15 février 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République, et de M. Amintore Fanfani, président du Conseil de la République italienne, notamment sur les relations bilatérales franco-italiennes, les productions agricoles, les problèmes communautaires, le Liban, Paris, Palais de l'Élysée, mardi 15 février 1983.

Mesdames et messieurs,
- Nous venons de terminer la réunion élargie des délégations italiennes et françaises, après avoir engagé depuis hier nos conversations avec M. le président Fanfani.
- Nous avons soit débattu l'un et l'autre, soit fait participer à ces conversations le ministre des affaires étrangères et celui des affaires européennes, soit, comme je vous le rappelais à l'instant, tenu une réunion plénière. Les ministres qui participaient à ces échanges de vue, nous ont indiqué le contenu de leurs conversations, (affaires générales, affaires étrangères dans le contexte bilatéral, dans le contexte communautaire européen et dans le contexte international, c'est-à-dire les relations Est - Ouest ou le problème méditerranéen, Proche-Orient, Moyen-Orient etc ...).
- Les ministres de l'économie et des finances se sont entretenus, nous ont entretenu de l'-état des dernières négociations internationales soit à l'intérieur de la Communauté `CEE`, soit dans-le-cadre du commerce international. Les ministres des affaires industrielles, du commerce extérieur et des transports ont abordé toute une série de problèmes touchant à l'aéronautique, à la chimie, à la sidérurgie, à l'électronique, au nucléaire etc ... et les ministres de l'agriculture ont également préparé les prochaines conférences, se sont entretenus des problèmes propres à l'Italie et à la France : fruits et légumes, huile d'olive, que sais-je encore ? et des problèmes propres à la Communauté : financement, élargissement et politique générale agricole. Je serai à votre disposition dans un moment pour répondre aux questions que vous jugerez bon de nous poser mais dès maintenant je tiens à vous dire le plaisir et l'intérêt que j'ai pris à recevoir ici M. le président Fanfani qui est l'un des hommes les plus expérimentés d'Europe et qui, après avoir très souvent conduit les affaires de son pays, est de nouveau en charge de la politique italienne. Il vous dira lui-même en peu de mots comment il considère les résultats de cette conférence puis nous répondrons l'un et l'autre aux questions que vous nous poserez.\
LE PRESIDENT.- Mesdames et messieurs nous avons vingt-cinq minutes. Si vous voulez bien poser des questions nous nous efforcerons d'y répondre le plus rapidement possible.
- QUESTION (Corriere Della Sera).- Je voulais poser, monsieur le Président de la République une question. La question est la suivante : "Le Monde" `journal` et en général la presse française a écrit que le climat des -rapports entre l'Italie et la France est cordial mais que les faits ne sont pas générateurs d'euphorie et en général on pense en France que les Italiens sont divisés entre leurs aspirations européennes et l'attachement à l'Amérique `Etats-Unis`. Est-ce que vous pensez que après cet entretien, qui est le second entre la France et l'Italie d'aujourd'hui, cela ait changé et qu'ont été envisagés des accords bilatéraux plus fructueux ou non ?
- LE PRESIDENT.- L'Italie est un grand pays. La France aussi. Ils ont l'un et l'autre une vocation mondiale. Ils appartiennent l'un et l'autre à la Communauté Européenne `CEE`, ils appartiennent l'un et l'autre à la même Alliance atlantique, même si leur situation s'y trouve différente. Ils ont des traditions et des objectifs en Europe, en Méditerranée et au-delà. On ne peut donc pas exiger de ces deux pays qu'a priori leurs intérêts coincident en toute chose et qu'ils puissent s'interdire d'avoir d'autres amis et que leur démarche ne soit pas toujours semblable. C'est d'ailleurs l'intérêt de ces réunions que de pouvoir faire rapprocher les points de vue lorsqu'ils divergent car ce qui prime c'est l'entente et non pas la discorde.\
`Suite réponse sur les relations entre la France et l'Italie`
- Il ne faut pas exagérer l'écart supposé entre un bon climat et de mauvaises affaires. Prenons pour exemple un dossier empoisonné, celui du vin. Depuis combien d'années, à chaque saison quand l'été revient avant les nouvelles vendanges, depuis combien d'années la crise, la crispation entre l'Italie et la France avait-elle provoqué les troubles populaires, de mouvements passionnels, de destructions, et finalement, de mesures discriminatoires, les uns contestant la pratique des autres, les autres se plaignant à l'Europe de mesures douanières. Vous connaissez le dossier comme moi. Nous avons fait de grands progrès. Cette année lorsque est arrivée fin 1982 la même saison nous sommes parvenus à surmonter cette crise rituelle, d'une part en obtenant satisfaction pour une large part au-sein de la Communauté européenne `CEE` et d'autre part par nos propres accords. Nous avons besoin de parfaire cette démarche mais enfin le progrès est considérable.
- Maintenant sur quel problème avons nous à faire de nouveaux progrès ? Sur les fruits et légumes, les ministres vont se retrouver. Ils ont déjà avancé sur certaines ventes ou achats italiens qui ont obtenu des succès ou qui ont choisi de traiter ou de contracter commercialement avec les Etats-Unis d'Amérique plutôt qu'avec les pays de la Communauté européenne. Eh bien on travaille sur ce terrain et nous avons précisément constaté, après échanges de vue entre notre ministre des transports et les ministres de l'industrie et des participations d'Etat en Italie, que les projets étaient nombreux. Je pense à l'aéronautique, à certains projets ferroviaires, ou à des projets concernant la sidérurgie, la nucléaire, et même l'aluminium où vraiment il y avait des dispositions de travail en commun. Alors, il reste encore une marge à franchir. Un problème n'est jamais résolu d'avance et la vie est toute puissante mais je crois que la disposition d'esprit et la volonté politique de nos deux pays nous permet de penser que nous réduirons à mesure que nous avancerons tout ce qui pourrait signifier une divergence entre l'Italie et la France.\
QUESTION.- Monsieur le Président je voudrais vous poser deux questions s'il vous plaît. La première : comment vous avez abordé la question du Proche-Orient et du Moyen-Orient ? Est-ce que vous êtes tombé d'accord avec M. le président Fanfani sur tous ces aspects et ma dernière question : comment vous appréciez les informations qui ont été diffusées hier sur une éventuelle initiative européenne en-faveur de la sécurité des Palestiniens au Liban ?
- LE PRESIDENT.- Sur le Proche-Orient il m'est difficile à cette heure-ci de reprendre tout un thème cent fois développé devant vous, qui risquerait de déborder du -cadre des conversations entre l'Italie et la France. Nous sommes d'accord sur l'essentiel, c'est-à-dire sur la reconnaissance des Etats de cette région avec les droits et garanties afférents à cette souveraineté. Nous pensons en-particulier à Israel et nous estimons que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes doit également s'affirmer. C'est une question que j'ai souvent traitée. Ce droit des peuples s'appliquant bien entendu aux Palestiniens. Alors dans ces contradictions, nous nous efforçons d'être justes, de garder la mesure, de préférer la négociation à la guerre, en sachant fort bien que cette négociation il serait bon qu'elle commençât entre les partenaires eux-mêmes par une reconnaissance mutuelle. Je ne vais pas le répéter une fois de plus.
- En ce qui concerne le Liban c'est vrai que nous avons été pendant nos conversations saisis d'un fait nouveau à Beyrouth puisque le président Gemayel a estimé utile d'entreprendre l'élargissement du secteur dans lequel s'exerce son autorité à Beyrouth. Là, nous avons aussitôt décidé - et c'était facile puisque nous étions ensemble - une concertation et estimé que, l'Italie et la France participant à la force multinationale, il convenait que nos points de vue soient précisément harmonisés et nous avons considéré qu'il n'y avait pas de problème de principe à ce que la zone géographique dans laquelle nos forces se trouvent, y compris les forces américaines, puisse être modifiée ou étendue et que les mesures militaires de sécurité à prendre soient élargies en conséquence. Par contre, nous avons rappelé la stricte définition des missions qui sont nôtres et qui cherchent à servir la paix afin d'éviter des affrontements et non pas les multiplier. Donc nous avons gardé un contact étroit entre les Italiens, les Américains et les Français, nous avons défini une démarche commune, servi comme nous devions le faire les intérêts du Liban et de son gouvernement légitime et évité d'aller au-delà de cette mission. Voilà ce que nous avons ensemble décidé.\
QUESTION.- Ma première question concerne la balance commerciale et son déficit en-faveur de la France. A l'issue de ces entretiens pensez-vous pouvoir rééquilibrer cette balance ? Deuxième question : c'est le dossier Airbus £ avez-vous convaincu vos partenaires italiens d'avoir un oeil plus européen dans ce domaine et la troisième question : parlant des -rapports Est - Ouest avec le président Fanfani, avez-vous d'une manière ou d'une autre évoqué ce qu'on appelle - dont on a beaucoup parlé - la piste bulgare et avez-vous évoqué aussi l'arrestation hier à l'aéroport de Fuimiccino `Rome` d'un citoyen soviétique par les autorités italiennes ?
- LE PRESIDENT.- Le dossier aéronautique est plus large que celui d'Airbus. Les ministres compétents ont débattu au sujet de l'ATR 42, qui, comme vous le savez, est un avion régional à 42 places en coopération entre la SNIAS et Alitalia. Ce programme se développe de façon très optimiste, au-delà des prévisions. On en est à 60 commandes. Il y a l'Airbus. Nous avons souligné auprès de nos amis italiens l'intérêt que nous portions à leur participation au projet de l'Airbus 320 pour un achat qui est en-cours de discussion de cinq Airbus. On peut penser, légitimement je crois, que ces négociations vont dans le bon sens. Voilà pour l'aéronautique.
- Quant au commerce en-général j'ai tout à l'heure cité la sidérurgie, l'électronique, le nucléaire, la chimie, l'aluminium, l'agriculture. Il est certain que la France tend, comme c'est bien normal, à vendre davantage si elle n'achète pas moins, et à développer ses exploitations, étant bien entendu qu'elle doit aussi veiller à ce que ses importations ne débordent pas dans d'autres capacités. Cela c'est la pratique quotidienne de nos échanges et de nos relations pour parvenir à un équilibre que nous Français nous jugeons nécessaire. Nous n'avons pas parlé au-delà. La conversation sur la piste bulgare n'est pas venue à l'ordre du jour. Ce n'est pas que ce ne soit pas un sujet important et intéressant, mais il n'était pas de l'ordre des conversations entre l'Italie et la France. Je n'ai rien de particulier à vous dire à ce sujet.\
QUESTION.- Pour revenir à cette conférence de la Méditerranée occidentale est-ce que nous pouvons peut-être avoir des précisions sur les dates - peut-être avant l'été - et sur les pays qui vont participer. Est-ce que tous les pays ont donné leur accord, est-ce que le Maroc et l'Algérie vont s'asseoir à la même table ?
- LE PRESIDENT.- Il ne faut pas aller plus vite que la musique monsieur. J'ai fait cette proposition il y a quelques jours seulement et je tiens absolument à employer toutes les méthodes de la courtoisie à l'égard des pays qui bordent la Méditérranée occidentale. Je ne peux donc pas préjuger leur décision, bousculer leur réflexion. Nous en avons parlé naturellement avec nos amis italiens et nous sommes d'accord pour estimer que cette conférence pourrait être très utile. J'ai moi-même précisé qu'il convenait que les Espagnols ne puissent pas penser qu'il s'agirait dans cette conférence d'une sorte de préalable nouveau posé à l'élargissement. Cela doit être bien clair. Il y a déjà suffisamment de problèmes qui se posent, qui doivent être réglés notamment sur-le-plan agricole et sur-le-plan de la pêche, de négociations qui s'engagent, et dont la Commission européenne est saisie. Ce n'est pas la peine d'en ajouter d'autres.
- Au contraire, nous souhaitons que les échanges de vue entre les pays d'Afrique du nord et d'Europe du sud puissent permettre de déblayer toute une série de difficultés commerciales qui se posent aux uns et aux autres sans oublier que la Communauté `CEE` doit elle-même organiser ses propres règlements pour être tout à fait accueillante, sans décevoir personne, quand elle aura décidé de s'élargir. Quant à la date je ne peux en préjuger. C'est à tous les pays en question d'en décider, on ne va pas se substituer à eux, on ne peut qu'exprimer un souhait mais le souhait italo - français c'est que l'on puisse avoir une idée de ces choses avant le mois de juin, c'est-à-dire avant le sommet européen et peut-être même fin mai avant le sommet des pays industrialisés. Ce que j'exprime ici n'est qu'un souhait, un voeu qui ne peut en aucune circonstance s'imposer aux pays qui n'ont pas encore été consultés. Le mois d'avril ou mi-mai serait une bonne date. Si c'est plus tard, eh bien ce sera plus tard, l'essentiel c'est que cela se passe.
- QUESTION.- Monsieur le Président au sujet de cette conférence sur la Méditérranée quel est dans cette esprit précisément son objet parce qu'on a entendu parler parfois de questions de sécurité. Est-ce qu'il en est toujours question ?
- LE PRESIDENT.- S'agissant du problème des relations de la Communauté `CEE` telle qu'elle est aujourd'hui et des pays de la Méditerranée occidentale qui ont des contrats, des accords avec cette Communauté, - Maroc, Algérie, Tunisie - nous n'avons pas prétendu élargir le débat mais seulement l'amorçer. S'il existe des problèmes entre la Communauté et ces pays qui sont en contrat avec la Communauté, à plus forte raison si la Communauté s'élargit, il ne faut pas mélanger les problèmes. Nous n'allons pas par ailleurs créer une institution, une instance nouvelle dans laquelle seraient débattus les problèmes de sécurité, il y en a déjà assez comme celà.\
QUESTION.- Une question monsieur le Président Mitterrand, je sais bien que la question culturelle n'est pas à l'ordre du jour de cette rencontre, en tout cas vous avez affirmé très récemment, dimanche à la Sorbonne, que faire des investissements dans la culture signifie faire des investissements aussi dans l'économie et le progrès. Nous avons apprécié. Vous avez aussi lancé un appel à la coopération culturelle suivie de faits pour ce qui concerne par exemple l'Opéra et le théâtre de l'Europe. Alors ma question est la suivante : avez-vous le sentiment monsieur le Président, que vos hôtes italiens ont prêté une oreille attentive à votre appel et que le tout sera donc suivi de faits concrets ?
- LE PRESIDENT.- Nous venons de tenir un colloque culturel. Très nombreux étaient les Italiens présents. Après ce colloque, j'ai passé la soirée de dimanche avec sept ou huit Italiens célèbres dans le domaine de la culture. La particition de votre pays a été considérable. Cela est tout à fait normal, s'il y a culture quelque part, c'est bien là. Vous savez que des Italiens ont été appelés à remplir des missions très importantes en France : l'Opéra, l'Odéon `théâtre`. Non pas que nous soyons contraints de chercher à l'extérieur les gens de talent, mais nous croyons très profondément que les apports extérieurs sont un des éléments de notre culture et nombreux sont les Français qui, ici ou là, remplissent des rôles analogues, c'est une bonne chose.
- Je crois que le point sur lequel nous aurions des progrès à faire ou un redressement à opérer, ce serait sur l'enseignement des langues. Progrès à faire pour l'enseignement de l'italien en France, progrès à faire aussi pour l'enseignement du français en Italie. J'ai l'intention de ranimer autant qu'il sera possible des institutions déjà prospères, je pense à la Villa Medicis, et d'autres qui ne remplissent pas toujours exactement leur objet, je pense aux institutions culturelles des Français à Florence où nous pourrions toucher l'opinion cultivée italienne de façon beaucoup plus importante que nous le faisons. Disons que c'est une matière très importante et très vivantes et c'est bien en pensant à l'Italie que je crois que ce colloque aura été un apport important.\
LE PRESIDENT FANFANI.- Si vous permettez j'ai l'occasion de souligner qu'il y a une coopération actuelle depuis quelques dizaines d'années entre la France et l'Italie au sujet des problèmes d'histoire économique. Braudel et moi-même travaillons depuis une dizaine d'années pour souligner l'importance de toute l'histoire économique et de la coopération économique franco - italienne dans le bassin de la Méditerranée.
- LE PRESIDENT.- J'ai passé deux heures hier avec Fernand Braudel et il n'avait en effet à l'esprit que ce problème-là, qu'il connaît admirablement, c'est d'ailleurs un des grands esprits qui vit la double culture française et italienne intensément.
- Je crois qu'il va falloir que nous nous séparions. Je voulais simplement dire un mot à propos des problèmes agricoles qui ne doivent pas être présentés sous le seul aspect des divergences, je l'ai dit tout à l'heure. Il y a aussi une position communautaire commune à l'Italie et à la France, c'est la volonté de parvenir à une bonne définition des prix agricoles et aussi au respect des engagements pris, c'est-à-dire au démantèlement des montants compensatoires positifs allemands et d'avoir en même temps une bonne discussion sur le lait. Il y a eu beaucoup de démarches qui on été menées en-commun et qui continueront de l'être. Il faut vraiment avoir tous ces éléments du dossier à l'esprit pour en parler.\