1 décembre 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant la communauté française d'Algérie, Alger, Ambassade de France, mardi 1er décembre 1981

Mesdames et messieurs,
- Mes chers compatriotes,
- La communauté française est ici réunie pour permettre au Président de la République de la rencontrer. Quand j'aurai terminé ces quelques mots, je circulerai parmi vous. Il me sera certes très difficile de parler, autant qu'il le faudrait, à chacun de ceux qui le souhaiteraient. Je souhaiterai moi-même vous connaître individuellement, comment faire ? Mais enfin nous aurons quelques quarts d'heure à passer ensemble.
- J'ai tenu à ce que tous ceux qui souhaitaient être là ce soir, figurent parmi mes invités. Vous êtes nombreux. Mais vous êtes aussi représentatifs, pour recevoir le salut de la France que je vous apporte à cette occasion. Je vous associe aux remerciements que je formule ce soir envers le peuple algérien et son Président qui nous donnent pour cette réception l'hospitalité de ce palais.
- Je voudrais d'abord vous parler de vous-mêmes quelle que soit votre diversité, l'immensité de l'Algérie qui vous accueille, vos situations, les conditions dans lesquelles vous vous trouvez dans ce pays, un certain nombre d'entre vous depuis longtemps, longtemps d'autres venus à la fois pour poursuivre une carrière commencée ailleurs, pour coopérer, pour apporter le travail de l'intelligence et des mains.
- Comme toute collectivité française à l'étranger, j'imagine qu'indépendamment de vos différences, - elles sont inévitables - vous ressentez surtout en cet instant la réalité d'une communauté vivante. Je suis souvent allé à l'étranger et j'ai souvent aperçu, bien entendu, tout ce qui peut distinguer les Français l'un de l'autre, et quelquefois même la difficulté d'être dans une communauté loin de chez soi. On imagine que cela rapproche. Cela sépare parfois, et pourtant le moment vient, quelques grands moments de la vie, où l'on sent soudain la force des liens qui unissent à la patrie commune et aussi cet air de famille ou de ressemblance qui fait que l'on est content d'être ensemble. J'espère que c'est ce que vous éprouvez ce soir, en tout cas c'est ce que moi j'éprouve à votre égard.\
Vous êtes ici de toutes sortes, de toutes professions, de toutes spécialités, et je ne saurai vous décrire d'un mot. Simplement vous apportez des talents, des techniques, des compétences, des dévouements. Vous représentez la France et vous comptez pour beaucoup dans un pays étranger et ami où jusqu'alors vous êtes nos témoins, les témoins de la France. Je crois savoir que d'une façon générale, la relation que vous avez créée est une relation positive et féconde dont la France peut tirer le plus grand et le plus juste avantage à l'étape qui commence.
- Vous êtes nombreux ici à fournir votre contribution à la très grande -entreprise d'éducation et de santé. Bref, vous êtes au-coeur des liens multiples entre la France et l'Algérie.
- Certains parmi vous sont nés sur cette terre, ils témoignent eux aussi et à leur façon de ce que, malgré les déchirements, l'amour que l'Algérie sait susciter a souvent dominé les épreuves et les contradictions. Pour ce qui reste à résoudre et qui est du ressort de la puissance publique, nous nous y appliquons, nous nous y sommes appliqués le long de ces deux journées pour que celles et ceux d'entre vous qui étaient là, qui sont restés, pour celles et ceux d'entre vous qui se sont éloignés pour retourner en France, sachent que leurs intérêts ou que leurs biens légitimement acquis se verront normalement représentés et défendus. Tel est l'un des résultats des conversations qui nous ont réunis à Alger.
- Il en est parmi vous, femmes françaises dont je salue la présence, qui par leur mariage avec un citoyen algérien forment le vivant symbole, celui qui peut réunir deux peuples au-delà des personnes, et je n'ignore pas non plus combien de problèmes sont posés sur-le-plan du statut et du droit personnel, dans les relations entre les époux, entre les parents, les relations des parents et des enfants, qu'elle est la société qui échappe aux crises ? De ce point de vue aussi nous avons engagé assez loin des conversations avec les responsables algériens pour que le droit personnel des françaises et les droits légitimes de l'amour et de l'affection soient autant que possible préservés.\
Sans doute, connaissez-vous, comme chacun, les difficultés d'existence £ sans doute, partagez-vous l'aspiration parfois déçue à une société plus juste et plus égale entre les hommes et entre les nations £ sans doute, éprouvez-vous parfois à l'occasion la tristesse ou la nostalgie de vous sentir hors du pays, loin des vôtres £ sans doute, connaissez-vous aussi combien grande est la difficulté de comprendre les autres et d'être compris d'eux. L'acceptation sans réticence, ni froissement de chaque identité, de toutes les différences. Vous avez choisi pour quelques années, pour le plus grand nombre, de vivre et de travailler en Algérie, de vous conformer à ses lois, à ses coutumes, de partager dans le respect ses joies et ses peines. Bref, je le répète, vous êtes ici les témoins d'un pays, le nôtre. Lorsque je partirai ce soir, j'aurai le sentiment que cela n'est pas improvisé parce que je connais personnellement sur-le-plan amical un certain nombre de ceux qui sont là, parce qu'il existe une certaine -nature des Français vivant en Algérie, un certain sentiment commun, parce que l'expérience aidant, la -nature de vos travaux vous conduit à regarder plus souvent du côté de l'avenir que du passé. Je dois dire à quel point je -compte sur vous, mesdames et messieurs, mes chers compatriotes, pour contribuer au rayonnement de notre pays. J'imagine que de la France et de son gouvernement, quelle que soit votre opinion politique, vous attendez légitimement beaucoup, et je voudrais sur ce point borner mes propos à deux considérations : vous savez mieux que moi que hors de France vous ne pouvez prétendre à l'application pure et simple des règles qui s'appliquent à l'intérieur de nos frontières. La solution de vos problèmes, dirai-je de nos problèmes, passe donc le plus souvent par des accords avec l'Algérie qui vous accueille. Eh bien je peux vous dire, vous pouvez y compter, vos intérêts seront défendus comme ils doivent l'être, mais toujours dans-le-cadre défini par l'amitié dont nous jetons les bases.\
Voilà pourquoi vous êtes les premiers sur lesquels on peut fonder cette amitié. Vous avez souvent ressenti, et fortement j'imagine, les insuffisances, il y en aura encore, on ne règle rien comme cela par enchantement. Le tout est de savoir ce que l'on veut, par où l'on va, quels sont les grands itinéraires qui permettent et qui permettront à la France, grâce-à vous pour une large part d'être présente, vivante, solide, ayant confiance en soi.
- Voilà pourquoi enfin, mesdames et messieurs, mes chers compatriotes, je dirai que sans vous que serions-nous ? La puissance publique ? Le Gouvernement ? L'administration ? L'Etat ? Et la vie dans tout cela ? La vie que vous représentez, le travail, l'imagination, l'intelligence, la vie de tous les jours, l'apport de milliers et de milliers, on me dit 45 000 je crois, de femmes et d'hommes français vivant dans ce pays, nous n'avons pas tellement l'occasion d'en parler, nous n'aurons pas tellement l'occasion de nous rencontrer, sinon à travers l'affadissement des images lointaines.
- Je veux profiter un moment de vous, il nous reste guère plus d'une demi-heure. Vous imaginez, découpé en minutes ou en secondes ce qui pourrait rester à chacun d'entre nous. Inutile d'y compter. Cependant, descendant ces marches et ce podium un peu improvisé qui donne un côté de cirque romain à cette rencontre, que je n'aurai pas souhaité, je vais descendre parmi vous et j'espère qu'autour de cette table vous aurez le sentiment, en compagnie des ministres qui m'ont accompagné, de la délégation et de tous ceux qui appartiennent à l'équipe de travail qui m'entoure, autour de madame et de monsieur l'ambassadeur, j'espère que vous passerez une bonne soirée. Merci.\