29 avril 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, au Folketing (Parlement), Copenhague, jeudi 29 avril 1982.

Monsieur le président,
- Mesdames et messieurs les parlementaires,
- Au-cours de la visite officielle que j'effectue actuellement au Danemark, j'ai souhaité pouvoir m'adresser à vous, élus du peuple danois, membres du Folketing, et je vous remercie de m'en avoir offert l'occasion. J'ai été très sensible, monsieur le président, aux paroles de bienvenue par lesquelles vous venez de m'accueillir dans cette salle.
- Ce n'est pas seulement le fait d'avoir été parlementaire moi-même pendant 35 ans dans mon pays qui m'a incité à cette démarche. S'y est ajoutée la considération que mérite particulièrement le Parlement de votre pays. Le Folketing est en effet, à la fois, et le -fruit, et le symbole d'une histoire qui a su, au 19ème siècle puis au 20ème, épouser naturellement les grands mouvements d'idées du temps présent, et connaître pacifiquement les nécessaires mutations.
- Je n'ignore pas que la salle de vos séances obéit à des règles traditionnelles, qui ne permettent qu'aux parlementaires eux-mêmes d'y siéger. Dans ce bâtiment historique, dans cette salle où se sont déroulés tant d'événements majeurs rappelés pour partie par les scènes peintes le long des murs et qui marquent les grandes étapes de votre histoire, j'éprouve cependant un plaisir très vif à me trouver avec des parlementaires, car c'est la seule chose qui me soit interdite dans mon propre pays.
- Je ne peux en effet, selon l'usage et les règles, me rendre en tant que Président de la République française dans le bâtiment du Parlement. De ce fait, j'ai un peu le sentiment de retrouver parmi vous comme un air de famille, auquel je suis resté naturellement très sensible, puisque toute ma vie politique s'est déroulée depuis 1946 au-sein de notre Parlement. J'en connais les usages. J'en ai éprouvé les moeurs. J'ai pu savoir l'utilité de la contradiction et du débat. J'ai été habitué à vivre en compagnie de celles et de ceux qui ne pensaient pas comme moi et j'ai continué de concevoir la vie politique d'un pays démocratique comme l'affrontement, aussi raisonnable que possible, dans-le-cadre d'un pluralisme institutionnellement préservé. Tel est le cas en France aujourd'hui. Tel sera le cas tout le temps que j'en aurai la charge.
- Je pense que cela doit être pour vous une source de fierté que d'avoir réussi à marier si heureusement les institutions de la monarchie et les traditions qu'elles comportent avec le vigoureux esprit démocratique dont vous m'offrez aujourd'hui l'expression. Ne croyez pas que je ne sois ni gêné, ni choqué lorsque tel ou tel d'entre vous me dit très simplement ce qu'il pense de la politique en général et de la politique française.
- Si je suis ici, c'est en effet parce que j'accepte le débat sans quoi je n'y serais pas. Il n'y a pas de problème qui soit interdit. Il n'y en a d'ailleurs pas que j'éliminerai de mon exposé, désireux d'informer votre Parlement des lignes principales de notre action.\
Cette rencontre du Président de la République française avec le Parlement danois est, je le crois, une étape importante d'un voyage qui doit permettre de revivifier des relations amicales, mais trop espacées, entre nos deux pays. Je le rappelais hier soir, le précédent voyage d'un chef de l'Etat français dans votre pays remontait à 1955 et celui qui l'avait précédé en 1908. Si nous avions eu la joie de recevoir en 1978 Sa Majesté la Reine de Danemark et Son Altesse Royale le Prince Consort, nous étions en reste sur-le-plan de la courtoisie, comme sur-le-plan de l'entretien de relations fécondes entre nous. Et pourtant, les relations entre nos deux pays n'ont jamais rencontré d'obstacles. Nous n'avons été séparés par aucun conflit réel. Et elles ne sont pas nombreuses, les nations qui, dans l'Europe si chargée d'histoire, se trouvent dans ce cas ! Les Français ont souvent eu dans leur histoire un aspect batailleur. C'est une chance de l'histoire et de la géographie que de se trouver, lorsque l'on est le chef de l'Etat de la France, devant une assemblée représentant un peuple avec lequel nous n'avons jamais eu à en découdre, alors que les circonstances n'ont sans doute pas manqué. Nous aurions pu nous trouver dans un camp ou dans l'autre. Bref, nous aurions pu guerroyer, ferrailler. Telle n'est pas, je le répète, notre histoire. Cette chance presque unique, il faut savoir la saisir autant qu'il est possible à l'intérieur de l'Europe où nous sommes, vous et nous, pour servir d'exemple aux relations à construire.\
Des révolutions françaises de 1789 et de 1848 particulièrement, vous avez su retenir un certain nombre de principes et d'élans nouveaux, en les adaptant selon votre génie propre. Et nous, de votre pays, nous avons admiré et parfois tenté de reprendre à notre compte le sens de l'accueil, celui du droit d'asile, l'esprit de réformes sociales, la -recherche constante d'un cadre de vie plus adapté, plus harmonieux, et même dans un domaine où nous sommes sur certains points concurrents, une politique agricole exemplaire. Lorsque nous débattons en France des progrès à apporter dans notre société, combien de fois nous reportons-nous à l'oeuvre accomplie dans les relations sociales propres au Danemark ! Eh combien nous serait-il utile, dans les années à venir, en France, que de continuer à trouver exemple dans un pays comme le vôtre !
- Nous avons, durant la dernière guerre `1939 - 1945`, connu des drames similaires et dans cette communauté de souffrance, découvert de nouveaux liens. Je les ai ressentis particulièrement ce matin lorsque je suis allé au cimetière saluer les tombes et le mémorial élevé pour que demeure le souvenir des victimes de la résistance et du courage danois. Ces liens, depuis la guerre, n'ont fait que se renforcer. Ils sont devenus, à-partir de votre adhésion à la Communauté Européenne `CEE`, institutionnels. Les dirigeants de nos deux pays se sont depuis lors, et dans-le-cadre européen régulièrement rencontrés, et cela fait déjà longtemps que j'ai pu débattre avec vos représentants, comme avec votre Premier ministre, de notre avenir commun. Bref, d'amis sans histoire, de voisins sans problème, nous sommes devenus des partenaires de la même entreprise. Mon intention, aujourd'hui, est d'affermir cette relation nouvelle. Il est bon que le dialogue Nord-Sud, par exemple, dont on parle tant, commence entre l'Europe du Nord, dont vous êtes, en tant que membre de la Communauté scandinave, et le sud de l'Europe, auquel la France, pays charnière, appartient pour partie. Dialogues, échanges mutuels qui n'auront pas pour seul intérêt de renouveler nos relations bilatérales, mais aussi de rapprocher nos analyses afin de réunir nos efforts.\
Des crises auxquelles le monde est aujourd'hui la proie, on ne sait laquelle l'emporte sur l'autre en gravité. Malheureusement, elles conjuguent leurs effets.
- L'un des plus grands périls, d'où risquent de naître de futurs et décisifs affrontements, vient de l'élargissement du fossé entre les pays pauvres et les pays industrialisés. En l'an 2000, la population mondiale représentera selon les statistiques des experts, plus de six milliards d'individus. Trois quarts d'entre eux vivront dans les pays en voie de développement.
- Je sais que vous êtes sensibles aux maux qui rongent ces pays et convaincus de la nécessité d'y remédier. Vous vous situez dans le groupe de tête pour l'aide au développement, et vous vous êtes fixés comme objectif d'y consacrer en 1986 0,73 % de votre produit national brut.
- La France a pris du retard. Aussi, ai-je décidé de le combler dans un délai raisonnable. Je veux que d'ici cinq ans, nous ayons aussi atteint la proportion de 0,7 % du PNB comme d'ailleurs le recommandent les institutions internationales. Nous avons commencé dès le budget de cette année. De même, nous ferons ce qu'il faudra pour participer à l'aide aux pays les moins avancés. Puisqu'une conférence s'est tenue à Paris récemment à ce sujet, nous pensons que nous serons en mesure de parler au reste du monde en accordant nos actes à nos paroles, ce qui après tout, reste la meilleure politique.
- Nous tentons d'apporter, vous et nous, le même appui à ces fameuses négociations globales entre le Nord et le Sud tant demandées par les pays en voie de développement. Nous souhaitons que soit mise en oeuvre une politique de soutien aux cours des matières premières des pays pauvres, une politique agricole ou agro-alimentaire d'auto-suffisance, comme certains d'entre eux sont en voie de le réussir : je pense en-particulier à l'Inde. Je pense qu'il faut rechercher en commun les voies d'un nouveau système monétaire, qui évitera de laisser ces pays aux risques permanents de la spéculation.
- Le Danemark comme la France, sait qu'il s'agit là d'un effort sans cesse à recommencer mais qu'il n'est pas d'autres choix que de chercher à prévenir les convulsions prévisibles, même si nous devons froisser, ici et là, des intérêts immédiats, y compris les nôtres.\
Face aux perspectives dangereuses qui s'ouvrent devant nous, devraient prévaloir, et j'y appelle tous ceux qui veulent bien m'entendre, l'audace, l'imagination et la volonté. J'aperçois qu'il est bien difficile aux pays développés et, particulièrement aux plus importants d'entre eux, de faire aujourd'hui la preuve de ces qualités, compte-tenu des événements qui se sont produits au-cours de la dernière année et de l'éloignement progressif du monde occidental des objectifs qu'il s'était à lui même fixés. Les politiques fixées sur le papier ne sont pas entrées dans les faits, en-particulier depuis la dernière conférence de Cancun.
- Le rôle de la France sera constamment, comme nous ne manquerons pas de le faire à Versailles lors du sommet qui s'y tiendra au début du mois de juin, de rappeler que c'est un impératif, non seulement par esprit de fraternité et de générosité, mais aussi parce que c'est l'intérêt du monde tout entier, et particulièrement du monde industriel, que de voir le marché des échanges se développer. Sans quoi nous nous enfoncerons dans notre propre crise, faute d'investissements utiles, et le cycle infernal du chômage et de l'inflation se poursuivra.
- Ces dernières années, en effet, nous avons assisté au dérèglement des principes qui avaient, après la dernière guerre mondiale, assuré un développement économique rapide. Je pense en-particulier au système monétaire international brisé unilatéralement en 1971.
- Je vous le disais à l'instant, inflation, chômage, baisse de l'investissement, déficit des échanges extérieurs : voilà ce qui constitue la toile de fond, sur laquelle nos pays doivent rechercher une solution communautaire aux problèmes actuels. Or, s'aggrave aussi la tentation du repli sur soi. Il faut y résister car, vous le savez bien, ce n'est qu'ensemble que nous pourrons sortir de la crise, préparer le moment où l'ordre international économique reposera sur des données nouvelles et sur des principes équitables.
- C'est dans cet esprit que j'accueillerai à Versailles, près de Paris, le sommet des pays industrialisés du mois de juin, et que seront examinées les perspectives de relance de la croissance. J'insisterai très vivement sur la nécessité d'examiner en commun le devenir des technologies de pointe, seules en mesure d'assurer au monde du travail le renouvellement, les mutations et les adaptations par la formation, qui feront que la génération suivante sera mise à l'abri des crises dramatiques qui ont frappé le monde, aussi bien dans les années 1930, qu'elles le frappent aujourd'hui.
- Nous chercherons les moyens de mettre un terme à l'élévation excessive des taux d'intérêt, aux fluctuations abusives des taux de change. C'est à cela que je me suis attaché, en-particulier lors de mon voyage récent au Japon, afin aussi d'organiser autant qu'il est possible le flux des échanges commerciaux entre les pays qui, aujourd'hui, déterminent la marche des choses.\
Monsieur le président, mesdames et messieurs, c'est parce que persiste la misère du tiers monde et que les pays développés n'arrivent pas à surmonter leurs propres préoccupations immédiates, que les pays dits en voie de développement risquent chaque jour de tomber davantage dans l'orbite de l'une ou l'autre des super-puissances `Etats-Unis ` URSS`. Tandis que se développent les conflits régionaux, aucun de ces conflits n'étant réglé par ses acteurs, inévitablement se rapprochent par le jeu des alliances et des protections mutuelles, les solutions qui seront déterminées par deux seuls pays au monde exacerbés dans leur compétition mutuelle, et tentés de régler par eux seuls les problèmes dont nos peuples ont pourtant besoin de décider eux-mêmes, si l'on ne veut pas détruire la diversité même de nos cultures et de nos intérêts nationaux.
- Evitons de devenir l'enjeu de rivalités qui nous dépasseraient, les simples pions de l'affrontement planétaire. Certes, nous ne pouvons pas nier la réalité de cet affrontement, même si nous la déplorons. Quiconque a la charge de son pays doit se soucier en premier lieu de ce qui peut lui garantir la paix, de ce qui peut assurer la sécurité de ses concitoyens.
- Dans le monde, tel que je l'observe, il me semble que le principal est de savoir s'il y a ou non équilibre entre les deux blocs milittaires qui s'opposent, car si un déséquilibre devait se faire jour d'un côté ou de l'autre, les tentations se multiplieraient et la paix serait, davantage encore, menacée.
- Tel est, en tout cas, la politique de la France. Il ne faut pas qu'on s'y méprenne : rechercher les conditions de l'équilibre des forces stratégiques et veiller à ce que ce déséquilibre ne frappe pas exagérément l'Europe ou le continent européen lui-même, explique l'ampleur du débat qui s'est engagé autour, d'une part, de l'installation et de la multiplication des fusées SS 20 et, d'autre part, du futur déploiement des pershing II `fusée sol-sol`.\
La France, vous le savez, n'appartient pas au commandement militaire `OTAN` intégré de l'Alliance Atlantique. Les décisions qui s'y prennent, nous n'y avons pas de part. Elles nous intéressent, puisque nous sommes voisins et alliés dans la même aire géographique où s'exerce cette Alliance Atlantique. Et nous respectons la liberté de choix de ceux qui prennent la décision.
- Notre situation est celle d'un pays associé aux conséquences de ces décisions et qui dispose, cependant, d'une capacité de décision autonome, appuyée sur une forme d'armement qui entraîne des discussions un peu partout, au Danemark, je crois l'avoir remarqué, mais aussi en France. Je me souviens du temps, que je n'ai pas oublié, où j'ai moi-même développé l'idée selon laquelle la France serait en mesure d'assurer sa défense sans recourir à la détention de l'arme atomique. Mais les choix de mon peuple doivent être respectés. Il y a maintenant un quart de siècle que ces choix ont été faits, contre mon sentiment. Mais voilà aussi que, depuis un quart de siècle, la défense de la France repose sur cette forme d'armement. Je veux dire que si elle disparaissait, rien ne resterait des moyens de défense de mon pays.
- Je suis né pendant une guerre mondiale. J'ai moi-même été un combattant sous toutes les formes pendant une autre guerre mondiale, c'est-à-dire un soldat dans une armée régulière, puis un soldat dans une armée irrégulière, celle qu'on appelait la Résistance. J'ai été successivement prisonnier de guerre et blessé en Allemagne. J'ai participé aux combats clandestins en France. Je me suis rendu en Angleterre. Je me suis rendu en Algérie. Je suis revenu en Angleterre et je suis revenu, toujours pendant la guerre, en France. J'ai connu tous les aspects de la lutte à travers les mers ou à travers les continents et je me suis bien juré de ne jamais exposer mon pays à connaître la situation vécue en 1939, alors que je partais pour le Front sans armes, en face de la puissance nazie.
- Il faut bien comprendre que, si je n'ai pas été maître du choix de nos armes, je suis maintenant comptable de la sécurité de mon pays. Je veille à ce que les armes de mon pays restent au-dessus du niveau au-dessous duquel leur capacité dissuasive serait ruinée. Il faut donc comprendre qu'il n'y a pas là de choix idéologique. Il y a pour la France, dans un monde rude où les deux plus puissants disposent de formidables armées atomiques, une relation que l'on appelle "du faible au fort".\
Alors que l'Union soviétique `URSS` et les Etats-Unis d'Amérique, ont le moyen l'un et l'autre de se détruire plusieurs fois - on pourrait se demander : pourquoi plusieurs fois, puisqu'une suffirait - la France n'a ni l'intention, ni la volonté de détruire qui que ce soit. Elle n'a que des intentions défensives. Mais elle doit disposer dans cette relation du "faible au fort" du moyen de dissuasion qui interdit à quiconque d'espérer disposer de la France sans subir de tels dommages qu'il vaudrait mieux renoncer à la guerre. Je poursuivrai cette tâche quels qu'en soient les inconvénients car le principal, pour moi et pour tous ceux qui contribuent à mon action, c'est d'assurer l'indépendance de mon pays en veillant chaque fois à associer la France à toutes les démarches qui permettront, d'abord aux deux grands, et aux autres, d'organiser le désarmement.
- Ah, si nous n'avons pas à redouter une intervention étrangère de caractère offensif ! Ah, si l'on parvient à établir une règle commune ! Si les institutions internationales et les Nations unies retrouvent le prestige et l'autorité et, peut-être, les moyens de la force, alors qu'ils disposent déjà si faiblement des moyens du droit, comme les choses seraient différentes ! Encore faut-il commencer par le commencement, et ne pas attendre de l'un des pays menacés par cette compétition entre l'Est et l'Ouest, que ce soit lui qui commence par se démunir des moyens de vivre. En revanche, et vous le savez bien, cela sera dit par notre ministre des relations extérieures `Claude CHEYSSON` lors de la prochaine session sur le désarmement de l'Organisation des Nations unies, nous serons a priori d'accord avec quiconque proposera des plans sérieux de désarmement, non seulement par le nombre d'unités ou d'armes à faire disparaître, à geler ou à faire reculer, mais aussi et surtout, par les moyens de contrôle pour que ce soit la société internationale qui soit en mesure de vérifier si la réalité épouse l'intention affirmée.
- Voilà ce que je dis à celles et à ceux qui s'inquiètent. La France est un pays éminemment pacifique. Comment ne le serait-il pas après avoir vécu les deux drames mondiaux, après avoir sacrifié sa jeunesse dans des proportions que vous connaissez sans doute ? Un million et demi de jeunes hommes tués dans la guerre de 1914 et 1918, commencement de cette blessure, source d'une hémorragie dont nous souffrons encore et qui explique pour une large part les difficultés de notre pays depuis un demi-siècle. Hémorragie recommencée une génération plus tard, même pas le temps d'une génération, avec cette fois-ci un peu moins d'un million de morts à la fois sur les champs de bataille mais aussi dans les camps : tortures, épouvantes, nuit et brouillard.
- Voilà qui doit inciter chaque Français à toujours préférer les chemins de la paix à ceux de la guerre. Ce sera la seule allusion politique que je ferai devant un Parlement qui représente toutes les nuances de la pensée.\
Je souhaite vivement que réussisse la négociation ouverte à Genève. Je n'en suis pas sûr. Je voudrais être davantage informé sur les intentions profondes de l'un et de l'autre des partenaires. Mais, enfin, ils se rencontrent. Ils ont l'intention de recommencer. Je leur dis, depuis le Parlement danois : "Dépêchez-vous". Sans quoi, vous vous trouverez l'année prochaine, à la même époque, devant des choix difficiles, générateurs de tensions qui seront les plus graves que nous aurons connues depuis peut-être la dernière guerre mondiale et, en tout cas, depuis les drames de Cuba et de Berlin".
- Nous serons toujours, nous Français, du côté de ceux qui faciliteront la négociation en évitant de poser d'inutiles préalables mais en engageant réellement et pratiquement le débat sur les types d'armes, le nombre d'armes, leur efficacité, leur portée, leur distance, leurs générations successives et les moyens du contrôle.
- Je vous disais tout à l'heure que nous disposions nous Français, de forces défensives qui dépendent de ma seule décision, de celle du Président de la République française. Quelle immense responsabilité ! On doit savoir que je l'exercerais s'il le fallait. Cela n'empêche en rien, même si une certaine dialectique s'organise entre la capacité autonome de dissuasion de la France et la réalité de l'Alliance atlantique, d'être des alliés loyaux et, en la circonstance, des alliés du Danemark à l'intérieur de la même organisation internationale. Ce qui signifie que si nous disposons, pour notre survie, d'une capacité de décision autonome afin de préserver le sanctuaire national, nous considérons aussi que nous avons des obligations à l'égard des autres. Il serait bien vain ou bien imprudent de souhaiter le -concours et l'amitié des autres pays d'occident, où nous sommes, tandis que nous négligerions nos devoirs à leur égard. C'est pourquoi lorsque j'aurai reçu les représentants de quelques pays industrialisés, au début du mois de juin à Versailles, tout aussitôt le Premier ministre français, M. Pierre MAUROY, se rendra à Bonn pour participer aux délibérations de l'Alliance atlantique.\
Cependant, l'un des facteurs même de la paix s'appelle l'Europe, la Communauté Européenne `CEE` des Dix. Nous sommes deux des dix. Nous avons notre mot à dire. Je dois constater que depuis quelques temps, les mécanismes qui régissent les rapports de ces dix pays sont grippés, que nous parvenons difficilement à surmonter les antagonismes nationaux, comme si nous n'avions pas pris conscience du danger qui nous menace tous.
- Nous débattons, c'est bien normal, d'agriculture. Danemark et France n'ont pas toujours les mêmes positions initiales, sur le lait par exemple. Il faudra bien y parvenir. Je sais que nos ministres des affaires étrangères ont déjà avancé dans ce domaine avec beaucoup de sérieux et de diligence. Mais ce ne sont pas les difficultés sur le lait - quelque importance que cela ait pour des milliers, sinon même des millions de petits producteurs, et je tiens à assurer leur garantie - qui doivent nous faire oublier que l'Europe est pour nous tous le moyen d'exprimer nos formes de civilisation, de culture, nos réalités nationales sur la surface de la planète dont nous disparaîtrons si nous entendons mener un chemin solitaire, dont nous avons déjà, pour une large part, disparu. Dans combien de parties du monde d'aujourd'hui les conflits se règlent-ils sans même que l'on songe que l'Europe pourrait y jouer un rôle ?
- Et pourtant je crois que notre devoir est d'être présents partout, selon les données des équilibres internationaux, comme chaque fois qu'un certain nombre de principes qui touchent à la vie de l'espèce humaine sont en jeu.\
Je pense ainsi que nous devrons préserver en commun le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. C'est ce qui a préoccupé la France face aux problèmes du Proche-Orient, de l'Amérique centrale, de l'Afrique australe et ce ne sont pas les seuls dont nous pourrions parler. Vous savez de quelle façon nous avons ressenti profondément, cruellement, l'invasion militaire de l'Afghanistan, puis, plus récemment, les mesures de répression à l'égard des représentants du monde du travail et de la pensée libre en Pologne. Nous restons fidèles à ces engagements.
- Si, aujourd'hui, l'un de nos ministres, M. CHANDERNAGOR `ministre chargé des affaires européennes` qui devait m'accompagner au Danemark est absent - il nous rejoindra aujourd'hui même - c'est parce que, responsable des affaires européennes dans le gouvernement de la France, il a pour mission d'intervenir afin de poser les questions qu'il convient de poser sur l'évolution du régime en Turquie afin que, à propos des droits de l'homme, nous n'établissions pas de frontière selon nos préférences ou selon les normes de la géographie.
- Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : choix toujours difficile où se heurtent les intérêts. J'ai pu le mesurer lors d'un récent voyage au Proche-Orient où je me suis adressé de la tribune de la Knesset au peuple israélien où j'ai dit beaucoup plus que n'avait jamais dit chef de l'Etat français pour affirmer les droits à l'existence du peuple palestinien, jusqu'à la création d'un Etat £ plus peut-être qu'il n'a été dit par la plupart des chefs d'Etat européens.
- Mais le seul fait d'un voyage, organisé librement avec un pays avec lequel nous entretenons des relations, reconnu par l'organisation des Nations unies, reconnu comme ayant lui même le droit d'exister, je veux dire l'Etat d'Israel, est considéré en soi comme une sorte d'interdit. J'ai partout répété, mesdames et messieurs, que la France, ni là, ni d'ailleurs, n'acceptera jamais d'interdit, dès lors qu'il s'agit d'avancer sur le chemin des droits de l'homme.\
L'identité des positions entre nos deux pays, sur de nombreux points - je dirai même sur la plupart d'entre eux - devrait nous aider à développer en commun un certain nombre d'initiatives en Europe même. Par exemple, pour trouver une solution aux différends budgétaires £ pour améliorer les règles de la politique agricole commune £ pour lui donner un nouveau souffle £ pour affirmer une politique commerciale, notamment agricole, à l'égard des pays tiers £ pour effectuer dans un certain nombre de domaines - je pense en-particulier à la relance, à la croissance, au domaine social - une politique européenne £ pour disposer d'une politique de restructuration de l'industrie en Europe.
- Je me souviens que, lorsque j'ai participé à la première conférence au sommet européen à Luxembourg, après mon élection, j'ai posé les principes de ce que j'ai appelé "l'espace social européen". Comment ? Nous serions capables de disposer en commun du sort de nos patries par des accords militaires £ nous serions capables de discuter charbon, acier £ nous serions capables de mettre en oeuvre une politique du blé ou du lait et nous ne serions pas capables d'imaginer ensemble, quelle que soit la différence de nos politiques économiques à l'intérieur, au moins quelques moyens pour défendre la condition des travailleurs. Pour assurer les droits justes dont ils doivent disposer au-sein de l'entreprise ? Pour assurer la formation des jeunes ? Lutter contre le chômage des garçons et des filles de 16, 17, 18, 20 ans ?
- Quoi ? Nous serions incapables d'examiner les façons de disposer en commun de notre argent commun pour lancer les initiatives qui permettraient de réduire le chômage par une meilleure application des mutations technologiques et industrielles ? C'est cela que j'ai appelé "l'espace social européen", indépendamment des discussions que nous devons avoir sur la réduction du temps de travail, sur les conditions du travail.
- Je dois dire, qu'à l'origine - les choses sont déjà différentes aujourd'hui et vont dans le bon sens - la seule oreille attentive et le seul -concours bienveillant - rencontrés par moi-même - sont venus du Danemark. Oh prudent toujours et sagace, disant : "Derrière les mots, je veux connaître les choses". Je crois que c'est une méthode de raisonnement danoise, extrêmement précise. Mais il a suffi de s'expliquer sur ces points pour avancer ensemble vers ce qui devrait être un mieux-être des travailleurs, des producteurs et des catégories qui souffrent davantage de la crise, bref pour affronter ensemble les années qui viennent.\
Je suis venu ici, mesdames et messieurs, plaider pour que nous retrouvions ensemble notre élan, pour que nous luttions contre la faiblesse et la dispersion des Etats européens. Il faut savoir que, d'ici la fin du siècle et bien après, rien ne sera fait si nous ne sommes pas capables de retrouver la puissance d'imagination et la volonté politique des fondateurs de l'Europe. Qu'est-ce qui nous empêche d'avoir imagination et volonté ?
- Je ne suis pas venu ici, mesdames et messieurs, faire en quoi que ce soit la leçon aux parlementaires danois. J'ai beaucoup à en recevoir d'eux. Mais il me semble que, venant devant vous, j'avais pour devoir - et presque pour règle de politesse - de ne pas m'en tenir simplement aux relations bilatérales entre le Danemark et la France, comme si le Danemark était un petit pays de l'Europe avec lequel on peut discuter "gros sous", débattre de quelques produits, en ignorant le reste du monde. Non, je veux discuter avec le Danemark des affaires du monde, et pas à ce rythme trop lent, qui dépasse le quart de siècle ou des chefs d'Etat ou des premiers ministres se rencontrent. J'ai décidé, obéissant d'abord à l'invitation qui m'avait été faite dès le premier jour de mon élection par M. le Premier ministre du Danemark, de donner à nos relations un tour plus régulier.
- Quoi ? La France a plusieurs sommets par an, comme on dit, avec l'Allemagne Fédérale `RFA`, avec la Grande-Bretagne et elle n'en avait pas avec l'Italie ? J'ai inauguré une discussion à ce niveau avec les autorités italiennes, il y a deux mois.
- Quoi ? Il y aurait une sorte de directoire des plus puissants parce qu'ils sont les plus nombreux et les autres seraient soumis à ce directoire ? J'ai décidé désormais, puisque nous y étions invités, de revenir plus souvent parmi vous. Comme je ne veux pas vous obliger à rassembler, chaque fois, tout ce "tralala" des grands voyages officiels, à la fois très sympathique mais aussi parfois un peu lourd, j'ai invité M. le Premier ministre du gouvernement français à ce qu'il ne se passe pas d'année au-cours de laquelle il ne serait pas établi un contact, au-niveau pour le moins des chefs de gouvernement, soit à Paris soit à Copenhague.\
Il faut que vous sachiez que vous serez les bienvenus en France, comme le seront les dirigeants du parlement danois. Monsieur le Président et vous, madame et messieurs les vices-présidents, faites-nous le plaisir de venir plus souvent en France. Je compte bien que nous pourrons nous organiser des colloques et des dialogues pour faire avancer les justes affaires du monde et celles de nos pays.
- Monsieur le Président, mesdames et messieurs, telles sont quelques-unes des réflexions qui me viennent à l'esprit en ce jour de fin avril 1982. La qualité de notre entente, la proximité de nos positions, notre amitié, notre avenir, tout cela est en jeu. Il faut choisir la vie contre les forces du sommeil ou de la mort.
- Votre culture, vos traditions, le rôle que vous avez joué dans la construction de l'Europe, cet aspect si particulier et cependant universel qui marque le Danemark dans de grandes circonstances, tout cela me rend sûr de nous-mêmes. D'un dialogue comme celui-ci doit naître l'une des formes de l'avenir. Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir permis d'y contribuer par ce dialogue d'aujourd'hui.\