous sentez à quel point les thèmes de solidarité, de travail en commun sont indispensables si l'on veut garder un sens à notre vie sociale et nationale.
- Voici donc quelques exemples intéressants à noter. Il était bon pour moi de le dire ici même.
- Je vous remercie, je vous souhaite bon courage et bonne chance. Il m'est agréable aussi de pouvoir dire à quelqu'un, comme je le dis au président, comme je le dis à vous-même : continuez ! Alors que je suis si souvent obligé de dire à d'autres : eh bien changez ! Merci.\