2 février 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'audience solennelle de la Cour des comptes, sur le rôle des Chambres régionales des comptes dans-le-cadre de la décentralisation, Paris, mercredi 2 février 1983.

Monsieur le premier président `Jean Rosenwald`,
- Monsieur le procureur général,
- Mesdames et messieurs les présidents de Chambres,
- Présidents de Chambres régionales, conseillers et auditeurs,
- La création des chambres régionales des comptes, et l'installation officielle, aujourd'hui, de leurs 24 présidents, me donnent l'occasion de saluer votre Haute Juridiction au moment où elle franchit une nouvelle et importante étape de son histoire. Cette cérémonie n'est pas seulement protocolaire. J'y vois l'occasion de marquer l'importance croissante qu'a prise la Cour des comptes, au-cours de ces vingt dernières années dans la vie de la Nation.
- Importance croissante qui reste pourtant trop ignorée du grand public. Contrairement au Conseil d'Etat, les citoyens ne peuvent s'adresser directement à vous et c'est sans doute ce qui explique pour beaucoup leur méconnaissance de votre rôle.\
Mais il faut aussi ajouter que les activités de la Cour des comptes ne sont connues qu'au travers du rapport public. L'opinion qui apprend sans déplaisir vos "découvertes" si j'ose dire - parce qu'il lui semble y retrouver cet esprit critique qu'aiment tant nos compatriotes - a parfois tendance à vous considérer comme une sorte de censeur qui dresserait régulièrement le catalogue immuable des erreurs d'une administration éternellement en défaut.
- Or, essentiel pour la Cour et pour le pays, le rapport public qui m'est remis chaque année, en même temps qu'au Parlement, n'est que le résumé très condensé d'une extraordinaire somme de vérifications, de missions de contrôle et d'auditions, bref d'un travail considérable et quotidien. Il permet de cerner l'immense champ des investigations qui vous incombent et dont, finalement, le budget de l'Etat n'est qu'un élément parmi beaucoup d'autres, qui touchent aussi bien aux budgets de la sécurité sociale qu'au contrôle de tous les organismes publics ou privés recevant des fonds publics, sans oublier les entreprises publiques. A cet égard je m'intéresse particulièrement au rôle que jouera la Cour pour contrôler la gestion du secteur public au moment où le gouvernement entame une vaste rénovation de notre appareil productif.
- Vos domaines de compétences se sont tellement étendus qu'il a paru nécessaire, dans la loi du 22 juin 1967, de rassembler les textes épars qui régissaient votre Haute Juridiction et qu'il a fallu établir une sorte de "Code" qui s'est d'ailleurs beaucoup enrichi depuis sa promulgation.
- Mais même si vos observations, critiques, suggestions étaient plus largement connues, il subsisterait toujours ce doute, parfois repris par la presse : de toute manière, le gouvernement ne prend pas ces rapports en considération ou du moins suffisamment. Je saisis l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour vous dire combien j'attache d'importance au bon usage de vos travaux par l'administration. A plusieurs reprises déjà, et à ma demande, le Conseil des ministres a examiné vos conclusions. J'ai donné personnellement des instructions pour que la Commission "des suites" ne reste pas elle-même sans suites et je veillerai à ce qu'il en soit bien ainsi. Enfin, plusieurs de vos études et de vos enquêtes fournissent au gouvernement les données indispensables pour éliminer bien des anomalies.\
Ai-je énuméré toutes vos tâches ? Certes non, mais, sans entrer dans les détails, je ne veux pas ignorer non plus les innombrables missions de conseil ou de contrôle que les pouvoirs publics demandent à vos magistrats, votre participation à des juridictions ou organismes spécialisés - Cour de discipline budgétaire, Conseil des impôts, Comité central sur le coût et le rendement des services publics, j'en passe - et je pense à votre rôle, discret mais réel, dans l'élaboration des budgets des assemblées parlementaires.
- Rendant ainsi hommage, ce qui n'est pas, croyez-le, simplement rituel, à la Cour des comptes - car j'aperçois fort bien la somme de travail et de conscience que cela représente - je ne veux pas oublier non plus le -concours précieux et indispensable que vous apportent tous les personnels qui vous sont affectés et qui n'ont pas la qualité de magistrat : c'est sur eux en effet que repose beaucoup du travail matériel de dépouillement des documents et c'est grâce à eux que les magistrats peuvent en faire l'exploitation dont la loi les a chargés. Qu'ils soient donc également remerciés pour les services qu'ils rendent, eux aussi, à la nation.\
J'en viens aux finances locales, puisqu'elles sont au centre de cette audience solennelle.
- La Cour `des comptes` avait déjà pour mission de contrôler la gestion des collectivités locales, je l'ai dit, et des établissements publics locaux. Mais l'ampleur de la tâche était telle - la rue Cambon n'est-elle pas célèbre, à sa façon, pour ses couloirs encombrés de "liasses" ! - qu'une large partie de vos attributions avait dû être déléguée en fait aux Trésoriers payeurs généraux `TPG` et aux Receveurs des finances, fonctionnaires de valeur mais n'ayant pas la qualité de magistrat et se bornant par conséquent à des vérifications formelles, à l'exclusion de toute observation ou de toute appréciation sur la bonne gestion des deniers publics. Seules remontaient jusqu'à vous les erreurs, anomalies, etc, les plus graves ainsi que les comptes des collectivités les plus importantes sans que, pour autant, vos moyens suffisent pour faire, chaque année, toutes les indispensables vérifications approfondies. Une telle situation n'était plus tenable. J'en avais été saisi, monsieur le premier président, par vos prédécesseurs et par vous-même au moment où les collectivités territoriales accèdent à la pleine liberté et où la décentralisation leur donne de nouvelles et larges possibilités d'action.\
Deux grands principes, je vous le rappelle, ont guidé cette réforme `des collectivités territoriales` :
- - d'abord la liberté, qui suppose la suppression des contrôles "a priori" et des contraintes traditionnelles de l'approbation préalable £
- - ensuite la responsabilité, qui fait des assemblées locales et de leurs présidents les véritables responsables du destin de leur collectivité, avec d'importants transferts de recettes et de dépenses publiques de l'Etat.
- Eh bien ces principes ne pouvaient pas être sans contreparties :
- - d'une part, la décentralisation s'est accompagnée d'un accroissement des pouvoirs délégués au représentant local de l'Etat.
- - d'autre part, la liberté financière suppose le renforcement du contrôle "a posteriori". Si votre juridiction en est toujours chargée, elle exercera désormais cette mission à travers ses Chambres régionales, juridictions indépendantes, dont la Cour `des comptes` pourra seule connaître des décisions par voie d'appel.\
Mais les Chambres régionales présentent une autre originalité : elles vont, pour l'essentiel, se substituer non seulement aux contrôles financiers traditionnels, mais également aux interventions qu'exigent le rétablissement de l'équilibre d'un budget local, la remise en ordre de finances mal gérées ou les décisions de principe en-matière d'inscription ou de mandatement d'office. Ainsi, l'indépendance des Chambres régionales et de la Cour des comptes devient-elle - elle l'était déjà pour une large part - devient-elle totalement la garantie de la liberté locale.
- Vos Chambres régionales auront une responsabilité de contrôle et de conseil, cela va de soi, comme la Cour des comptes vis-à-vis de l'Etat. Comme la Cour, elles jugeront les comptes et non les comptables ni les ordonnateurs £ comme la Cour, leurs observations seront insérées dans le raport public. J'ai la conviction que, sous votre autorité, elles sauront respecter l'esprit dans lequel le législateur a voulu organiser le contrôle financier de nos nouvelles collectivités locales. Et je sais qu'elles le feront en toute indépendance, grâce aussi à la vigilance de leur Conseil supérieur.
- Aussi ai-je demandé au gouvernement de mettre à leur disposition dans les meilleurs délais les moyens en personnel et en matériel indispensables au plein exercice de leur juridiction. Il en va là encore de leur autorité, de leur utilité, de leur efficacité.\
Monsieur le premier président,
- Mesdames et messieurs les magistrats,
- L'année 1982, avec l'élargissement important du secteur public, avec la décentralisation, est donc venue encore ajouter à vos tâches. Sans méconnaître les efforts supplémentaires qui vous seront réclamés, je me réjouis que votre juridiction accompagne, par ses contrôles et ses conseils, la mise en oeuvre de si grandes réformes.
- Tout au long de sa riche histoire, la Cour des comptes a su montrer qu'elle était capable de répondre à l'attente de la nation, qui a le droit, en effet, de savoir comment sont gérées les finances publiques et qui a conquis, pour cela, et dès 1789, ses premières libertés. Je ne doute pas que les jeunes Chambres régionales des comptes puiseront, dans les traditions de votre Haute Juridiction, les exemples - je dirai même l'exemple - qui leur permettra d'aider la nouvelle démocratie locale à répondre à l'espérance des citoyens. Et qu'elles sauront aussi, parce que proches des administrés, mieux faire connaître à l'opinion le rôle irremplaçable d'avis, de conseil, de décision que la Juridiction financière joue auprès de ceux auxquels, dans l'Etat comme au niveau local, le suffrage universel a fait confiance.
- C'est donc un message, selon le dernier mot de cette allocution, un message de confiance en vous, de foi dans l'avenir, dans le respect et le souci que nous avons du bien public, du bien des citoyens. C'est donc en toute confiance que je m'adresse à vous en ce moment solennel, heureux de me trouver parmi vous.\