12 décembre 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, notamment sur la coopération franco-portugaise en Afrique, Lisbonne, Palais d'Ajuda, samedi 12 décembre 1981

Mesdames et messieurs,
- Je viens à l'instant de quitter le Président de la République portugaise avec lequel j'ai pris mon repas, nous avons ainsi parachevé nos conversations commencées hier avant de nous retrouver pour le départ en direction de la France. Nous avons donc passé 24 heures où nous avons multiplié les rencontres avec le Président de la République, avec le chef du gouvernement, avec plusieurs ministres, avec le Président du bureau de l'Assemblée de la République, avec les parlementaires, avec plusieurs chefs de partis, sans oublier les représentants des Français du Portugal que j'ai rencontrés hier soir et toutes autres personnalités, que soit les ministres français qui m'accompagnent, soit moi-même, nous avons pu rencontrer au-cours de ce voyage.
- Je suis maintenant à votre disposition pour répondre aux questions que vous souhaiteriez me poser.
- QUESTION.- Monsieur le Président, la position de la politique française dans la politique internationale de la France, dans les desseins internationaux de la France en général, et accessoirement, pouvez-vous nous dire si l'heure où le Portugal entrera dans la Communauté européenne approche ?
- LE PRESIDENT.- Commençons par votre deuxième question. Je crois qu'on peut dire oui l'heure de l'entrée du Portugal dans la CEE approche et même l'aiguille qui marque les heures accélère son allure. Le Portugal souhaite vivement que l'on puisse considérer sa demande en tant que telle, lui Portugal, Etat souverain, par-rapport à ses propres problèmes. Les négociateurs ont déjà beaucoup avancé, ceux de la Communauté, de même que les représentants de la France dans les conversations particulières. Aucun obstacle politique n'est posé et les obstacles de caractère économique peuvent être réduits à la faveur de la négociation. Le principe de l'entrée du Portugal étant réglé et devant l'être incessament, il restera à fixer les étapes, les étapes de l'intégration économique, de l'intégration humaine, intégration économique, industrielle ou agricole, où la pêche (...), la libre circulation des personnes, tous ces problèmes nécessiteront bien entendu un certain nombre de démarches graduées dans le temps.
- Mais c'est aussi bien dans l'intérêt du Portugal que dans l'intérêt de la Communauté, de telle sorte que les points de vue devraient se rencontrer sans qu'on perde beaucoup de temps.\
`Réponse` Quant aux relations générales de la France et du Portugal, les points communs sont nombreux. Ils ont été apportés là, à l'heure où nous vivons, par l'histoire. Mais non seulement les relations entre la France et le Portugal, sur-le-plan culturel, sur-le-plan des échanges, sont considérables -on s'en aperçoit lorsqu'on vit ici- non seulement l'immigration la plus importante que nous connaissons en France est l'émigration portugaise, mais encore il se trouve qu'un certain nombre de similitudes, notamment par l'approche des problèmes de l'Afrique, font que nous avons vécu des expériences comparables et que nous avons une appréhension des problèmes du monde au regard des relations Nord-Sud, qui permettent de dire que peu de pays sont appelés à s'entendre aussi bien que le Portugal et la France. Nous appartenons à la même alliance `Alliance atlantique`, nous n'y avons pas le même statut puisque l'un appartient à l'organisation militaire intégrée `OTAN`, l'autre pas. Mais je crois que nous avons le même souci de marquer dans-le-cadre de nos alliances et de nos choix, le même souci d'affirmer notre souveraineté, notre identité.
- Puis en dehors de la politique proprement dite, il y a tous les éléments psychologiques, sentimentaux, tout ce qui fait ce fond culturel dont nous avons parlé. Et de ce point de vue, si j'ai remarqué que la France doit faire un effort pour soutenir sa présence linguistique au Portugal qui a besoin d'être de nouveau mise au premier rang de nos préoccupations, je n'ai rien d'autre à dire sinon que nous avons affaire à deux pays amis et qui le savent, et qui comptent bien entretenir cette amitié.\
QUESTION.- Pouvez-vous développer les questions africaines que vous avez traitées avec le Président et les dirigeants portugais, et définir le -cadre d'une éventuelle coopération entre le Portugal et la France dans le dialogue avec les pays africains ? La coopération franco - portugaise en Afrique et la mise en route du dialogue Nord-Sud avec cette coopération passe-t-elle également par la lutte contre le dollar américain et la fourniture d'armes soviétiques sur le continent africain ?
- LE PRESIDENT.- Je disais à l'instant que le Portugal et la France avaient connu des expériences comparables, sinon semblables, en tout cas comparables, dans le phénomène de la décolonisation, et dans l'établissement de relations privilégiées de bonne qualité entre les anciens pays colonisés devenus des pays souverains de l'ancienne puissance colonisatrice qui a admis dans les deux cas de la France et du Portugal, de traiter avec des égaux, devenus tout à fait politiquement majeurs. Je crois que c'est une réussite dans une évolution difficile et aujourd'hui, de même que vous avez pu apercevoir à l'occasion de la dernière conférence franco - africaine qui réunissait 34 pays à Paris dont 33 africains, que les relations de la France avec ces pays étaient des relations fécondes, solides, confiantes, et que le rayonnement de notre pays bénéficie de cet -état d'esprit. Tout me laisse penser que le Portugal continue de disposer d'une grande marge de possiblités dans les pays où son influence s'est fait jour. On cite toujours l'Angola et le Mozambique, on pourrait faire la liste complète des points sur lesquels le Portugal a exercé son influence. Le dernier voyage du Président EANES, me semble-t-il, a resserré ces liens et les dirigeants de ces pays ont été heureux de voir que le Portugal était une fois de plus disposé à développer ces échanges avec les pays de cette partie de l'Afrique. Nous n'avons pas posé les problèmes, je m'adresse à monsieur, en termes antagonistes, nous n'avons pas une situation en Afrique par-rapport au dollar américain ou par-rapport à l'armement soviétique. L'influence du dollar, non seulement en Afrique mais dans le reste du monde est un fait qui ne nous paraît pas toujours très heureux dans la mesure où il nous semblerait qu'un nouveau système économique mondial devrait reposer sur l'élément monétaire un peu plus diversifié, mais c'est un fait, nous ne sommes pas concurrents, nous ne discutons pas à ce point les marchés que nous ayons à nous disputer tous les échanges en Afrique. Les Etats-Unis d'Amérique savent aussi que la France dispose d'une position privilégiée par sa connaissance des hommes et des choses, ce qui est, je vous prie de le croire, un capital irremplaçable.
- De la même façon l'Union soviétique fournit des armes à un certain nombre de pays, ici c'est l'Ethiopie, là c'est l'Angola ou le Mozambique, ce ne sont pas les seuls pays d'Afrique qui reçoivent ses armes.\
`Réponse` Mais, j'ai le sentiment que chacun des pays d'Afrique a pris conscience de lui-même et que, quelque soit le choix idéologique des dirigeants africains, tous sont patriotes, certains diraient nationalistes, et font passer d'abord les intérêts de leur pays. Et à-ce-titre, aucun n'a véritablement intérêt à uniformiser ses relations, ni sur-le-plan monétaire ni sur-le-plan de l'armement, ni sur aucun autre -plan. Et dans la compétition que se livrent sur la surface de la planète les deux super-puissances, beaucoup de pays commencent à penser que, tout en tenant -compte de cette réalité, il n'est pas mauvais de disposer d'amitiés et d'intermédiaires, le Portugal, la France sont à cet égard des pays avec lesquels il peut être très intéressant de traiter dans la mesure où, en tout cas je parle pour la France, un pays comme le mien est en mesure de fournir assistance, coopération, développement dans une limite certaine, mais tout de même sur-un-plan élevé sans que les pays avec lesquels nous traitons aient à craindre de notre part des formes anciennes ou nouvelles d'impérialisme ou de colonialisme, et nous pouvons permettre à ces pays de diversifier leurs relations extérieures. En ce sens et sans que cela prenne l'aspect ou agressif ou exagérément concurrentiel que pourrait laisser supposer votre question, il est vrai objectivement que la France ait, par-rapport au pays lusophone, le Portugal, représenté une possibilité d'ouverture sur le monde en passant par des pays, ceux dont je viens de parler, qui n'offrent pas, comment dirais-je, qui ne font pas entrer dans le cercle infernal la concurrence des deux super-puissances. Nous ne prétendons pas évincer celui-ci ou celui-là. Mais nous prétendons qu'il est possible à un pays comme le nôtre de développer ces échanges avec des pays d'Afrique et que chacun s'en trouvera bien.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit le 9 décembre que votre administration pourrait arrêter le chômage dans les deux années suivantes. Comment ça se fait et pour les émigrants comment ça se fera ?
- LE PRESIDENT.- Alors là, vous me ramenez à la politique française et d'ordinaire c'est en France que je parle de la politique française et c'est un peu normal quand je me trouve dans une capitale étrangère, je m'attache essentiellement à parler des problèmes des relations entre mon pays et le pays où je me trouve. La politique française je ne la juge jamais de l'extérieur. Je ne veux pas être, comment dirais-je, je ne veux pas écarter votre question, mais vraiment de développer à Lisbonne la façon de réduire le chômage en France, cela ne me paraît pas exagérément opportun. Bon, enfin, je ne vous indiquerai pas l'ensemble des méthodes, que soit le Premier ministre du gouvernement français, soit le ministre de l'économie et des finances, soit de temps en temps le Président de la République développent devant la presse française, ils connaissent nos arguments, je ne veux pas les répéter. Donc, objectivement, je vous dirai simplement que, je pense que l'ensemble des mesures prises et à prendre, puisque les ordonnances sociales qui vont organiser le partage du travail, le partage du temps de travail, permettront le développement des contrats de solidarité, développeront en même temps les droits sociaux des travailleurs, je veux dire par lç que les droits sociaux des travailleurs qui seront tout aussitôt après les ordonnances mis en oeuvre, nous permettront dans les premiers mois de l'année 1982 de disposer de tout un arsenal de mesures et de moyens psychologiques qui nous permettront avec cette mesure fort importante de la formation professionnelle à laquelle se consacreront tous les garçons et les filles de 16 à 18 ans, nous permettront de disposer d'un bon arsenal de mesures pour lutter contre le chômage.\
`Réponse` Et comme en plus, nous constatons que notre prévision de relance, c'est-à-dire de nouvelle croissance, commence à se vérifier dans la réalité quotidienne, il y a une reprise en France. Cette reprise si elle est conforme à nos plans devrait atteindre 3 %, et cela représente un volume d'activité nouveau. 3 % par-rapport à la production française, cela représente environ une valeur de 100 milliards. Avec cela on peut contribuer à ranimer l'économie, on peut inciter à l'investissement et comme nous avons disposé par le crédit et par l'industrie de moyens d'incitation considérables pour l'investissement, peut-être ne savez-vous pas que nos entreprises privées n'ont investi que 1 % de plus depuis cinq ans, depuis 1976, tandis que nos entreprises publiques ont investi 52 % de plus au-cours de ces cinq années. Eh bien, l'ensemble de notre secteur public élargi doit nous permettre de donner l'élan dont nous avons besoin, avec les mesures sociales pour que la bataille contre le chômage se développe pleinement. Eh bien, dans ces conditions, je pense qu'il est raisonnable de dire que nous devrions stopper l'accroissement du chômage qui est le résultat du délabrement antérieur de notre économie et de la crise internationale, nous devrions stopper dans le -cours de l'année 1982, et faire infléchir la courbe dans le bon sens en 1983. Voilà mes principales raisons qui permettraient que j'économise mes arguments parce qu'il faudrait qu'on revienne aux problèmes propres à mon voyage au Portugal.\
QUESTION.- Monsieur le Président, depuis plusieurs semaines on semble assister à une offensive entre guillemets de la France en direction des pays d'Afrique de langue portugaise, le Président angolais `DOS SANTOS` venu à Paris il y a peu de temps, jeudi je crois que vous recevez le Président de Guinée-Bissau `Joao Bernado VIEIRA`, certains de vos conseillers vont en Afrique, M. Jean-Pierre COT `ministre de la coopération et du développement` aussi, je voudrais savoir si on peut parler d'offensive et dans quelles mesures vous pensez que le Portugal et la France pourraient travailler en commun parallèlement sur l'Afrique lusophone ?
- LE PRESIDENT.- Je commencerai par un non et je poursuivrai par un oui. Non, il n'y a pas d'offensive. Nous avons jugé bon de ne pas nous cantonner dans les relations avec l'Afrique francophone, mais nous entendons préserver ce que j'ai déjà appelé le noyau des relations franco - africaines autour des francophones. Mais à la fois la géographie et les intérêts économiques, nous ont amenés à établir de bonnes relations avec des francophones qui n'étaient pas d'origine française, je pense au Zaire, au Burundi, au Rwanda ou avec des pays anglophones. Nous avons de bonnes relations, des relations utiles avec la Sierra Leone, avec le Nigéria, la Tanzanie était présente à Paris.
- Nous avons de la même façon commencé d'établir des relations avec des pays lusophones, mais je me permettrai, ce qui justifiera mon non, il n'y a pas d'acte de, comment dirais-je, d'envahissement par la France d'un domaine qui a été traité par les pays d'Afrique et le Portugal lui-même, car lors du premier voyage exécuté par deux de mes représentants dans les pays lusophones, je leur ai demandé de passer d'abord par Lisbonne et ils se sont arrêtés d'abord à Lisbonne où ils ont rencontré des responsables pour les informer de ce voyage. Par égard pour le Portugal, j'ai tenu à ce que, et je tiendrai à l'avenir, pour toutes choses importantes évidemment, à tenir informées les autorités portugaises.
- Le oui s'appliquera pour la France et pour le Portugal de s'engager, si le Portugal le désire, en tout cas la France y est prête, dans ce qu'on pourrait appeler des opérations triangulaires, en tout cas pour des associations qui permettraient de faciliter des plans de co-développement avec des pays d'Afrique. M. DOS SANTOS est bien venu à Paris, j'aurai été tout à fait heureux de l'y inviter mais en fait, en l'occurence c'est M. DOS SANTOS qui m'avait demandé de pouvoir s'arrêter à Paris et savoir si je le recevrai, bien entendu j'ai dit oui et je me suis réjouis de ce contact, mais nous n'avons pas ratissé l'Afrique lusophone, nous avons encore beaucoup à faire même pour avoir une connaissance exacte et nous comptons bien rester en relation étroite avec nos amis portugais pour aborder cette partie de l'Afrique.\
QUESTION.- Nous avons assisté il y a quelque temps à un renforcement des relations franco - guinéennes. La France a certains intérêts dans cette région. Que pensez-vous monsieur le Président que seront les relations entre la France et la Guinée-Bissau ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur, je me contenterai de vous dire que la France ne cède à aucun interdit et nous sommes prêts à traiter avec tout pays d'Afrique ménagé de nos propres intérêts. Là où nos intérêts sont respectés, là où notre pays est traité convenablement, nous ne faisons pas intervenir de considérations idéologiques, pour traiter avec celui-ci ou avec celui-là, et si des entreprises françaises comptent investir en Guinée-Bissau en accord avec les autorités de ce pays, nous n'y voyons que des avantages. Vous avez parlé de la pêche, je ne suis pas sûr que le début d'exécution ait donné tous les résultats escomptés... Vous avez parlé d'automobile, bon, en tout cas, la France considère Guinée-Bissau comme un autre pays, et dans la mesure où nos échanges se développeront nous n'y verrons aussi que des avantages. Bon, quant au choix politique de chacun de ces pays, c'est leur affaire ce n'est pas la nôtre. Si donc vous me dites, demain il y aura de nouvelles sociétés françaises qui vont investir en Guinée-Bissau, je dirai, bien, c'est très bien. Si elles ont estimé que c'était leur intérêt et qu'elles trouvent la sécurité convenable pour leur développement, je ne peux qu'approuver je n'ai rien d'autre à dire là-dessus.\
QUESTION.- (Radio commerciale portugaise). Monsieur le Président, nous avons eu dans les dernières semaines, quelques informations à propos de la santé du Président français, alors nous aimerions savoir ce qu'il y a de nouveau ? Et en même temps, un deuxième point, avec votre permission, s'il y a eu quelque chose de nouveau dans les relations commerciales entre la France et le Portugal pendant votre séjour ici ?
- LE PRESIDENT.- Ma santé ne fait pas partie, à votre avis, des éléments commerciaux. A l'allure où ça va, j'avais promis un bulletin de santé une fois tous les six mois, je m'aperçois qu'il va falloir que j'en fournisse un tous les six jours. Soyons raisonnables. Un bulletin de santé tous les six mois, bon, c'est déjà un rythme accéléré par-rapport à mes prédécesseurs. D'un autre côté, je ne peux pas passer mon temps à me promener dans la rue, la poitrine nue avec un stéthoscope sur le "truc", un instrument pour mesurer ma tension qui est excellente, je vous signale, 12-8, ça ne bouge jamais et avec des tubes dans le nez et les oreilles. Non, voyez, je suis normal et je ne vois pas ce que je peux ajouter sur ce chapitre qui est déjà abondamment fourni. Bon, alors ce que je peux vous dire, c'est ce que j'ai dit en France, c'est qu'il a fallu que j'attende l'âge honorable de 65 ans avant de connaître, en dépit de nombreuses campagnes électorales, de luttes de toutes sortes qui après tout doivent entretenir la santé, avant de connaître quelques ennuis ou douleurs physiques. Et puis, il y a un moment où ça arrive, ça finit par arriver. Si c'était pas arrivé au mois d'août, ce serait sans doute arrivé une autre fois et il faut être philosophe, mais le problème essentiel dans la fonction que j'occupe, étant que les ennuis de santé ne soient jamais tels qu'ils puissent nuire à l'exercice de la fonction. C'est ça la morale d'un responsable politique, morale qu'il doit respecter. Pour le reste, je n'en dirai pas davantage. Il n'y a pas de raison de me substituer à tout moment au médecin. Et puis, d'autre part, je le répète, de m'exhiber du matin au soir.\
`Réponse` Bon, pour les relations commerciales entre la France et le Portugal, on peut les accroître sans peine, on peut les accroître. On doit pouvoir faire des plans sérieux, mais je crois que ce qui est le plus important aujourd'hui c'est de savoir exactement comment le Portugal va s'insérer dans la Communauté économique européenne `CEE`. C'est ça le problème numéro un, car pour certaines des productions du Portugal le risque est réel, il faut donc bien aménager les étapes, pour que les structures internes soient en mesure de supporter, pour continuer les comparaisons de caractère médical, l'espèce de transfusion de sang rapide que supposera l'intégration d'un pays comme le Portugal avec son économie parfois fragile à l'intérieur de la Communauté qui fera jouer pleinement ses capacités de concurrence. Il faut donc à la fois décider l'intégration et d'autre part une fois qu'elle est décidée, avancer prudemment d'étape en étape, sans fixer à l'avance la durée de ces étapes, en se contentant de se fier aux lois de la réalité. Vous savez qu'il peut se poser des problèmes pour les textiles, vous savez qu'il peut se poser des problèmes agricoles pour la tomate, vous savez que je ne pense pas qu'il s'en pose beaucoup pour le vin. Vraiment le champ est ouvert et les obstacles majeurs, s'il y en a jamais eu, sont derrière nous, et pas devant.\
QUESTION.- Je voudrais vous demander si l'on peut s'attendre à une action diplomatique commune du Portugal et de la France vis-à-vis des problèmes de la Namibie et aussi de l'agression Sud-africaine contre l'Angola ?
- LE PRESIDENT.- Position commune, elle est naturellement commune. La France participe déjà avec d'autres pays du groupe des Cinq qui comme vous le savez a pris des positions claires sur le problème de la Namibie en appelant à l'indépendance de ce pays. En tout cas, la France souhaiterait que cette indépendance put entrer dans les faits rapidement. Et j'ai le sentiment que les dirigeants du Portugal ont compris aussi que c'était une nécessité, un facteur de paix et d'équilibre en Afrique australe. Quant à l'intrusion des armées Sud-africaines sur l'Angola, cela ne peut qu'être condamné. Et par le droit international, et au-delà du droit, par le bon sens, car si l'on veut précisément maintenir cette zone dans un -état de tension qui fera que les deux super-puissances resteront là pour arbitrer, il n'y a qu'à continuer comme on a commencé, alors qu'en fait l'Angola, tel que j'ai pu comprendre le souhait de ses dirigeants, aimerait sans doute pouvoir veiller à son propre développement en dehors de toute influence étrangère. Mais tant qu'il y aura une menace physique du genre de celle qui a déjà pesé, et encore tout récemment, par des opérations militaires sur le territoire, des opérations militaires émanant de l'extérieur, on risque de la figer en ne faisant rien pour la Namibie et on risque de la figer en laissant toute sorte de guérillas sinon même de véritable guerre s'instaurer entre l'Afrique du Sud et l'Angola. Cela n'est pas bon pour l'équilibre du monde ni pour l'équilibre de l'Afrique. Alors de ce point de vue je peux vous dire, si j'ai bien compris, que le Portugal et la France font exactement la même analyse et ils se trouveront naturellement associés dans les prises de position dans le sens que je viens de dire.\
QUESTION.- Est-ce que l'éventuelle installation de centrales nucléaires françaises au Portugal, est-ce que ce sujet a été abordé pendant vos conversations avec les autorités portugaises ?
- LE PRESIDENT.- Moi, je n'ai pas abordé ce sujet qui n'était pas à l'ordre du jour de mes discussions avec M. le Président de la République ni avec M. le Premier ministre mais me tournant vers le ministre des relations extérieures `Claude Cheysson`, il vient de me faire signe que oui, on en avait parlé. La France ne refuse en tout cas pas de mettre ses techniques à la disposition des pays étrangers qui la lui demandent dès lors que le partage est bien fait entre l'utilisation nucléaire pour la production et l'enrichement comme moyen énergétique nouveau et ce problème, qui ne se pose pas avec le Portugal mais qui se pose à certaines grandes occasions, et l'utilisation à des fins militaires.\
QUESTION.- Vous avez manifesté votre souci bien avant votre élection à l'égard de la souffrance des peuples comme celui du Cambodge et de Timor. Cependant après votre élection, la France a maintenu la même position d'abstention aux Nations unies sur la question de Timor. Voulez-vous nous expliquer ?
- LE PRESIDENT.- En tant que membre de l'opposition donc avant le mois de mai dernier, j'ai eu plusieurs fois l'occasion de m'exprimer pour m'inquiéter de ce qui se passait à Timor où d'après les informations dont je disposais il semblait qu'une répression extrêmement dure s'abattait sur une partie de la population de Timor. Et je crois vraiment qu'il faudrait que l'Organisation des Nations unies `ONU` qui a un peu laissé le problème s'envaser, put disposer d'une enquête sérieuse car quel que soit le pays en cause, il n'est pas acceptable que le plus fort écrase le plus faible et procède à des éliminations physiques qui pourraient aboutir à l'élimination d'un peuple. Je n'entre pas par là dans le domaine disons politique ou du droit international du statut de Timor. Je parle là de la défense du droit des gens et, si aucune initiative n'est prise aux Nations unies, la France le cas échéant assumerait ce devoir.\
QUESTION.- Les pays riverains de l'Océan indien, dont le Mozambique que nous avons récemment visité avec le Président de la République portugaise, sont extrêmement inquiets de voir cette zone et en-particulier la zone du canal de Mozambique devenir une zone d'affrontements entre l'Est et l'Ouest. Ils sont particulièrement intéressés par la position que la France pourrait adopter sur la question des bases militaires étrangères dans cette région. Pouvez-vous nous préciser quelle est cette position française ?
- LE PRESIDENT.- Madame, ça ne nous fait pas plaisir, à nous la France lorsque nous voyons s'installer un peu partout des bases militaires, des bases navales. Par exemple, j'avoue que nous sommes très prudents dans nos recommandations à l'égard de nos amis, je pense aux Seychelles, je pense à Madagascar. Il vaut mieux faire de cette région du monde un océan de paix plutôt que de voir se multiplier les affrontements entre les deux super-puissances. Je pourrais donc tenir le même raisonnement pour le canal du Mozambique mais je n'ai pas les moyens, faute d'influence sur les dirigeants de ces pays, pour intervenir et je ne me le permettrais pas, car je n'ai pas à donner de conseils lorsqu'on ne les sollicite pas. Cependant, il est une règle, c'est que partout où durent les conflits locaux, c'est le cas le plus typique, c'est le cas du Proche-Orient, mais cela aurait pu ou pourrait être le cas du Tchad. Cela est le cas du Sahara occidental, cela est peut-être le cas de la Namibie, etc..., on en trouvera bien d'autres, chaque fois qu'une zone de troubles tend à s'installer sur un point de la planète alors on voit inévitablement arriver les deux super-puissances et les pays de cette zone qui n'ont pas voulu gérer eux-mêmes leurs affaires, ou plutôt qui n'ont pas été capables de régler eux-mêmes leurs affaires, s'aperçoivent que la décision leur échappe. Voilà ourquoi la France n'a qu'un conseil à leur donner : "essayer de régler vous-mêmes les problèmes de votre zone ou bien très rapidement, ce sont les deux blocs militaires, de l'Est et de l'Ouest qui se substitueront à vous". Et je dois dire que pour l'Afrique australe c'est bien un peu ce qui se passe, au point que l'on peut même se demander si le désir de voir les deux super-puissances rester plutôt que partir n'anime pas un certain nombre des pays de cette zone qui ainsi auront le moyen, pensent-ils, de se rendre indispensables. Mais enfin, cette réflexion, je pense tout haut et vous en ferez ce que vous voudrez.\
QUESTION.- Jonas SAVIMBI, le chef du gouvernement d'opposition en Angola est actuellement à Washington en même temps que le congrès américain...
- LE PRESIDENT.- Monsieur, ce que vous me dites là, je le savais déjà aussi. Bon, c'est comme ça. La politique américaine ce n'est pas moi qui la fait. Et il est facile de comprendre que c'est l'illustration de ce que je viens de dire à l'instant avec madame et avec monsieur. C'est l'illustration. Plus le conflit local dure, plus les décisions échappent aux pays de la zone. Naturellement, la tentation face à une Angola qui a recherché un armement d'origine russe, ce qui ne veut pas du tout dire que l'Angola dans mon esprit soit soumis, c'est un pays qui cherche précisément sa voie et qui s'affirme. Mais plus il demande des armements soviétiques, plus les Etats-Unis d'Amérique songeront à trouver des points d'appuis à l'extérieur et le cas échéant à l'intérieur, je n'ai pas à juger, ou plutôt j'ai bien mon opinion, mais je n'ai pas à vous la communiquer, mais quitte à me demander si c'est un souci pour la France, je pense que c'est un souci pour la paix du monde et ce souci la France le partage. Mais je le répète, il ne faut pas commencer par jeter la pierre à celui-ci ou à celui-là. C'est une conséquence naturelle et évidente de concurrence internationale là où il existe un abcès. Quant aux relations des Etats-Unis d'Amérique et de M. SAVIMBI c'est un problème qui les concerne, sur lequel la France n'a strictement rien à voir pour l'instant.\
QUESTION.- Est-ce que vous venez l'année prochaine au Portugal ?
- LE PRESIDENT.- Je n'en sais rien, strictement rien. Je suis venu au Portugal déjà assez souvent depuis six ou sept ans, disons que je suis venu au moins tous les deux ans, tous les 18 mois, aussi pour me promener, pour voir mes amis, en dehors de toute rencontre officielle, et donc je ne m'y interdis pas d'y revenir, simplement maintenant c'est moins facile, il y a un tas de gens qui me suivent, je sais pas pourquoi, tout le temps, même quand je m'aperçois dans une glace, je crois toujours apercevoir des ombres tout autour, ça rend la vie moins agréable. Bon alors, je reviendrai avec plaisir mais ce n'est pas prévu. Je suis invité en tout cas, très aimablement, sur-le-plan amical.\
QUESTION.- Monsieur le Président, nous avons appris vendredi que vous aviez adressé une lettre à M. Léonid BREJNEV et par ailleurs nous avons appris que M. Pierre MAUROY avait ajourné un déplacement qu'il devait faire à Varsovie. Sans vous demander de détailler cette lettre, est-ce que ces deux événements sont liés ?
- LE PRESIDENT.- Pas du tout, non pas du tout.
- QUESTION.- Est-ce que vous pouvez nous détailler ?
- LE PRESIDENT.- Non, non, je ne détaille pas les lettres que j'envoie avant qu'elles soient reçues, quand même. Non, non, ça n'a aucun -rapport. Mais j'ai reçu plusieurs messages de M. BREJNEV, j'en avais reçu un encore récemment, il m'avait été apporté par l'ambassadeur de l'Union soviétique à Paris et d'autre part il y a l'ouverture de la grande commission franco - soviétique au début de la semaine prochaine, j'avais donc à préciser un certain nombre de points de vue et d'autre part je ne sais si vous savez que l'anniversaire de M. BREJNEV aura lieu dans la deuxième partie du mois de décembre, je répondais donc d'une façon aimable à un certain nombre de propos qui m'avaient été tenus dans la même circontance et j'ai élargi mon propos à certaines considérations politiques surtout sur les -rapports Est - Ouest.
- Merci. Il va me falloir regagner maintenant l'aéroport, je suis très sensible à votre présence, je vous en remercie.\