22 mai 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant la communauté française, Abidjan, samedi 22 mai 1982.

Mesdames et messieurs,
- Mes chers compatriotes,
- Il y aura un temps pour tout. D'abord pour quelques mots, ceux que je vais vous adresser, mais il n'y aura pas d'autres discours et le mien sera bref . Ensuite pour la Marseillaise, comme vous êtes répartis dans plusieurs salles, j'irai évidemment de l'une à l'autre.
- Je vois qu'il ne me sera pas très aisé de circuler parmi vous comme j'en avais exprimé le désir. Seulement, comment faire ? On essaiera ! Espérons que les services qui ont organisé cette rencontre auront de l'imagination.
- Votre grand nombre m'interdira cependant de faire comme il m'arrive dans d'autres pays où les Français sont moins nombreux : parler avec vous, de façon individuelle. C'est pourtant très utile pour moi, puisqu'au travers de ces brèves conversations je perçois mieux vos besoins, vos aspirations, vos difficultés, vos espoirs.
- Comme vous le savez, je suis venu passer deux jours en Côte d'Ivoire après deux jours au Niger, avant deux jours au Sénégal, qui se termineront, sur la route du retour, par une escale en Mauritanie.
- Partout je rencontre les Français et c'est toujours comme cela, assez peu commode, du moins quand les inquiétudes sur le temps pendant la saison des pluies interdisent de prévoir des rencontres dehors où c'est beaucoup plus pratique.
- Je souhaite, mes chers compatriotes, vous dire quelques mots très simples. D'abord, c'est une joie pour moi que de vous rencontrer, vous qui vivez à des milliers de kilomètres de votre Patrie et, bien que vous soyez nombreux sans doute ici à éprouver, à l'égard de la Côte d'Ivoire, des sentiments comme s'il s'agissait d'une seconde patrie. Vous êtes dans un pays privilégié, je veux dire privilégié par la qualité des hommes, par les réussites accomplies en commun où la France a marqué au-cours de ces deux dernières décennies et bien auparavant, d'une manière ineffaçable qui transparaît dans l'emploi de notre langue, dans l'architecture dans les échanges, bref dans tout ce qui touche aux intérêts les plus légitimes, intérêts matériels comme sur-le-plan de la culture. Et j'imagine que vous êtes plus à l'aise que beaucoup d'autres, répartis à travers le monde, en vous trouvant ainsi au sein d'une société qui vous accueille et, je l'espère, qui vous comprend.\
Cependant, vous n'en êtes pas moins des Français expatriés, les uns pour longtemps ou bien depuis longtemps, les autres pour un nombre d'années plus réduit, ce qui commande cependant des réactions psychologiques et affectives différentes. J'en ai connu parmi vous, ils sont là, que j'avais rencontrés il y a trente-deux ans à Abidjan, qui n'était pas le même Abidjan, à aucun point de vue, ni sur-le-plan du décor, ni sur-le-plan du confort, ni sur-le-plan de l'esthétique, ni sur-le-plan - permettez cette allusion pudique - de l'-état d'esprit.
- On avait peut-être quelque peine à imaginer à cette époque les temps futurs qui pour vous sont les temps présents. Et j'ai pu, à trois reprises, revenir dans cette ville, bien que la dernière fois soit déjà lointaine, puisque c'était, je crois, en 1961 lors des fêtes de l'Indépendance. Eh bien, à chacune de ces étapes, j'ai croisé quelques visages, connu quelques-uns d'entre vous, que j'ai grand plaisir à saluer aujourd'hui. Ceux-là ont été tenaces, depuis le temps qu'ils ont quitté leur pays qu'ils retrouvent de temps à autre, ayant, au fond, fixé d'autres racines dans cette terre amie £ puis, il en est, nombreux parmi vous, qui sont là pour peu d'années, soit qu'ils y sont conduits par leurs obligations professionnelles pour le -compte de sociétés privées, de groupes d'échanges, d'activité commerciale, industrielle, sur-le-plan des expertises indispensables aux relations entre la France et la Côte d'Ivoire, d'autres sont là pour coopérer ou représentent la fonction publique, sous tous ses aspects et, particulièrement, sous l'aspect enseignant.
- Vous appartenez sans aucune doute, il n'est pas difficile de l'imaginer, en-raison même de votre densité, à toutes les catégories de la France, soit par le métier, soit par l'opinion. Bien malin celui qui pourrait démêler, au travers de vos rangs, quelle est votre préférence qui d'ailleurs m'importe peu. Si j'ai mes préférences moi-même, je n'ai pas à les dire. Et j'ai surtout à ne pas en tenir -compte. Sinon dans les choix qui sont ceux de la politique quotidienne, où il faut bien s'engager, ici ou là, mais aussi par-rapport aux intérêts généraux d'un pays dont vous êtes les fils et les filles au-même-titre.\
A mes yeux, il n'en est pas une seule, il n'en est pas un seul qui puisse penser que celui qui, pour le temps présent, et le Président de la République Française, puisse ne pas se trouver proche, pour tout ce qui compte, pour tout ce qui assure la durée d'un pays, sa permanence, qu'on appelle d'un terme un peu vague et quelquefois dangereux : ses "valeurs profondes". Je me méfie un peu de ce genre de langage bien qu'il soit, pour beaucoup d'entre vous, et sans doute pour la plupart, aussitôt comme une sorte de méthode pour s'y reconnaître. Nous savons bien, nous, ce qu'est la France, ce par quoi elle se distingue, ce qui fait le meilleur d'elle-même. Si aucun d'entre nous ne peut prétendre s'identifier à la France tout entière, chacun fait comme il peut là où il est et j'entends bien m'adresser à vous, mesdames et messieurs, mes chers compatriotes, comme à des Français indistincts représentants d'une patrie commune qui nous est également chère et sur lesquels nul n'aura la prétention d'établir une hiérarchie des mérites.
- Vous êtes très nombreux en Côte d'Ivoire, nombreux à Abidjan. Je n'ai pas fait de statistiques, mais vous êtes, sans aucun doute, l'une des principales, comme on dit sans vouloir évoquer des noms qui sonneraient mal, l'une des plus importantes colonies françaises à l'étranger, ce qui prête à notre conversation de ce soir un aspect particulier. Ce qui aussi m'oblige, plus qu'ailleurs, à prendre en-compte ce que j'appelais, pour commencer, vos besoins et vos aspirations. Je ne suis pas ici non plus, vous l'imaginez bien, pour développer toute une série de réponses aux généralement justes revendications de ceux qui attendent de leur patrie qu'elle réponde à leurs questions. Je suis ici accompagné non seulement de ma femme, que vous voyez ici, mais également du président de l'Assemblée nationale, Louis Mermaz, du ministre des relations extérieures, Claude Cheysson, du ministre de la coopération et du développement, Jean-Pierre Cot, et de Mme le ministre - voyez comme il est difficile de s'arranger avec la grammaire quand il s'agit de problème touchant à l'accord du masculin et du féminin - de Mme le ministre des droits de la femme, Mme Yvette Roudy et de Mme le ministre de la jeunesse et des sports Edwige Avice. Quelques autres encore, en-particulier Guy Penne, qui travaille à mes côtés pour suivre vos problèmes, ou bien Michel Charasse, mais la liste serait longue.\
Ne croyez pas qu'il s'agisse, pour moi, de me promener à grand -train : mais j'ai voulu, exactement comme je l'ai fait en Italie, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, j'ai voulu qu'il soit bien admis, dans chacun des pays africains où je me rends, que nous ne sommes pas là seulement, ce serait tout à fait désirable, pour du tourisme. Nous sommes là pour travailler et je veux que les responsables de ces pays, c'est-à-dire les gouvernements aient en face d'eux leurs homologues, pour discuter des problèmes qui sont ceux de la vie quotidienne de la Côte d'Ivoire et de la France. Cela permet d'aller plus loin que la simple représentation officielle ou que le protocole préoccupant mais jamais suffisant £ cela permet de discuter, de préparer, de prévoir.
- J'en ai fini, mesdames et messieurs. Si le loisir nous en est donné, en-raison je le répète de l'incommodité de ces lieux pourtant si vastes, j'espère qu'il nous sera possible de parler ensemble. J'ai pris bien entendu, connaissance des points principaux relevés notamment par vos associations, vos groupements, problèmes qui touchent naturellement à des intérêts de carrière, ce qui est parfaitement juste, qui tiennent peut-être surtout et davantage à la situation et au devenir des enfants savoir comment faire pour que tels et tels d'entre vous ne se trouvent pas non plus lésés parce qu'ils auront choisi de servir la France à l'extérieur, lever l'incertitude où ils sont quant à leur sort lorsqu'ils seront de nouveau en France. Alors là, j'ai un dossier lourd et difficile à traiter, quand on sait l'élan et l'enthousiasme de ceux d'entre vous - ils sont nombreux qui sont venus là pour une large fraction de leur vie - souvent en tout cas de leur jeunesse qui sachant les difficultés de leur pays, le nombre de chômeurs, la crise économique, tout ce qui frappe le monde occidental, ont le droit de s'inquiéter afin de préparer ce qui les attend de retour dans leur pays. A cet égard, je ne chercherai pas à plaider pour personne sinon pour le courage ou la volonté, la ténacité et l'espoir enraciné qui est le nôtre. Nos responsables du pays désignés par votre choix doivent conduire la France comme il convient, c'est-à-dire préparer cette fin de siècle pour faire face aux périls extérieurs et pour réaliser, mieux peut-être que dans le passé, les chances de chacun.\
Mesdames et messieurs, je ne terminerai pas ce rapide exposé sans saluer nos hôtes, je veux dire par là le président Félix Houphouet-Boigny, les membres du gouvernement ivoirien et toutes les personnes, modestes ou importantes, qui font votre vie quotidienne, ceux qui sont vos correspondants, vos compagnons, parfois, je l'espère, vos amis.
- Dans ce pays où j'ai moi-même trouvé tant d'affinités, où j'ai connu certains des choix les plus importants de ma propre vie politique, où j'ai le sentiment que la France connaît un épanouissement et rayonnement exceptionnels, je retiendrai deux caractéristiques principales : d'abord, la réceptivité, la forme de sensibilité, le sens de l'hospitalité des Ivoiriens eux-mêmes £ ensuite, je crois pouvoir le dire en votre nom parce que vous apportez vous-même à la Côte d'Ivoire, ceux d'entre vous que je connais aiment ce qu'ils font, aiment ce pays et sont fiers, après tout, de se sentir Français dans ce pays d'Afrique où nos deux histoires se confondent.
- Je ne suis pas pressé de vous quitter mais vous êtes debout, un peu entassés, cela ne doit pas être très confortable. Je crois que le plus simple serait maintenant de s'égayer un peu, de prendre de l'air et de la distance entre vous, pas avec moi, bien au contraire, ce qui me permettra de descendre de cette tribune et d'aller, autant qu'il me sera possible, par ces couloirs ou dans vos rangs, et de rejoindre, surtout, celles et ceux d'entre vous qui m'entendent mais qui ne me voient pas, ce qui est un peu embarrassant lorsqu'on est au spectacle ! Alors je vais aller un peu plus loin les voir, et puis comme il nous restera, je ne sais pas une demi heure, trois quarts d'heure, j'espère que j'aurai le plaisir de serrer la main de quelques uns d'entre vous. Je suis là en ma qualité de Président de la République française, plus encore en qualité de Français, votre compatriote. Il m'est très agréable de pouvoir vous dire maintenant, sans hausser la voix et sans prétendre entonner je ne sais quel air patriotique : Vive la République !
- Vive la France.\