16 avril 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, devant les journalistes de l'association de la presse japonaise, notamment sur les relations commerciales entre la France et le Japon et dans-le-cadre de la CEE, la politique de défense et l'armement nucléaire, les relations nord-sud, la politique économique, les relations culturelles, Tokyo, vendredi 16 avril 1982.

Je vous remercie, monsieur le président, de vos paroles d'accueil. Je me réjouis de me trouver devant la presse, ici à Tokyo, pour procéder à un échange de vues de caractère traditionnel certes, mais dans lequel, comme il convient, - rien n'est interdit, la parole est libre - tous les domaines peuvent être explorés.
- Je serai heureux de répondre à toutes les questions qui vous viendront à l'esprit dans la limite d'un temps raisonnable bien entendu.
- Comme ce sont les lois de ce genre de visite, je rencontre le Japon à travers un écran, l'écran normal des pouvoirs publics et éprouve une certaine difficulté d'approcher le peuple japonais dans ses activités de chaque jour. De même que, tout à l'heure, les représentants du peuple à la Diète, vous êtes des intermédiaires naturels avec lesquels je puis débattre et peut-être percevoir au travers de vos questions - si vous êtes Japonais - les interrogations véritables que se posent les Japonais. Si vous êtes d'autres pays, Français en-particulier, il n'est pas de domaines où vous ne puissiez pénétrer, libre à moi naturellement de vous répondre comme je l'entends et à vous d'apprécier.
- On l'a dit depuis le premier jour et on le dira jusqu'au dernier pendant ces quatre journées pleines de présence, c'est la première fois qu'un Président de la République française vient au Japon dans-le-cadre de ses fonctions. Ce qui est moins banal, c'est de se demander pourquoi les autres Présidents n'y étaient pas venus. Quelle est la signification de ce voyage ? Ce n'est pas simplement le goût de collectionner les visites inédites même si elles sont agréables, c'est parce que cela doit être utile autant que possible à mon pays et je l'espère aussi à celui qui me reçoit. Et puis, sur la surface de la planète, la France et le Japon, cela -compte. S'ils peuvent définir dans certains secteurs une politique comme utile au reste du monde, il n'y a pas de raison de s'en priver.\
Et puis nous avons à aborder des dossiers contentieux qui ne sont d'ailleurs généralement pas des problèmes spécifiquement franco - japonais, qui sont le plus souvent des problèmes entre l'Europe de l'Ouest et le Japon : la concurrence commerciale, le déséquilibre des échanges. Faut-il comme je le disais tout à l'heure au Parlement incriminer les Japonais s'ils travaillent bien, travaillent mieux, travaillent plus vite ? Qui pourrait le leur reprocher ? Mais c'est à eux aussi de comprendre qu'ils sont responsables, qu'ils ne sont pas simplement un merveilleux pays producteur et créateur, qu'ils sont aussi un pays nécessaire à l'équilibre du monde et que les autres pays doivent bien vivre et se défendre par des moyens politiques, c'est-à-dire par le dialogue et par le contrat, plutôt que par la protection abusive ou par des contraintes. Si l'on fait des comparaisons de la pénétration des marchés on s'aperçoit finalement qu'il y a des contraintes de tous les côtés à la fois : on accuse toujours l'autre d'être protectionniste et on l'est quelque fois un peu plus. C'est d'ailleurs vrai avec nos partenaires de l'Europe de l'Ouest. Une rencontre amicale est bonne dans laquelle on met tout sur la table, il y a une rencontre très prochaine `sommet des pays industrialisés à Versailles`, au mois de juin, en France pour discuter de ces choses. L'ensemble des pays européens éprouve une sorte de rétraction en face du Japon : mieux vaut en parler clairement aux responsables japonais, en évitant de les placer dans la situation - qu'ils ne méritent pas - d'un peuple accusé, mais dans la situation d'un peuple responsable qui doit aussi apprécier les difficultés de ses partenaires.\
Voilà l'-état d'esprit dans lequel je suis venu. Il ne m'incombe pas en tant que Président de la République de discuter avec le Premier ministre `Zenko SUZUKI` ou alors avec tel ou tel ministre de tel ou tel contrat particulier ou tel échange commercial : je vous vends cela, vous m'achetez ceci, non, ce n'est pas le problème. Mais je suis venu avec cinq ministres, avec quelques hauts fonctionnaires £ des savants, des techniciens, des chefs d'entreprise, des artistes, des créateurs de toutes sortes, m'ont également accompagné. A ce niveau, des échanges de vue ont été, je crois, d'une façon générale, positifs. Tout cela devra se traduire autant que possible avant juin sur certains points pour aménager une conférence internationale utile `sommet des pays industrialisés à Versailles`. Mais la vie ne va pas s'arrêter au mois de juin, et il faudra savoir comment nous allons nous y prendre pour réduire de plus en plus les disparités dont nous souffrons. Voilà l'objet pratique de mon voyage.
- Je suis convaincu, comme je l'ai dit au Parlement, que les domaines où nos intérêts sont communs, sont si vastes que cela doit nous conduire à cerner avec la plus grande clarté et la plus grande honnêteté intellectuelle possibles, les secteurs où nos intérêts sont divergents ou convergents sur la scène du monde : la -défense des droits de l'homme, la -défense de nos peuples, la lutte face à la crise économique mondiale, au chômage, à l'inflation. On me dira que les croissances ne sont pas semblables : tous seront frappés si nous ne nous entendons pas sur le tiers monde, les relations Nord - Sud. Le Japon est peut-être, au-sein du sommet des sept pays industrialisés avec le Canada et la France, le pays qui est le plus ouvert à ces problèmes. C'est l'occasion d'en discuter.
- C'est l'occasion de discuter des problèmes d'équilibre entre les blocs militaires, d'équilibre des forces, sur lequel - croyez-moi mesdames et messieurs - repose la paix. Mais encore faut-il aller plus loin, à l'intérieur de l'équilibre global des forces et voir quels sont les points de déséquilibre particuliers sur telle ou telle forme d'armement.\
Les conversations qui ont lieu avec les autorités japonaises incluent la dimension culturelle sans quoi rien ne s'explique. Les échanges culturels, la langue, l'enseignement, la diffusion des oeuvres esthétiques, littéraires, la meilleure connaissance de nos capacités techniques mutuelles, tout cela peut contribuer à faire saisir surtout aux Français que l'on ne peut pas comprendre le Japon comme seulement un pays record pour fabriquer des machines. Ce serait inexplicable s'il n'y avait par derrière toute une histoire, toute une culture, la -nature d'un peuple, sa forme de civilisation.
- La France est capable de produire - on en vend beaucoup au Japon - des parfums, des robes, du cognac. J'en suis partisan d'autant plus que je suis moi-même né entre deux rangs de vigne à côté de Cognac. Mesdames et messieurs les Japonais, vous pouvez peut-être élargir votre champ et ne pas considérer simplement le Français comme producteur de ces seuls biens. Lorsque j'étais l'invitéde M. SUZUKI `Premier ministre`, il m'a dit avec le sourire : quand je viendrai à Paris la prochaine fois, j'espère que vous m'aménerez a Lyon par le train à grande vitesse, nous pourrons faire 500 Kms assez vite, au Japon nous faisons 600 Kms en 3 heures, mais je crois que cela va encore plus vite entre Paris et Lyon. Bon, je lui ai alors répondu : je vous invite à prendre le TGV £ vous mettrez 2 heures et demie à peu près pour faire 500 Kms, et cette vitesse ira encore en s'accroissant £ mais si vous êtes pressé, je pourrai vous emmener en hélicoptère français et vous mettrez une heure trois quarts, et si vous êtes très pressé je pourrai vous emmener en Airbus et vous mettrez trois quarts d'heure, et si vous êtes encore plus pressé je vous emmènerai en Concorde et vous mettrez vingt minutes. Je pourrais continuer comme cela, il n'y a pas de pétrole en France et l'on fabrique de l'électricité à un rythme qui met la France en tête du développement mondial.
- Nous avons nos qualités, nous avons nos défauts : ne vantons pas les premières en oubliant les seconds, mais faisons connaître la capacité de notre peuple, de nos entrepreneurs et de nos travailleurs et on verra au Japon que la France est le pays qui, depuis la dernière guerre mondiale, est avec ce pays où nous sommes celui qui a connu la plus grande croissance.
- Voilà des sujets de conversation sur lesquels, mesdames et messieurs, il vous appartient maintenant de m'interroger et je suis à votre disposition.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le Japonais n'est pas non plus ma langue maternelle, je représente les "Arab News" et je vous parle en japonais. J'aimerais savoir ce que vous avez à nous dire des essais nucléaires français récemment menés dans le Pacifique. Deuxièmement, sur le tiers monde et les problèmes Nord-Sud que vous avez évoqués, je vous demande pourquoi vous avez, à de très nombreuses reprises, violé des contrats signés avec des pays arabes au nom de ce fameux transfert technologique qui en était la base avec l'Irak notamment.
- LE PRESIDENT.- Sur les expériences nucléaires, les essais dans le Pacifique, j'ai reçu récemment une délégation des Etats du Pacifique Sud conduite par le Premier ministre de Fidji `Kamisesa MARA` qui m'a entretenu de ce sujet. Je l'ai reçue avec le plus grand intérêt et leur ai dit que nous ne faisions pas des essais par plaisir mais parce que nous avons besoin de défendre notre pays, que notre défense nationale, c'est-à-dire notre indépendance, repose depuis vingt ans sur la possession de l'arme atomique, sur la stratégie qu'on appelle de dissuasion. C'est une arme défensive mais c'est une arme décisive. Pendant longtemps j'ai refusé cette stratégie mais aujourd'hui, plus de 20 ans après, notre défense nationale repose sur notre dissuasion. Si nous ne l'avons plus, nous n'avons plus de défense.\
`Réponse` Mesdames et messieurs, nous avons été assez payés par l'histoire au-cours de ce siècle pour savoir que l'indépendance de notre pays est pour nous une donnée fondamentale. Nous avons été occupés par l'ennemi - devenu aujourd'hui ami et ami très proche `RFA` -, nous connaissons le -prix de la dépendance, nous sommes voisins de deux super-puissances qui accumulent les armes atomiques et si nous ne prétendons pas être les juges de la paix dans le monde, nous entendons nous défendre. Pour pouvoir se défendre, tant que l'on ne m'aura pas dit que l'Union soviétique et les Etats-Unis d'Amérique ont renoncé à la bombe atomique - je vous dis tout de suite que s'ils y renonçaient j'en ferais autant - j'assurerai la défense de la France et, pour pouvoir l'assurer, je serai obligé de faire les essais pratiques et techniques indispensables. Je regrette que les choses soient ainsi faites mais je ne placerai pas la France dans la situation ou elle s'est trouvée il y a plus de 40 ans. J'ai même donné l'ordre de construire un 7ème sous-marin nucléaire, puisque si un pays comme le nôtre ne dispose pas de trois sous-marins en circulation permanente sous les mers, la défense n'est pas assurée. Sept pour en avoir trois en permanence en activité compte-tenu du repos nécessaire, des examens et des conditions techniques dans lesquelles se développe aujourd'hui notre marine.\
`Réponse` Quant aux expériences nucléaires elles-mêmes, cette question prouve l'universalité de celui qui a bien voulu m'adresser la parole puisqu'il n'a pas laissé aux Japonais le temps de me la poser eux-mêmes et que, en Irak peut-être, il s'est senti très menacé par les expériences faites à Mururoa. Comme si d'ailleurs dans la région du monde où il se trouve c'étaient les essais nucléaires français du Pacifique qui lui paraissaient le danger plus menaçant, ce qui est pour le moins paradoxal ! A tous ceux qui éprouvent des inquiétudes sur cette affaire, je dis que si la technologie permet d'éviter ce genre d'expériences j'y renoncerai tout aussitôt. Les technologies vont changer certainement dans les trente années qui viennent, sans doute beaucoup plus vite.
- Pour l'instant, les essais français n'ont pas fait de victime à ma connaissance, et toutes les précautions ont été prises à cet effet. Je comprends très bien la réaction des pays voisins même si la notion de voisinage dans ces espaces immenses est assez extensive. Et je comprends surtout la réaction d'un pays comme le Japon qui a subi des bombardements nucléaires. Voilà pourquoi j'accepte toujours la discussion et je m'explique aussi franchement. Mais je ne peux pas vous dire que je vais y renoncer tant que je n'aurai pas mes propres garanties dans-le-cadre de mesures générales qui seraient prises, de liquidation progressive et concomittante des deux blocs militaires dans-le-cadre de l'équilibre des forces.
- Voilà dit clairement, cher monsieur, la position de la France à l'égard des expériences nucléaires dans le Pacifique Sud.\
`Réponse` Pour ce qui concerne les contrats, je suis un peu étonné de l'agressivité de votre question parce que je ne vois pas où vous apercevez de manquement à des contrats, je n'en connais pas. J'ai même respecté des contrats passés par les gouvernements précédents et ces contrats m'ont fait souffrir. Vous parlez de l'Irak avec lequel nous entretenons de bonnes relations £ récemment encore notre ministre des relations extérieures `Claude CHEYSSON` s'y trouvait et il y a eu des visites de notre ministre d'Etat, chargé du commerce extérieur `Michel JOBERT`. Vous voulez parler du bombardement de la centrale nucléaire par Israel `Centrale de TAMUZ`, et du fait que la France, qui avait pris une part importante dans la construction de la centrale, discuterait aujourd'hui avec l'Irak de sa reconstruction. Notre point de vue est tout à fait simple : nous voulons bien vendre des centrales nucléaires pour production d'électricité à qui nous demandera. Mais nous voulons que ces pays se soumettent - ce qui est d'ailleurs le cas de la plupart - aux conditions de contrôle de l'agence internationale `AIEA`, pour qu'il n'y ait pas de passage du civil au militaire. Comme il existe aujourd'hui des techniques qui permettent d'éviter ce passage ou de le réduire considérablement, il est normal de discuter des conditions dans lesquelles nous le ferons. Ce n'est pas nous qui avons bombardé la centrale, notre centrale nucléaire. Le contrat, ce n'est pas nous qui l'avons brisé. Le problème est de savoir dans quelles conditions nous pouvons avec l'Irak comme avec d'autres, passer des contrats pour des constructions de centrales nucléaires. Nous le faisons, et nous souhaitons le faire davantage encore, mais à condition de respecter les règles internationales de contrôle et à la condition de développer des technologies qui permettent d'éviter la prolifération de l'arme nucléaire.\
`Réponse` Je n'accepte pas, pas du tout, votre affirmation selon laquelle nous n'aurions pas respecté notre contrat. Je crois que nous avons discuté avec certains pays de l'Amérique latine sur des contrats, sa fourniture d'armes et de chars légers pour assurer le maintien de l'ordre dans des combats de guerre civile : naturellement la France n'est pas chargée de cela.
- Tout récemment, nous avons été amené, à la demande de la Grande-Bretagne, de faire un embargo sur les fournitures d'armes à l'Argentine en-raison du point chaud `Iles Malouines` qui peut dégénérer dans un conflit armé dans les jours qui viennent. Mais je ne connais pas d'autres cas, monsieur, même avec des régimes ou des pays avec lesquels nous n'avons pas de relations amicales, nous avons respecté la parole de la France. Si vous voulez me citer un cas, je vous répondrai mais j'attends tranquillement, vous n'en trouverez pas. Alors, cher monsieur, permettez un conseil : il vaut mieux éviter les idées générales.\
QUESTION.- Je voudrais poser deux questions, monsieur le Président, avec votre permission : premièrement, vous avez dit que le Japon et la France doivent établir une politique commune à l'égard du tiers monde, pouvez-vous élaborer un peu sur cette politique commune. Deuxièmement, monsieur le Président, pensez-vous que le Japon et la France pourront former une politique commune sur ce problème des taux d'intérêts vis-à-vis des Etats-Unis d'Amérique ?
- LE PRESIDENT.- Je vais donc répondre à la fois à monsieur et à tous les deux et à ceux qui veulent bien m'entendre de la politique Nord-Sud £ j'ai parlé à Ottawa, au sommet industrialisé du mois de juillet de l'année dernière £ j'en ai parlé à Cancun, j'en parlerai à Versailles. Nos ministres responsables n'ont jamais cessé d'en parler partout où ils sont allés.
- La politique à l'égard du tiers monde veut dire d'abord une politique de soutien des -cours des matières premières, pour les pays pauvres dont l'équilibre repose sur une seule matière première ou sur deux : café, cacao, bois précieux ou tel ou tel minerai. Il faut aller vers des accords, comme on en a esquissé sur le sucre, qui permettent des plans de développement sur deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans. Comment le faire si d'une année sur l'autre il y a des variations de -cours de cinquante à soixante quinze pour cent, les variations des -cours dépendent de décisions de trois ou quatre bureaux à Londres, à Chicago ou ailleurs : ce n'est pas le libre échange, c'est la spéculation.\
`Réponse` Deuxièmement, il faut un formidable plan international d'aide au développement de l'agriculture. Voyez un pays comme l'Inde, qui va vers son milliard d'habitants et qui pourtant a réussi, à-partir des moyens ultra modernes, un accroissement de sa productivité agricole, et parvient à nourrir sa population. C'est le résultat de la technologie et de la science. Il faut que les pays pauvres et les pays du tiers monde qui le sont moins, puissent développer leur agriculture, et arriver à l'autosuffisance alimentaire. En attendant, il faudra bien les aider pour développer chez eux les technologies agro-alimentaires.
- Sur-le-plan de l'énergie, nous avons appuyé, nous la France mais le Japon aussi, ce qu'on a appelé la filiale énergie de la banque mondiale pour développer les ressources énergétiques : par exemple, les formidables ressources hydrauliques de pays comme la Tanzanie £ le charbon £ les énergies renouvelables, à-partir du soleil, du vent, les économies d'énergie £ la production nucléaire d'électricité. Il faut que la banque mondiale puisse développer les ressources originales des pays qui n'ont pas de pétrole.
- Voilà trois domaines et je vais en ajouter un quatrième : que voulez-vous faire en l'absence de tout système monétaire international organisé ? On pourrait peut-être chercher un peu de cohérence entre le dollar, le yen, l'écu européen, ce serait déjà mieux que rien. Depuis 1971, il n'y a plus rien, et ce qui est très difficile pour les pays industriels est, pour les pays moins riches, un drame.\
Voilà des données précises sur lesquelles j'ai toujours attiré l'attention de mes partenaires et sur lesquels le Japon et la France ont des positions très semblables. C'est un point sur lequel nous pouvons en commun peser lourd dans les négociations, les conversations de Versailles, les autres conférences internationales. La France, pour son -compte, dispose d'une coopération très importante : nous nous sommes engagés à atteindre les 0,7 % du PNB d'aide publique au développement qui nous sont demandés par l'Organisation des Nations unies `ONU` et nous sommes engagés à y parvenir dans les années prochaines. Nous nous sommes engagés au 0,15 % pour les pays les plus pauvres `PMA` £ la plupart des pays d'Afrique avec lesquels nous traitons savent bien que la France et aussi la Communauté européenne `CEE`, participent pour beaucoup dans le développement de ces pays avec lesquels nous entretenons d'excellentes relations.
- C'est un point sur lequel le Japon et la France ont une position commune sur la signification de l'aide du Nord et du Sud, sur le fait que les pays industriels doivent trouver, auprès des centaines de millions, bientôt des milliards d'êtres humains des pays du tiers monde, des capacités démultipliées d'échanges. Ce n'est pas simplement un acte charitable, c'est notre intérêt. Dans chacune des conférences où je suis allé, j'ai trouvé le Japon aux côtés de la France, la France aux cotés du Japon £ nous avons approfondi cette similitude lors de nos conversations de Tokyo.\
QUESTION.- Votre voyage a beaucoup eu le caractère d'un voyage commercial, la France voudrait vendre beaucoup plus au Japon avec lequel elle a un grand déficit, je crois d'un milliard six cents millions de dollars. Je vous demande dans combien de temps vous croyez réduire ce déficit et de combien ? Au mois de juin, à Versailles, quelles propositions seront présentées ?
- LE PRESIDENT.- Mon voyage n'est pas qu'un voyage commercial, et s'il était commercial j'aurais été devancé par l'Italie, cher monsieur, puisque mon ami le président PERTINI m'a précédé de peu à Tokyo.
- Nous sommes dans la même communauté, nous défendons les mêmes intérêts. Il ne faut pas dire non plus que je suis venu parler au Japon de tout sauf du commerce. Nos ministres ont parlé d'hélicoptères, trains, espace, nucléaire, électronique et les Japonais nous ont parlé science de la vie, médecine, de ceci et cela. Je n'étais pas ici qu'un voyageur de commerce pour le -compte de la France £ ce n'est pas mon rôle. Mais le gouvernement français a la charge des intérêts de la France et d'une certaine façon de l'Europe avec ses partenaires et il est normal de parler de nos échanges surtout quand nos échanges sont aussi inégaux. Chaque fois que je discute avec l'Italie, avec laquelle il y a des problèmes sur le vin, l'Italie me dit qu'il y a neuf milliards de francs d'excédent commercial à l'avantage de la France et qu'il faudrait changer cette situation. Cela arrive donc un peu partout.
- Si nous ne faisons pas de progrès dans nos échanges, il y aura, il y a déjà, entre les dix pays de la Communauté européenne `CEE` et le Japon, un contentieux sérieux : voilà la vérité. J'étais à Bruxelles l'autre joour pour le Conseil européen et un communiqué voté par les dix pays a été publié sur ce sujet, disant que si l'on continue comme cela, il faudra se protéger `protectionnisme`. Ce n'est pas moi qui invente ce problème qui existait avant mon élection. Je le traite et mes ministres ont parfaitement raison de discuter dans le domaine qui est le leur des intérêts commerciaux, étant entendu que ce n'est qu'un aspect de la mission que je remplis auprès du peuple japonais en répondant à son invitation.\
QUESTION.- Deux questions d'ordre économique. Avec le Premier ministre, M. SUZUKI, vous avez abordé les problèmes économiques franco - japonais. La structure du commerce international est telle que le bi-partisme ne permet pas de les résoudre entièrement. Je crois par exemple que la France est beaucoup plus restrictive dans ses politiques protectionnistes que le Japon. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, c'est le premier point.
- Le second point est que l'économie japonaise sur-le-plan de l'inflation, de la crise si vous voulez, remporte des résultats tout à fait favorables en tout cas statistiquement. La raison principale n'en est-elle pas précisément le libéralisme de l'économie qu'il s'agisse des administrations, qu'il s'agisse du secteur privé. Or, en France, les nationalisations et de façon générale la prise qu'à l'administration sur l'économie peut fournir un point de comparaison. Nous aimerions savoir quelle est votre vision des politiques commerciales internationales à la lumière de ces deux points que je viens de poser.
- LE PRESIDENT.- Première question. Je pense qu'il faut harmoniser les relations bilatérales et les relations multilatérales.
- La France ne pourrait pas se contenter d'engager un dialogue bilatéral avec le Japon pour régler les problèmes et pourtant il y a un certain nombre de questions qui sont bilatérales. Mais elles doivent être examinées dans-le-cadre multilatéral, c'est-à-àdire la France à l'intérieur de la Communauté `CEEù`. Ainsi en va-t-il pour les problèmes de la sidérurgie ou de l'automobile. Il faut donc que la discussion s'engage sur-le-plan bilatéral - c'est ce que nous faisons -, sur-le-plan multilatéral - c'est ce que la Communauté commence d'entreprendre - et aussi, au-delà de la Communauté, dans des organisations du type "GATT" par exemple. Il faut avoir une vue globale de la négociation. Entre le Japon et la France, il existe un réel décalage. Il y a des réussites japonaises qui se sont imposées non seulement en France mais à travers le monde : c'est ce qui fait d'ailleurs qu'il y a tant de pays qui se posent aujourd'hui la même question. En somme votre réussite dans le monde fait que le reste du monde commence à se sentir homogène pour tenter d'organiser un contrat avec le Japon qui fasse que les autres pays ne soient pas envahis à sens unique. C'est presque cette réussite qui provoque cette réaction et il faut que le Japon en soit conscient. Cela veut dire qu'il n'est plus simplement un admirable fabricant et vendeur £ il est aussi un pays d'importance mondiale qui a des responsabilités sur l'équilibre mondial. Naturellement, ce n'est pas agréable de penser qu'il faut, le cas échéant, sacrifier tel ou tel avantage commercial lorsqu'on a une responsabilité. Lorsqu'on a fait les accords de Bretton Woods au lendemain de la guerre mondiale, il y a des pays qui ont dû renoncer à certains avantages pour rester à l'intérieur du système monétaire. Si rien n'est fait ou si l'on échoue, il y aura inévitablement barrière entre l'Europe et le Japon £ ce n'est pas souhaitable, il faut donc discuter.\
`Réponse` Vous me posez une question plus large, de caractère théorique et même idéologique : le résultat du succès japonais n'est-il pas dû au libéralisme japonais ? Ce qui sous-entend : est-ce que la cause de vos échecs n'est pas le socialisme français ? Je vous ferai observer, cher monsieur, qu'il y avait jusqu'au 21 mai 1981 - c'est-à-dire il n'y a même pas 11 mois, le libéralisme japonais et le libéralisme français, le libéralisme européen et le libéralisme américain.
- Ce n'est pas le socialisme français qui a créé la disparité entre la France et le Japon depuis le mois de mai dernier. Nous aurions plutôt tendance à progresser mais le socialisme français n'est aucunement responsable de la situation dans laquelle on a trouvé la France et l'Europe dans une formidable situation d'infériorité commerciale par-rapport au Japon. Ce n'est donc pas dû au libéralisme, puisqu'il était des deux côtés, ou alors il faut dire qu'il y avait un libéralisme intelligent et un libéralisme idiot, ce qui serait surprenant. Dans un cas, il y avait un libéralisme assez bien dirigé, le libéralisme japonais, et dans l'autre assez sauvage, le libéralisme français. Disons que votre libéralisme était le plus efficace parce qu'il était peut-être le mieux conduit mais un libéralisme très bien conduit n'est plus tout à fait du libéralisme.\
Est-ce que le socialisme français accepte les lois du marché sur-le-plan international ? Oui, d'ailleurs la société économique que nous construisons est une société mixte où le marché dispose de la majorité du domaine économique et la conservera avec une faculté entière d'initiatives. Simplement, nous avons élargi le secteur public conformément à l'idée que nous nous en faisons et puis aussi conformément à nos constatations. La constatation c'est que le libéralisme économique français a abouti à faire que, depuis 1976, il n'y a pas eu jusqu'en 1981 d'augmentation de nos investissements privés. Voilà la réalité du libéralisme français. Nos entreprises privées n'ont pas augmenté leurs investissements même quand il y a eu des profits. Par contre les sociétés nationales françaises ont accru leurs investissements de cinquante et un pour cent dans la même période de temps. Nous considérons que le secteur national français va servir de force d'entrainement pour l'investissement dans l'ensemble de l'industrie française avec les sous-traitances, avec le mouvement économique qui va s'en suivre. Nos entreprises industrielles nationalisées vont investir avec des fonds propres et vont partir autant que possible d'abord à la conquête de notre propre marché intérieur, trop souvent dominé par les produits extérieurs mais à la loyale sans utiliser de contraintes particulières. Et puis on va essayer de conquérir des marchés extérieurs.\
`Réponse` Après tout, nos grands marchés c'est le ferroviaire, mais le ferroviaire c'est nationalisé. C'est l'aéronautique mais, monsieur, l'aéronautique pour la plus grande part elle est nationalisée. C'est l'espace mais, cher monsieur, l'espace c'est nationalisé. C'est le nucléaire et l'imbrication du nationalisé dans le nucléaire est considérable. Et l'automobile ? Le principal exportateur français c'est Renault. C'est nationalisé et cela ne marche pas si mal. Je ne pars pas de cette constatation pour dire qu'il faut tout nationaliser £ nous ne sommes pas collectivistes, nous connaissons les dommages causés dans d'autres pays. Mais nous voulons que la puissance publique, que la collectivité nationale conduise elle-même sa politique et ne se laisse pas aller aux lois brutales de je ne sais quelle division internationale du travail décidée par les sociétés multinationales, ou bien simplement aux lois du profit qui n'investit pas en France et qui investirait plus facilement aux Etats-Unis ou ailleurs - je n'ai pas dit au Japon parce que investir au Japon n'est pas facile -.\
Vous me disiez tout à l'heure que si on compare les contraintes, on s'apercevra que la France est très protectionniste et le Japon ne l'est pas. Je souhaite pouvoir procéder à cet examen. Vous allez voir le champ s'ouvrir considérablement. Chez nous, cela s'appelle contrainte, chez vous entrave. Mais pénétrer le marché intérieur japonais est ardu. Bien entendu, il faudrait que les Français, en-particulier, fassent des progrès. D'abord, il faudrait peut-être qu'ils prennent la peine d'apprendre davantage votre langue, de connaître vos moeurs, votre pays. Quand je sais qu'il y a 25 des 100 premières entreprises françaises - 25 seulement - qui ont quelque chose au Japon, je n'incrimine pas le Japon, j'incrimine les Français. Mais il n'empêche que la politesse japonaise est une fleur de la civilisation, une fleur absolument remarquable mais dévorante. Je veux dire par là que la politesse et la courtoisie japonaises font que avant de pénétrer dans un secteur où l'on est absent au Japon, il faut passer à travers toute une série de consensus qui feront que, en engageant la conversation le 20 avril 1982, on a quelques chances d'aboutir le 20 avril 1987.
- Je demande qu'on mette sur la table les contraintes et les entraves à égalité. L'Angleterre est un pays ultra libéral - avec Mme THATCHER, avec laquelle j'entretiens d'excellentes relations et aux côtés de laquelle je suis dans le conflit actuel `Iles Malouines` - mais lorsqu'on veut vendre des dindes françaises à la veille du Christmas, il y a une disposition sanitaire qui fait que les dindes françaises pourraient empoisonner les organismes britanniques. Bien entendu, les mesures sanitaires sont levées le 15 janvier, mais Christmas est déjà derrière. J'arrête là mon récit voulant épargner l'amour propre de mes amis japonais. Il ne s'agit d'ailleurs pas de poulets ni de dindes.
- Le socialisme français va engager la bataille de la technologie : deux et demi pour cent de notre produit national brut va être consacré à la recherche et nous allons pousser à fond nos industries de pointe, avec vous ou avec les autres. Nous sommes des partenaires et nous sommes des associés, je l'espère, avant d'être seulement des concurrents.\
QUESTION.- Je voulais vous poser une question sur les essais nucléaires à Mururoa mais comme vous y avez déjà répondu je vais changer de sujet. Jusqu'à présent, le Japon a toujours eu pour la France un amour à sens unique. Croyez-vous maintenant que la France est prête à répondre aux sentiments du Japon ?
- LE PRESIDENT.- Je l'espère car j'ai moi-même constaté l'extraordinaire timidité de la France à s'informer des réalités du Japon. En dehors de quelques grands chefs d'entreprise et de quelques grands intellectuels, scientifiques ou littéraires ou esthétiques, nous sommes pratiquement absents du Japon. Combien de Français apprennent le japonais en France ? Presque pas. Le tempérament français est un tempérament un peu casanier : dans mon enfance, les Français ne connaissaient pas la géographie. La responsabilité de la petitesse de nos relations commerciales est pour une large part imputable aux Français et pas aux Japonais.
- La puissance publique française va avec la maison du Japon à Paris, la maison de la France à Tokyo, avec le développement des échanges de jeunes, avec le développement des échanges culturels, avec toute une campagne organisée, surtout dans l'enseignement de la langue, tenter d'éveiller davantage la curiosité des Français pour la connaissance du Japon qui est un des grands pays de l'histoire du monde. Mais il faut que le Japon qui s'est peut-être trop habitué à l'absence de la France reprenne en considération une présence qui va s'accroître, et cela me ramène à la question précédente.\
QUESTION.- Sur les cent dernières années, le commerce de la connaissance et de la culture se faisait à sens unique : la France était fournisseur. Vous nous dites maintenant que vous voulez replacer ce problème de la culture dans un véritable échange bilatéral avec cette maison de France à Tokyo et cette maison du Japon à Paris. Quel sens profond ont-elles et selon quelles modalités ?
- LE PRESIDENT.- Il existe - je le sais moins bien que nombre d'entre vous - une littérature, un art, une création philosophique japonais et une création scientifique qui représentent un grande facteur de civilisation. Les Français ne le savent guère. J'ai avec moi un certain nombre de personnalités françaises qui, elles, savent : tel professeur du collège de France, tel grand écrivain, tel grand peintre, tel grand créateur mais ils sont peu nombreux. Il faut donc créer un climat, un élan et cela seule la puissance publique peut le faire. L'élan ensuite fera que les individus et les collectivités naturelles assurent le relais mais il faut ce soit la puissance publique qui crée l'élan pour une meilleure connaissance du Japon qui nous est nécessaire. Parmi ces éléments, il y a ces deux maisons. Je voudrais faire de la maison du Japon à Paris un centre puissant. Le lieu où sera situé cette maison est déjà important : j'ai prévu de la situer dans-le-cadre des développements de l'exposition universelle de 1989 - étant entendu que cette maison sera créée beaucoup plus tôt - sur les rives de la Seine et dans un des beaux quartiers de Paris pour que cela soit facile d'accès. Je voudrais que toutes les disciplines culturelles y soient représentées - y compris la presse, mais j'ai pour ambition également de développer une maison de la presse à Paris car il n'en existe pas aujourd'hui comme il en existe à Tokyo - toutes les disciplines, ce qui veut dire des expositions, des visites de collégiens, de lycéens, il faut intéresser la jeunesse.
- Il faut aussi multiplier les postes d'enseignement, d'enseignement du japonais afin d'avoir un soubassement culturel qui puisse s'étendre en province française.
- Nous saisirons toutes les occasions : j'ai vu qu'à Tokyo on voyait les choses en grand puisqu'il y a aujourd'hui même beaucoup de manifestations culturelles £ je voudrais bien que la France soit capable d'en faire autant à l'égard du Japon. Le ministre de la culture française `Jack LANG` se trouve ici et il m'entend. S'il a tenu à venir personnellement dans cette visite c'est bien parce que nous entendions donner la dimension culturelle au renouvellement de nos échanges.\