25 novembre 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, notamment sur la politique de la France au Proche-Orient, Le Caire, Palais de Koubbeh, jeudi 25 novembre 1982.

QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Quelques principes doivent présider au règlement de cette affaire. Si l'on s'en écarte, on aperçoit tout aussitôt l'impossibilité d'aboutir. D'abord la reconnaissance des Etats de la région, qui ont reçu la sanction du droit international défini par les Nations unies £ le droit de chaque Etat de la région à vivre en sécurité et à se développer dans la paix £ d'une façon concomitante, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à-partir d'une terre qui s'appelle leur patrie et dans laquelle ils disent ce qu'ils entendent faire, c'est-à-dire qu'ils s'autodéterminent. Voilà deux principes qui s'appliquent, là comme ailleurs, et particulièrement là, puisqu'il y a antagonisme. Il convient de le redire.
- Un autre principe qui, lui, se rapproche davantage de la méthode : c'est qu'il me paraît très difficile de pouvoir avancer sans reconnaissance mutuelle et préalable de ceux qui se combattent, de ceux qui s'ignorent. Nous savons bien que nous sommes encore loin du compte puisque les intéressés, dont la décision prime toutes les autres, je veux dire Israel et les représentants des Palestiniens, se refusent mutuellement cette reconnaissance préalable.
- Tout ce qui permettra le dialogue, sur la base d'intentions qui devraient être précisées, doit être encouragé. Si ce dialogue s'engage, c'est pour aboutir à cette reconnaissance mutuelle. Je veux dire que préalablement, il faut bien que quelqu'un parle. Nous souhaitons vivement que non seulement l'OLP, mais aussi tous les pays arabes reconnaissent le droit à l'existence d'Israel. Et nous souhaitons qu'Israel reconnaisse le droit à l'autodétermination des Palestiniens. Le problème posé par Israel à propos de l'OLP ne peut pas être un obstacle suffisant, car il faut bien que les gens parlent.
- Les Palestiniens, et ceux qui combattent en leur nom, ont acquis le droit de s'exprimer, étant bien entendu que ce sera finalement aux Palestiniens eux-mêmes de déterminer, j'emploie le mot pour la deuxième fois volontairement, qui sera chargé de les représenter dans la suite des temps et de quelle façon ils considèrent leur devenir.\
`Suite réponse sur le Proche-Orient` Les conditions ne sont pas remplies aujourd'hui pour obtenir cette volonté. Or toutes les initiatives qui vont dans ce sens, même un peu de travers, sont les bienvenues. Certains ont pensé que l'autonomie, à terme, de la Cisjordanie pourrait se préciser et déboucher sur l'affirmation de la personnalité du peuple palestinien. C'était inclu dans l'accord de Camp David £ c'était sa partie la plus faible, à mon sens. Car comment décider du sort des Palestiniens sans qu'eux-mêmes puissent y participer ?
- J'ai souvent dit à quel point j'approuvais la démarche de Camp David dès lors que cela avait déjà permis la paix entre deux pays qui se combattaient. Peut-on affiner cette notion d'autonomie à terme ? Des expériences vont être faites. J'ai déjà eu l'occasion de dire mon absence de conviction sur cette démarche, mais je ne refuse aucune des chances de réussite s'il y en a.
- Les pays arabes réunis à Fez ont fait d'autres propositions. Certaines d'entre elles reprenaient des propositions de celui qui était alors le Prince Fahd et qui est aujourd'hui roi d'Arabie Saoudite. J'avais déjà dit à l'époque, y compris en Arabie, à Taif, en présence du Prince Fahd, que nous considérions cette proposition ou ces propositions, comme une bonne façond'ouvrir le dialogue, même si nous réservions notre opinion sur les objectifs et les conditions fixées dont certaines nous paraissaient difficilement réalisables. Mais en tout cas, le seul fait d'ouvrir le dialogue en considérant l'existence de l'autre était un progrès. Il faut prendre tous les progrès accomplis. La démarche de Fez s'en inspire, même si l'accent mis sur les différentes conditions est, ici ou là, différent. La position de la France est la même : des réserves sur certains objectifs, une approbation de la méthode.
- En ce qui concerne la résolution franco - égyptienne déposée devant le Conseil de sécurité `ONU`, elle n'est pas exactement en -état d'hibernation. Simplement, l'Egypte et la France n'entendent pas se substituer au reste du monde, ne se posent pas en situation antagoniste. Les différentes démarches pour la paix sont complémentaires, elles ne sont pas contradictoires. Naturellement, nous avons la faiblesse de penser que notre proposition approche peut-être de plus près la réalité de cette partie du monde. En tout cas nous, les Français, sommes disposés à contribuer autant qu'il nous sera possible à la mise en pratique des principes que nous venons de rappeler.
- Vous avez pu vous rendre compte que la position de la France dans la guerre du Liban est restée fidèle à ces définitions. J'ai dit moi-même en Israel, de la tribune de la Knesset, comment j'envisageais la suite des choses. Une précision cependant : la France dit son mot dans l'affaire parce qu'elle s'intéresse à la paix dans le monde, parce qu'elle a des liens particulièrement forts avec le Proche-Orient, avec Israel, avec le Liban, avec les peuples arabes. Et comme l'un des membres permanents du Conseil de sécurité, nous nous sentons autorisés à exprimer nos avis. Mais nous n'entendons pas nous substituer à ceux qui vivent dans cette région et dont le sort est engagé, soit dans la guerre, soit dans la paix.
- Cette hiérarchie dans la démarche politique et diplomatique doit être bien précisée : la France entend assurer tous ses devoirs par-rapport à des peuples et à des Etats amis, elle n'entend pas parler à leur place. Voilà, monsieur, le rappel des éléments de base de la position française.\
QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Il est évident que pour faire la paix, il faut être deux. S'il en manque un, c'est grave £ s'il en manque deux, c'est pire. Et pourtant, c'est ce qui arrive le plus souvent.
- Il est certain que, pour Israel, savoir que l'OLP a pour objectif la destruction de l'Etat d'Israel, cela n'est pas encourageant. De même, demander à l'OLP de renoncer à ses objectifs tandis que le gouvernement d'Israel refuse obstinément de reconnaître l'organisation combattante, ce n'est pas, pour l'OLP, un signe d'optimisme. Vous venez d'exprimer ici une vérité historique. C'est contre cette réalité tragique qu'un certain nombre de pays, d'hommes politiques, ici-même en Egypte, en France, aux Etats-Unis d'Amérique, ailleurs, multiplient leurs propositions. Donc, votre observation est juste mais on ne peut pas supposer le problème résolu. C'est parce que le problème se pose que nous en parlons £ alors comment conduire ces pays et ces représentants des peuples à avancer dans la voie du progrès ? Nous passons notre temps à le leur demander.
- QUESTION.- Inaudible).- LE PRESIDENT.- Il ne faut pas être exagérément négatif £ il ne faut même pas l'être du tout. C'est une approche patiente, quotidienne, face à chaque événement qui peu à peu dégèlera £ c'est aussi par un ensemble de garanties internationales, vous venez de le dire, madame, que nous y parviendrons. D'où le rôle joué, précisément, par l'Egypte et par la France au seul endroit où c'est possible, c'est-à-dire au Conseil de sécurite `ONU`. Mes voeux rejoignent les vôtres. Pour le reste, la décision ne dépend ni de vous ni de moi.\
QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Je ne vois pas très bien, madame, à quoi vous faîtes allusion dans mes propos d'hier. Je ne vois pas ce qui vous autorise à me poser cette question. Alors peut-être faudrait-il me la préciser. Je ne reconnais pas dans ce terme "encourager", mes propos d'hier, à moins qu'ils aient été traduits d'une façon inexacte, ce qui m'étonnerait étant donné la qualité des interprètes. Je ne vois pas en quoi la France encouragerait Israel à maintenir sa politique actuelle. Vous savez fort bien de quelle façon s'est exprimé le chef du gouvernement israélien à propos des positions de la France, par exemple au Liban. Donc, est-ce que c'est encourager Israel que souhaiter que cet Etat soit reconnu par les pays arabes ? Dans ce cas-là, il est bon de défendre le droit, et c'est bien le droit d'Israel que d'être reconnu. C'est vrai que mes voeux vont vers la reconnaissance mutuelle. La reconnaissance mutuelle suppose la reconnaissance des deux, on ne peut pas faire l'impasse sur le droit d'existence d'Israel. Mais, d'autre part, j'encourage autant que possible les forces conscientes d'Israel à comprendre son devoir historique. Le peuple palestinien ne peut pas être un peuple éliminé de sa propre patrie, et ce n'est pas encourager une politique maximaliste d'Israel que de dire cela. Au contraire, c'est chercher un accord. Un accord suppose des concessions, des concessions mutuelles. Aucun des deux antagonistes ne peut espérer imposer son point de vue. C'est peut-être douloureux pour l'un et pour l'autre, chacun se sentant porteur d'un message historique, mais c'est ainsi. Donc, le seul fait de demander aux Etats arabes et à l'OLP de reconnaître Israel suppose, bien entendu, un geste équivalent d'Israel à l'égard des Palestiniens. C'est tout ce que j'ai voulu dire.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez toujours encouragé les Palestiniens, est-ce que vous êtes prêt à reconnaître l'OLP comme le seul représentant du peuple palestinien ? Est-ce que vous êtes prêt à recevoir Yasser Arafat ? Comment pouvez-vous encourager les Palestiniens pour reconnaître l'Etat d'Israel ?
- LE PRESIDENT.- J'ai dit à la Knesset même - je vous le répète, c'était vraiment un endroit choisi - que les combattants de l'OLP avaient exprimé des droits de leur peuple. Quant à la reconnaissance de l'OLP en tant que représentant du peuple palestinien, c'est au peuple palestinien de le faire et non pas à moi-même. Donc, il faut créer les conditions de l'autodétermination palestinienne. De toutes façons, j'ai eu également l'occasion de préciser que l'OLP devait elle-même accomplir les actes politiques déterminants, en-particulier son intention de reconnaître l'existence d'Israel, si Israel fait le geste correspondant. Nous ne pouvons pas reconnaître une organisation qui maintiendrait pour objectif la disparition d'un Etat dont nous avons nous-mêmes approuvé la créatipn et avec lequel nous entretenons des relations qui sont des relations, en tant qu'Etat, amicales. Il faut absolument débrouiller cette affaire initiale, sans quoi on piétinera.
- Quant à M. Yasser Arafat, il ne m'a pas demandé de rendez-vous à Paris. Je n'ai donc pas à lui poser des conditions. Nos diplomates, notre gouvernement ont eu des relations avec lui, en ont. Nous ne l'avons pas dissimulé. Tout acte du Président de la République française qui correspondrait à une reconnaissance officielle, sans qu'eussent été accomplis les actes indispensables, serait prématuré. C'est tout ce que je peux dire. M. Arafat peut venir en France s'il le désire £ il rencontrera les responsables que nous jugerons utiles de lui faire rencontrer. Le chef de l'Etat soumettra sa décision aux actes politiques qui auront été accomplis d'ici là.\
QUESTION (Le Monde).- Monsieur le Président Mitterrand, vous êtes en visite officielle ici, vous avez eu un certain nombre d'heures d'entretien avec le Président Moubarak, pouvez-vous nous donner un premier bilan de cette visite. Et l'un et l'autre, pouvez-vous nous préciser les points les plus importants dont vous avez parlé depuis hier et aujourd'hui. Merci.
- LE PRESIDENT.- J'ai abordé très brièvement cette question tout à l'heure et j'indiquerai de façon plus complète ce qu'a été le thème de nos conversations. Hier, nous avons essentiellement parlé de la région, je le précisais il y a un moment. A l'Est : Proche-Orient, Moyen-Orient, conflit israélo - arabe, conflit irako - iranien, avec toutes les implications que cela suppose. Bien entendu, à l'Ouest, le sommet hésitant de Tripoli, le voeu de voir l'Organisation de l'unité africaine `OUA` préserver son unité. Bien entendu, la France qui n'est pas sur ce continent, laisse les Etats en question décider eux-mêmes de la façon de faire.
- Les sujets ne manquaient pas, vous le savez, M. Balta, pour occuper l'heure et demie que nous avons passée ensemble. Ce matin, nous avons porté notre conversation sur les problèmes de l'Est et de l'Ouest. Le Président Moubarak a lui-même de multiples contacts £ il va, je crois, les renouveler avec divers pays européens, l'Italie, l'Allemagne, etc ... Il y a aussi le changement d'homme à la tête de l'Union soviétique, avec les dernières décisions du Président Reagan, avec les annonces faites par les deux chefs d'Etat, M. Andropov et M. Reagan, de certaines intentions l'un par-rapport à l'autre.
- Les -rapports de force doivent, à notre sens, être des -rapports d'équilibre. Nous avons parlé aussi des problèmes de l'armement ou du surarmement, du désarmement, du problème de l'installation du déploiement de nouvelles armes américaines, en Europe `Pershing 2 et missiles de croisière`, faisant suite au renforcement du potentiel militaire soviétique sur le même continent `missiles SS 20` avec les implications que cela suppose sur l'équilibre mondial.
- Quand l'Egypte et la France se rencontrent, ce n'est pas pour se cantonner dans l'examen de ce qui est spécifiquement leurs affaires mutuelles, c'est aussi pour s'intéresser en tant que pays majeurs à ce qui se passe sur la surface de la planète. C'est ainsi que nos ministres ont parlé de la Namibie par exemple, chaque fois que la paix dans le monde risque d'être troublée, ou bien quand elle l'est déjà, cela nous regarde. Cela regarde l'Egypte et cela regarde la France. Nous ne sommes pas des puissances régionales, nous avons notre mot à dire. Je crois pouvoir dire ce qui fait le grand intérêt politique de ces rencontres, et leur manque d'intérêt journalistique, c'est que nous sommes généralement d'accord. Comme quoi il peut y avoir dans le moment des politiques heureuses et des journalistes qui le sont moins. Il n'y a, en fait, pas de points d'accrochage, ce qui ne donne pas de relief aux choses. Nous essaierons d'ici demain soir d'en trouver, pour mettre un peu d'animation.\
`Suite réponse sur le bilan des rencontres franco - égyptiennes` Mais l'Egypte offre aux Français assez de spectacle par sa -nature et par son art, par son développement et par le travail de ses dirigeants, pour occuper, croyez-moi, notre visite.
- De même, sur-le-plan des relations bilatérales. Si l'on excepte une queue de règlements, d'ailleurs favorables, des événements qui se sont déroulés il y a bien longtemps, je veux dire par là depuis 1956, il n'y a pas de contentieux. Il y a seulement une volonté d'approfondir certains domaines. Je pense à l'élément culturel, où la France a déjà de fortes positions en Egypte £ mais on pourrait les améliorer surtout sur-le-plan de l'enseignement. Quant à la coopération économique et militaire, elle va bien. Je dois même dire qu'elle a pris des proportions considérables, soit dans l'économie égyptienne, soit dans l'économie française.
- Cela a occupé une partie de notre matinée, et surtout la conversation élargie qu'ont tenue les deux chefs d'Etat en compagnie de leurs collaborateurs et des membres du gouvernement. Bien entendu, les conversations de ce genre sont aussi émaillées de réflexions personnelles, vous le supposez bien, des opinions qu'on exprime sur les faits, sur les hommes, et c'est justement ce dont je ne parlerai pas.\
QUESTION (RMC Proche-Orient).- Ma question s'adresse aussi bien à M. le Président Mitterrand qu'au président Hosni Moubarak. Il ressort de vos déclarations respectives que la solution du problème libanais est en quelque sorte un préalable pour l'ensemble de la question du Proche-Orient £ que peuvent aujourd'hui la France et l'Egypte sur-un-plan pratique pour faire avancer les opérations de retrait aussi bien des Israéliens que des Syriens et Palestiniens. Et êtes-vous pour une force multinationale très fournie en hommes et en matériels qui stationnerait au Liban et est-ce que la France est disposée à augmenter sa participation dans cette force ?
- LE PRESIDENT.- Comme vous le savez, la France a toujours été un partenaire présent dans la mesure, bien entendu, où les gouvernements réguliers de ces pays faisaient appel à elle. C'est ainsi que nous avons participé lors du règlement de l'affaire du Sinai.
- QUESTION.- (Inaudible).
- LE PRESIDENT.- Au sujet de l'affaire du Liban, j'ai, au nom de la France, rappelé que le peuple libanais avait le droit d'exercer sa souveraineté, de retrouver son unité et son indépendance, ce qui supposait le départ des armées étrangères. J'ai dit cela le 9 juin dernier lors d'une conférence de presse à Paris, peu après le déclenchement des hostilités. Nous avons ensuite fait des propositions, le conflit ayant pris l'ampleur que vous savez. Ces propositions ont été exprimées en-particulier là où nous sommes et où nous exerçons nos fonctions de membres permanents, c'est-à-dire au Conseil de sécurité des Nations-unies `ONUù`. C'était aussi affirmer les relations étroites qui nous unissent au Liban.\
`Suite réponse sur le conflit du Liban et la force d'interposition` Chaque fois que le gouvernement libanais en exprimait le souhait, la France a été volontaire pour participer, d'abord aux efforts de sécurité pour contenir les effets de la guerre, ensuite pour installer une force d'interposition, enfin pour aller vers la situation souhaitable : celle de l'indépendance et de l'unité retrouvée. La France participe éminement à la force d'interposition, elle a même fourni les premiers contingents présents sur le sol libanais.
- La France en avait exprimé le voeu dès le point de départ aussi, avec le dépôt d'une résolution française devant le Conseil de sécurité `ONU`. Si l'on nous avait écouté davantage, si nous ne nous étions pas vu opposer un veto, on aurait gagné beaucoup de temps, économisé beaucoup de vies humaines et beaucoup de pertes matérielles, puisque c'est finalement ce qui a été fait. Les forces de l'OLP ont pu quitter dignement le Liban, la vie sauve comme nous l'avions souhaitée, et Beyrouth-Ouest n'ayant pas été écrasée sous les bombes comme nous l'avions souhaité aussi. Là, les choses ont été plus graves, et finalement le retrait a été décidé.
- Nous restons disponibles. Faut-il accroître l'élément français de la force multinationale ? Au gouvernement libanais de le dire. J'ai parlé récemment avec M. Gemayel. De quelle façon utiliser l'autre force qu'on appellera internationale, celle de la FINUL ? Nous sommes disponibles. Faut-il que d'autres pays participent à la force multinationale ? Nous serons d'accord si d'autres pays le décident. Accroître notre propre contingent ? Nous accepterons si on nous le demande. Ce qui est sûr, c'est qu'il nous paraît indispensable que ceux qui se combattent soient de plus en plus éloignés l'un de l'autre et que le gouvernement libanais, son armée nationale, puissent peu à peu exercer leur pouvoir dans leur propre pays.
- Les relations entre le gouvernement du Liban, le Président de la République et la France sont de très bonnes relations, et nous veillons toujours à ne pas précéder le mouvement pour laisser à ce gouvernement son entière liberté de décision. Mais nous répétons très solennellement ici que si l'on fait appel à la France dans les conditions que je viens d'indiquer, la France répondra présente.
- QUESTION.- Ma question était : "Le bilan étant devenu pratiquement un préalable pour la solution du problème du Proche-Orient", était aussi destinée à M. Moubarak. Hier, dans son discours, il a évoqué sept points et dans ces sept points, il y a le Liban qui prédomine.
- LE PRESIDENT.- Comment imaginer qu'on pourra résoudre le problème israélo - palestinien si on n'a pas réglé le problème libanais ? Ce n'est donc même pas une question de principe, c'est le sens de la réalité. Chaque armée doit rentrer chez elle, tout le reste serait une vue purement fictive de la réalité.\
QUESTION.- Monsieur le Président, (Georges Bortoli, Antenne 2), vous avez fait allusion tout à l'heure à la nouvelle équipe qui se met en place actuellement en URSS, alors ma question, si vous le permettez sera double :
- 1) Est-ce que l'URSS peut et doit à vos yeux jouer un rôle dans un règlement durable au Proche-Orient ?
- 2) Est-ce que l'installation de cette nouvelle équipe peut donner l'occasion d'une diplomatie franco - soviétique plus active avec éventuellement la reprise des entretiens au sommet entre le Président de la République française et le responsable de la politique soviétique ?
- LE PRESIDENT.- Commençons, si vous le voulez bien, par la deuxième question. Je ne vais pas me transformer en devin, et tenter de percer les intentions non encore exprimées de la nouvelle équipe dirigeante en Union soviétique. Ce qui est vrai, c'est que l'arrivée d'un nouveau responsable suprême implique nécessairement d'autres changements. C'est le cas de toutes successions £ c'est le moment où l'on établit les bilans et où, sur les problèmes difficiles, on cherche à repartir d'un bon pied. Or, l'Union soviétique est mêlée à un certain nombre d'affaires difficiles, complexes ou fâcheuses. Je pense en-particulier, disant cela, à l'Afghanitan. En même temps, bien entendu, on pourrait m'opposer que le système qui a produit M. Andropov était déjà le système qui avait produit M. Brejnev et que tout système prévaut sur les volontés ou la détermination d'un individu.
- Je crois qu'il faut chercher la vérité entre ces deux affirmations. Il ne faut pas attendre de la nouvelle équipe qu'elle contredise les dispositions de l'ancienne, d'autant plus que la nouvelle était déjà mêlée aux dispositions de l'ancienne. Mais l'élément personnel, nouveau, est l'occasion de remettre au-point ce qui, dans la politique existante, s'est heurté à des obstacles infranchissables. C'est aussi l'occasion, sans doute de relancer les chances de la négociation, un peu enlisée à Genève. Oui, je considère comme pouvant être un fait nouveau de politique le fait nouveau du changement de personne, sans en exagérer la portée car il est bien normal que l'Union soviétique, qui a des desseins séculaires, ne les limite pas à la présence de tel homme ou de tel homme à sa tête.
- Est-ce que cela aura des conséquences sur la relation franco - soviétique ? Oui, ni plus ni moins d'une certaine façon car M. Brejnev aurait vécu davantage avec lui aussi comme avec son successeur, les relations franco - soviétiques ne seraient pas restées figées. Elles ne l'ont pas été de notre volonté. Le terme figé est d'ailleurs excessif. Nous avons constamment engagé un débat politique avec l'Union soviétique. Notre ministre des relations extérieures `Claude Cheysson` a à diverses reprises, maintenu un contact actif avec son homologue soviétique. Mais enfin, puisque les choses sont ce qu'elles sont, c'est avec M. Andropov qu'on verra dans les mois qui suivent comment se situent des relations qui doivent continuer d'être actives et vivantes, en raison de la situation historique de la Russie `URSS` et de la France.
- Il y a de ce point de vue une continuité historique qui remonte à plus d'un siècle et à laquelle nous restons fidèles. Du fait soviétique, un certain nombre d'événements se sont produits vous le savez - je reviens encore à l'Afghanistan - qui ont marqué un raidissement de la diplomatie française. C'est exact et c'était légitime. Et puis, nous avons à discuter de bien des choses, l'Union soviétique est intéressée autant que nous au problème de l'Est et de l'Ouest, c'est le moins que l'on puisse dire ! Nous avons à discuter des -rapports de force en Europe. Bref, toute occasion qui sera donnée, en conformité avec nos principes, d'approfondir ce dialogue, sera saisie.\
Quant à la première question, l'Union soviétique doit-elle jouer un rôle dans le Proche-Orient et une paix peut-elle s'installer ? C'était le fond de votre question. Le peut-elle avec la caution de l'Union soviétique, le peut-elle sans au moins son accord explicite ou implicite ? Il me semble que la réponse s'impose. Je reprendrai un thème qui m'est cher, tout conflit régional s'il dure entraîne l'intervention des deux super-puissances. Cela devrait être d'ailleurs un avertissement salutaire pour ceux qui n'ont pas la sagesse de régler au plus vite les problèmes qui les opposent £ le temps complique les choses, au lieu de les arranger £ c'est déjà fait dans le Proche-Orient, les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique ont déjà pris des gages, et il ne serait pas raisonnable d'imaginer en effet une paix durable qui n'aurait pas l'accord de ces puissances. Cela suppose une démarche à la fois ambitieuse et prudente. Je réponds donc positivement M. Bortoli, à votre première question.\
QUESTION (RTL).- Cette question s'adresse aux deux Présidents : la commission d'enquête Khahne a publié hier à Jérusalem une sorte de pré-rapport de premières indications sur les massacres de Sabra et Chatila £ je voudrais savoir, monsieur Mitterrand et monsieur Moubarak, si vous pensez que ceci est une occasion de débloquer la situation dans la -recherche de la paix au Proche-Orient en modifiant peut-être l'attitude des dirigeants israéliens vers le problème palestinien ?
- LE PRESIDENT.- Je ne connais pas les conclusions, les prémices des conclusions, de cette commission. Donc, je ne peux pas les analyser. Il n'empêche que le fait qu'Israël ait créé cette commission d'enquête, que cette commission d'enquête ait interrogé les plus hautes autorités de l'Etat d'Israël, qu'elle ait accepté de poser en termes publics un débat aussi angoissant est une remarquable démonstration des capacités démocratiques d'Israël et d'un certain point de vue permet d'être optimiste, même si les données politiques, comme vient de le dire le président Moubarak n'en sont pas changées. Les réserves de ce peuple d'Israël au regard des débats de conscience, ses réserves de courage démocratique, me font penser que l'opinion de ce pays est parfaitement capable de franchir la distance et les obstacles et que certaines évolutions sont possibles.
- Quant aux conclusions elles-mêmes, je le répète, quant je les connaitrai, je pourrai les commenter. Même si elles n'apportent pas de données absolument déterminantes, je crois qu'il est aujourd'hui démontré que le peuple d'Israël a éprouvé comme une sorte d'horreur devant les événements qui pouvaient impliquer sa responsabilité. Moralement, que cette responsabilité ait été assumée de cette façon, alors qu'en même temps la responsabilité collective du peuple d'Israël n'était pas engagée, est un motif d'espoir, croyez-le, et je tiens à le dire.\