3 novembre 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la coopérative des Maîtres Laitiers du Cotentin, à Meautis le 3 novembre 2016.


Messieurs les ministres,
Mesdames,
Messieurs les élus, parlementaires,
Monsieur le président,
Monsieur le directeur général,
Mesdames, Messieurs qui représentez des producteurs,
Des producteurs qui sont ici rassemblés parce que je voulais démontrer à travers ce déplacement qu'il y avait à la fois une entreprise exemplaire et en même temps qu'il y avait une création d'une usine exceptionnelle - les deux étant d'ailleurs liées l'une à l'autre. C'est parce qu'il y a une entreprise exemplaire qu'il y a cette capacité, aujourd'hui, à créer une usine qui est celle du temps futur.
Alors, je voudrais féliciter d'abord ceux qui en ont pris l'initiative, c'est-à-dire le président, le directeur général, mais aussi les coopérateurs, parce que les Maîtres Laitiers du Cotentin c'est une coopérative, qui concilie, comme vous l'avez très bien dit monsieur le directeur général, le respect du producteur, qui est votre propriétaire £ la satisfaction du consommateur, parce que c'est votre client £ et en même temps une capacité de développement à l'international, parce que vous avez compris - sans doute plus tôt que d'autres - qu'il y a des nouveaux marchés qui nous permettront de pouvoir garantir des prix ici et de pouvoir vendre des produits d'excellence à l'extérieur.
J'y reviens, vous êtes une coopérative, créée il y a 30 ans. Coopérative, cela veut dire que c'est le principe d'un homme, une femme, une voix. C'est le principe qu'il n'y a pas d'actionnariat, et donc qu'il va falloir financer vos investissements par vous-mêmes, que les résultats vont être partagés entre vous, mais avec le souci, toujours, de l'avenir. Une coopérative c'est cette capacité à se structurer, à ne pas rester seul, à se fédérer, à se rassembler, face à une concurrence qui, elle, peut être impitoyable parce qu'elle utilise d'autres moyens, d'autres ressources, et avec d'autres relations avec les producteurs.
Vous avez voulu rester fidèles à votre tradition, parce que c'est une belle histoire que celle des Maîtres Laitiers du Cotentin. Et en même temps vous avez voulu être un acteur français majeur, européen, et aujourd'hui mondial. Vous avez voulu rassembler des producteurs sociétaires - il y en a 1260, vous avez rappelé les chiffres- et vous avez voulu également collecter le plus grand nombre de millions de litres de lait par an.
Alors, comment expliquer votre réussite, et est-ce qu'elle peut valoir d'illustration, de référence, d'exemple, pour d'autres ? D'abord vous avez voulu créer votre propre structure de distribution, que les producteurs puissent être aussi des distributeurs, maîtriser la chaîne, de façon à ce que votre entreprise, France-Frais, puisse être finalement maître de l'ensemble de la chaîne, et c'est ce que vous avez réussi à travers vos 117 filiales. Vous avez donc été capable de prendre le contrôle de toute la chaîne, du producteur jusqu'au client final en magasin, c'est cela votre force.
Ensuite, c'est parce que vous avez eu cette force que vous avez pu rémunérer les producteurs de lait au meilleur prix, et cette exigence a été maintenue pendant toutes les difficultés que le secteur a traversé, et ici, je sais que dans cette région, dans cette grande région, beaucoup d'agriculteurs ont été frappés par cette crise, avec l'abandon des quotas laitiers, la surproduction et des prix qui se sont effondrés. Et, même dans cette période si éprouvante, vous avez été capable de maintenir un niveau de prix, sans doute jamais suffisant pour les producteurs, mais supérieur de 40 euros à ce qui était offert par la concurrence. S'il y a eu des producteurs qui ont pu tenir dans cette période, ils vous le doivent.
Vous avez également réussi, pour arriver à ce résultat, à réduire le nombre d'intermédiaires. C'est un point très important : contrôler toute la chaîne, de la production jusqu'à la distribution, rémunérer le producteur, mais il n'y a pas de miracle, il faut réduire le nombre d'intermédiaires entre l'amont et l'aval, c'est essentiel dans le domaine de l'alimentation. Pour y parvenir vous avez créé votre marque, Campagne de France, et vous avez fait en sorte de mettre en avant les produits issus de l'agriculture française à des prix accessibles au plus grand nombre. Cette exigence de qualité, de traçabilité, de sécurité, pour vos produits, cela a été le moyen de conquérir de nouveaux marchés. Parce qu'une marque ne s'impose pas d'elle-même, il ne suffit pas de dire « Campagne de France », il faut que la France elle-même puisse avoir confiance.
Vous avez aussi fait un choix, qui sûrement n'allait pas de lui-même : exporter, aller vers les marchés extérieurs. Aujourd'hui 20 % de votre production va vers les marchés nouveaux. L'an dernier vous signiez donc un contrat avec un groupe chinois, le groupe SYNUTRA, qui assure l'essentiel de la nutrition infantile en Chine. Vous vous êtes engagé pour 10 ans, il fallait cette durée, parce que sans cette durée il n'était pas possible de faire les investissements. Je pouvais comprendre les interrogations des producteurs : est-ce que c'est bien notre rôle que d'aller fournir du lait à des pays, avec les modes de transport, avec les risques aussi pour les prix, et avec le montant de l'investissement qu'il fallait dégager, et votre structure coopérative aurait pu être un obstacle. Comment se financer quand on est une coopérative, quand on n'est pas appuyé sur un grand groupe financier ? Vous avez néanmoins fait ce choix, investir, et ici nous sommes à Méautis, et nous voyons une usine en train de se bâtir, de se mettre en situation de pouvoir produire à partir du mois de mars.
Vous allez créer 200 nouveaux emplois. Vous en aviez déjà 700, c'est-à-dire que c'est un saut considérable que vous faites. Vous allez créer une usine ultramoderne. J'ai vu tout ce qui était préparé pour accueillir, traiter, valoriser, puis ensuite pouvoir donner toute la sécurité et la qualité de l'alimentation que vous allez proposer, et vous allez pouvoir également faire vivre vos filiales, grâce à cette structure. Alors, vous démontrez, là aussi, qu'il y a des possibilités de financement que nous pouvons trouver ensemble.
Lorsque j'ai voulu qu'il y ait une réorientation de l'Europe, je voulais qu'elle puisse être sur les investissements d'avenir. Parmi ces investissements d'avenir - nous les connaissons - il y a tout ce qui a trait à la digitalisation, au numérique, également à la transition énergétique, j'y reviendrai puisque demain il y aura la mise en uvre de l'accord sur le climat. Et puis il y a tout ce qui peut être l'alimentation et la santé, le bien-être, c'est ce qui a donné jour au plan Juncker.
Le plan Juncker c'est une abstraction - enfin, c'est une abstraction et un patronyme, puisque c'est le nom du président de la Commission européenne - mais pour beaucoup, qu'est-ce que c'est le plan Juncker ? Des sommes, de l'argent, des milliards d'euros. Mais s'il n'y avait pas eu le plan Juncker, il n'y aurait pas cette usine aujourd'hui ici, à Méautis, parce que vous avez pu, sur les 110 millions d'euros que représente votre investissement, obtenir la moitié du plan Juncker par l'intermédiaire de la Banque Européenne d'Investissement.
Pour celles et ceux qui s'interrogent toujours sur l'Europe - il y en a - et j'imagine dans ce département comme dans cette région, comme partout, en se disant - et parfois il y a de justes raisons - est-ce que l'Europe nous protège suffisamment ? Est-ce qu'elle assure avec assez d'efficacité notre sécurité, notamment aux frontières ? Est-ce que l'Europe est vraiment à la hauteur quand on attend d'elle qu'elle puisse relancer davantage encore l'investissement ou l'emploi, ou pour former la jeunesse ? J'entends, et moi-même je fais en sorte, dans les Conseils européens, de porter cette position, et d'exprimer ces priorités.
Mais en même temps, quand l'Europe est capable - et elle l'a été - de dégager un plan d'investissement massif : 350 milliards d'euros, puis sans doute davantage, 500 nous dit-on, - peut-être encore plus demain, parce que c'est ce que nous devons faire pour la réorientation de l'Europe - nous en voyons les traductions, mais il ne peut pas y avoir de financement s'il n'y a pas de projet, c'est une règle très simple.
Souvent on dit qu'il faut trouver des ressources. Oui sûrement, et c'est une des obligations des pouvoirs publics. Vous avez demandé : « Qu'est-ce que peut faire l'Etat ? » Vous accompagner, faciliter les procédures. Elles l'ont été et je remercie aussi les services de l'Etat avec les élus locaux qui ont tous contribué à ce projet. Mais l'Etat peut aussi créer des instruments financiers pour faciliter l'investissement. Cela été le cas pour la France avec la Banque publique d'investissement, qui d'ailleurs intervient aussi en matière agricole, et c'est le cas avec la Banque européenne d'investissement.
Mais au-delà de ces financements, il faut qu'il y ait des projets et ces projets doivent appartenir à ce qui fait la force de la France. C'est quoi la force de la France ? C'est ce qui explique sans doute votre capacité à convaincre des pays qui nous paraissent lointains mais qui en fait nous regardent très attentivement : la Chine, l'Inde, d'autres, l'Afrique. Qu'est-ce qui fait la force de la France ? C'est une tradition, c'est une histoire, c'est un savoir-faire, c'est une qualité - ici, elle est représentée et c'est une modernité, c'est une innovation.
Il y a, pour nous, la nécessité de toujours montrer que nous pouvons mettre au service de l'avenir ce qui fait notre histoire. Notre histoire n'est jamais figée, elle est toujours finalement un drapeau pour porter vers de nouvelles conquêtes nos entreprises ou nos forces vives, nos concitoyens. Nous avons aussi un autre enseignement à tirer, c'est le temps long. Vous n'auriez pas été capable de porter cette entreprise exemplaire si vous aviez été contraint à des rentabilités de court-terme. Parce que vos actionnaires vous auraient demandé de distribuer un certain nombre de produits que vous auriez dégagés.
Vous n'auriez pas été capable de faire cet investissement qui est un investissement lourd si vous n'aviez pas eu la durée, dix ans. Nous devons nous inscrire dans le temps long et faire que les choix que nous faisons puissent être traduits et concrétisés dans un temps qui est suffisamment long pour que nous puissions avoir des résultats.
Enfin, il y a toujours cette nécessité de concilier le local et le mondial, ce qui n'est jamais facile. Nous sommes toujours tentés de nous enfermer dans ce qui peut apparaître comme une identité locale ou comme une solidarité territoriale qui est nécessaire. Je sais que les élus l'assurent cette solidarité territoriale au niveau des communes, des intercommunalités - puisque maintenant notre territoire est un territoire couvert d'intercommunalités qui ont la taille nécessaire- du département qui assure une solidarité de proximité, de la région grande région aujourd'hui, la Normandie.
Il faut avoir cet ancrage local qui est déterminant mais il faut avoir aussi la vision mondiale. Maîtres laitiers du Cotentin, si on vous avez dit un jour que vous pourriez travailler avec la Chine, beaucoup auraient souri mais c'est finalement votre destin de ne rien abandonner de ce qui fait votre tradition, votre histoire, votre enracinement, votre ancrage et en même temps d'être dans le grand marché mondial.
Il y en a qui ont peur du marché mondial. Il y en a qui essayent de s'en prémunir, de s'en protéger, de s'enfermer. Qui nous disent qu'il faut être replié derrière nos frontières. Mais quel serait l'avenir d'une entreprise, d'une coopérative comme la vôtre s'il n'y avait pas le marché mondial, s'il n'y avait pas l'Europe ?
Enfin, je veux dire que votre plus beau projet - et c'est celui que vous avez souligné, monsieur FORTIN, au terme de votre propos - produire, c'est nécessaire. Assurer la commercialisation, satisfaire les clients, c'est-à-dire finalement ceux qui vous font confiance, c'est votre obligation. Etre capable d'avoir de l'investissement et donc de nous projeter dans l'avenir, de dégager des résultats parce que s'il n'y a pas de résultat il n'y a pas de possibilité pour l'investissement.
Et en même temps, ce que vous avez réussi, c'est aussi à répartir, à faire un pacte qui puisse être à la fois productif et redistributif. Que chacun ait sa part : le producteur avec un prix rémunérateur, le consommateur avec un prix qui corresponde à la qualité qui lui est proposé, la marge nécessaire pour que l'entreprise elle-même, en l'occurrence une coopérative, puisse avoir les ressources nécessaires pour préparer son avenir, mais qu'aussi il y ait cette juste répartition. S'il n'y a pas de justice, s'il n'y a pas de répartition, qui apparaissent comme étant finalement la rémunération du travail, il ne peut pas y avoir de pays solidaire, il ne peut pas y avoir de projet collectif.
Il n'y a pas beaucoup d'exemples -la coopérative en est un parmi d'autres- où il est possible de réconcilier tous les intérêts. Or pour une nation, c'est indispensable de pouvoir fédérer tous les intérêts au nom de l'intérêt général et de pouvoir montrer que, même si nous pouvons avoir nos différences - je ne parle pas simplement des sensibilités parfois producteurs, consommateurs, investisseurs, établissements financiers, nous pouvons nous mobiliser pour un projet collectif.
Voilà l'exemple que je voulais donner. Voilà une usine du futur. L'usine du futur, ce n'est pas simplement dans les domaines de la technologie numérique comme on l'imagine souvent en disant : « Il y a une nouvelle économie, tant pis pour l'ancienne. » Ici, c'est l'exemple même de l'économie la plus traditionnelle, l'agriculture, le lait, pour en faire un instrument de haute technologie dans sa transformation, dans sa valorisation et pour l'exportation.
Je ne peux pas conclure sans évoquer la situation des exploitants laitiers, des producteurs laitiers. Ils ont vécu ces derniers mois, pour ne pas dire ces dernières années, avec la fin des quotas laitiers une épreuve. Une épreuve terrible qui a été d'avoir des cours qui se sont effondrés, et tout cela parce que la production n'avait pas été maîtrisée, n'était plus maîtrisée. Parce qu'en Europe, on avait abandonné cet outil de régulation. Alors aujourd'hui, depuis déjà plusieurs mois, nous avons au niveau européen et au niveau national fait en sorte de réintroduire de la régulation, de faire en sorte que les producteurs qui acceptent de moins mettre de marchandises sur le marché puissent en avoir une rémunération.
Nous commençons seulement à en voir les effets mais je veux leur dire que nous ne cesserons pas d'être à leurs côtés et d'ajouter à ce qui a été décidé au niveau européen à travers une prime une autre façon de soutenir cette régulation de la production. Mais je peux comprendre aussi, il y a des producteurs, c'est compliqué de dire à un producteur qui essaye de faire du mieux possible pour avoir les meilleurs rendements, de renoncer à ce qui est finalement l'essence-même de son métier. D'où l'enjeu de l'exportation. S'il n'y avait pas l'exportation, il ne pourrait pas y avoir cette rémunération.
Voilà, mesdames et messieurs, ce que signifie ce déplacement. C'est vrai qu'il est fondé aussi sur l'amitié, il y a ici des liens qui se sont établis mais cela ne pourrait pas suffire. Il y a cet exemple que vous pouvez donner, dans un moment où beaucoup pensent que ce secteur laitier est en difficulté - et il l'est - : comment peut-on s'organiser pour affronter les crises, les dépasser et les surmonter ? Il faut du temps, de la persévérance et une stratégie. S'il n'y a pas de stratégie, il ne peut pas y avoir de réponse qui puisse être conforme aux attentes et à ce que votre production ou ce que le pays attend.
Cette stratégie, c'est de nous regrouper, de nous rassembler, de maîtriser, d'investir, d'exporter. C'est ce que vous avez fait, parce qu'il y a ici un modèle, un modèle exemplaire. C'est celui de la coopérative mais la France peut être aussi ce modèle-là. Un modèle productif et un modèle économique mais aussi un modèle social et redistributif. Voilà le symbole de ce que vous représentez, maîtres laitiers du Cotentin. Merci.