9 juin 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le bilan de l'action gouvernementale (concernant la croissance, la solidarité, les relations extérieures), la situation économique française et internationale, les objectifs du gouvernement (marché intérieur, technologie, justice sociale, épargne, agriculture) ainsi que sur les moyens engagés, Paris, Palais de l'Élysée

Mesdames et messieurs,
- Je vous remercie de votre présence. J'exprimerai ici une volonté, volonté politique, volonté personnelle, volonté nationale. On peut si on veut £ encore, pour agir, faut-il disposer de soutien, de la participation, de la confiance des Français. Cet après-midi, j'ai l'occasion de m'adresser à eux grâce-à vous. Dans les semaines qui suivront, je leur parlerai parfois directement afin de les associer, afin qu'ils prennent part au grand débat qui intéresse la vie, le présent et l'avenir de notre pays.
- Encore, si l'on dispose d'une volonté, faut-il fixer les objectifs et mettre en place les moyens. C'est de cela que je vais vous parler maintenant en guise de préambule, après quoi si voulez bien, je répondrai à vos questions.
- Il y a un an, nous avons engagé une politique nouvelle, une politique de changement mais pas n'importe quel changement. Trois objectifs ont inspiré notre démarche : un objectif de croissance, un objectif de solidarité, un objectif de présence active de la France dans le monde.\
Objectif de croissance : eh oui, la lutte pour la vie contre la léthargie ou la mort de notre économie. Nous avons d'abord voulu rallumer le moteur de notre production. C'est ce qu'on a appelé la relance de la consommation. Nous avons cherché à donner quelques moyens supplémentaires aux catégories les moins favorisées, aux familles. Résultat : un an plus tard, une croissance qui n'est pas extraordinaire, qui est tout de même la plus forte de tout le monde occidental : plus de 2 %, moins de 3 £ j'aurais voulu 3. Nous atteindrons et peut-être dépasserons 3. La plupart des pays qui nous entourent sont au-dessous de 0 ou restent étals, c'est-à-dire qu'ils n'ont aucune dynamique dans leurs données économiques.
- Relançant la croissance, nous avons voulu aussi structurer notre industrie et amorcer un programme d'investissements publics en disposant d'un instrument peu à peu acquis. Il a fallu plusieurs mois pour cela, un secteur public élargi dans l'industrie, dans le crédit `nationalisations`.
- Nous avons commencé à nous attaquer à un certain nombre de problèmes industriels, de grandes industries traditionnelles en péril, sidérurgie, textile. Nous avons voulu mettre en-état les grandes industries qui n'étaient pas en péril, mais avaient besoin de s'organiser pour l'avenir, je pense à l'automobile.
- Nous avons voulu mettre sur pied une industrie pratiquement inexistante : la machine outil et nous avons commencé de jeter nos regards vers les industries nouvelles à haute technologie.
- Enfin, troisième terme de cet objectif de croissance, après la relance de la consommation et la structuration industrielle et les investissements publics, c'est la recherche. Nous avons fixé une priorité à la recherche dès le début, dans les correctifs du budget de 1981, poursuivis en 1982.\
Deuxième objectif, l'objectif de solidarité, de justice sociale. Les deux termes doivent être étroitement imbriqués si l'on veut comprendre la politique sur laquelle nous sommes.
- Solidarité, justice sociale, c'est-à-dire la lutte pour la vie, contre le durcissement des hiérarchies et des privilèges sociaux, contre le déclin de la convivialité dans notre société, contre les injustices qui sapent peu à peu les valeurs sur lesquelles nous voulons fonder notre communauté nationale.
- Nous avons entrepris une vaste redistribution, une nouvelle répartition, orientée vers les personnes âgées, vers le logement, encore une fois vers les familles, vers les bas salaires, nous avons développé une politique pour l'emploi au travers particulièrement des ordonnances, mais aussi avec les "contrats de solidarité", nous avons réalisé des transferts fiscaux et des transferts sociaux, nous avons réalisé à peu près, à quelques 10000 près, les engagements d'emploi dans la fonction publique que nous avions annoncés, nous avons amorcé un meilleur partage du travail et du temps libre.
- Nous avons, on en discutait encore aujourd'hui, défini les nouveaux droits des travailleurs, en même temps que nous entreprenions - c'est nécessaire, c'est logique, cela fait partie d'un tout - tout un programme d'éducation, tout un plan de culture, culture libre à l'initiative de chacun, mais supportée par de nouveaux moyens naguère inexistants.\
Enfin, nous avons voulu bâtir la politique de solidarité et de justice sociale en tenant compte de trois éléments hors desquels nous serions, d'autres ou moi-même, hors d'-état d'agir :
- - accroître la responsabilité des Français et de ceux qu'ils choisissent, d'où la décentralisation, le fait régional,
- - les libertés et les franchises communales, départementales,
- - le fait associatif `économie sociale`.
- Les libertés : nous avons fait disparaître les juridictions et les lois d'exception comme si la République à travers les âges ne s'était pas fournie de tout l'arsenal nécessaire pour prévoir toutes les hypothèses qui peuvent attenter à la sécurité d'une société, tout ce qui est exception dans ce domaine, c'est toujours quelque chose de trop, on ne défend plus les libertés, on défend les privilèges, sans jamais oublier l'autre terme qui s'appelle la sécurité.
- Nous avons, dès le budget corrigé de 1981 et dans le budget 1982, recruté 7000 emplois dans les forces publiques et particulièrement les gardiens de la paix et 2000 gendarmes. Cela sera complété dans le budget 1983, pensant que la meilleure sécurité c'était là où se trouvaient des gens pacifiques par définition, mais chargés de veiller à la sécurité des personnes et des biens. Aucun effort n'avait été accompli, aussi considérable, depuis de longues années.\
J'ai donc dit un objectif de croissance, un objectif de solidarité et de justice sociale. Le troisième est celui d'une présence plus active de la France dans le monde.
- D'abord, en veillant à notre sécurité nationale, la sécurité de la France. Et, pour cela, les termes sont aisés à définir, nous avons resserré l'Alliance, l'Alliance sur laquelle est fondée une large part de notre sécurité et, en tout cas, de l'équilibre du monde.
- Nous avons renforcé nos armes £ nous nous sommes dotés d'une stratégie de dissuasion ou de défense par nous-mêmes £ je dis défense parce que c'est une arme défensive et seulement défensive.
- J'ai donné des instructions pour que nous adoptions un certain nombre de procédés qui nous permettent de supporter la comparaison avec qui que ce soit, dès lors qu'il s'agirait de défendre le territoire national et notre indépendance : un 7ème sous-marin nucléaire £ nous nous sommes mis en situation d'exécuter, dès qu'une décision serait prise, la bombe à neutrons £ nous ne supportons pas, sur le continent européen, de pouvoir être un jour exposés à une disproportion tragique des armes, des armes conventionnelles certes, mais aussi du poids des armes stratégiques.
- Mais, ce faisant, resserrant l'Alliance, renforçant nos armes qui sont les deux piliers de notre sécurité, nous sommes restés disponibles, sans jamaios oublier l'histoire et la géographie - celles de la France, celles de l'Europe - sans tenir compte des divisions, parfois artificielles, qui séparent cette Europe, sans fier notre analyse uniquement au hasard des découpages qui suivent ou ont suivi les guerres mondiales. C'est pourquoi nous avons refusé toute forme d'embargo ou de blocus à l'égard de l'Union soviétique, quelque opinion que nous ayons et quelques reproches que nous puissions exprimer à l'égard de la politique de ce pays. Nous avons signé un contrat important sur des fournitures énergétiques de gaz £ nous avons maintenu le vol spatial de nos aéronautes. Bref, nous nous sommes associés à tout ce qui paraît nécessaire à l'équilibre des forces.
- Nous n'avons voulu rien ajouter qui put apparaître comme une sorte de situation offensive ou agressive, inutilement agressive : l'équilibre des forces, ça joue dans les deux sens £ notre sécurité d'abord, mais aussi notre rayonnement £ nous en parlerons j'imagine tout à l'heure £ vous me poserez peut-être quelques questions sur la politique étrangère.\
En tout cas, nous nous sommes préoccupés de la projection de la France, particulièrement en Afrique, dans l'ensemble du tiers monde : l'appel que j'ai adressé à Mexico, celui que j'ai réitéré à Cancun, les dispositions prises pour l'Amérique centrale, de conserve avec le Mexique.
- Une politique dans notre environnement direct politique, au-sein de l'Europe, eh oui, au-sein de l'Europe où, d'une part, nous avons créé toutes les circonstances d'une ouverture vers un espace social dit européen, vers la politique agricole, vers la politique tout court et, pourquoi pas, vers un certain nombre de conceptions qui marquent que l'Europe occidentale veut assurer les conditions de son indépendance.
- Ouverture, oui, d'un côté, mais de l'autre, cran d'arrêt ! Cran d'arrêt aux ambitions, aux dispositions de l'un ou de l'autre des pays de la Communauté, obéissant strictement à l'égoisme national et oubliant qu'un contrat comporte nécessairement des obligations £ ces obligations, issues notamment du Traité de Rome, la France y souscrit, continue d'y souscrire. Il faudrait vraiment qu'il y eut beaucoup de manquements de part et d'autre pour que la France, à son tour, juge nécessaire de s'en délier. Telle n'est pas notre volonté. Nous voulons réussir l'Europe.\
Voilà pour les objectifs :
- - objectif de croissance,
- - objectif de solidarité et de justice sociale,
- - objectif de présence plus active de la France dans le monde.
- Si je ne m'attarde pas davantage sur cette troisième partie de mon exposé liminaire, c'est parce que j'imagine que les situations présentes, la guerre des Malouines, la guerre de l'Irak et de l'Iran, les événements qui se déroulent tragiquement au Liban, l'évolution de la situation au Tchad - je n'énumère pas ... - vous permettront de compléter. La conférence de presse, c'est vous et moi, cela n'a de sens que si nous sommes ensemble, autrement je pourrais parfaitement me livrer à un monologue, qui serait d'ailleurs beaucoup moins intéressant que le dialogue que l'on ouvrira tout à l'heure grâce-à vous. Je dis que ces objectifs ont été poursuivis avec continuité et fermeté par le gouvernement et par le Premier ministre `Pierre MAUROY`, qui a toujours détenu et qui détient ma confiance et qui a agi conformément à mes directives. Croissance, solidarité, présense de la France...\
Et puis, nous avons rencontré des obstacles, de trois sortes. Les deux principaux, les voici £ je n'éluderai pas le troisième :
- le premier d'entre eux, c'est que la crise mondiale s'est aggravée. J'entends déjà certains me dire : "mais alors, vous reconnaissez qu'il y a une crise mondiale ?" Mais, ai-je jamais dit le contraire ? J'ai toujours contesté la façon dont, en France, on y répondait.
- D'autre part, il est aisé d'invoquer toujours les contraintes extérieures. Moi, j'ai toujours pensé, et je continue de penser, que si nous avions, en effet, à desserrer les contraintes extérieures, il fallait aussi, et peut-être d'abord, dénouer les contraintes intérieures, c'est-à-dire disposer d'une solidarité nationale, d'un élan pour l'effort qui entraîne tous les Français, et pas simplement une sorte de partage : d'un coté, les privilèges, de l'autre côté, les sacrifices.
- Eh bien, la crise mondiale s'est aggravée au lieu de s'apaiser : taux d'intérêt excessifs, taux de change exagérément variables, faiblesse de l'Alliance, insécurité général, manque de grands thèmes, de grands desseins, absence d'une vision de l'histoire commune aux pays cependant garants de la paix du monde et de son progrès.\
D'autre part, deuxième cause, le délabrement, plus grave que nous ne l'imaginions, de l'économie que j'ai reçue en charge à partir du 21 mai 1981 : délabrement monétaire. Pendant sept ans, on a perdu une moyenne de 5 % par-rapport au mark, chaque année.
- Délabrement des prix. Régime de croisière d'un peu plus de 14 % en 1981, jusqu'au mois de mai.
- Délabrement de l'emploi. Une lancée à 1700000 `chômeurs`, dont déjà les institutions spécialisées disaient qu'elle s'inscrivait dans une perspective de 2500000 dans les deux années qui suivraient.
- Délabrement de l'épargne.
- Délabrement du commerce extérieur. 60 milliards de déficit.
- Délabrement de l'appareil industriel, abandonné à son vieillissement.
- Délabrement agricole : disparition des entreprises.
- Délabrement de l'investissement. De 1976 à 1981, en cinq ans, l'investissement privé ne s'est accru que de 1 %, l'investissement public de 51 % £ ce n'est pas grand chose non plus, mais c'était mieux quand même.
- Délabrement du marché intérieur. Déjà, en 1974, 24 % de notre marché intérieur étaient à la merci de la production étrangère. En 1981, 35 %. Voilà la courbe.\
Je ne ferai pas d'accusations. J'imagine quelles ont été les difficultés de ceux qui nous ont précédés. Je dis simplement que, si l'on veut faire une analyse stricte et honnête, il y a une crise mondiale plus grave, un délabrement plus sérieux, à quoi s'est ajouté le temps - c'est la troisième cause, celle qui nous vise nous-mêmes - qu'il a fallu pour coordonner, pour saisir les objectifs, pour les harmoniser, pour aller au plus pressé sans perdre de vue l'essentiel, c'est-à-dire pour planifier dans notre propre esprit et dans notre action.
- Selon qu'on se trouve du côté de l'opposition ou du côté de la majorité, on accentuera tel ou tel de ces aspects, mais j'observe qu'on a surtout dans la critique, porté l'accent sur la gestion gouvernementale, dont je dis qu'elle a été positive, que j'ai non seulement approuvée, mais voulue, et dont j'assume l'essentiel de la responsabilité.\
Alors, ayant rappelé les trois objectifs qui ont inspiré la politique de cette année, ayant fait le compte des obstacles rencontrés, je déclare très simplement que nous entrons dans la deuxième phase de notre action.
- J'ai décrit la première, je vais m'efforcer de décrire la deuxième, et j'élimine à l'avance le débat qui occupe tant de vos colonnes : nous suivons la même politique, nous gardons les mêmes objectifs, nous en sommes à la deuxième phase d'une action... Après tout, pour ceux qui font le Tour de France, lorsqu'ils font la première étape, c'est généralement avant la deuxième, et lorsqu'ils font la deuxième étape, ils continuent de tendre vers le but initial, c'est-à-dire celui de la victoire ! Ils vont tous dans la même direction, ensemble, même si cette direction suppose, d'ne étape à l'autre, un changement de profil des étapes. Là, c'est la plaine... là, c'est la montagne, mais cela n'empêche pas qu'ils soient tendus vers le même but.\
C'est la deuxième phase de notre action, et cette phase suppose, selon moi, cinq conditions principales :
- La première consiste à accélérer la reconquête du marché intérieur dont je parlais tout à l'heure et donc, à-tout-prix, à restructurer notre industrie, pas n'importe laquelle, pas n'importe comment, mais à disposer de ce fer de lance qui nous permettra d'aller vers la croissance avec sécurité.
- La consommation toute seule, c'est insuffisant. Cela peut être dangereux. Les facteurs inflationnistes jouent sans contrepoids. L'investissement complète une politique.
- J'ai dit tout à l'heure que nous l'avions engagée dès le point de départ, mais nous n'avions pas tous les moyens pour déployer notre action. Avec les moyens que le Parlement nous a permis d'avoir au-cours de cette année, nous sommes en-état d'assumer pleinement nos responsabilités, d'être responsables de notre politique, sans nous retourner vers quiconque pour dire : "C'est votre faute", mais en disant : voilà, nous sommes face au peuple français, nous avons à saisir la crise mondiale, nous avons a penser, à corriger, nous avons à accélérer l'allure, nous en sommes responsables désormais. Restructurer notre industrie, soutenir la production agricole, organiser les marchés, garantir les prix, réformer les circuits de distribution, économiser l'énergie.
- C'est pour cela que nous avons poursuivi - parce que nous sommes restés dans une voie moyenne, raisonnable - la production d'énergie nucléaire, avec une volonté d'accentuer les autres formes d'économies. Je pense à cet immense champ de l'isolation des logements, à cette extension qui pourrait être considérable des réseaux de chaleur. Bref, utiliser ce dont on dispose et qui apportera des économies plus considérables que nul ne l'imagine ici, en 5 ans.
- Donc, j'ai dit d'abord - c'est la première condition - accélérer la reconquête du marché intérieur et, c'est complémentaire, accroître la compétitivité sur le marché extérieur £ j'y reviendrai dans un moment.\
La deuxième condition consiste à assurer notre avenir technologique. Le rôle accru du secteur public le permettra, mais en même temps, par effet d'entrainement, des centaines de petites et moyennes entreprises à haute technologie, à grande capacité, seront aidées, encouragées, je le répète, entrainées dans le mouvement dont nous prenons l'initiative. Et comme nous irons naturellement vers la solution de nos choix, je pense que l'accent sera mis surtout sur les filières électroniques.
- La troisième condition sera la poursuite de la justice sociale, transferts fiscaux, transferts sociaux.
- La quatrième condition : reconstituer l'épargne, et la cinquième : équilibrer le territoire, d'où toute une série de problèmes posés pour notre agriculture et ceux que pose constamment notre environnement.\
Le point suivant de cet exposé préliminaire est tout simplement l'examen des moyens. C'est là que vous trouverez, - par-rapport à vos questions, à vos commentaires, aux débats qui s'ensuivront - autre chose que des intentions affirmées, que l'esquisse ou le dessin d'une politique, chose nécessaire sans doute, mais qui ne serait pas suffisante.
- La responsabilité politique, ce n'est pas simplement la capacité de présenter un beau programme £ encore faut-il en avoir, ce qui n'est pas donné à tout le monde.
- Alors, quels moyens ? Priorité à l'investissement et à l'innovation, ai-je dit. Il faut que nous mobilisions nos facultés industrielles. D'autres que moi ont parlé promotion de l'industrie, avant la guerre, la deuxième guerre mondiale, mais beaucoup plus dans les années 65 à 70 et même un peu au-delà.
- Placer la France dans la compétition £ aujourd'hui, il faut faire quelque chose de plus, c'est-à-dire choisir les secteurs où cette industrie est franchement compétitive, plus encore, où la France peut s'assurer la primauté sur le marché.
- C'est possible. C'est tellement possible qu'on s'y met et qu'on a la certitude de réussir. Dès maintenant, dans les études budgétaires en-cours, j'ai demandé au Premier ministre `Pierre MAUROY` de prévoir l'engagement d'un certain nombre de milliards pour l'industrie, au travers du secteur public industriel, existant avant 82 ou récent (5 grands groupes industriels). Je vais vous donner une petite statistique sur l'évolution des investissements des entreprises nationales (il y en a davantage aujourd'hui, cela pourrait expliquer la différence pour une part). Alors que l'investissement privé n'était pas en progrès, les entreprises nationales ont investi :
- en 1979 : 10 milliards,
- en 1980 : 11,7 milliards,
- en 1981 : grâce-aux correctifs intercalaires, 12,8 milliards,
- en 1982 : 16,3 milliards,
- en 1983 : je veux que nous allions vers les 25 milliards, parce qu'il y a priorité.\
Mais l'investissement doit se porter aussi sur le logement. Il doit se porter sur les grands travaux. Il faut créer un Fonds de grands travaux obéissant à des règles particulières et servant, dans le plus bref délai - pour la ville comme pour l'ensemble des réseaux de campagne, au niveau des capacités de toutes nos régions - de support au développement du bâtiment, des communications, forme de relance peu porteuse d'inflation, parce qu'elle est généralement économe d'importations.
- Je ne serais pas complet si je ne citais pas les grands efforts sur l'éducation et sur la formation professionnelle en période d'innovation : à industries nouvelles, qualifications nouvelles des hommes. Il faut donc créer les conditions des qualifications professionnelles qui nous permettront de saisir notre société en l'-état pour la transformer en profondeur.
- Et encore une fois, la recherche restera dans le budget prochain le secteur privilégié dans la répartition stricte des crédits.\
Bref, il nous faut compléter les conditions de la croissance telles qu'elles ont été engagées l'année dernière. Les moyens en sont la priorité à l'investissement et à l'innovation et, secundo, la maîtrise du déficit du budget de l'Etat. Ce déficit est d'environ 3 % et il ne faut pas qu'il dépasse ce pourcentage, appliqué au produit intérieur brut `PIB`. Certes, on peut se prévaloir de ce que ce déficit est sans doute le plus faible à l'heure actuelle parmi les grands pays industrialisés. La question se pose, d'après les derniers chiffres, au regard de la Grande-Bretagne. Mais il est inférieur au déficit allemand, au déficit américain, au déficit japonais, au déficit italien. Nous disposons d'un bon instrument mais faisons attention aux tendances : si nous tendons vers le haut, d'autres tendent vers la diminution de ce déficit £ il ne faut pas se rencontrer au mauvais endroit. Par ailleurs, il est d'autres critères ou d'autres paramètres économiques qui font que l'élément du déficit budgétaire n'est pas suffisant pour juger £ et ces paramètres ne sont pas toujours à notre avantage.
- Il faut donc être strict et j'attends du gouvernement qu'il respecte, - je n'ai pas lieu d'en douter sachant les dispositions déjà prises et, d'autre part, l'engagement du gouvernement tout entier - ce plafond de 3 %, pas davantage, en tenant compte des progrès réalisés grâce-à la croissance qui nous donnent une certaine marge d'action.\
Il faut un budget maîtrisé pour la Sécurité sociale, aussi. C'est là un des grands dossiers pour les mois, que dis-je pour les semaines qui viennent £ il est des économies à réaliser. Songez que le budget social est plus lourd que le budget l'Etat. Si le budget de l'Etat, en 1982, avoisine les 800 milliards (789 ou 790), le budget social dépasse 800 milliards. Ceci pose des problèmes de responsabilité : ceux qui assurent la dépense doivent aussi, pour une part, assurer la recette et s'il doit exister une solidarité entre toutes les parties prenantes, il faut que chacun soit responsable.
- Et l'on ne me fera pas croire qu'il n'est pas possible après avoir remis vraiment la Sécurité sur ses rails, après avoir déjà taillé dans les ordonnances de 1967, de trouver des économies de l'ordre de 6, 7, 8 milliards par-rapport à 800 milliards, qui permettront d'atteindre la fin de 1982 sans aucun déficit de la Sécurité sociale, la note restant sous nos yeux plus lourde encore pour 1983, avec hors Sécurité sociale, un dossier particulier dont vous connaissez la lourdeur, celui de l'UNEDIC, dû à l'accroissement du chômage, à la déperdition de richesses pour le pays, que représentent 2 millions de chômeurs.
- Et à cet égard il faut que l'on sache que j'entends que les parties prenantes, organisations patronales et syndicales, participent par leurs cotisations au redressement de l'UNEDIC, j'entends que la solidarité joue, là comme ailleurs et que ceux qui détiennent la garantie de l'emploi `fonctionnaires` participent à l'équilibre des charges pour ceux qui n'en ont pas.\
Priorité à l'investissement et à l'innovation, dans un premier temps, maîtriser le budget de l'Etat et le budget social, deuxième condition, la troisième c'est qu'il s'agit de défendre l'emploi, pas seulement à reculons, mais de façon offensive.
- Il est une règle, mesdames et messieurs, qui mettra du côté l'éternel débat : faut-il donner priorité à l'inflation dans la lutte contre l'inflation, ou à la liberté, ou priorité à la lutte contre le chômage ? Ce sont des termes qui manquent de sens £ rien n'est plus inflationniste qu'un chômeur et si, pour réduire le chômage, il faut maîtriser l'inflation, cela veut dire que ces termes sont inséparables et on ne peut guérir l'un de ces maux sans prétendre guérir l'autre, voyager comme c'est encore notre cas vers une limitation de la courbe d'accroissement du chômage, avec un nombre plus réduit, même s'il est important, de chômeurs, si le chômage tend à stationner dans son évolution, pas encore à diminuer £ que se passe-t-il dans les pays dont on me vante la réussite, où chaque point d'inflation est payé par des centaines de milliers de chômeurs nouveaux, c'est le cas aux Etats-Unis d'Amérique, c'est le cas en Allemagne `RFA` ?
- Eh bien il faut une nouvelle dimension. A inflation et chômage, je réponds : non pas l'un contre l'autre, l'un avec l'autre, je dis on ne répondra à l'un et à l'autre que par notre capacité créatrice. Nous devrons être capables de créer des richesses nouvelles et donc de produire, et ce gouvernement s'est doté des moyens d'investir, ce dont ne disposait pas ses prédécesseurs qui s'adressaient à l'investissement privé qui ne répondait pas plus qu'il ne répond dans les pays voisins, mais l'investissement public, je le répète, parce que c'est nécessaire, aura valeur d'entraînement.
- Alors, défendre l'emploi, les jeunes d'abord, les adultes aussi, de 18 ans, puisque comme vous savez une ordonnance fixe entre 16 et 18 ans la formation professionnelle, une réforme de l'Agence nationale pour l'emploi `ANPE`, un redéploiement des indemnités de chômage, et peut-être encore une meilleure approche du problème posé par le travail à temps partiel.\
Quatrième point, quant aux moyens que nous allons nous donner, que nous avons commencé de nous donner à nous-mêmes, on ira vers la reconstitution de l'épargne £ pour cela naturellement il faut avoir la volonté, le goût d'épargner, ensuite il faut le pouvoir, et nous voulons développer, chaque fois que cela sera possible, et ce sera possible, le capital à risque.
- Il faut que tous ceux qui épargneront sachent que cette épargne leur profitera en même temps qu'elle profitera au pays tout entier, il faut multiplier - en changeant les formules adoptées jusqu'ici, en les rendant plus justes, en cherchant le moyen terme, mais en même temps ne cherchant pas simplement à faire profiter les législations fiscales priviliégiés les plus riches - des "comptes épargne-investissement" pour les entreprises et pour les individus, les ménages, qui correspondront à des exonérations fiscales.\
Cinquième point, nous poursuivrons hardiment notre politique de justice sociale, nous nouerons les nouvelles solidarités. Par une politique fiscale ? Oui. Il n'y aura pas une charge plus lourde sur le-plan fiscal, car dans l'année qui vient, ni pour le budget prochain, on a déjà plusieurs fois rappelé que le prélèvement obligatoire (Etat plus prélèvement social) représentait un tout petit peu plus que 43 % du produit intérieur brut `PIB` £ c'était 42 1/2 en mai 1981. Nous avons donc légèrement débordé. On avait précédemment débordé de 36 % à 42 % en six ans. Nous avons donc considérablement redressé la tendance £ elle sera plus encore redressée en 1983. Il n'y aura pas de nouvelles charges fiscales £ il y aura une nouvelle répartition plus juste afin que ceux qui font des sacrifices depuis cent cinquante ans, c'est-à-dire depuis le début de la société industrielle, ne soient pas encore chargés de porter à eux seuls tout le poids de la nation.
- Ceux qui pourront le plus feront le plus et ceux qui pourront le moins s'associeront, j'en suis sûr, dès lors qu'ils sauront qu'ils sont appelés à donner à la France les moyens qui permettront à tous et à chacun de vivre mieux.
- Les transferts sociaux, avec des priorités : les personnes âgées, les familles, les femmes seules, le SMIC : quoiqu'il advienne de nos finances publiques, ces catégories verront s'améliorer en toute circonstance leur pouvoir d'achat, et je souhaite - je pense que M. le Premier ministre `Pierre MAUROY` sera en mesure de le proposer et de l'entreprendre, - qu'ait lieu dans un délai raisonnable la rencontre des partenaires sociaux, qu'ils soient tout réunis autour d'une même table, pour examiner en commun ce qui convient à leur pays, ce qui convient à la production, ce qui convient aux intérêts légitimes de chaque groupe social. L'Etat sera là et dira son mot.\
Equilibrer le territoire, je l'ai dit tout à l'heure, cela s'applique spécialement à la politique agricole.
- Vous savez de quelle façon nous avons négocié au-sein de la Communauté économique européenne `CEE` £ de quelle façon nous avons obtenu, sur-le-plan de la production viticole, les distillations nécessaires £ de quelle façon nous avons garanti les producteurs de lait £ la production animale, en dehors du mouton, est à l'heure actuelle positive. Ce sera peut-être la première année, depuis huit ans, où le pouvoir d'achat des agriculteurs dans leur moyenne n'aura pas baissé, alors que la chute était, si j'ose dire, libre depuis huit ans £ c'est en tout cas ce à quoi nous tendons : faire que les agriculteurs soient en mesure de rester là où ils le peuvent, c'est-à-dire là où il y a des jeunes sur la terre, qu'ils puissent exploiter sans être écrasés par les dettes £ qu'ils puissent s'installer et prospérer, trouver les relais, tandis que l'ensemble des producteurs se verra, grâce-aux offices par produit, en-état d'organiser les marchés tout en respectant le droit des interprofessions, surtout là où elles ont réussi.\
Le cinquième point de cet exposé - mais je passerai très vite car je suppose que vous en userez autant que vous le voudrez - c'est ce que j'appelais tout à l'heure une présence plus active de la France dans le monde, la politique étrangère de la France que je résume en termes simples, négatifs l'un et l'autre, le positif viendra après : ni alignement, sur personne, ni isolement. Ni alignement, ni isolement. Cela se traduit en termes positifs par indépendance et solidarité. L'indépendance nationale. On pourrait énumérer l'ensemble des problèmes difficiles que nous avons à traiter. Je vous en laisserai le soin, mais nul ne pourra penser que je n'ai pas dans l'esprit le problème des Malouine, celui du Liban, celui de l'Irak - Iran, celui de la construction communautaire en Europe, celui du tiers monde et particulièrement de l'Afrique, si chère à la France, le problème du Tchad en particulier, ou bien au lendemain d'un sommet, à la veille d'un autre, Versailles et Bonn, quelle est la place de la France.
- Cette place, je vous en parlerai, mesdames et messieurs. Je sais qu'elle vous intéresse, vous passionne même. Mais j'ai déjà trop parlé. Il me fallait bien tracer les grandes lignes. A vous de me les faire préciser.
- Merci. Voulez-vous que nous commencions tout de suite ?\
QUESTION.- (Journal La Croix). Les moyens utilisés jusqu'ici pour contenir l'inflation ont montré leurs limites, monsieur le Président, en encadrement des prix, système DELORS pour les salaires. Une action plus radicale vous apparait-elle nécessaire très vite ?
- LE PRESIDENT.- L'action radicale ne peut être -entreprise que si les autres méthodes ont échoué. Ces méthodes sont et seront tentées. Ce n'est pas pour rien que j'ai exprimé le souhait de voir qu'un consentement général, après discussion et discussion sérieuse, puisse se dégager dans l'intérêt du pays. Mais il est vrai que nous avons respecté la liberté de formation des prix, que nous avons respecté les libertés essentielles dans la distribution.
- Nous ne sommes pas pleins de repentir, mais nous pensons que l'intérêt général commande que les intéressés d'abord se concertent, que l'Etat organise la concertation au niveau général, ensuite on tire les conclusions. Elles seront tirées s'il le faut.\
QUESTION.- Monsieur le Président, à Versailles, la France par votre voix et celle de vos ministres, s'est faite le champion de la stabilité des changes, en tous cas d'une meilleure stabilité des changes. Doit-on en conclure que la participation du franc au système monétaire européen `SME` doit être considérée comme acquise pour les mois, sinon les années qui viennent ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur FABRA, vous me placez dans la situation que je ne désire pas d'avoir à faire le prophète, et vous ranimez une discussion récente dont je vous ai d'ailleurs parlé à deux reprises, d'abord lors d'une discussion avec une quinzaine de journalistes particulièrement experts en la matière et ensuite lors d'une petite conférence de presse à Versailles.
- Si nous plaidons pour que se crée un système monétaire international `SMI`, parant aux fluctuations excessives des changes, si nous cherchons des références communes, si nous refusons d'être soumis au diktat d'une seule monnaie et de voir tous les échanges obérés parce que les taux de change du dollar suivent des impulsions parfois incompréhensibles, ou trop compréhensibles, ce n'est pas pour commencer par casser ce qui existe.
- Or, si je préconise un accord entre les monnaies, le dollar, l'écu européen, donc le système monétaire européen, et le yen, ce n'est pas pour détruire l'un des trois piliers de la construction désirée.
- J'ai répondu l'autre jour, le système monétaire européen, c'est une pratique, cela doit être une bonne pratique. La volonté politique du gouvernement et du Président de la République, c'est d'améliorer encore, donc d'y rester, de parfaire l'oeuvre -entreprise, et lorsqu'on me pose la question : voulez-vous en sortir ? Alors là je dis : mais on en est déjà sorti plusieurs fois mais ce n'était pas avec nous, ce qui ôte un peu d'aigu à la question posée par ceux qui, ayant quitté le serpent, s'inquiètent de nos intentions.
- Ce que je veux vous dire, c'est que la stabilité exige un système. Rien n'est parfait, Bretton-Woods n'était pas parfait, mais rien n'est pire que la lutte sauvage que se livrent entre eux les grands pays industriels, les pays à forte monnaie. Rien n'est pire que cela. La guerre économique, dans le moment même où l'on réclame de ces mêmes pays la discipline militaire dans leurs budgets et leurs objectifs ? Cela est trop illogique pour que je ne sois pas, moi, partisan de l'entente et de l'harmonie, pour que je ne reste pas fermement attaché au système existant.\
QUESTION.- Monsieur le Président, au lendemain du premier sommet de Rambouillet, le 18 novembre 1975, très exactement, vous écriviez : "On s'effraie que tant de grands prêtes se soient associés pour célébrer le mariage verbal du péremptoire et du dérisoire". N'avez-vous pas les mêmes raisons d'être effrayé par le sommet de Versailles ? `sommet des pays industrialisés`.
- Ensuite, je voudrais vous demander de préciser votre propos de tout à l'heure sur l'attitude de la France vis-à-vis de l'attitude de l'Union soviétique. Est-il cohérent d'avoir suspendu le dialogue politique avec l'Union soviétique, comme c'est le cas depuis un an, et de continuer la coopération économique et financière dans le style du contrat de gaz algérien ?
- Enfin, et j'en aurai fini, ce que vous avez dit sur les économies nécessaires dans le budget de la Sécurité sociale veut-il dire que vous êtes d'accord avec Michel ROCARD quand il dit que la France vit à un taux de garantie sociale au-dessus de ses moyens ?
- LE PRESIDENT.- Le péremptoire et le dérisoire qui caractérisaient le sommet en question, celui d'avant, ma foi je ne me souvenais pas avoir écrit cela... j'ai écrit pas mal de choses. Ce n'était pas mal dit, hein ? ... (rires). Vous le reconnaissez ? Bon ! Au moins on se trouve quelquefois sur un terrain commun. Et je suis très heureux de constater que personne n'a été capable d'en dire autant et si bien sur le sommet dernier, parce qu'on en était incapable, vous particulièrement, mais vous savez bien que ce n'était pas exact, et même la passion politique ne vous pousse pas à dire des choses manifestement fausses.
- Le sommet de Versailles a, comme ses prédécesseurs, une tare : c'est que les pays qui viennent là, et plus particulièrement les plus puissants, au lieu de considérer, par priorité, leur responsabilité dans le monde entier, la nécessaire définition de grands objectifs, de paix, de progrès, viennent trops souvent là pour discuter avec leurs partenaires, de telle sorte que le seul enjeu sera de savoir, à l'intérieur de ce sommet, qui gagne par-rapport à l'autre et non pas pas si les associés au-sein de ce sommet - ils sont sept plus la Communauté européenne `CEE` - seront capables de l'emporter sur les forces de mort, de guerre ou de ruine, ou de famine encore, à l'égard du tiers monde. Voilà ce que je regrette. Il y a une dimension qui manque. J'essaie - je représente la France, ce n'est pas rien - j'essaie d'y parvenir et c'est pourquoi j'ai développé un rapport qui n'était pas du tout un voyage dans l'utopie, qui était simplement la préhension du présent. Je n'ai pas essayé d'inventer des technologies nouvelles que j'ignore, j'ai essayé de tirer le meilleur des technologies existantes, des hautes technologies pour dire : mais vous avez le moyen de saisir le monde à bras le corps, de créer les conditions de la prospérité, de développer l'autosuffisance alimentaire dans la plupart des pays du tiers monde...
- Bref, je ne veux pas faire un discours là-dessus. Ce que je veux dire - c'est le côté un peu décevant - c'est qu'à compter du moment où chacun cherche à acquérir, dans l'intérêt général mais aussi dans son intérêt propre, un juste avantage, c'est ramener à une sorte de petit "round" de boxe - je ne dirai pas française ni même à la savate - mais de boxe avec des règles qu'on ne connaît pas très bien, je veux dire que personne ne connaît parce qu'il n'y a pas de règles précisément.\
`Réponse` On amorce un système monétaire. Les ministres des finances sont chargés, à partir d'aujourd'hui, de discuter ensemble de l'embryon d'un système monétaire international `SMI`. C'est la première fois que l'on en parle depuis 1971, cela fera donc onze ans qu'on attendait. C'est un progrès. Ils sont chargés de veiller au mode d'intervention sur le marché des changes, si nécessaire.
- Mais, il n'empêche que certains passaient le visage par l'entrebaillement de la porte et jetaient à la presse : vous savez... on a consenti... mais ça ne veut rien dire, contraignant, de ce fait, les autres à se placer dans la même situation. Par exemple, il y a un texte dans lequel il est écrit que la France limite - la France et tout le monde - les crédits à l'exportation. Dans la moûture initiale, il était écrit : limitation des crédits publics à l'exportation. Cela ne visait donc que l'Italie et la France... Vous imaginez ce que pèsent les crédis publics de l'Italie et de la France dans le produit intérieur brut de l'Union soviétique ! ... Ce n'est pas cel qui va arrêter l'armement soviétique, qui va briser son énergie... Mais c'était cela, l'énorme boeuf s'était dérangé pour casser cet oeuf là...
- J'ai dit : non, ce sont les crédits à l'exportation pour tout le monde. A ce moment-là, celui-ci s'est levé en disant, mais nous avons une économie libérale, on ne peut pas controler les flux commerciaux... A quel taux sont vos crédits privés ?... 8 %. Moi, la France - crédits publics - je suis à 12 %, alors vous gagnez plus que moi. On va supprimer cela mais pas cela.
- Je m'y suis bien entendu refusé. Crédits à l'exportation ai-je ajouté, et puis l'exportation tout court. Quelle distinction faites-vous entre les prix subventionnés pour les agriculteurs américains, pour un blé vendu en plus grande quantité en 1982 qu'il ne l'était en 1981, mais comptant, par les Etats-unis d'Amérique à l'Union soviétique, par-rapport au taux de crédits publics de la France ou de l'Italie ?
- Voilà pourquoi, lorsqu'on me posa la question : est-ce que vous avez l'intention de limiter les crédits à l'Union soviétique, je réponds : non, c'est déjà fait. Nous étions à 7,6 %, nous sommes passés à près de 12 %. Cela suffit. J'attends que les autres le fassent à notre exemple, avant de passer - comment disais-je tout à l'heure ? - à la deuxième phase, que je prendrai le temps d'examiner. Voilà.\
`Réponse` Il y avait une troisième question de M. CHARPY : Comment pouvez-vous avoir une coopération économique en l'absence de tout dialogue politique ?
- Ce n'est pas si simple que cela. Le dialogue politique avec l'Union soviétique n'a pas cessé. C'est après demain que M. GROMYKO et M. CHEYSSON ne rencontrent à New York. Nous avons constamment des relations avec les autorités soviétiques, c'est le chaud ou le froid. Il est certain que le froid vient plus aisément de ce côté-là. Je dirai presque par-nature... mais enfin, de temps en temps, cela peut être le chaud... Il faut faire attention à ce que ce ne soit pas exagérément brûlant.
- Nous n'avons pas rompu les relations politiques avec l'Union soviétique : je voudrais même bien les améliorer mais pas au-prix d'un certain nombre de principes. Je n'accepte pas, je ne passe pas l'éponge sur l'affaire de l'Afghanistan, pas davantage sur l'affaire de la Pologne. Je ne passe pas l'éponse sur le surarmement soviétique sur le continent européen.
- Alors, voilà, on amorce les discussions. Il faudrait améliorer cette situation, mais je ne suis pas disposé à exagérer les relations politiques, dès lors que ces points restent pendants. Peut-être voudriez-vous qu'on oublie l'Afghanistan, la Pologne, les SS 20 ? C'est votre affaire. Pas moi, en tout cas, pas moi.
- Je considère que la démagogie verbale que l'on emploie ici et là ne doit pas conduire le Président de la République d'une part à cesser d'être disponible, et je le suis, au regard de l'Union soviétique comme des Pays de l'Est - je suis disponible pour une grande politique vers la paix et vers le progrès - et, d'autre part à admettre la complaisance.
- Bon, c'est vrai que - la seule concession que je vous ferai - je ne me suis rendu à aucune négociation, dans aucune capitale d'Europe ou d'ailleurs, cela viendra peut-être un jour £ ce n'est pas engagé, je vous en parlerai le jour venu.
- Vous avez également parlé des contrats. Le contrat de gaz, c'est en francs français £ il était engagé depuis plusieurs années, portant les livraisons totales à 12 milliards de m3 £ les négociateurs mutuels ont demandé davantage. Cela représente 5 % de notre approvisionnement énergétique total - 30 % pour le gaz - dans les prévisions 1990. C'est raisonnable, nous diversifions nos approvisionnements, et je suis finalement satisfait que nous ayons été capables de traiter avec les uns, avec les autres, et de ne dépendre de personne.\
QUESTION.- (Mme Lucie LONGERON, le Peuple, Belgique, et un peu la Presse agricole française) (rires).
- Vous avez parlé de garantir les prix. Envisagez-vous de rétablir un certain contrôle sur les prix alimentaires dont la flamblée inquiète les ménagères ?
- Je précise : en juillet dernier, les pommes de terre nouvelles qui étaient payées 0,50 F le kilo... (mouvements divers)...
- LE PRESIDENT.- C'est très important les pommes de terre...
- QUESTION.- 50 centimes le kilo aux agriculteurs bretons, se retrouvaient sur le marché parisien à 5 F, soit 1000 %. Il semble que cette année, l'écart ne soit pas beaucoup diminué ?
- LE PRESIDENT.- Vous avez raison, madame, cela n'est pas acceptable, cela ne peut pas durer. J'ai dit dans mon exposé préliminaire qu'il fallait s'attaquer aux réseaux de distribution et que, d'autre part, il fallait s'attaquer directement aux prix de spéculation. Voilà ce que je voulais vous dire. Le reste sera mis en place par le gouvernement.\
QUESTION.- Monsieur le Président, ma question concerne les très grands problèmes internationaux que ous n'avez pas cités...
- LE PRESIDENT.- Lesquels ? Dites ?
- QUESTION.- Qu'attend la France de la session spéciale sur les armements de l'ONU, et, en général, quelle est la contribution de la France aux problèmes de désarmement ?
- LE PRESIDENT - Quand je n'attends rien, je ne cesse d'espérer. Je ne cesse pas d'entreprendre, mais j'évite de me mêler directement de cela.
- La France peut jouer un rôle utile. Ses propositions et ses avis seront exprimés par M. le ministre des relations extérieures `Claude CHEYSSON` à la tribune des Nations unies. On parle de désarmement £ il ne s'agit jusqu'alors que de tenter de réduire le surarmement. Sachons de quoi on parle.
- La France est prête à participer à toutes les possibilités de contrôle. Si le désarmement - le désarmement et non pas le surarmement - si le désarmement général était commencé, sans rêver, notamment par les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique, jusqu'à un niveau suffisant pour que je réexamine la position de la France, nous en reparlerions.
- Dans l'-état présent des choses, il n'est pas concevable que la France renonce à la force dont elle dispose et donc, elle ne participera pas aux négociations de ce genre, elle n'acceptera pas d'être incluse comme le veulent les deux superpuissances pour des raisons faciles à comprendre, l'Union soviétique parce qu'il n'y aurait pas d'autre force nucléaire sur le continent que la sienne, et les Etats-Unis parce qu'ils ne seraient pas fâchés de nous voir réintégrer le commandement intégré de l'OTAN, ce dont il n'est pas question.
- Donc, je le répète notre contribution au désarmement ne pourrait intervenir qu'à compter du moment où la superpuissance aurait renoncé à demeurer elle-même... Deux pays qui peuvent se détruire 7 ou 8 fois l'un l'autre, cela fait au moins 6 ou 7 de trop, pour peu que ce ne soit pas complètement de trop. La France a le moyen, juste le moyen, mais elle l'a pleinement et cela dépend de ma décision, de peser sur l'équilibre des forces, de façon défensive pour assurer la défense de nottre territoire. Tout ce qui peut être considéré comme défense de ce territoire je tiens à le préserver. C'est la condition même de notre indépendance nationale.\
QUESTION.- (Noel COPIN). Je voudrais revenir aux questions économiques et sociales françaises : vous nous avez dit tout à l'heure que vous souhaitiez une rencontre entre les partenaires sociaux en présence du gouvernement. Pouvez-vous nous préciser à quelle date, à quel moment, devrait avoir lieu une telle rencontre et quel serait, si ce n'est son ordre du jour, son objectif ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas grand'chose à dire de plus. Les objectifs se devinent : parvenir à maîtriser d'un commun accord des grands équilibres, et d'autre part créer une bonne occasion pour chacun de rapprocher les thèses de chacun. Mais je ne vais pas plus loin dans l'expression d'un souhait : c'est le gouvernement qui en a la charge et je veille à ne pas mêler la responsabilité propre du gouvernement, reconnue par la Constitution en tant que telle, à la responsabilité du Président de la République.
- J'ai indiqué cette directive à M. le Premier ministre `Pierre MAUROY` qui est naturellement d'accord. Nous avons réfléchi ensemble sur ce sujet : c'est donc un accord délibéré, comme nous faisons toujours et en aucun cas un accord imposé. D'autre part, si les délais sont imaginables, elle se situerait bien en juillet et ce serait encore bien en septembre £ au-delà, cela risquerait de survenir un peu trop tard pour notre deuxième phase. Mais, en tout -état de cause, les partenaires sociaux restent maîtres de leur décision et cette décision n'entamera pas la résolution du gouvernement.\
LE PRESIDENT.- Monsieur, qui demandez depuis longtemps la parole ?
- QUESTION.- Monsieur le Président, je crois que vous deviez examiner ce matin en conseil des ministres, un problème assez délicat qui est celui de la sidérurgie. C'est un type de problème qui soulève d'une part celui du poids social de la mutation industrielle en France et, d'autre part, celui des limites financières, notamment budgétaires. Compte tenu de ces deux éléments, de ces deux contraintes, je voudrais que vous précisiez quelles peuvent être les ambitions de votre stratégie industrielle ?
- LE PRESIDENT.- Les limites sont budgétaires £ elles sont aussi européennes, et il y a enfin les limites de la concurrence internationale. C'est un outil vieilli, inadapté qu'on a laissé pourrir sur place. Songez que les gouvernements précédents ont dépensé en vain 7 milliards de dons et 6 milliards de prêts, 13 milliards pour rien. Cela doit nous inciter maintenant, tenant compte des réalités, à sauver ce qui peut l'être, c'est-à-dire donner tous les moyens aux usines nouvelles ou bien ouvrir la possibilité d'améliorer ce qui existe, mais dans-le-cadre d'un plan strict. La sédérurgie connaît une crise européenne, je n'ai pas dit mondiale £ il faut être capable de choisir des objectifs, je pense aux aciers spéciaux. Il faut être dans la compétition.
- Vous interrogerez M. le ministre de l'industrie `Pierre DREYFUS` qui a fait un excellent rapport sur ce sujet au conseil des ministres de ce matin.
- Attendez, monsieur, nous y viendrons, nous parlerons de l'Espagne !\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a quelques jours, M. Pierre MAUROY se rendait au Liban pour yfaire, disait-il un acte d'amour et de raison et pour garantir l'intégrité de ce pays. Alors, je voudrais vous demander, à la lumiére des événements dramatiques qui s'y déroulent depuis à peu près 72 heures, si on peut encore parler d'intégrité pour ce pays, si oui, comment la France entend elle garantir cette intégrité ?
- LE PRESIDENT.- On ne peut plus en parler depuis longtemps déjà comme d'une réalité, on peut et on doit en parler comme d'une volonté. Le Liban était occupé déjà par deux armées avant de l'être par une troisième : la Syrie et les Palestiniens repoussés de toutes parts, qui avaient trouvé là asile, et maintenant l'armée israélienne.
- Le Premier ministre a témoigné, et il a eu raison de témoigner, dans une circonstance dramatiqe, non seulement pour les Français du Liban, mais aussi pour le Liban tout entier.
- Comment peut s'exerce le rôle de la France ? Il faut d'abord le mesurer exactement. La France ne dit pas au Liban : nous volons à votre secours par nos armes. Le gouvernement du Liban ne nous le demande pas et la politique de la France n'est pas dans la plupart des régions du monde de se faire le gendarme, même si ce gendarme est fondé à intervenir au nom de la paix civile et militaire. Mais nous pouvons être au premier rang du concert des nations qui s'intéressent à ce sujet en raison de l'importance de l'histoire, des liens affectifs, des intérêts qui nous unissent au Liban. C'est ainsi que nous sommes le pays qui participe, je crois, le plus à la FINUL. Si le gouvernement libanais a besoin d'une présence amie au-sein des forces internationales dont on a pu apercevoir la vacuité récemment, eh bien nous sommes là : tout appel du gouvernement légitime du Liban sera entendu par la France.\
`Réponse` A cette occasion, il me faut, parce que c'est ma conviction en même temps que mon devoir, rappeler la condamnation sans réserve que nous portons contre l'agression israélienne au Liban. S'il y a problème et il y a problème entre Israel et son environnement, si les pays arabes ont refusé de reconnaître l'existence d'Israel, de mon point de vue ils ont eu tort, qu'Israel ne veuille pas reconnaître la réalité palestinienne et le droit de ce peuple à disposer d'une patrie, c'est aussi une erreur historique, je n'ai pas cessé de le dire aux uns et aux autres, et je le répète.
- Je ne suis pas en-train d'examiner la responsabilité historique, elle serait souvent partagée. Mais dans le cas présent, sur une terre qui n'est l'objet d'aucun litige réel, entre le Liban et Israel, sur lequel il n'existe pas d'autres droits historiques que ceux du Liban qui est maître de ses choix, je ne pense pas qu'il soit sage et juste d'intervenir par la violence. Que devient le droit international ? Que deviennent les règles sur lesquelles repose une société déjà si fragile ?
- Cela me conduit à prendre des dispositions, je ne pense pas qu'il soit souhaitable de réunir à la date prévue, c'est-à-dire dans les jours qui viennent, pendant que se déroule ce conflit, la commission mixte culturelle franco - israélienne.
- Si M. SHAMIR, le ministre des affaires étrangères d'Israel, qui compte venir en France, désire cependant prendre contact avec le gouvernement français, toute explication est bonne, toute occasion est bonne de parler et il sera reçu comme il convient, c'est-à-dire pour un langage clair et honnête entre peuples et pays qui se respectent. Mais voilà la situation dans laquelle nous sommes, dont on débat actuellement au-sein de la Communauté européenne `CEE` en présence de M. CHEYSSON, partant des décisions de la résolution du Conseil de sécurité `ONU`.
- Oui, je regrette très vivement qu'Israel se soit mis en situation de supporter une nouvelle condamnation £ je me suis toujours associé avec regret à des condamnations de ce genre dès lors que je sentais et que je continue de sentir le droit éminent du peuple d'Israel à vivre et à vivre en paix, et non pas sous la menace constante. Je pense que le droit est la meilleure -défense des intérêts vitaux d'Israel comme des autres.\
QUESTION.- Monsieur le Président, lorsque vous avez effectué votre voyage en Israel, vous aviez pris soin, aux questions qui vous étaient posées, de ne pas définir publiquement les contours du futur Etat palestinien dont vous venez de réaffirmer ici la nécessité. Puis, il y a quelques semaines, vous avez, dans une interview, été plus précis, plus net, en disant qu'au fond cet Etat palestinien pourrait commencer par une entité située en Cisjordanie, que d'autres appellent Judée - Samarie.
- Alors, est-ce que vous avez évolué, parce qu'une partie de la presse vous demande instamment depuis quelque temps de rééquilibrer votre position, ou avez-vous évolué pour d'autres raisons ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur LEVAI, j'écoute avec beaucoup d'intérêt les conseils de la presse... J'en tiens rarement compte ! (rires). Je ne définis pas la politique de la France à la lecture matinale des journaux quotidiens... ni même vespérale !
- Vous avez là mélé deux questions, et vous l'avez parfaitement aperçu par le vocabulaire même que vous avez employé. Le pourtour d'un futur Etat palestinien, je n'en suis pas juge, je n'en sais rien. Il importera aux négociateurs de le dire, c'est-à-dire les frontières, et par-dessus le marché les garanties à ces frontières.
- Par contre, j'ai toujours dit que si la question se posait, elle se posait d'abord en Cisjordanie et à Gaza, et que s'il m'est impossible d'en définir les contours, j'en aperçois quand même bien le centre.
- Il serait quand même étrange d'évoquer le problème palestinien de façon ectoplasmique, de dire : "Il faut un Etat palestinien pour le peuple palestinien... partout ailleurs qu'en Palestine " Donc, la Cisjordanie est la première région territoriale intéressée par la mise en oeuvre d'une patrie palestinienne.
- Quand au reste, je le répète, ce n'est pas mon affaire. Je souhaite que ces frontières soient déterminées de telle sorte que les autres frontières, celles d'Israel, soient intégralement défendues par la société internationale.\
QUESTION.- (Le Quotidien du Médecin). Je crois, monsieur le Président, que vous partez prochainement en Hongrie et que, dans la foulée, à la fin de l'année, vous allez partir en Bulgarie. Quelle place tiendra, dans ces déplacements au-delà du "rideau de fer", la -défense des droits de l'homme et du simple respect des accords d'Helsinki ?
- S'agissant de la Bulgarie, un médecin, le Dr POPOV mène depuis le 1er juin, après douze années de lutte en faveur des libertés, une grève de la faim pour obtenir, pour lui et pour sa famille, le droit d'émigrer. De nombreux médecins français ont déjà publiquement affirmé leur soutien au Dr POPOV, qui vous a lui-même adressé, par l'intermédiaire de la presse, une "lettre ouverte" dans laquelle il vous demande de l'aider. Lui accorderez-vous cette aide et, d'une façon plus générale, comment concilierez-vous, dans vos -rapports avec les pays qui ne respectent pas les libertés fondamentales, les notions de morale et de politique ?
- LE PRESIDENT.- A question, question et demie : m'auriez-vous posé cette question si j'avais décidé de faire un voyage au Chili ?
- LA JOURNALISTE.- (Quotidien du Médecin) - Bien sûr, monsieur le Président.
- LE PRESIDENT.- J'aime mieux vous l'entendre dire vous-même ! Oui, car je ne suis pas certain que ce genre de question soit aussi innocent qu'il y parait...
- J'ai prévu d'aller en Hongrie au mois de juillet, je crois le 6 juillet, par là... Je n'ai pas prévu d'aller, pour l'instant, en Bulgarie. Au-cours d'un récent voyage de M. le ministre des relations extérieures `Claude CHEYSSON`, j'ai reçu une invitation pour m'y rendre, je pense que cela me sera possible en 1983, mais aucune date n'est fixée. Par contre, je me rendrai en Roumanie, sans doute fin septembre.
- Les droits des individus, je m'efforce de ne jamais manquer à leur -défense. Chacun de ces gouvernements a reçu ma correspondance, mes appels incessants, parfois avec succès - trop rarement - pour obtenir des libérations, des élargissements, l'accès à la liberté. Je ne manquerai pas davantage à ce devoir partout où j'irai. J'ai des responsabilités d'Etat, je suis Président de la République française £ s'il m'est interdit de défendre les intérêts de la France dans tous les pays qui bafouent les droits de l'homme, je serais confiné dans un étroit canton de la terre... Et cependant, la France doit être présente partout. Par exemple, nous avons des relations diplomatiques avec presque tous les pays du monde, et combien déplaisent à ma conscience ! Mais "relations diplomatiques" ne veut pas dire, pour autant, ni complaisance, comme je le disais tout à l'heure, ni complicité.
- Je pose les questions, madame, pouvez-vous me faire confiance, avec clarté, et chaque cas qui m'est soumis est défendu par moi. Des témoignages vous en seront fournis. Ce n'est pas le moment.\
LE PRESIDENT.- Madame CLERC ?...
- QUESTION.- Monsieur le Président, tout à l'heure vous avez dit qu'il n'était pas question que la France réintègre le commandement de l'OTAN. Cependant, vous allez nous quitter ce soir pour aller dîner à Bonn avec les chefs de gouvernements de l'OTAN. Cependant aussi, je crois savoir que, pour la première fois depuis seize ans, la France a invité les ministres des affaires étrangères de l'OTAN à se réunir en France l'an prochain.
- Alors, pourriez-vous nous préciser comment vous voyez l'évolution des relations entre la France et l'Alliance atlantique et si vous souhaitez toujours, comme l'an dernier, la renégociation du contenu de l'Alliance atlantique ? Enfin, savez-vous à qui Georges MARCHAIS faisait allusion, dimanche, lorsqu'il a dénoncé ceux qui prônent le retour de la France dans l'OTAN et ceux qui veulent vendre la France à REAGAN ? LE PRESIDENT.- Parce que Georges MARCHAIS a fait la même confusion que vous et qu'avant de parler de ces choses, il faudrait s'en informer !
- La France n'a pas quitté l'Alliance atlantique. Elle n'a pas quitté l'Alliance militaire défensive atlantique. Elle a quitté le commandement intégré de l'OTAN et, donc, il n'est pas question de retourner sous les ordres du commandement intégré, c'est-à-dire du commandement militaire de l'OTAN, ni des ministres de la défense de l'OTAN, en France. Il y aura une réunion ou des chefs d'Etats - cela les regarde - ou des ministres des affaires étrangères, c'est-à-dire de l'Alliance, et l'Alliance, elle existe nous y sommes, nous y restons, nous voudrions même qu'elle marche mieux !\
`Réponse` Ce soir, à Bonn, où j'irai en vous quittant, avec regret... je ne serai pas à une réunion du commandement intégré de l'OTAN, qui est la seule institution qu'ait quitté la France au temps du Général de GAULLE, je rencontre les chefs d'Etat de l'Alliance atlantique. Et le lendemain, ce seront les mêmes chefs d'Etat et de gouvernement qui se réuniront, en présence de M. Pierre MAUROY `Premier ministre`.
- Donc, les choses sont claires, l'OTAN est une expression employée n'importe quand et n'importe comment. L'Alliance atlantique est une alliance militaire défensive, indépendamment du reste. Il ne s'agit donc pas de fermer les yeux ou de tourner le dos en disant : "Les problèmes de stratégie, je ne les connais pas " Avec les gens qui sont nos alliés, avec lesquels nous sommes en -rapports tous les jours, quelle hypocrisie ce serait ! Mais nous n'acceptons pas que les décisions de la France soient soumises à un commandement qui nous échappe, c'est cela, la réalité. Nous n'y entrons pas et nous ne recevons pas, sur le sol français, ce commandement.
- Est-ce que c'est clair ?... C'est clair pour vous, c'est clair pour M. Georges MARCHAIS, c'est clair pour tous ceux qui parlent de ce problème... en l'occurence avec quelque imprudence. C'est pour cela que je suis sûr que M. Georges MARCHAIS - c'est votre question - ne pensait pas à moi !\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais vous demander, si aucun de vos ministres ne se marie, si aucun n'a un arrêt du coeur, et si surtout aucun n'a envie de s'en aller, est-ce que vous avez l'intention de garder la même équipe ministérielle jusqu'au 21 mai 1988 et est-ce que toutes les personnalités qui sont à votre droite - je parle, bien sûr, géographiquement - peuvent dormir tranquilles encore un bon nombre de mois ou d'années ?
- LE PRESIDENT.- J'aimerais infiniment les garder tous. J'espère que l'opportunité m'en sera donnée... Je n'en suis pas sûr. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise d'autre ?
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous parliez tout à l'heure de la solidarité entre les Français. Je voudrais savoir dans quelles limites vous envisagez cette solidarité entre tous les Français. A partir de quelle catégorie sociale peut-on envisager une perte du pouvoir d'achat pour permettre à d'autres plus défavorisés de conserver ce pouvoir d'achat ? Par exemple, je veux dire : y aura-t-il un seuil, deux fois le SMIC, trois fois le SMIC ? Quelle autre limite pour respecter cette solidarité entre tous les Français que vous avez évoquée tout à l'heure ?
- LE PRESIDENT.- Cette ligne de partage sera fixée par le gouvernement.
- QUESTION.- Est-ce que le gouvernement persistera dans son attitude globale de méfiance envers les divers courants pacifistes qui se développent ici et là ou bien s'efforcera-t-il de faire le partage entre les aspects positifs et d'autres qui le sont moins ?
- LE PRESIDENT.- Excellente définition. Je ne demande que cela. Les pacifistes nuisibles à la paix, je ne préfère pas. Quant à ceux qui la servent, je dis vive le pacifisme. Tout cela se voit à l'usage.\
QUESTION.- Fin juin, la loi sur l'audiovisuel sera adoptée £ dans les semaines qui suivront, de nouvelles structures seront mises en place, mais au-delà du texte, des organigrammes, pouvez-vous nous dire quels sont vos projets en ce domaine ?
- LE PRESIDENT.- Je vais vous répondre très schématiquement. La Haute Autorité de l'audiovisuel sera mise en place selon les termes de la loi - si elle n'est pas modifiée puisque le débat continue - dans le mois qui suivra la promulgation de la loi. Quels sont les projets ? Déjà est retenu celui d'une quatrième chaîne qui sera incessamment mis en oeuvre. Ne nous lançons pas dans des considérations techniques en parlant des réseaux qui utilisaient l'ancien 819 lignes par exemple. Elle se tournera davantage vers des retransmissions et aussi vers des problèmes de culture et d'éducation. Cela ne nécessitera aucune charge fiscale supplémentaire.
- Je compte aussi sur une politique hardie de satellites, satellite télématique TDF 1 dont je crois qu'il sera mis en circulation à partir de juin 1985. Je pense qu'un deuxième satellite pourra l'être l'année suivante.
- Enfin, tout le système de réseaux câblés sera accéléré. Voici, en termes schématiques, les réponses hâtives que je puis vous faire.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez été en Israël, vous avez prononcé un discours devant la Knesset. Est-ce que vous avez l'impression que vous avez été entendu par M. BEGIN ? Est-ce que vous ne croyez pas que la deuxième démarche, c'est de prendre contact avec la partie la plus intéressée du conflit après Israël, c'est-à-dire les Palestinens et notamment l'OLP ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur, ai-je le sentiment d'être maintenant entendu par-rapport à ce que j'ai dit à la Knesset ? Je ne l'avais déjà pas le jour où j'étais à la Knesset. Ce n'est pas nouveau. Je ne pouvais pas être entendu, puisque nous avons une conception de l'avenir différente sur ce point-là. Ma visite en Israël avait une grande portée symbolique et politique.
- Je n'accepte pas que l'on tienne Israël comme un pays qu'on ne fréquente pas, un peuple qu'on ignore. C'est un grand peuple et c'est un pays qui a su admirablement s'édifier, qui mérite protection, sécurité. L'-état d'insécurité dans lequel il se trouve l'a conduit à une politique intérieure dont les projections extérieures provoquent souvent mon refus et parfois ma condamnation. Voilà la réalité.
- Ni M. BEGIN, ni moi n'avons caché, dès la conférence de presse qui a suivi, que nous étions en désaccords sur la -constitution par exemple d'un Etat palestinien, où le peuple palestinien disposerait d'une patrie. Et je demandais aussi qu'un accord préalable et mutuel soit décidé, la reconnaissance mutuelle et préalable.
- N'y revenons pas. J'observe cependant la différence des questions posées par vous-même. Maintenant, vous vous rendez bien compte qu'à la Knesset, j'ai dit ce que je croyais être le droit et la force de l'histoire et que je n'ai pas ignoré les réalités arabes. Je suis heureux que vous me re ndiez justice à distance, ce qui ne me fera pas pour autant oublier les droits historiques du peuple d'Israël.\
QUESTIONS.- Monsieur le Président, dans quelques jours, vous allez vous rendre en Espagne. Je voudrais savoir ce que vous attendez des relations franco - espagnoles, en tenant compte des problèmes qui ont empoisonné les -rapports entre les deux pays, les Basques et l'entrée dans le Marché commun.
- LE PRESIDENT.- Si je vais en Espagne, c'est parce que je cherche à établir avec ce pays de bonnes relations. Elles ne sont pas excellentes. Nous traiterons naturellement des dossiers les plus délicats, celui de politique générale qui touche à l'élargissement du Marché commun `CEE`, et celui plus particulier du terrorisme. Mais je n'en dirai pas davantage aujourd'hui. J'en parlerai à la veille de mon départ pour l'Espagne, j'en parlerai en Espagne, j'en parlerai à mon retour. Je crois que cette conférence de presse peut passer déjà à d'autres sujets.\
QUESTION.- Je voudrais vous demander, monsieur le Président, si vous ne craignez pas que les relations entre la France et l'Amérique latine, les relations entre l'Europe et l'Amérique latine vont subir un refroidissement à cause de l'appui total de la France et du Marché commun `CEE` à l'Angleterre, à la Grande-Bretagne, dans cette affaire des Malouines.
- En même temps, je voudrais vous dire que cette affaire est perçue, en Amérique latine, comme une guerre nord-sud. Vous avez des idées sur le Nord-Sud, que vous avez développées à Cancun. Est-ce que vous ne croyez pas que la position de la France à côté de Londres, dans cette affaire, peut nuire au développement des idées de Cancun ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur, il est évident que les relations de l'Amérique du Sud avec l'Europe et la France risquent d'être compromises. Non seulement je le regretterais, mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour l'empêcher car je tiens à ce que des relations fécondes de tous ordres existent entre l'Amérique latine et la France.
- Des événements surgissent dont je ne suis pas le maître. Je n'étais pas maître de la décision de l'Argentine de rompre les négociations qui, depuis 17 ans, l'unissaient à la Grande-Bretagne et de passer à l'action par une agression militaire sur le sol de ces îles, et de déclencher à partir de là une fatalité dont on n'est pas encore sorti.\
`Réponse ` Conflit Argentine - Grande-Bretagne` Alors, un dilemme, ce n'est pas facile. On y perd de toute façon. L'événement n'aurait pû surgir, il a surgi. La France est l'alliée de la Grande-Bretagne, l'alliée historique depuis le début du siècle. Nous avons été associés dans deux guerres, deux grandes guerres mondiales. Nous avons, à l'égard de la Grande-Bretagne, une dette réelle. Elle est faite de sang, de peines, d'angoisses, faite aussi de gratitude. Nous sommes dans le même Communauté `CEE`... Elle estime être dans son droit, bien que la France n'ait jamais reconnu dans son histoire la souveraineté de la Grande-Bretagne sur les Malouines, mais depuis 1833 il en est ainsi, et nous rejetons, comme je le fais pour le Liban, la rupture des règles internationales, c'est-à-dire la préférence donnée à la guerre, plutôt qu'à la négociation. L'Argentine porte donc la responsabilité d'une fatalité que je déplore.
- Maintenant nous arrivons à une étape de ce conflit où j'espère qu'il sera possible de revivifier la résolution 502 du Conseil de sécurité `ONU` et, autant je suis solidaire avec la Grande-Bretagne parce que c'est l'intérêt de l'Europe et l'intérêt de la France, parce que c'est conforme à un long compagnonage, autant la Grande-Bretagne estimant devoir reprendre son gage, défendre ses intérêts et sa fierté nationale qui pouvait être bafouée, est en droit de demander à la France d'être solidaire, autant cette guerre ne doit pas se transformer en guerre de revanche. Il est des limites à ce combat que je compte bien faire connaître à l'heure utile, qui ne saurait tarder.
- Il est maintenant 5 heures, on ne peut pas dépasser maintenant cette limite raisonnable, on a parlé de beaucoup de choses, pas de tout bien entendu, on ne m'a pas posé de questions sur le Tchad, est-ce que quelqu'un...\
QUESTION.- (M. JALADE) Si vous permettez, monsieur le Président, je voudrais revenir d'un mot sur Versailles, puis sur l'Afrique noire.
- Vous avez, monsieur le Président, au-cours de votre voyage récent en Afrique noire, été sollicité par vos hôtes d'être l'interprète de leur handicap économique au sommet de Versailles. Vous l'avez fait. Je voudrais vous demander quels aspects positifs peuvent-ils en attendre ? Ensuite vous interroger sur votre position sur le Tchad et enfin, troisième point, sur les raisons pour lesquelles a été ajournée la réforme des structures du ministère de la coopération.
- LE PRESIDENT.- C'est, monsieur JALADE, l'un des domaines, le tiers monde et particulièrement l'Afrique, qui ont été les plus féconds à Versailles, de façon inattendue : je vous confesserai que je ne l'attendais pas. Et cependant on a pu faire repartir le projet de négociations globales dans-le-cadre des Nations unies `ONU` accepté du bout des lèvres à Ottawa par les Etats-Unis d'Amérique, à Cancun également £ la précaution étant prise de tenir à l'écart les institutions spécialisées comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international `FMI`. C'est une très bonne chose.
- De même on a approuvé la résolution des 77 £ c'est une très bonne chose.
- Enfin, nous avons reparlé d'autosuffisance alimentaire, du rôle de la Banque mondiale dans le secteur de l'énergie, et même d'un commencement de soutien des cours des matières premières. C'est un progrès réel.
- C'est pourquoi l'on ne peut pas dire, sauf par passion polémique, que ce sommet n'ait servi à rien.
- J'ai entendu quelqu'un dire que la montagne avait accouché d'une souris... J'aurais dit à cette personne, si je l'avais rencontrée - je n'en ai pas souvent l'occasion - : je crois que vous êtes médecin... peut-être gynécologue £ est-ce que vous avez rencontré dans votre vie une montagne qui ait accouché d'autre chose que de souris ? ... C'est sans doute pourquoi il y a tellement de souris dans le monde...
- Cessons d'user de ces formule usées et préfabriquées qui n'intéressent plus personne. La réalité est toujours inférieure à l'espoir. Il y a eu des points forts à Versailles dont celui que M. Max JALADE m'a permis d'évoquer.\
`Réponse` Sur le Tchad, mesdames et messieurs, je veux être clair. Dans quelle situation ai-je trouvé le Tchad le 21 mai 1981 ?
- C'était un pays occupé par la Libye £ voilà quelle était la réalité. Et peu de temps auparavant il y eut des grands combats, auxquels la France s'est trouvé mêlée : il y a eu des morts d'hommes et des destructions de matériel. La prise de N'Djamena dans la période précédente avait été payée par la destruction de la ville et par plus d'un millier de morts et j'ai donc trouvé le Tchad occupé par la libye.
- Que s'est-il passé depuis lors ?
- La libye est partie et il n'y a plus d'occupation étrangère au Tchad. Que me demandez-vous de plus ?... De me mêler aux conflits intérieurs ? Il existait un gouvernement dit d'union nationale `GUNT`, provisoire, reconnu par l'Organisation de l'unité africaine `OUA`, dont font ppartie tous les Etats d'Afrique, y compris la Libye. La France a jugé bon de se conformer aux résolutions de l'OUA qui, ayant reconnu ce gouvernement provisoirement, a estimé devoir se placer entre les combattants de façon pacifique, et qui a demandé l'aide de la France. Nous l'avons fait £ nous soutenons les gouvernements légitimes. Comment naissent ces gouvernements légitimes ? Soit par la force des armes, parfois heureusement, plus rarement, par la force du suffrage universel.
- Nous tenons compte de la réalité, nous ne nous mêlons pas des conflits intérieurs aux pays d'Afrique : c'est toute la différence.\
`Réponse` L'essentiel pour nous c'est de voir écartées les ingérences étrangères, celle-ci ou d'autres qui pourraient poindre, - pas la nôtre en tout cas - qui menaçaient dans la situation antérieure la sécurité des pays comme le Niger, la République centrafricaine, le Cameroun, auxquels nous lient des accords, y compris des accords de coopération militaire £ c'est de ne pas être entraîné dans une aventure militaire au détriment de nos amis fidèles d'Afrique, auxquels nous serons également fidèles. Et nous avons écarté ce danger.
- Aujourd'hui c'est un combat entre Tchadiens, aucun pays extérieur ne s'y trouve mêlé et la France continuera comme elle continue aujourd'hui, par ses Français sur place, de soigner les malades, les blessés, de réparer les maisons, de réparer l'aéroport, les télécommunications. Il n'y avait plus d'ambassadeur au Tchad ! Il y en a un et il est resté pendant les derniers événements qui ont vu la prise de N'djamena par les forces de M. HISSENE HABRE.
- Je veux dire par là que si l'on compare les deux situations et si l'on veut juger honnêtement, la conclusion s'impose.
- On m'a parlé de la réforme du ministère de la coopération, je pense que l'on s'éloignerait un peu du sujet, c'est un sujet structurel, je vous en parlerai si vous voulez bien venir me voir.\
QUESTION.- Monsieur le Président, tout à l'heure, vous avez insisté dans vos préliminaires, sur le besoin de sécurité et de liberté des Français, ce sont les termes. Pour l'instant, ne pensez-vous pas que la -majorité des Français serait plutôt encline à négliger un peu de leur liberté, au-profit d'une plus grande sécurité ? Je parle dans la vie quotidienne.
- D'autre part, l'homme d'Etat que vous êtes estime-t-il devoir encourager cette tendance ou la décourager au risque d'impopularité ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que la liberté, c'est une sécurité. La licence, non, c'est son contraire £ mais les libertés publiques telles qu'elles sont définies depuis bientôt 200 ans en France, telles qu'on les pratique lorsque le régime est franchement républicain et démocrate - il ne m'appartient pas de le définir, on en connait l'usage - je m'y conforme et je considère que la liberté préservée c'est une immense sécurité.
- Imaginez, si chaque citoyen était à la disposition des fantaisies du pouvoir, si tel groupe social - c'est l'apport de notre gouvernement d'avoir modifié cet -état de choses - pouvait indéfiniment dominer l'autre ou l'opprimer ! ... Les libertés, c'est une sécurité, mais les licences, c'est-à-dire l'abus que font certains de la liberté qui leur est accordée par la loi, par le gouvernement - naturellement, à tout moment, il y a déviation, non que les crimes soient proportionnellement plus nombreux qu'ils ne n'étaient naguère mais cette menace pèse et aussi la délinquance de chaque jour quotidienne, médiocre mais quand même dangereuse et inacceptable - je ne crois pas que cela tienne strictement aux lois, en dehors des lois ordinaires, admises, reconnues comme un -état de civilisation où la violence est interdite et doit être sanctionnée, cela tient aussi à la façon dont on procède, à certains problèmes que vous connaissez : le phénomène d'urbanisation colossale, des quartiers immenses, l'absence d'espaces verts, une jeunesse vivant dans un air confiné... Tout cela bien entendu pose des problèmes immenses, je n'ai pas le temps d'en parler aujourd'hui, ce sera l'objet d'un propos plus tard.
- C'est un sujet qui m'est cher, celui de la compréhension et de l'approche de la ville dans la civilisation moderne, qui doit être un terrain de dialogue et de communication comme tout autre.\
`Réponse` Quant aux précautions, c'est-à-dire la prévention, nous sommes tout à fait décidés à agir et nous n'avons pas cessé de le faire. Prévoir, essayer de guérir, et quand il le faut, sévir.
- J'ai dit tout à l'heure que nous avions recruté 7000 agents de la paix civique, des gardiens de la paix surtout £ 2000 gendarmes, et la population française sait que la gendarmerie est un corps professionnel sage, informé, diligent, et qui est tout à fait mêlé à la population, accepté, parfois même aimé.
- C'est un effort que personne n'a fait avant nous. On ne l'a pas toujours perçu parce qu'entre le moment où on décide des créations de postes et le moment où on recrute des agents formés qui doivent d'abord être éduqués, il se passe quelques mois. C'est maintenant que ces 9000 personnes, plus les 2000 qui viennent d'être accordées dans le budget 1983, ce qui va faire 11000 personnes, vont pouvoir assurer l'ordre public.
- Voyez-vous, quand dans un quartier, dans une rue, apparaît l'uniforme débonnaire d'un gardien de la paix, dont on sait cependant qu'il peut représenter un facteur d'apaisement d'abord, et ensuite, eh bien, de remise en ordre, c'est déterminant pour la paix dans le quartier ou dans la rue. Il faut qu'on les voie, il faut donc que l'ensemble des forces de l'ordre soient présentes sur le terrain au maximum. Moins de gens dans les bureaux, dans les administrations, j'ai entendu un parlementaire s'exprimer, dans l'entourage le cas échéant des officiels... Il faut que tous soient dévoués et affectés au maximum à la sécurité des braves gens qui peuvent compter sur le gouvernement de la République pour être à la fois vigilant et quand il le faut, sévère, afin que ne déborde pas l'appel à la violence.
- Medames, messieurs, il est impossible d'aller plus loin. Je vais par le libéralisme qui me caractérise, qui caractérise les actions du gouvernement, prendre encore trois questions.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous nous avez parlé du rayonnement de la France, mais pas de ses aspects culturels. Je voudrais savoir si le recul de la francophonie qu'on a enregistré ne vous inquiète pas.
- LE PRESIDENT.- C'est pourquoi je m'en occupe ! C'est un sujet qui me passionne. Je pense que les institutions existantes ne sont pas en mesure de répondre à mon attente. Nous avons cependant à leur tête un certain nombre de responsables de grande valeur, qui vont pouvoir me soumettre des propositions qui feront que la francophonie et les institutions tendant à défendre la langue française seront mises en place d'ici peu, y compris l'institution francophone qui a buté sur des problèmes propres au Canada, au Québec, vous le savez. C'est l'idée chère à M. SENGHOR, qui m'est chère aussi.
- Je crois pouvoir compter sur le -concours de personnalités éminentes qui s'en sont déjà occupé, qui sont prêtes à reprendre ce collier, je pense à M. Pierre EMMANUEL, à M. Philippe de SAINT-ROBERT qui pendant des années ont servi dans ce domaine, et qui savent qu'ils seront les bienvenus pour poursuivre. Je pense aussi que l'action de M. FARANDJI est moderne, rafraîchissante, et en même temp active, dynamique.
- Je voudrais d'ailleurs développer en France, autour du Président de la République, un conseil des sciences. Je voudrais développer de la même façon peut-être à l'Institut de France une section internationale francophone, de la même façon que je voudrais qu'existe, et puis si ce n'est pas possible là, que se crée cet organisme en dehors, une section de l'audiovisuel, car c'est une science et c'est un art qui vaut bien les autres et qui nous permettrait de mieux appréhender les problèmes qui se posent dans ce domaine. Voilà quelques réflexions à la volée. Vous m'ecuserez de ne pas être plus ordonné, mais il faut en terminer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez ouvert tout à l'heure le champ de la solidarité. Vous n'avez pas évoqué le partage du travail, qui est un domaine où la solidarité peut s'exercer dès lors que, pour une part, la réduction de la durée du travail s'accompagne d'un partage des revenus. Qu'en est-il ? Avez-vous renoncé sur ce domaine ?
- LE PRESIDENT.- Tous les mots que je n'ai pas dits ne signifient pas que j'ai renoncé à mettre en oeuvr la réalité qu'ils recouvrent.
- J'ai peu parlé deschoses dont on a parlé tous les jours, sur lesquelles la position du gouvernement est bien connue.
- C'est un priorité. J'ai cité tout de même les ordonnances et j'ai cru, par ce mot, recouvrir l'ensemble de leur contenu : la durée du travail, les 39 heures, la 5ème semaine de congés payés, la retraite à 60 ans. Ce sont des implications tout de même intéressantes de ce que nous entendons par "partage". J'ai quand même parlé du partage du temps du travail, je n'ai, en effet, pas parlé - je suis passé un peu vite peut-être - du partage du travail qui occupe tellement le gouvernement. On discute même actuellement de ces choses dans nos assemblées. Cela reste une priorité du gouvernement. Je n'évoque pas la politique des revenus, ce n'est pas de mon langage, parce que je pense que le langage recouvrirait quelque chose qui serait, à mes yeux, suspect. Je pense à une politique de la répartition, c'est tout autre chose, et nous aurons l'occasion d'en parler bientôt.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voulais vous demander à quelles conditions, selon vous, les partis de gauche peuvent gagner les élections municipales en mars prochain `1983` ?
- LE PRESIDENT.- S'ils travaillent bien, si le gouvernement est en mesure d'entrainer les Français comme il le fait déjà, dans une grande action de redressement national, si les Français - et j'ai confiance en eux - consentent à l'effort dans la justice sociale qui leur est demandé pour la France et pour eux-mêmes, alors je pense que les Français sauront être logiques avec eux-mêmes. Ils savent qu'on ne fait rien avec rien. On ne gagne pas des élections par des méthodes procédurières, on ne gagne pas des élections avec une loi électorale.
- C'est pourquoi le projet qui sera soumis au gouvernement n'est pas un projet pour gagner les élections. Nous avons toujours gagné nos élections avec les lois faites par les autres ! Attention à ce que la même loi ne se vérifie pas en sens inverse, ou plutôt de la même façon mais en sens inverse quant aux bénéficiaires ! Simplement, il faut au maximum permettre de gérer les municipalités avec une majorité, sans quoi cela ne marche plus, mais avec une représentation des minorités qui n'existait pas jusqu'alors, je veux dire dans les grandes villes. Voilà une orientation qui paraîtrait juste aux Français.
- Pour le reste, on gagne les élections si les Français ont confiance. Aux élections cantonales, ils se sont dit : "Tiens, on va lancer un avertissement... Faut qu'ils apprennent à vivre un peu là-bas", pour peu qu'ils n'aient pas dit "là-haut", ce qui serait fâcheux.
- Sur place, le gouvernement en tient le plus grand compte, le gouvernement à le sens des réalités populaires, qui aime son pays et qui aime les Français.
- Alors, je ne fais pas de pronostics pour les élections de mars prochain, je réponds selon mon goût à votre question.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a vingt ans, le Général de GAULLE, votre prédécesseur, était président de la République. Un homme politique marocain, dissident dans son pays, était enlevé en plein Paris. L'opposition d'alors, la gauche, dont vous étiez le leader, dénonçait avec vigueur, avec violence, les compromissions et même les complicités qui avaient précédé ce crime d'Etat, et l'inertie, l'indifférence qui lui ont succédé. Mehdi BEN BARKA - vous l'avez reconnu - n'a jamais reparu.
- Il y a vingt jours, sous votre mandat, un citoyen français, d'origine roumaine, l'écrivain Virgil TANASE, a disparu en plein Paris, et l'on peut soupçonner, en l'absence de tout autre élément, qu'il s'agit d'un crime d'Etat perpétré pour les mêmes raisons, et dans les mêmes conditions que jadis l'enlèvement de Mehdi BEN BARKA.
- Monsieur le Président, avez-vous des informations sur le sort de Virgil TANASE ? Est-ce que la France, s'il s'agit effectivement d'un enlèvement, à entrepris des démarches pour savoir ce qu'il est advenu de ce citoyen français ? Et que comptez-vous faire au cas où, toujours s'agissant d'un crime d'Etat et ce crime étant signé de qui vous devinez, il n'y aurait aucune réponse satisfaisante et au cas où Virgil TANASE ne reparaîtrait jamais ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur JAMET, je n'ai rien négligé et c'est une affaire que j'ai suivie de jour en jour.
- S'il était démontré, hypothèse tragique, que M. TANASE a disparu pour ne pas reparaître, cela entamerait sérieusement la -nature des relations entre la Roumanie et la France.
- Je le répète, je n'ai rien négligé, et vous me laisserez le soin de vous dire un peu plus tard ce qui est, en toute certitude, et sur quoi j'ai besoin encore d'un peu de temps. Cette conclusion, je vous la communiquerai et je la rendrai publique, soyez-en sûr.\
QUESTION.- Monsieur le Président, sur l'Iran et l'Irak...
- LE PRESIDENT.- C'est très important, mais j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer à ce sujet.
- Je considère que c'est un conflit qui, aujourd'hui, est déterminant, non seulement pour la région du Moyen-Orient, mais aussi pour l'équilibre mondial£ Je considère que c'est un conflit dont l'évolution entame tous les -rapports subtils ou puissants, tous les -rapports de force, les relations diplomatiques de cette région et, par voie de conséquence, entre les plus puissants.
- C'est donc un conflit que j'observe aussi avec la plus grande vigilance, la France s'étant déclarée prête non seulement à participer, mais à prendre des initiatives au niveau des Nations unies `ONU` pour permettre, si cela est possible, un retour à la paix.
- Je ne vous en dirai pas davantage à ce sujet.\
`Réponse` Je vous dirai simplement, mesdames et messieurs, - terminant comme j'ai commencé - que vous m'avez permis - et je vous en remercie - d'engager cet après-midi un dialogue avec les Français, un dialogue d'une certaine -nature puisque je n'avais pas fait de conférence de presse depuis le mois de septembre dernier.
- Je ne veux pas vous déranger tout le temps. J'ai donc l'intention, dans les semaines qui viennent, de m'adresser aux Français, en pensant à vous, mais sans que vous soyez là, c'est-à-dire par les moyens dont je disposerai sur-le-plan audiovisuel, pour les entretenir de notre action, pour qu'ils prennent part eux-mêmes au débat, pour qu'ils me communiquent leurs désirs et pour que je m'efforce de répondre pas simplement à leurs désirs mais à ce qui m'apparaîtra comme l'intérêt primordial du pays.
- Je vous remercie.\