23 mai 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, Yamoussoukro, dimanche 23 mai 1982.

QUESTION.- (inaudible).
- Le Président.- Je risque de vous dire des choses souvent entendues. La répétition n'est pas un genre littéraire excellent, d'autant plus que M. Jean-Pierre Cot `ministre chargé de la coopération et du développement` est là et il vous sera loisible de parler avec lui tout à l'heure pour discuter des plans de coopération que nous souhaitons mettre en oeuvre.
- Ce que je peux simplement vous dire : c'est que c'est à vous Ivoiriens, de faire connaître à la France les axes que vous avez choisis (par vous) pour le développement de votre formation et de votre technologie, c'est à vous de le dire. Assurément si vous nous demandez d'y participer nous pouvons être conduits à donner notre avis, c'est normal, mais nous ne voulons pas nous substituer à vous pour choisir les orientations. La hiérarchie de vos besoins c'est vous qui la connaissez. A-partir de là, la France, je le crois, a montré qu'elle était prête à maintenir et même , le cas échéant, à accentuer son effort pour permettre ce transfert de connaissances. Je sais l'avidité, la capacité des Ivoiriens, non seulement pour recevoir et utiliser l'information qui vient de l'extérieur mais ensuite pour lui donner un contenu original.
- Quant au choix, je vous répète, ce sont ceux que vous planifiez vous-même dans-le-cadre de votre pays. A-partir de là le ministre de la coopération et du développement vous dit "je peux ou je ne peux pas, j'en ai les moyens ou je n'en ai pas", le cas échéant fait valoir ses observations pour chercher, comment dirais-je, le trajet le plus court pour parvenir à l'objectif recherché et moi je n'ai pas à entrer à-partir de là dans ses choix et ses préférences. C'est à vous de le dire et c'est au ministre compétent de vous faire connaître les moyens dont il dispose, mais j'imagine assez bien que, dans un pays comme la Côte d'Ivoire, l'on cherche à développer une formation pluridisciplinaire. Je crois que vous avez besoin de plus en plus de scientifiques et de grands scientifiques, adaptés aux productions de votre pays, pour que les industries de transformation puissent s'édifier sur place plutôt que de voir une matière première devenir produit semi fini ou produit fini loin de chez vous. C'est dans le domaine de la valeur ajoutée que se trouve finalement le profit. Je crois que c'est cela qui inspire, et en résumé les décisions qui sont prises en commun lorsque nous établissons des plans de co-développement.\
QUESTION.- Monsieur le Président, à Niamey comme à Abidjan, abordant le thème de la sécurité, vous avez répété à plusieurs reprises que la France, respectant les accords conclus est prête à faire plus si on le lui demande. Sans vouloir vous faire dire que vous souhaitez que l'on vous demande ce supplément n'avez-vous pas voulu avec insistance et connaissant les inquiétudes de vos interlocuteurs africains, lancer une sorte d'avertissement aux grandes puissances et à d'autres tout en rassurant par avance vos interlocuteurs ?
- Le Président.- Et je répète, cela fait la dixième fois que je n'ai pas besoin de rassurer les Etats africains. Je ne sais pas d'où est sortie cette invention. Je n'ai pas besoin de les rassurer. Mon élection a signifié pour beaucoup, peut-être même pour tous que, sachant le souci que j'avais toujours eu du développement de l'Afrique et particulièrement de l'Afrique noire, ils savaient bien que je serais proche de leurs préoccupations et je n'ai jamais entendu aucun de ces chefs d'Etat que j'ai tous rencontrés lors de la conférence dite franco - africaine il y a peu de mois après mon élection, exprimer des craintes ou des inquiétudes sur la solidarité de la France. Donc il faudrait peut-être en finir avec cette légende.
- Question.- Monsieur le Président, en-matière de sécurité, je ne parle pas de la coopération globale.
- Le Président.- Non, mais dans l'ensemble de ces problèmes la sécurité faisait, me disait-on, partie de ces inquiétudes. C'est ce que je lisais dans un certain nombre de journaux et que je n'ai jamais constaté dans la réalité de nos relations avec les responsables africains. Je le dis là devant l'un des principaux responsables de la vie politique africaine, comme je l'ai dit il y a 48 heures devant un autre, comme je pourrais le répéter devant le troisième et le quatrième lundi et mardi prochain : ce problème ne s'est jamais posé.\
`REPONSE` Nous avons un certain nombre d'accords de coopération militaire. Ces obligations ont été souscrites avant que je ne sois moi-même Président de la République. Ce sont les obligations de la France, ce ne sont pas les obligations de tel ou de tel chef d'Etat, et je respecte les engagements de mon pays. Si j'estime que, sur tel ou tel point, ces engagements ont été imprudents eh bien je le dirai. Je n'ai pas eu l'occasion de le dire encore et cela n'est pas dans mon esprit.
- Si on ressent, ici ou là, des menaces nouvelles - cela peut se faire dans certains pays du Sahel où l'on est proche de lieux de conflits - la France est prête à examiner cette situation. Elle ne veut pas non plus se substituer, le président Kountche vous l'a fort bien dit au Niger, il ne le désire d'ailleurs pas. Ce n'est pas à nous d'assurer la surveillance aux frontières. Mais la présence de la France et son soutien, la fidélité de son alliance représentent, je le pense, un élément de stabilité pour les pays dont nous parlons.
- Voilà le point que je puis faire à ce sujet. Je dois dire que le Président de la République de Côte d'Ivoire n'a, à aucun moment, abordé ce problème avec moi. Il a une vue sur le devenir de l'Afrique, sur les menaces qui pèsent sur ce continent dans-le-cadre de la politique mondiale et de l'équilibre des forces par-rapport à la vie de son pays. Sachant la solidarité de la France, il n'a eu besoin, à aucun moment, d'engager une telle conversation. L'on n'a pas besoin de s'assurer ou de se rassurer, rassurez-vous !\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous pouvez nous dire, un peu en avant première, les mesures que la France va proposer au sommet de Versailles `sommet des pays industrialisés` en ce qui concerne les matières premières ?
- LE PRESIDENT.- Oh, je ne pense pas que ce soit le moment d'aborder cette affaire ! J'ai en effet l'intention de donner des indications sur-ce-plan dans mon exposé préliminaire qui ouvrira la conférence. J'ai déjà eu l'occasion de dire, au-cours de ces dernières 48 heures, qu'il y a, dans les pays industriels, une sorte de mouvement d'opinion, qui n'est pas partagé par tout le monde, vers une façon de contribuer aux ressources énergétiques autres que le pétrole dans la plupart des pays d'Afrique : hydraulique, énergie renouvelable, que sais-je encore. J'ai relevé également une idée, non admise par tout le monde mais très majoritaire, sur le sens à donner aux négociations globales dans-le-cadre des Nations unies. S'il y a un plus large consentement encore pour tenter d'assurer l'autosuffisance alimentaire donc la production agricole dans les pays dont nous parlons, par contre sur-le-plan d'une politique garantie des cours des matières premières nous sommes encore loin du compte. D'abord parce que certains pays, par idéologie économique, s'y refusent peut-être par intérêt et laissent le grand capital privé mettre les circuits. Parce que d'autres en-particulier les pays du tiers monde, n'éprouvent pas ce besoin. Et à-partir de là il faudra que nous intervenions souvent avec beaucoup de constance pour convaincre nos partenaires que c'est le B A BA d'une politique Nord-Sud. Le président Houphouet-Boigny n'ayant pas pu se déplacer je me souviens d'avoir entendu le représentant de la Côte d'Ivoire, qui était son ministre des affaires étrangères `Siméon Aké` et les propos qu'il a tenus avaient pratiquement la même tonalité que les miens et contenaient des propositions tout à fait similaires. Nous n'étions pas les seuls et il y avait d'autres pays qui partagaient nos préoccupations. Mais nous sommes encore loin du compte.\
QUESTIONS.- (inaudible) `conflit des Malouines`
- LE PRESIDENT.- Je réserverai mes commentaires au retour car j'aurai l'occasion de vous revoir lorsque je serai en France la semaine prochaine. Et puisque j'aurai à recevoir, dans les jours qui suivront les principaux représentants du monde occidental, industriel plus le Japon, au-cours des conversations que nous aurons, vous et moi, nous pourrons approfondir cette matière. Mais il n'y a aucune difficulté à vous dire, d'abord qu'un responsable politique doit réfléchir beaucoup pour tenter d'analyser correctement une situation complexe et dans mon esprit s'est imposée très rapidement l'idée qu'il y avait une logique qu'il serait très difficile de surmonter. Bien entendu la France a immédiatement pris partie pour que la négociation prit le pas sur la guerre et la résolution 502 des Nations unies reste le point fondamental qui, selon nous, peut conduire à la paix. Nous avons encouragé les efforts du secrétaire général des Nations unies, `Perez de Cuellar`, qui a d'ailleurs montré beaucoup de diligence et d'intelligence en même temps que de ténacité.
- Mais il y avait une logique interne à cette affaire et il ne fallait pas être grand clerc pour savoir qu'à compter du moment où la Grande-Bretagne estimait ne pas pouvoir accepter le fait accompli aux Malouines, le départ de sa flotte marquait bien qu'elle n'avait guère de chances de rentrer chez elle sans avoir accompli sa mission qui ne pouvait pas être, je le redoutais déjà, de l'intimidation. Il s'agit là de pays qui ne se laissent, ni l'un ni l'autre, facilement intimider. On était donc entré dans cette terrible logique de la guerre. Ce qui ne doit pas faire épargner les efforts pour la paix mais ce qui donne une idée aussi claire que possible de la situation qui se crée. La position de la France peut être expliquée simplement : la Grande-Bretagne est notre alliée £ c'est un pays avec lequel nous avons vécu au-cours de ce siècle les moments les plus tragiques de notre existence £ nous avons vécu intensément la solidarité avec la Grande-Bretagne et elle l'a vécu avec nous. Tous ces liens qui nous unissent ne peuvent pas être à la merci de l'événement, aussi regrettable soit-il, qui se déroule actuellement.\
`REPONSE ` Conflit des Malouines` L'initiative de l'Argentine a offensé la Grande-Bretagne, notre amie, dans ses intérêts et dans sa fierté. L'Argentine, et, au-delà de l'Argentine, l'Amérique latine, ont le sentiment d'être à leur tour victimes de l'action que certains appellent de type colonial, bien que ce soit excessif et ressentent comme une sorte de préférence donnée par l'Europe occidentale à des mesures de combat plutôt qu'à l'application immédiate d'un cessez-le-feu sur la base d'un droit reconnu à l'Argentine. La France a des liens très puissants avec l'Amérique latine, qui vont très au-delà des échanges commerciaux, qui tiennent à des facteurs de civilisation, à son histoire très riche. Nous voulons l'amitié de ces peuples, nous l'avons et nous ne voulons pas la perdre.
- Notre pays se trouve dans une situation historique dont il n'est pas responsable et qu'il doit aborder carrément. Lorsqu'on se trouve dans l'obligation d'avoir à choisir entre les dangers et les inconvénients, il faut se déterminer. Notre solidarité avec la Grande-Bretagne ne doit donc pas, c'est la première obligation de la France, être mise en doute. Et cependant la France doit rechercher autant qu'il lui sera possible à préserver des amitiés, des intérêts et je peux le dire la communauté historique qui la lie à l'Amérique latine, aux peuples d'Amérique latine. Au point où nous en sommes, la France sera toujours un partisan résolu du retour à la paix dans le respect du droit. Ce qui signifie que tout ce qui pourrait être dit et fait pour, qu'au plus tôt, dans le respect du droit, les combats cessent, sera approuvé par la France. Mais nous ne le ferons pas par complaisance pour l'un ou l'autre. Nous le ferons parce que le retour à la paix dans le respect du droit est une lign constante de la diplomatie française.\
QUESTION.- (inaudible) `Relations Nord - Sud`.
- LE PRESIDENT.- Je crois que l'on ne peut pas mettre sur le même-plan l'ensemble des pays industrialisés, notamment américains, et ceux de la Communauté européenne `CEE`. De plus en plus, il faut le dire, soit pour approuver soit pour regretter, lorsqu'on parle des relations Nord-Sud, il s'agit surtout pour l'instant des relations entre l'Europe et l'Afrique. C'est ce qui résulte des accords de Lomé, c'est ce qui résulte des multiples dispositions que prend la Communauté économique européenne pour contribuer aux investissements en Afrique.
- Et c'est vrai que, dans ce domaine, la France a un rôle de leader. Comment y parvenir et quels sont nos moyens ? Nous participons à des institutions internationales, particulièrement la Communauté européenne, dans lesquelles notre parole est quand même très écoutée. Nous connaissons bien l'Afrique et cette expérience est irremplaçable. Nous avons déjà obtenu un certain nombre de réalisations, nous avons déjà convaincu, pourquoi est-ce que nous ne convaincrions pas encore ? D'autant plus que certains de ces pays de la Communauté sont tout à fait disposés à s'engager sur ce chemin. Le travail de conviction est très difficile au-sein de ce qu'on appelle l'ensemble des pays industrialisés. Parce que les points de vue tiennent compte de la géographie, d'autres préférences, ou d'autres hiérarchies. Alors, dans ce cas, la France ne peut pas agir à la place des autres. Tout ce que l'on peut attendre d'elle, c'est qu'elle soit logique avec elle-même. C'est ce que la France a fait lorsqu'elle a décidé de maintenir intégralement sa contribution à l'AID `Association internationale de développement` alors que les Etats-Unis d'Amérique, et un certain nombre d'autres pays, réduisaient sensiblement la leur. Nous avons constamment proposé, mais je ne vais pas y revenir, un certain nombre de directions et nous nous y tenons.\
QUESTION.- A propos du Sahara occidental, il se passe actuellement à Abidjan, car hier soir tous les journalistes ont pu voir, ... (inaudible) `Aide publique au développement`.
- LE PRESIDENT.- Vous savez, monsieur, il faut partir de données bien claires. Si l'on donne le chiffre de 0,7 % du PNB, c'est parce que cela correspond à l'invitation des Nations unies, qui a fixé ce niveau comme, disons, raisonnable par-rapport au produit national brut des pays capables ou en mesure de participer à cette aide. En réalité en France, nous en étions très loin même si sur les statistiques nous apparaissions proches. Parce que dans cette répartition on tenait compte de l'apport de la France métropolitaine à ses propres départements ou territoires d'outre-mer, soit environ la moitié de notre aide réelle à ce qu'on pourrait appeler le tiers monde. Donc on en était, en réalité, à environ 0,3 %. Pour grimper à 0,7 %, il faudra des apports budgétaires annuels fort importants. Or, cet effort budgétaire est particulièrement difficile en ce moment car il nous faut resserrer les écrous.
- Et bien, malgré nos difficultés, nous avons quand même décidé, de privilégier ce type de plan budgétaire, et indépendamment de toutes les autres formes d'aides financières qui n'ont pas un caractère budgétaire. Et nous avons dès 1981 pour 1982 et maintenant en 1982 pour 1983, pris les dispositions pour aller vers ces 0,7 % - qui seront d'ailleurs 0,15 % pour les pays les moins avancés `PMA` - et pour atteindre cet objectif d'ici 1988.\
`REPONSE` Aide publique au développement`.
- C'est vrai qu'à l'intérieur de cette proposition, les situations sont très différentes selon les pays. Pour certains nous avons beaucoup plus de contributions que pour d'autres, puisque notre moyenne est encore inférieure à 0,7 %. La Côte d'Ivoire se situe parmi les pays avec lesquels nous avons le plus avancé dans cette coopération.
- Je me suis gardé d'indiquer des chiffres au-cours de mes différents exposés. Je les connais fort bien, puisque je les vis, mais je ne veux pas avoir en quoi que ce soit à jeter à la face de mes amis ivoiriens : "Voilà dans tel domaine, le nombre de millions de milliards disponibles". Vous savez c'est un échange de services, nous ne tirons absolument pas orgueil de celui que nous pouvons rendre à la Côte d'Ivoire, sachant fort bien tous les services que la Côte d'Ivoire et les Ivoiriens rendent à la France. Je vous confierai même qu'en plusieurs de mes exposés, sur les notes qui me sont remises, figuraient tous ces chiffres.
- J'ai eu à coeur de les rayer énergiquement car je n'ai pas à me prévaloir de ce genre de chose. Mais je n'ai pas à taire qu'au-cours de ces derniers mois, la France s'est déclarée totalement disponible auprès de la Côte d'Ivoire pour remplir les obligations qui correspondaient à nos intérêts communs. Si l'occasion se présente à nouveau, surtout en Côte d'Ivoire qui a besoin de lutter pour défendre ses productions devant une formidable spéculation, notamment celle qui frappe le café et le cacao `matières premières`, alors la France est prête - elle l'a déjà montré - à assumer une part de la charge supportée par le peuple de Côte d'Ivoire. C'est dans ce sens que nous agissons.\
QUESTION.- Vous avez dit hier devant l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire que la France proposera des mesures destinées à enrichir le STABEX. Peut-on avoir une précision supplémentaire (inaudible) d'accroître (inaudible) financières du Stabex, d'améliorer le mécanisme de son fonctionnement ou de créer des nouveaux systèmes de (inaudible) ?
- LE PRESIDENT.- Nous voulons préserver le STABEX. Mais le STABEX ne répond pas à toutes les questions qui se posent. C'est pourquoi dans mon exposé j'ai à la fois reconnu la nécessité d'un STABEX renouvelé mais aussi indiqué deux autres directions qui étaient choisies par la France. Ce sont des sujets dont vous pouvez parler avec le ministre compétent. Nous sommes tout à fait décidés à tout faire rendre au STABEX, tout ce qu'il peut rendre, en sachant parfaitement qu'il ne peut rendre tous les services que nous aurions souhaités. Ce fut une très grande innovation de ces dernières années, que nous entendons préserver.\
QUESTION.- (inaudible) `conflit du Sahara occidental`.
- LE PRESIDENT.- La France n'entend pas exercer une médiation. Elle dit aux pays amis qui la consultent ce qu'elle pense des solutions possibles, ce qui est différent.
- Quant au référédum, il me semble que ce n'est pas une décision de la France, ni une proposition de la France mais une décision de la conférence de l'Organisation de l'unité africaine `OUA` qui s'est prononcée à Nairobi sur ce sujet. Il ne faut donc pas passer d'un plan à l'autre : c'est une proposition africaine, qui a été acceptée par les différents partenaires et sur laquelle la France n'a eu aucune peine à se retrouver car elle a toujours pensé que c'était le processus de l'autodétermination qui était le meilleur. Pour le reste, j'ai en effet rencontré le président Chadli `Algérie`, j'ai rencontré le président Haidallah `Mauritanie` et je serai au Maroc fin septembre, début octobre. Tout cela relève du bon voisinage de la France. Je n'ai rien d'autre à ajouter à ce sujet pour l'instant.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je reviens sur la question de votre conception de l'aide aux pays du tiers monde. Nous savons tous (inaudible) mais il y a la nouvelle conception de l'aide de l'administration Reagan. Je pense que la plupart des pays (inaudible). LE PRESIDENT.- Lorsque vous me posez la question, il ne faut pas dire la France socialiste, mais la France tout court. Le gouvernement, lui, est un gouvernement à direction socialiste, appuyé sur une majorité politique qui comporte en-son-sein une majorité socialiste. Pardonnez cette mise au point.
- Je veux vous dire que nous ne sommes pas sectaires. Tout ce que l'économie privée pourra apporter aux pays du tiers monde sera le bienvenu si, bien entendu, cela ne pèse pas sur l'indépendance politique de ce pays. C'est à ces pays d'en juger, bien entendu. Ceux qui m'entendent ici, en Côte d'Ivoire, sont suffisamment informés pour parfaitement répéter les formes insidieuses de néo-colonialisme. Que les intérêts privés viennent dans vos pays pour investir, c'est une bonne chose. Simplement, je ne crois pas du tout qu'il soit possible de répondre à tous les besoins de ces pays par le seul effet des investissements privés, qui échappent à toute planification, qui n'ont pas en vue le développement logique de ces pays mais qui cherchent leur profit au travers de choses utiles.
- L'utilité n'est d'ailleurs pas toujours évidente. Un heureux développement exige une sorte d'appel d'air des pays en question pour que les capitaux privés y investissent, y fassent travailler, y développent les moyens de crédit. Mais l'on ne peut s'arrêter là et il faut concevoir que la partie principale de l'aide ne peut qu'être publique `aide publique au développement`, relever d'une discussion d'Etat à Etat débouchant sur des plans de co-développement, et se portant vers des domaines dont la rentabilité immédiate n'est pas assurée. C'est le moyen terme et parfois le long terme qui seront visés par les puissances publiques alors qu'elles sont négligées par le capital privé. Le développement ne sera donc assuré à long terme que par une coopération délibérée entre les puissances publiques. Mais cela ne s'oppose en rien à la multiplication des apports privés. Tout au contraire, je pense que c'est un plan public, intelligent et cohérent, qui deviendra un point d'attraction considérable pour les capitaux privés.\
`REPONSE` Aide Etats-Unis `Aide au développement`.
- Le plan de développement présenté par M. Reagan pour les Caraibes est un plan intéressant que j'ai approuvé dans sa partie économique, bien qu'elle m'apparaisse insuffisante. Je ferai naturellement quelques réserves sur sa partie politique, mais c'est une autre affaire. C'est une bonne chose que les Etats-Unis d'Amérique, le Mexique, le Venezuela parmi d'autres s'associent pour développer les Caraibes. Simplement ce plan soutenu par les sociétés privées généralement de grandes sociétés multinationales, sera insuffisant pour assurer d'une façon utile, harmonieuse et durable, le développement des Caraibes. Cette sorte de retrait de la puissance publique `aide publique au développement` devant l'apport privé aboutira aux conséquences que je décrivais tout à l'heure.\
QUESTION.- Ceci est votre deuxième visite en Côte d'Ivoire qui se situe dans une perspective différente de la première. Je ne peux donc pas vous demander de faire un parallèle mais je me permettrai de vous demander, monsieur le Président, sans faire de confidences en public, quel est votre sentiment profond sur cette Côte d'Ivoire que vous avez découverte à Abidjan et dont vous avez vu l'autre face ce matin à Yamoussoukro ?
- LE PRESIDENT.- Pour les confidences en public et même avec vous en privé, je fais attention. Mais cela n'est pas la deuxième fois, monsieur, que je viens en Côte d'Ivoire mais la cinquième ou sixième fois. J'ai effectué trois voyages, disons quasiment officiels et, au-cours de l'un d'entre eux, il y a bien longtemps, lorsque j'étais ministre de la France d'outre-mer, en 1951, j'ai inauguré le canal de Vridi, et le percement de la lagune. J'y suis revenu en 1961 invité par le président Félix Houphouet-Boigny à l'occasion des fêtes de l'Indépendance. Je me pose la question de savoir si je n'y suis venu en 56. Je suis venu au moins trois ou quatre fois à-titre privé. Avant même d'être ministre de la France d'outre-mer, j'étais venu en 1950 dans cinq ou six villes de Côte d'Ivoire, pour découvrir, pour visiter ce pays de même que je m'étais rendu dans tous les Etats francophones, qu'à l'époque on appelait territoires d'Afrique. Vous savez que la meilleure façon de bien connaître un pays n'est pas forcément un voyage officiel.\
`REPONSE ` Voyage en Côte d'Ivoire` Quelle comparaison peut-on faire entre 1951, premier voyage officiel et 1982, 31 ans après ? Presque tout est différent £ la première fois c'était l'époque coloniale, pas tout à fait au terme d'un combat pour la décolonisation au travers d'institutions qui se cherchaient encore. Il y avait un -rapport de forces entre une administration dominante et une population représentée par ses élus car il y avait déjà de nombreux élus démocratiquement choisis et qui se trouvaient dans une contradiction majeure. Je me souviens de toutes les difficultés en 1951, simplement pour que le président Houphouet-Boigny - qui était déjà parlementaire en Côte d'Ivoire, indépendamment du fait qu'il était le grand leader du RDA `rassemblement démocratique africain` - puisse participer aux cérémonies officielles, alors que toutes les garnisons avaient été doublées trois semaines auparavant par crainte de troubles. J'avais dû moi-même tailler à coups de hache dans les dispositions militaires et administratives qui ne demandaient qu'à trouver un nouveau terrain de guerre, de guerre coloniale. Tout cela a beaucoup changé.
- Abidjan était une toute petite ville - treize villes étaient beaucoup plus importantes - et il y avait une tension extraordinaire dans les esprits, car tout pourrait finir en drame. Et si cela finit d'une façon heureuse, c'est parce que quelques hommes se sont obstinés, le premier d'entre eux étant Félix Houphouet-Boigny, à arrêter le déclenchement de la violence à diverses reprises. Je crois y avoir contribué. Il y a eu ensuite des institutions nouvelles, avec la loi-cadre, proposée en 1956 par Gaston Defferre, qui a amorcé très largement le processus final. Le texte de la constitution de 1958 sur la Communauté `Communauté française` a été plutôt incertain, car il rendait incompatible l'appartenance à cette Communauté et l'Indépendance. La Communauté est donc allée vers l'échec total. Lorsqu'on est passé de la loi-cadre à la Communauté chacun de ces pays s'est déterminé. Certains d'entre eux sont allés chercher leur indépendance en eux-mêmes puis sur-le-plan des institutions internationales. Aujourd'hui, c'est fait, on n'en parle plus et c'est très bien comme ça. Mais je peux mesurer à travers votre question la formidable histoire qui a été faite et vécue par nous tous, par ceux qui ont mon âge. Ceux qui sont un peu plus jeunes ont naturellement derrière ce passé, cette formidable transformation, cette réussite finale dont les auteurs sont multiples, souvent même d'idéologies différentes, mais qui ont tous eu la sagesse de comprendre que cette évolution n'était pas simplement fatale mais qu'elle était heureuse.\
QUESTION.- Monsieur le Président, ... (inaudible) peut-on imaginer de la part de la France une solution de mêm -nature pour les matières premières de la Côte d'Ivoire ?
- LE PRESIDENT.- Mais, monsieur, je ne comprends pas votre question : c'est ce que nous faisons tous les jours, c'est ce que nous faisons pour l'uranium du Niger, c'est ce que nous faisons tous les jours !
- J'ajoute que je n'accepte pas du tout votre définition d'un contrat politique avec l'Algérie. On m'a raconté beaucoup d'histoires à ce sujet. Le prix du gaz algérien était plus cher que certains autres gaz, notamment le gaz hollandais, mais il était moins cher que d'autres gaz comme le gaz indonésien par exemple. D'autres pays que la France, comme l'Angleterre ou le Japon achètent le gaz, notamment algérien, plus cher que nous ne le payons actuellement £ la Belgique le paie légèrement plus cher, dans un accord du même type. Des comparaisons absurdes ont été faites entre le gaz acheté à l'Union soviétique et le gaz algérien, en oubliant complètement que ces deux types de gaz n'exigent pas du tout les mêmes conditions de transport. Dans un cas, il faut des méthaniers et c'est beaucoup plus cher que par le simple pipe-line, etc... Mais ce n'est pas en trois minutes que l'on peut réformer toute une série de jugements hasardeux faits par des gens qui, eux, avaient une opinion politique et non pas économique, du contrat franco - algérien. Bon, alors, il fallait en tout cas signer ce contrat. Je me suis entendu avec le Président Chadli dès le mois de décembre 1981 sur ce sujet et en sachant fort bien que si les experts s'emparaient de ce contrat, il se passerait ce qui devrait se passer, c'est-à-dire qu'on n'aboutirait à rien. Dans ce cas, on n'aboutit jamais à rien d'ailleurs, il faut bien que vous en soyez convaincus.
- Car chacun, du côté de chaque pays, défend le prix des virgules avec acharnement. C'est normal car ils sont là pour ça. La seule concession que je vous ferais, sur-le-plan d'un contrat politique, c'est que s'il n'y a pas une volonté politique des responsables politiques pour dire, à un moment donné, "ça suffit, arrêtons-nous là, voilà le choix qui est le nôtre", habituellement rien ne se fait.\
`REPONSE` Ce qui est vrai, c'est que le prix que nous avons payé pour le gaz algérien était facteur de certains éléments évolutifs. Nous avons choisi en effet des prix de référence : le pétrole, le pétrole léger et le pétrole lourd qui sont comme vous le savez variables. Les lourds coûtent plus cher mais sont plus stables, les légers coûtent moins cher mais ils ne sont pas stables. Comment prévoir une évolution de ces prix, à-partir de six, sept, huit ? on a donc cherché à partager de telle sorte qu'il y ait un mélange, un panier de pétroles différents, de prix différents, lourds, légers, et comme nous savions tous dès ce moment-là que la baisse du pétrole s'amorçait, le prix de référence du mois de décembre dernier impliquait déjà une baisse sensible pour janvier et une deuxième baisse encore plus sensible pour avril, ce qui s'est produit. Alors que l'on cesse de dire que nous avons acheté du pétrole à 25 % du cours mondial : ce n'est exact du tout ! Je ne connais d'ailleurs pas de prix mondial, qu'est-ce que ça veut dire cette moyenne de prix mondial dans des accords extraordinairement différents, qui, je vous le dis, impliquaient qu'un certain nombre de grands pays industriels achètent, même à l'Algérie, leur gaz plus cher que nous. Alors cessons de nous égarer.
- Mais s'il s'agit de restituer sa noblesse, à la politique, alors c'est vrai qu'au travers de contrats de ce genre la France établit des plans de co-développement et que le prix payé pour le gaz algérien comprend une partie représentant l'apport en co-développement de la France. Aussi le prix a été plus cher que d'autres fournitures du même ordre, celui des Hollandais, mais est resté quand même moins cher que d'autres. Mais c'est vrai que par-rapport au prix que pouvait payer la société qui a acheté, c'est-à-dire Gaz-de-France, il y a eu un surplus et ce surplus c'est la part des fonds publics français au co-développement `aide publique au développement`. J'en aurai terminé en vous disant, c'est ce que nous faisons avec la plupart des pays avec lesquels nous traitons, qui sont nos amis, nos alliés, qui font partie d'un ensemble donc maintenant historique. Ils voient souvent la France acheter la matière première un peu plus cher qu'elle ne vaut selon les cours mondiaux. C'est notre façon de contribuer au développement. Voilà, je pense que c'est clair et tout le monde devrait comprendre.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez lancé un appel pour les droits de l'homme en ... (inaudible), est-ce que les principes que vous avez à remplir là-bas peuvent être défendus au continent africain ?
- LE PRESIDENT.- Mais, cher monsieur, ce sont des principes qui ne connaissent pas de frontières. Je ne vais quand même pas dire à Cancun "libérez les opprimés, cessez d'écraser les opprimés, cesse d'écraser les pauvres, cessez vos répressions politiques" et dire ailleurs "je vous y encourage". Ces principes sont universels £ la difficulté dans cette façon de faire tient à une réalité. La France entretient des relations diplomatiques, commerciales, traditionnelles avec beaucoup de pays dont elle n'approuve pas le régime intérieur. Il est donc assez difficile à la France de décider qu'elle n'aura plus aucune relation avec tout pays qui manque aux règles de la démocratie. Je vous ferai même une confidence, nous ne verrons plus grand monde, en faisant ainsi, alors il y a donc des responsabilités qui incombent à la France que j'assume en marquant la direction que j'entends suivre et en essayant de préserver les atouts de la France dans le monde, en m'efforçant aussi de démêler ce qui me paraît acceptable de ce qui ne l'est pas. Mais, je ne veux pas avoir la prétention de fixer une règle de conduite aux autres. Le stade d'évolution politique, les institutions qui prédominent, l'histoire sur deux siècles, en France, ne sont pas les mêmes que dans beaucoup d'autres pays du monde. Nous ne nous proposons pas en modèle. Mais quelques principes universels n'en sont pas moins très chers à la France et je m'efforce de les défendre.\
QUESTION.- ... (inaudible) le gaz algérien mais en ce qui concerne le problème de ce que pourrait faire la France en ce qui concerne les produits ivoiriens, le café et le cacao `matières premières`. Alors plus précisément, je voudrais vous demander, est-ce qu'il serait imaginable que la France participe à une certaine action en faveur de la montée des cours par le financement, chez elle, d'un certain nombre de stocks qui ne seraient pas excessifs ?
- LE PRESIDENT.- C'est une direction que la France est toujours prête à prendre, mais moi je ne veux pas préjuger les accords financiers et commerciaux qui sont pris par mon pays. Cela se discute et il ne m'appartient pas pour l'instant de trancher. Je vous répète que par-rapport à de nombreux produits dans le monde, la France procède de cette façon. Les prix plus élévés que les cours mondiaux sont pour elle une façon de participer au co-développement. D'ailleurs d'une façon générale, il faut le dire aussi bien sur-le-plan de la Communauté `CEE` il y a une pratique de trois prix différents déjà à l'heure actuelle. On ne peut pas ignorer qu'il y a des prix pratiqués comme on dit au cours mondial £ les prix qui font l'objet d'un vaste débat au-sein des pays industriels occidentaux, pratiqués notamment avec les pays de l'Europe de l'Est qui étaient des prix de crédit, des taux de crédit intermédiaires £ et il y a les prix pratiqués à l'égard des pays du tiers monde et particulièrement dans les relations entre la Communauté européenne et l'Afrique noire. Donc, ça existe déjà. Quand au problème particulier du cacao et du café, face à la chute brutale des cours, la France a déjà pris de nombreuses dispositions. Le problème est de savoir si nous achetons directement le café et le cacao à un prix meilleur encore pour soutenir le développement ivoirien. Ce sont des discussions qui ont -cours et sur lesquelles je n'ai pas à me prononcer pour l'instant.\
QUESTION.- (inaudible) `francophonie`
- LE PRESIDENT.- J'y suis très favorable. J'éviterais la comparaison avec le Commonwealth pour ne pas sembler dessiner un -cadre institutionnel, mais je suis très favorable à ce développement de la francophonie. Il faut surmonter quelques difficultés qui ont jusqu'ici constitué les obstacles que vous connaissez, notamment dans la représentation du Canada au travers de la dialectique Canada et Québec. Un certain nombre de conversations ont été engagées pour parvenir à donner vraiment corps à une démarche francophone. Je pense que dans les mois qui viennent, je consulterai un certain nombre de gens très informés dans ce domaine. Je m'en suis notamment entretenu longuement avec M. Pierre Emmanuel. Nous avons commencé à réformer plusieurs des institutions qui touchent à la francophonie. Bref, nous sommes en-train d'y travailler avec la ferme attention d'aboutir.\