24 septembre 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la remise de médailles et diplômes aux Meilleurs Ouvriers de France, Paris, la Sorbonne, samedi 24 septembre 1983.

Monsieur le président,
- Mesdames et messieurs,
- C'est une grande cérémonie que celle qui se tient aujourd'hui, la XVIème, vous l'avez rappelé, depuis qu'a été institué, voilà un demi siècle, ce concours qui désigne les Meilleurs Ouvriers de France tous les trois ans. Je voudrais souligner d'abord qu'elle a heureusement renoué avec une tradition fort ancienne qui honorait la valeur professionnelle. Du temps des corporations, en effet, l'artisan restait un compagnon tant qu'il n'avait pas révélé sa capacité à maîtriser son art, à en devenir maître. Ce grade, ce titre de maître, lui était décerné lorsqu'il avait réalisé l'oeuvre importante et difficile, longue à achever qui lui avait été assignée. Et ses pairs devaient la reconnaître comme un chef-d'oeuvre. Le caractère de caste qu'avait pris peu à peu la hiérarchie des corporations accroîssait la difficulté. Ce caractère a heureusement disparu avec la Révolution de 1789. Mais la valeur professionnelle, elle, est restée qui consacrait les maîtres. Tel est l'objectif d'aujourd'hui comme à travers les temps. Et cette valeur professionnelle a été celle des ouvriers issus de la révolution industrielle quand leur tâche n'était pas exagérément parcellisée.\
Le concours des Meilleurs Ouvriers de France sélectionne aujourd'hui les chefs-d'oeuvre sur l'ensemble du territoire national. Il récompense la culture technique, l'harmonie entre les métiers d'hier et de demain, et l'effort d'excellence.
- Il est tout à fait naturel que cette cérémonie se déroule dans l'enceinte de la Sorbonne, haut lieu de l'esprit. Excellente tradition aussi qui marque l'importance de la culture technique aux côtés de la culture dite purement intellectuelle car pour certains, l'ouvrier qualifié, le maître artisan, on dit qu'ils ne sont que des manuels. Mais c'est ignorer, c'est mépriser tout le savoir-faire par lequel ils appliquent leur intelligence à des gestes. Il y a beaucoup d'intelligence dans la capacité de maîtriser la matière avec ses mains. C'est se placer dans l'autre tradition, la grande tradition de conquête de la matière par l'homme, tout autant que les chimistes ou les physiciens lorsque ceux-ci font leurs expériences. Ils sont, dans le domaine de la production, et au plus haut point comme ils le disent eux-mêmes, les Meilleurs Ouvriers de France, des créateurs qui enrichissent notre culture.
- Ce rôle de créateurs, vous le portez au plus haut niveau dans des secteurs anciens, mais aussi dans les secteurs nouveaux, dont la variété souligne la capacité d'imagination déployée en tout domaine. Cette diversité des secteurs traditionnels, on la connait, par un éventail de métiers aussi différents - et je ne citerai pas une liste exhaustive - que la tapisserie, l'ébénisterie, la cuisine, le bâtiment, la chaudronnerie, la mécanique. Mais la photographie, et plus encore l'électronique, sont là pour illustrer que les artisans peuvent trouver et trouvent un nouveau champ d'activité dans les technologies nouvelles. Plusieurs ouvriers peuvent conjuguer leur intelligence, leur savoir-faire dans un travail collectif. Et la loi sur la propriété artistique reconnaît que la création peut être oeuvre accomplie en commun. Nos cristalleries, nos verreries, sont des exemples de cette création commune.\
Dans la tradition du chef-d'oeuvre, il n'est pas question de lésiner sur le temps pour accéder à la perfection. Apprentissage de patience, de persévérance qui sont deux grandes vertus. Nous devons respecter et admirer ceux qui se dépensent pour se surpasser. Ils nous démontrent qu'il n'y a pas de fatalité de la standardisation, comme on dit, de l'uniformité, de la médiocrité. Ils nous prouvent que si l'on veut, on peut réussir. Et je souhaite que les jeunes de notre pays, et nombreux sont ceux d'entre vous qui sont jeunes, avec valeur d'exemple, comprennent bien ce message d'effort, et de récompense de l'effort par l'effort.
- On m'a dit que pour devenir Meilleur Ouvrier de France, la compétition est rude : vous avez rappelé, monsieur le président, 4000 candidats ont concouru issus de 220 métiers différents. Partout dans le monde, la concurrence est sévère : tous les Français, comme ces 4000 candidats, ne peuvent que l'accepter cette concurrence, l'affronter pour la vaincre.
- Parmi les 4000 candidats, une première sélection a donc été réalisée au niveau départemental. Il a certainement fallu aux professionnels très qualifiés, eux-mêmes le plus souvent d'anciens lauréats du concours, beaucoup de perspicacité pour départager les concurrents et en distinguer la moitié. Tous les chefs d'oeuvre qui ont passé ce premier barrage sont actuellement exposés au Parc Floral de Vincennes, depuis l'inauguration qui en a été faite par le Premier ministre `Pierre Mauroy` le 29 octobre 1982. Et parmi eux, les jurys nationaux en ont primé 660. Et nous voici au stade ultime, où tant et tant de travail et de tension, se trouvent comprimés dans le temps si bref d'une cérémonie.
- Et voici donc 16 ouvriers, un par groupe de métiers, et 15 chefs d'entreprise auxquels je vais dans un instant remettre leur médaille. Elles sont la juste récompense, pour ces meilleurs d'entre les meilleurs, car les autres aussi, sont bons. Elles sont aussi un témoignage. Nous saluons, en cette circonstance, l'amour du travail bien fait, marqué du sceau personnel du caractère de l'individu de chaque candidat, qui exalte la valeur professionnelle de tous nos techniciens, de tous nos ouvriers, de tous nos artisans. J'allais dire, et je peux dire, de nos artistes.\
L'Etat a reconnu le prestige des Meilleurs Ouvriers de France. Il a triplé ses aides cette année par-rapport à celles de 1980, mais surtout par la considération qu'il entend accorder à leur mérite. Ce qui explique aussi ma présence parmi vous après quelques-uns de mes prédécesseurs. Les expositions départementales permettent à nos établissements d'enseignement technique de faire connaître leurs réalisations et leurs projets. Nombreux sont les Meilleurs Ouvriers de France, ou leurs anciens qui sont d'avisés conseillers des enseignements technologiques.
- Je tiens à féliciter l'Association des Meilleurs Ouvriers de France pour le niveau si élevé des productions de ces concours. J'y trouve la garantie incontestée d'une qualité de réalisation, d'une mise en valeur de l'objet technique qui forcent le respect. Uniquement préoccupée de révéler ces caractères des maîtres qu'elle réunit ou qu'elle suscite, elle est la gardienne de ce que j'appelais une grande tradition, la Grande tradition ouvrière, élément important de la culture populaire de notre patrimoine national, source de vraie noblesse.
- Je voudrais dire, en conclusion, que j'ai été heureux de passer ces quelques instants avec vous. Je suis moi-même un provincial, ce qui ne veut pas dire qu'à Paris on ne connaisse pas la qualité du travail bien fait. Disons qu'on a un peu plus de temps en province, pour regarder ce que font les autres, et je me souviens d'avoir admiré, précisément, deux Meilleurs Ouvriers de France qui se trouvaient dans mon voisinage. Je n'arrivais même pas à concevoir à quel point la maîtrise pouvait atteindre de tels sommets. Et cela a marqué ma mémoire, ce qui veut dire que j'éprouve un plaisir particulier à me trouver ce matin parmi vous. J'ai d'ailleurs décidé, bien que cela ne soit pas très commode, d'allonger un tout petit peu mon emploi du temps ce matin parmi vous, et je me ferai une joie de procéder avant M. le Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, à la remise par moi-même des Légions d'honneur qui ont été attribuées, décernées dans des passés récents, à quelques-uns des Meilleurs Ouvriers de France plus anciens, mais qui ont acquis aussi des mérites dans le domaine civique. Car croyez-moi, mesdames et messieurs, c'est déjà être un bon citoyen que de bien faire son métier.\