21 juillet 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République, et de M. René Levesque, Premier ministre du Québec, à l'issue de leur entretien à l'ambassade de France, Ottawa, mardi 21 juillet 1981.

LE PRESIDENT.- Mesdames, messieurs, je termine à l'instant mon voyage à Ottawa du sommet des pays industrialisés, des sept pays auquels s'ajoute la Commission des Communautés européennes. Vous avez pris connaissance du communiqué qui a été publié à l'issue de nos travaux, mais avant de regagner la France et Paris j'ai tenu à rencontrer quelques amis, et notamment, à l'ambassade de France, M. René Levesque que j'ai déjà eu le plaisir d'approcher, de voir, de rencontrer à Québec il y a quelques années, il y a moins de trois ans ou quelque chose comme cela. Nos relations se sont multipliées par les échanges qui nous sont constants, à Paris même, avec la délégation, et j'ai été très content de m'entretenir avec M. Levesque de ce qui nous concerne, et comme c'est une circonstance qui doit être soulignée, le contact avec la presse a été établi et c'est pourquoi c'est à vous maintenant de prendre l'initiative pour me dire ce qui vous intéresse.
- D'abord qui êtes-vous ? C'est-à-dire quels organes de presse représentez-vous ? Et surtout, parce qu'on n'a pas beaucoup de temps, quelles sont les questions qui vous préoccupent ? Le Premier ministre, M. René Levesque aura certainement à s'exprimer, soit en réponse à vos questions, soit maintenant s'il le désire.
- M. LEVESQUE.- Je voudrais d'abord remercier le Président de la République pour les propos qu'il vient d'énoncer. Cela a confirmé qu'il y a une continuité chaleureuse dans les relations franco - québécoises. Je dois remercier aussi monsieur l'ambassadeur `Pierre Maillard` de nous recevoir ici au Canada dans la province de l'Ontario mais territoire français. Je voudrais souligner que les entretiens que j'ai eus avec M. Mitterrand ont simplement ajouté au plaisir que j'avais de reprendre contact avec lui. Nous nous étions déjà recontrés deux fois. Peut-être que nous avons oublié la première, c'était en 72 dans une petite commune de Normandie, à la fête de la Rose : c'était pendant notre "traversée du désert", et puis en 78, vous avez fait comme Premier secrétaire une visite officielle, ici, nous avions eu alors l'occasion rapidement de faire le tour des relations franco - québécoises qui s'intensifient depuis une vingtaine d'années (il y aura vingt ans en octobre 81).\
M. LEVESQUE.- Il y a eu des changements de personnes bien sûr de part et d'autre, il y a eu aussi des changements de gouvernements. Si on peut comparer les petites choses aux grandes, on vit une nouvelle perspective depuis les élections du mois d'avril qui reste toujours basée sur des choses qui nous font ressembler beaucoup à ce qui vient de se passer en France, c'est-à-dire le désir de justice sociale toujours plus précis et puis aussi, ce que ça implique de maitrise de l'économie pour autant qu'il faut des moyens pour réussir ces choses. Alors sur ces plans-là je crois qu'il n'y a pas de raison de douter que l'on peut, non seulement, maintenir mais accentuer les relations, la coopération, l'amitié qui se sont développées depuis une vingtaine d'années. Encore une fois, je remercie simplement, pour son accueil, pour les propos que nous avons échangés ensemble, le Président de la République française.
- LE PRESIDENT.- Je vous remercie et je me permets de vous indiquer qu'en effet le jeune socialiste qui vous avait invité dans sa commune de Normandie et qui nous a fait rencontrer pour la première fois, est aujourd'hui député socialiste de la circonscription de Lisieux `Henry DELISLE`.
- M. LEVESQUE.- Ca c'était au moment où l'on avait l'impression en Normandie que les socialistes étaient en pays de mission.
- Si vous permettez je souhaiterais que l'on pose une question en français d'abord puis en anglais si vous le voulez.\
QUESTION.- Est-il vrai qu'on vous avait offert la possibilité de faire un voyage officiel de deux jours au Canada et que vous avez choisi Montréal comme point de chute mais que le gouvernement fédéral avait trouvé inopportun ... (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Non non c'est bien compliqué votre histoire. Je souhaite aller à Québec et au Québec et j'espère bien que l'occasion m'en sera donnée, j'étais à Ottawa, plus exactement à Montebello mais j'ai un temps très limité car je dois être demain matin à Paris. D'ailleurs je devais y tenir un conseil des ministres que j'ai finalement reporté au lendemain. Le protocole est très exigeant. D'une part faire une visite d'Etat à Etat au Canada et venir ensuite voir le Premier ministre du Québec, dans sa ville, cela m'obligeait à rester vingt-quatre heures de plus, et comme les problèmes protocolaires se sont surajoutés les uns sur les autres, je préfère faire un vrai voyage plutôt que de venir à la sauvette.
- M. LEVESQUE.- Inutile d'ajouter que dès que les circonstances seront favorables, on sera très heureux au Québec d'avoir la visite du Président de la République française mais, comme monsieur Mitterrand vous souligne le protocole, je pense qu'il n'y a rien à ajouter ... Vous pouvez imaginer le reste.\
QUESTION.- (Radio Canada) Est-ce que vous pouvez nous dire si le nouveau Gouvernement français adoptera à l'égard du Québec une politique de "non-ingérence", et de "non indifférence" ?
- LE PRESIDENT.- C'est un langage qui n'est pas exactement le mien. Non ceci, non cela ... Vous voulez des formules ? Je veux continuer de pratiquer une politique d'amitié et de fraternité avec la population du Québec, avec ses dirigeants qui sont très proches de nous pour beaucoup de raisons qu'il est inutile d'expliquer. Quand on dit "non-ingérence", bien entendu je n'ai pas l'intention de me mêler, de me substituer aux autorités du pays qui aujourd'hui me reçoit. Voilà, c'est aussi simple que cela. C'est une autre traduction de formule assez compliquée que vous venez d'employer et qui se caractérise par la somme des ses négations.
- QUESTION.- La rumeur voudrait, monsieur le Président, que vous ayez l'intention, tout en maintenant avec le Québec la coopération franco - québécoise, de renouer davantage les liens avec le gouvernement fédéral du Canada.
- LE PRESIDENT.- Je ne sais pas. Et d'où vient la rumeur ?
- RADIO CANADA.- Oh ça dépend des comptes-rendus, Ottawa, Paris.
- LE PRESIDENT.- Je ne sais pas, moi, je ne suis pas au courant.
- QUESTION.- La question s'adresse autant à monsieur Levesque qu'à monsieur Mitterrand. Je voudrais savoir où en est le projet de commonwealth des pays de la francophonie.
- LE PRESIDENT.- Commonwealth, commonwealth de la francophonie. Ne pourrait-on pas lui donner un autre nom. Il existe une agence. Elle n'est pas bien active. Mais enfin, c'est une agence au-sein de laquelle siège le Québec. Il est évident que l'on ne peut faire de francophonie, de préférence qu'avec les gens qui parlent le français. Alors votre histoire de commonwealth, moi je n'ai jamais eu de projet de commonwealth, ça ne faisait pas partie de mon programme présidentiel. Toutes les occasions seront bonnes de rassembler et de réunir tous ceux qui, répandus sur la surface de la planète représentent des entités politiques et ont conservé le langage et la culture française. Cette agence est un bon exemple, je crois qu'il pourrait servir de modèle.
- QUESTION.- Monsieur le Président, sous le septennat de François Mitterrand est-ce que la coopération franco - québécoise va maintenir son rythme de croisière, s'accélérer, se ralentir ?
- LE PRESIDENT.- Aucun raison de modifier le rythme.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous êtes déçu du fait que les débats au sommet économique ne se soient peut-être pas déroulés autant en français que vous l'auriez souhaité ?
- LE PRESIDENT.- Il est de tradition que la langue anglaise soit utilisée lors de ce type de conférence. Il se trouvait que par un hasard malin étaient là le Premier ministre du Canada, le président de la Commission de la CEE, le président du conseil Italien, et le Président de la République française qui tous les quatre parlent français.
- L'honorable Premier ministre du Japon M. Suzuki ne parle ni le français, ni l'anglais. Il parle le japonais, et les trois autres personnalités présentes, M. Reagan, Mme Thatcher et M. Schmidt parlent de préférence l'anglais. Alors il était amusant de dire : tiens, mais après tout, pourquoi ne parlerait-on pas le français. Mais je ne voulais pas poser un problème insurmontable. Donc ça n'a pas du tout été l'objet d'un incident diplomatique. Simplement une remarque au passage. J'ai déjà fait observer à vos collègues et confrères que j'ai rencontrés tout à l'heure dans une salle, que moi je parle français. Quesi je parlais une autre langue - ce qui peut quand même arriver - je ne me hasarderai pas à parler cette autre langue. Je parle la mienne. Même si je parlais très bien une autre langue je parlerais quand même en français. Donc j'entends dans toutes les conférences internationales m'exprimer dans ma langue.
- QUESTION.- Avez-vous fait en sorte qu'à Rambouillet l'année prochaine le français devienne là langue de travail ?
- LE PRESIDENT.- Oh non je n'ai pas dit cela. Ca deviendra l'une des langues de travail. Le français est l'une des langues qui figureront toujours dans les conférences internationales.\
QUESTION.- (Devoir) J'aimerais revenir sur cette affaire de sommet des pays francophones. Au-delà de ce que vous avez dit tout à l'heure, j'aimerais savoir plus précisément si votre Gouvernement est favorable ou non à la création de ce sommet qui est une idée de l'ex-président Senghor et, d'autre part si dans votre esprit et conformément à la politique (suivie) par votre prédécesseur, il ne saurait y avoir de sommet francophone valable sans la -participation formelle en tant que gouvernement du gouvernement du Québec ?
- LE PRESIDENT.
- Je vous répète qu'il s'agit d'une initiative qui n'est pas celle du Gouvernement français, qui est celle de mon ami Senghor avec lequel j'entretiens depuis longtemps des relations fraternelles et qui est une initiative de l'ancien président du Sénégal. Donc, je ne fais pas partie de cette initiative. En soi, c'est une bonne idée. La réalisation, on s'en est aperçu, n'a pas été si aisée à mettre en place. Je vous répète que pour moi il n'y a qu'une règle, c'est que si on parle de francophonie c'est entre des gens qui parlent français et qui parle français dans ce pays sinon essentiellement ceux qui se reconnaissent au Québec ? Et ce n'est pas par hasard si je citais tout à l'heure comme modèle l'agence au-sein de laquelle, dans-le-cadre de l'agrément du Canada, le Québec se trouve présent en tant que tel on pourrait généraliser le système, ce serait excellent. Mais je ne peux pas vous en dire plus, puisque je n'ai pas pris d'initiative dans ce sens et que la France, pour l'instant ne fait pas partie de ce débat.
- M. LEVESQUE.- Si vous permettez, je rappelais aussi au Président de la République que l'an dernier, et sur la lancée de la même logique, qui est, il me semble, la chose la plus naturelle qu'on puisse imaginer il avait été établi que pour la Belgique, si jamais, éventuellement, ce sommet avait lieu, ce serait la communauté francophone de Belgique qui représenterait la Belgique. Parce que c'est là que se trouve la francophonie. Et la même chose s'applique au Québec dans l'agence existante. Alors il n'y pas de raison de chinoiser, il me semble, autour de ça.
- LE PRESIDENT.- Pour l'instant la méthode la plus simple paraîtrait devoir être de développer les efforts de francophonie dans-le-cadre de l'agence existante.\
LE PRESIDENT.- Je vous dis bonjour à tous. J'ai vu vos confrères il y a quelques heures seulement à Ottawa. L'essentiel a été dit. Je peux seulement ajouter qu'on a fait un bon voyage. Je suis content de revenir en France non seulement parce que du travail m'y attend, mais aussi parce que je m'y sens bien. Et puis le fait de vous retrouver. Voilà. On a beaucoup travaillé, c'est comme une sorte de séminaire. Nous sommes là, les huit participants, sept pays plus la Communauté européenne, enfermés dans de bonnes conditions. Il reste à tenter de s'entendre. Ce n'était pas particulièrement difficile, mais les sujets étaient difficiles. Je crois que chacun y a mis du sien, ce que je peux dire pour la France en-tout-cas, c'est que pour la défense de ses intérêts, il n'y a pas un seul élément du communiqué final qui soit en recul par rapport aux urgences qui sont les nôtres. Et que sur la plupart des points nous sommes plutôt en avance, parfois pas assez, mais toujours dans le sens que j'aurais souhaité. De ce fait je reviens satisfait tout en sachant que maintenant c'est sur le terrain, avec le Premier ministre et le Gouvernement, qu'il s'agit d'affronter les faits et de les dominer.\