20 février 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Hollande, Président de la République, sur la politique européenne en matière de réfugiés, la situation en Syrie et sur la place du Royaume-Uni dans l'Union européenne, à Bruxelles le 20 février 2016.


Mesdames et messieurs, ce fut un long Conseil européen puisqu'il avait commencé hier à 16h et qu'il se termine ce soir à plus de 23h. Un Conseil européen qui a été consacré à 3 sujets, dont l'un était dans tous les esprits. Le premier sujet, c'est la politique européenne en matière de réfugiés £ le second c'est la situation en Syrie et la nécessité d'apporter à ce pays martyr une aide humanitaire et une solution politique £ et enfin la place du Royaume-Uni dans l'Union européenne, c'était l'ordre du jour qui appelait le plus d'attention et, c'est vrai, de vigilance pour les uns et pour les autres.
Je commence par les réfugiés, puisque cela nous a pris non seulement une partie de l'après-midi mais aussi de la nuit. Nous devions faire l'évaluation de toutes les mesures que nous avons prises, les Européens, depuis déjà plusieurs semaines pour accueillir un certain nombre de familles et d'individus qui, hélas, fuient au péril de leur vie la situation qu'ils connaissent dans les pays de la Syrie et de l'Irak £ et aussi pour assurer le contrôle de la frontière extérieure, en l'occurrence celle de Schengen.
Cette discussion a été ,si je puis dire limitée, puisque la Turquie, qui devait être présente hier avec son Premier ministre, ne pouvait pas être à ce rendez-vous pour les raisons que vous savez, puisque la Turquie a été victime d'un très grave attentat terroriste. Alors il s'est agit de regarder ce qui avait été fait et ce qui pouvait être fait. Ce qui avait été fait avec la Turquie, c'est-à-dire un soutien, une aide importante puisque 3 milliards d'euros ont été dégagés pour que la Turquie puisse retenir autant qu'il est possible les réfugiés qui sont aujourd'hui dans ce pays. Je rappelle qu'il y a 2 millions et demi de Syriens qui sont aujourd'hui en Turquie.
La Turquie a pris des engagements et notamment celui de lutter contre les passeurs et d'éviter qu'il y ait donc des transports qui puissent se faire entre la Turquie et la Grèce, avec des risques pour les populations concernées et des conséquences on le sait difficiles à supporter pour les pays européens, qui assurent l'accueil de ces populations.
Nous avons donc convenu qu'il y aurait une présence aussi de forces navales de l'OTAN entre la Grèce et la Turquie, donc sur la mer Egée, pour qu'en plus des efforts que font les Turcs il puisse y avoir un contrôle effectif de la frontière. De la même manière, les Grecs se sont engagés avec Alexis TSIPRAS à ce que les fameux « hotspots » il y en a 4 en Grèce puissent être véritablement ce que l'on attend de ces centres : l'enregistrement, le contrôle, l'accueil pour ceux qui relèvent du droit d'asile, le retour pour ceux qui n'en relèvent pas. Et là encore, des progrès significatifs ont été constatés.
Enfin, nous devons éviter qu'il y ait des décisions unilatérales qui puissent aboutir à ce que des contrôles deviennent des fermetures de frontières à l'intérieur même de l'espace européen, enfin de l'espace Schengen, ce qui reviendrait à non seulement la dislocation de l'Europe mais à laisser à la Grèce la charge essentielle de l'accueil et de la présence des réfugiés.
Donc ce que nous avons voulu, c'est qu'il puisse y avoir une accélération de toutes ces procédures et une vérification de leur effectivité. Et c'est pourquoi, un Conseil européen en début du mois de mars se tiendra uniquement sur ce sujet, en présence du Premier ministre turc, de manière à ce que nous puissions permettre qu'il y ait le maintien de Schengen - j'allais dire renforcé - et qu'il y ait le soutien attendu de l'Europe pour les réfugiés dans les pays qui sont voisins de la Syrie, je parle de la Turquie mais aussi de la Jordanie et du Liban.
Cette question des réfugiés est finalement la plus importante, la plus grave que l'Europe ait eu à traiter ces dernières années. Depuis que je suis Président de la République, il y a eu des sujets qui ont été évoqués dans les Conseils, très graves d'ailleurs : l'avenir de la zone euro, la question des banques après la crise des subprimes, la nécessité de relancer l'Europe à travers des plans pour la croissance, la question, bien sûr, du chômage et de la manière avec laquelle l'Europe peut être davantage réorientée et à l'écoute des peuples.
Mais avec les réfugiés, c'est non seulement une question humaine qui est posée, c'est une question politique majeure parce qu'il faut agir à la source même, c'est-à-dire : pourquoi y a-t-il des réfugiés ? C'est parce qu'il y a des guerres et des conflits. C'est là que l'Europe doit être capable de montrer qu'elle est prête à assurer son rôle au plan international, permettre qu'il y ait des transitions politiques, des aides humanitaires, des solutions £ faire en sorte que le droit d'asile puisse être préservé et en même temps protéger ces frontières et éviter des décisions de repli au plan national qui, finalement, aboutirait à nier l'existence même de l'Europe. Voilà ce qui est en jeu, c'est l'idée européenne mais j'allais dire pas seulement l'idée, pas simplement le projet, c'est l'existence même de l'Europe à travers le traitement de cette très grave question.
J'ai une fois encore apporté mon soutien à la Grèce, parce que c'est elle qui assure le contrôle de notre frontière extérieure, c'est elle qui est en première ligne, c'est elle qui doit être aidée y compris sur le plan financier et, notamment, par rapport à ce que doivent faire encore le FMI et la Commission européenne pour régler la question du sauvetage de la Grèce, que nous avons traités vous vous en rappelez dans une nuit aussi très longue du Conseil européen.
J'ai également soutenu Angela MERKEL par rapport à ce qui est notre volonté commune, qui est celle d'assurer la protection de notre frontière extérieure, éviter qu'il puisse y avoir un afflux de réfugiés qui ne serait plus supporté par les pays qui ont déjà fait l'effort - je pense à l'Allemagne, je pense à la Suède, je pense à l'Autriche. Et il faut donc un mécanisme de répartition et de réinstallation. La France a pris des engagements là-dessus, 30.000 sur les 2 prochaines années. Cela paraît peu au regard de ce que nous connaissons des chiffres, mais c'est l'engagement de la France.
Mais il ne peut y avoir de re-localisation, c'est-à-dire de répartition des personnes qui arrivent et qui sont accessibles au droit d'asile. Il ne peut y avoir de répartition ou de réinstallation, c'est-à-dire d'aller chercher des personnes qui sont en Turquie ou qui sont en Jordanie ou qui sont au Liban et qui sont menacées pour leur vie, que s'il y a le contrôle effectif de la frontière. Sinon, ce mécanisme ne pourra jamais se mettre en place. Donc cette discussion a été longue mais elle a été utile, mais elle ne pourra véritablement être - si je puis dire - dotée d'une conclusion que si nous prolongeons notre vérification et notre exigence de procédure claire et effective, lors du prochain Conseil européen qui aura lieu début mars.
J'en arrive au deuxième sujet qui a été abordé tard ce soir : la Syrie. Il se produit en Syrie des massacres, on le sait, depuis, hélas, quatre ans. Et en ce moment même, à Alep - qui est la deuxième ville syrienne qu'il y a encore quelques années comptait 1,6 millions d'habitants, qui est une ville qui est l'une des plus anciennes du monde, je pense qu'elle a même été bâtie pour ses premiers édifices au 6ème siècle avant Jésus-Christ - cette ville est aujourd'hui sous les bombes et sa population fuit et il y a des risques humanitaires extrêmement élevés.
Donc, nous devons agir et le Conseil européen a conclu qu'il devait y avoir, autant qu'il est possible, une aide humanitaire et surtout qu'il puisse y avoir des couloirs qui conduisent notamment à Alep mais pas seulement à Alep à nourrir la population et à la protéger. Pour y parvenir, il faut arrêter les bombardements, le régime syrien et la Russie qui l'appuie bombardent depuis plusieurs semaines un certain nombre de zones où, non seulement il y a l'opposition modérée mais il n'y a pas que l'opposition modérée, mais là où il y a de la population civile.
Donc je demande une fois encore que ces bombardements cessent, que l'aide humanitaire puisse être acheminée et que la négociation sur la transition politique puisse enfin reprendre. D'ailleurs des discussions en ce moment même ont lieu et la France y prend sa part, même si au Conseil de sécurité il y a eu un projet de résolution qui ne pourra pas aboutir parce qu'il y a aussi - on le sait - une tentation du côté de la Turquie de bombarder elle aussi la zone au Nord de la Syrie, qui est aujourd'hui est occupée par des Kurdes de Syrie.
La situation est extrêmement grave parce qu'il y a une escalade, et qu'il peut même y avoir un conflit ouvert entre deux pays dont l'un est membre de l'OTAN, je le rappelle. Tout cela me conduit et conduit le Conseil européen aussi à tout faire pour que le processus que l'on appelle « de Munich » puisse se faire, que les discussions reprennent et qu'une solution politique puisse être préparée. Car il n'y aura pas de solution au problème des réfugiés s'il demeure une situation explosive en Syrie et donc en Turquie aussi.
Je veux ajouter aussi un mot sur Daech, parce que nous devons avoir toujours cet objectif qui est de frapper Daech parce que Daech nous frappe, et qu'il ne doit pas y avoir là de confusion. Il y a une opposition au régime de Bachar EL ASSAD. Daech n'est pas une opposition au régime de Bachar EL ASSAD, Daech est d'une certaine façon une autre face de ce régime, puisque Daech profite des exactions de ce régime qui, d'ailleurs, ne le frappe pas pour occuper une partie du territoire syrien et aussi irakien.
Donc, la France continuera de poursuivre ses frappes contre Daech et appelle l'ensemble des membres de la coalition de ne pas perdre cet objectif. Et cela vaut aussi pour la Russie comme pour la Turquie.
Enfin le sujet, celui qui nous a occupés l'autre partie de la nuit et tout au long de la journée, c'était la question de la place du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Là-dessus, quels étaient les objectifs de la France ? Le premier objectif était de faire en sorte que le Royaume-Uni puisse rester si les Britanniques eux-mêmes en décident dans l'Union européenne, parce que c'est l'intérêt, je le pense, du Royaume-Uni, c'est l'intérêt de l'Europe et c'est sa place.
Mais il ne fallait pas que cet objectif - qui correspond à notre histoire mais aussi à notre avenir et j'allais dire aussi à la géographie - puisse mettre en cause les principes fondateurs de l'Union européenne, c'est-à-dire le marché unique avec les mêmes règles pour tous, c'est-à-dire les pays qui ont choisi d'être dans la zone euro, le fait de pouvoir s'intégrer davantage, le fait qu'il puisse y avoir la libre circulation, bref, ce qui fait que nous sommes ensemble à 28 et pour certains dans une formation plus réduite en nombre mais plus intégrée, en contenu : la zone euro. Et je pense que ces deux objectifs ont été préservés.
Nous avons travaillé sur la base d'un texte qui avait été préparé par Donald TUSK et David CAMERON après une longue concertation. Il y a eu peu de modifications par rapport au texte initial, même si cela a pris longtemps, parce qu'il fallait et c'était l'objectif aussi de la France - lever des ambiguïtés.
Donc aujourd'hui, je peux dire que c'est vrai : le Royaume-Uni a une place particulière en Europe, il l'a toujours eue. Il n'est pas dans Schengen, il n'est pas dans la zone euro, il n'adhère pas à la Charte des droits, mais il n'y a pas eu de dérogation aux règles du marché unique, il n'y a pas de révision prévue des traités et il n'y a pas de droit de veto du Royaume-Uni sur la zone euro, ce qui était pour la France un point très important.
J'accepte tout à fait que le Royaume-Uni puisse avoir un autre destin au sens monétaire, économique et même, à certains égards, social. Mais ce que je ne veux pas, c'est que le Royaume-Uni puisse empêcher, entraver, freiner la marche de la zone euro ou être dans une situation dérogatoire par rapport aux règles communes. Et il y avait un point qui me paraissait très important, je l'avais souligné lors de ma rencontre avec David CAMERON à Paris, c'était la question de la réglementation financière. Alors c'est un sujet qui peut paraître compliqué parce que tout ce qui est financier compliqué, mais ce sont souvent ces affaires compliquées qui, hélas ou heureusement, peuvent faire parfois notre vie économique.
Je ne voulais pas qu'il puisse y avoir des règles différentes pour la place financière de Londres par rapport aux autres places de l'Union européenne - c'est-à-dire aussi bien la place de Francfort que la place de Paris ou que d'autres systèmes financiers qui existent dans l'Europe à 28 - que ce soit les mêmes règles qui s'appliquent avec les mêmes supervisions, avec les mêmes organes, les mêmes autorités pour en vérifier l'application £ et que rien ne puisse contrarier le développement de nouvelles règles avec les mêmes organes ou avec les mêmes autorités.
Parce que quand on a connu une crise bancaire, financière comme on l'a connue en 2008, on ne peut pas prendre de risque £ cela vaut d'ailleurs pour le Royaume-Uni qui doit être protégé aussi de ces dérèglements comme pour toute l'Europe. Nous sommes liés les uns les autres et donc, il doit y avoir les mêmes règles et les mêmes principes. C'était un point très important et David CAMERON l'a accepté. Cette égalité entre les places financières et ce refus de toute distorsion de concurrence ou de règles particulières.
Ensuite, il y a eu une discussion qui pouvait paraître moins intéresser la France mais qui intéresse beaucoup de pays européens : la question des prestations sociales pour les travailleurs européens qui peuvent vivre dans un autre pays que le leur, en l'occurrence le Royaume-Uni. Et là aussi, des règles ont été fixées pour notamment le niveau des allocations familiales ou pour les prestations pour les nouveaux arrivants avec des mécanismes de sauvegarde - je ne rentre pas dans détail, vous m'interrogerez si vous le voulez. Mais il était très important que des pays, qui ont une partie de leurs ressortissants qui sont justement à l'extérieur de leurs frontières nationales mais à l'intérieur de l'Union européenne, puissent avoir des garanties sur les prestations sociales.
J'étais attentif à un point - parce que ce qui était accordé au Royaume-Uni peut l'être à d'autres pays de l'Union européenne, de ce point de vue-là il n'y a pas de traitement spécifique. J'étais très attentif à la situation des travailleurs frontaliers français, pour qu'il n'y ait aucune conséquence sur leur régime social, et ce sera le cas.
Voilà mesdames et messieurs, il y a d'autres dispositions qui ont été prises pour répondre aux demandes britanniques, notamment la possibilité pour un pays qui a un doute sur un mécanisme européen de pouvoir en appeler au Conseil européen sans qu'il y ait de droit de veto. J'ai accepté bien volontiers ce principe, d'ailleurs il peut nous être utile aussi pour la France. De même qu'il y a une plus grande implication des Parlements nationaux qui peuvent à un moment ou à un autre remettre en cause une décision européenne ou demander qu'elle soit de nouveau délibérée, je pense que cela fait partie de ce que la démocratie appelle - il y a, bien sûr, le Parlement européen mais il y a aussi les Parlements nationaux. Et là-dessus, ce qui a été décidé aujourd'hui permet d'améliorer les procédures européennes sans rien dénaturer.
Aujourd'hui donc, les conditions sont réunies pour que l'Europe continue d'avancer. C'était mon objectif. L'Europe doit avancer, elle ne doit pas simplement se poser les mêmes questions depuis des années sur la place d'un pays en son sein £ l'Europe doit avancer, elle ne doit pas être gênée par telle ou telle situation particulière de l'Europe £ elle doit avancer parce qu'elle fait face à des défis majeurs, j'ai évoqué les réfugiés, la guerre en Syrie, la question bien sûr de la croissance, de l'emploi £ et elle doit avancer aussi pour porter de nouveaux projets.
Et les pays qui le voudront et la France ici l'affirme les pays qui le voudront pourront s'associer encore davantage pour porter de nouvelles ambitions pour le projet européen. Je souhaite que les Britanniques puissent répondre positivement à la question qui leur est posée, de savoir s'ils veulent appartenir ou non à l'Union européenne. S'ils en décident favorablement, nous continuerons avec les Britanniques à avancer dans bien des domaines d'ailleurs. Je sais le lien qui existe entre la France et le Royaume-Uni, en matière notamment d'Europe de la Défense ou d'Europe industrielle.
Mais si les Britanniques disaient non - ce qui serait sans doute contraire aux intérêts de l'Europe et aux intérêts mêmes du Royaume-Uni, mais enfin c'est à eux d'en décider - et de toute manière, quelle que soit la décision du peuple britannique, que l'Europe se prépare à avancer, avancer encore. Et non pas avancer dans une espèce de course folle qui, d'ailleurs, ne servirait à rien £ et se donner des projets précis, mobilisateurs pour que les Européens aient davantage confiance en eux-mêmes.
Parce que ce qui est en cause et je l'ai encore vérifié tout au long de ces 48h, c'est : est-ce que chaque pays pense s'en sortir tout seul ou est-ce que nous considérons que nous avons un ensemble qui s'appelle l'Europe qui nous permet d'être plus forts, plus solidaires et plus responsables ? Il y a des pays qui sont maintenant tentés par la solution de repli national, il y a des forces politiques qui vont dans cette direction : ça peut commencer par le retour aux frontières intérieures, peut-être, pour certains, le refus de l'euro, pour d'autres même certaines distances par rapport aux valeurs que nous portons ensemble, ou l'idée que finalement il n'y aurait plus de partage d'une responsabilité commune, chacun pourrait faire ce qu'il veut, y compris sur le plan international. Ou alors est-ce que nous pensons que l'Europe a une place particulière dans le monde en termes de puissance économique, sans doute, elle est la première, mais aussi en termes de capacité d'initiative ?
On ne peut pas se plaindre de la position américaine - tantôt qui intervient trop à nos yeux, tantôt qui intervient trop peu quand nous pouvons le constater sur un certain nombre de sujets - si l'Europe n'est même pas elle-même à sa place. Et c'est à nous d'y répondre et à la France en particulier. Et c'est pourquoi je continuerai à faire des propositions dans cette direction.
Aujourd'hui, nous avons fait en sorte que le Royaume-Uni puisse prendre sa décision en toute connaissance de cause. Tout est fait pour que le Royaume-Uni puisse rester dans l'Union européenne sans gêner la marche vers l'avenir de l'Europe, mais en même temps c'est le peuple britannique et lui seul qui a la réponse.
Adrien GINDRE, BFMTV : Bonsoir.
LE PRESIDENT : Bonsoir.
Adrien GINDRE : Vous aviez tout à l'heure évoqué une place particulière pour le Royaume-Uni en en Europe, David CAMERON revendique ce soir un statut spécial. Est-ce que vous acceptez l'idée que l'Union européenne c'est désormais une Union à 27 +1 ?
LE PRESIDENT : D'un certain point de vue, il y a eu une modification dans le texte qui fait que le Royaume-Uni ne veut plus être dans un projet politique, au sens de ce, qu'à un moment, les traités prévoyaient. Donc on a reconnu cette position. Mais est-ce que le Royaume-Uni, au-delà de cette vision de son avenir en Europe, a des règles particulières qui s'appliquent ? Oui, elles existaient ces règles : il n'est pas dans Schengen, il n'est pas dans la zone euro, il n'adhère pas à la Charte des droits mais en même temps, ce sont les mêmes règles qui s'appliquent partout en Europe et qui continueront de s'appliquer. Il n'y a pas de dérogation, il y a pas de spécificité au sens où les règles européennes décidées à 28 pourraient avoir une forme particulière pour un des pays membres. Non, ce sont les mêmes règles et c'est ce à quoi j'ai veillé particulièrement.
Valérie NATAF, TF1 : Pour poursuivre sur la question de mon confrère, est-ce que cela veut dire qu'avec la position que vous avez donc consolidée au cours de ces négociations du Royaume-Uni à l'intérieur de l'Europe, on se retrouve dans une Europe que les gens de Bruxelles n'aiment pas et qu'on appelle « à plusieurs vitesses », disons différenciée comme on dit ici, est-ce que ça c'est le but, est-ce que c'est vers ça que vous et madame MERKEL vous tendez ? Merci.
LE PRESIDENT : Je vais parler en mon nom et au nom de la France. Oui, je suis pour une Europe différenciée au sens où nous avons un pacte commun, des valeurs que nous partageons, un espace politique, un marché qui obéit aux mêmes règles, que ce soit sur le plan des marchandises ou des produits financiers. C'est l'Europe qui s'est bâtie progressivement et qui demeure. Et puis, il y a des pays qui veulent aller moins loin, qui ne sont pas par exemple de la zone euro, qui ne veulent pas avoir des règles liées aux frontières ou qui, sur un certain nombre de domaines, ne veulent pas participer davantage. Et puis il y en a d'autres qui veulent que l'Europe puisse, avec quelques-uns sans doute, se rapprocher encore davantage, porter des politiques communes, par exemple sur l'industrie, sur le numérique, sur aussi la recherche, les universités qui vont aller de l'avant.
Ca vaut également pour l'Europe de la défense qui, bien sûr, existe à 28 mais qui peut être renforcée encore à quelques-uns. Et c'est cette Europe qui me paraît avoir un avenir. L'élargissement, je l'ai constaté quand je suis arrivé à la Présidence de la République. Il s'est fait et il n'est sans doute pas terminé puisqu'il y a encore des pays qui sont adhérents ou qui sont de candidats à l'adhésion. Et donc on aura peut-être demain 30, 32 pays, je n'en sais rien, mais alors à ce moment-là, c'est une raison de plus pour avoir une Europe plus cohérente qui puisse agir avec davantage de force.
Donc il y aura un espace commun sur l'ensemble du continent et puis il y aura un projet commun qui animera un certain nombre de pays, dont la France. Pourquoi la France ? Parce que peut-être nous avons eu cette idée avant les autres parce que nous sommes un pays fondateur, l'Europe des 6 qui s'est élargie : 8, 12, 15, maintenant 28. Mais pourquoi la France ? Parce qu'elle a intérêt à avoir une Europe forte. Pourquoi la France ? Parce qu'elle veut avec l'Europe être plus forte elle-même, elle veut peser et parce que nous pensons - notamment avec l'Allemagne que nous avons aussi une responsabilité particulière. Et c'est vrai qu'avec Madame MERKEL, nous avons décidé donc de prendre un certain nombre d'initiatives le moment venu.
Journaliste : Oui, vous avez dit Monsieur le Président qu'il n'y aurait pas de révision des traités. Or moi j'ai compris qu'au contraire, les mesures qui ont été décidées aujourd'hui seraient intégrées dans les traités à une prochaine occasion.
LE PRESIDENT : C'est cela : il n'y a pas de révision prévue prochaine des traités. Et lorsqu'il y aura un jour, je ne sais pas quand d'ailleurs, une révision des traités, ces disposions qui ont été aujourd'hui précisées seront à ce moment-là intégrées dans ce processus. Mais d'ici là, il n'y aura pas de révision des traités, ce qui était une position que je voulais absolument faire respecter.
Journaliste : Oui, bonsoir, j'ai deux petites questions. Vous dites qu'il ne fallait pas que cet accord contredise les principes fondateurs de l'Union européenne. Le fait de discriminer entre les Britanniques et les autres Européens, est-ce que ce n'est pas un facteur de discrimination contraire aux principes de l'Union européenne ? Ca c'est une première question. Ma deuxième question c'est là je viens d'écouter David CAMERON qui continue avec son discours très critique contre l'Europe, tout en appelant à voter oui. Alors il est en train de faire quand même un grand écart, est-ce que vous croyez qu'il a des chances de gagner son référendum ?
LE PRESIDENT : En matière de référendum, je ne donnerai pas de conseil parce que d'abord chaque peuple est libre et ensuite parce qu'il ne faut pas penser que les arguments sont forcément entendus. Il y a d'autres éléments qui jouent, parfois irrationnels, parfois passionnels, parfois liés à une conception de la nation. Et je pense que si on veut gagner un référendum, et je vous ai dit, j'ai l'expérience d'en avoir perdu un, il faut montrer quel est l'intérêt pour non seulement le peuple concerné mais pour le continent dans lequel nous sommes, celui de vivre avec l'Europe. Il faut aussi dire que l'Europe est un combat, que tout ce qu'elle n'a pas réussi tient non pas simplement à son existence, mais à la responsabilité des nations. Regardez sur cette affaire de réfugiés, on accuse l'Europe mais ce sont des nations qui n'ont pas été au rendez-vous. Et donc plus on est critique à l'égard de l'Europe, moins on donne envie aux peuples de voter pour l'Europe. Mais c'est un conseil que je donne en passant.
Ensuite vous m'avez posé une question sur les dérogations. Il faut bien comprendre que sur cette affaire des prestations sociales pour les travailleurs européens qui sont dans un autre pays que leur pays d'origine, il faut qu'il y ait les circonstances exceptionnelles qui le justifient. Et ensuite, il faut qu'il y ait une autorisation par le Conseil et ce doit être dans un temps limité ou pour un temps limité. Et cela vaut pour le Royaume-Uni comme pour d'autres pays. Donc il y a des pays qui sans doute, s'ils sont confrontés à un moment à une difficulté ou à un afflux de personnes venant de l'Europe, pas de l'extérieur, de l'Europe, imagineront des procédures comme celle-là. Mais ce n'est pas accordé au seul Royaume-Uni, c'est permis à tous les pays.
Et c'est vrai que c'est quand même une forme de prise de distance à l'égard de ce qu'était l'idée même de l'Union européenne, où chacun quelque soit sa nationalité avait les mêmes droits, dès lors que c'était une nationalité qui était membre de l'Union européenne. C'est là qu'il faut faire attention, cette espèce de remise en cause de ce qui fait notre unité, de repli, de considérer qu'il y aurait plusieurs statuts à l'intérieur de l'Union européenne, c'est un risque. Et c'est pour cela que nous serons extrêmement vigilants pour l'application de cette disposition.
Journaliste : Monsieur le Président, vous avez rappelé à maintes reprises aujourd'hui qu'il fallait penser, raisonner en européens. Est-ce que vous avez le sentiment, lorsque Manuel VALLS dit aux Allemands et je pense à ce qui s'est dit à la conférence de Munich qu'il était clair qu'on ne pouvait plus accepter de migrants, que le Premier ministre respectait cet esprit européen ? En d'autres termes, sur le franco-allemand est-ce qu'on est passé d'une solidarité obligatoire à une solidarité à la carte ? LE PRESIDENT : Le Premier ministre Manuel VALLS a exprimé la position de la France, à savoir qu'aujourd'hui compte tenu de ce qui s'est produit l'année dernière avec plus d'un million de personnes accueillies en Europe il était nécessaire d'avoir des mécanismes. J'ai expliqué lesquels : de contrôle de notre frontière extérieure, d'accord avec la Turquie et avec les pays qui accueillent des réfugiés, d'aider les centres hotspots en Grèce et en Italie £ et que ce n'était qu'à cette condition qu'on pouvait avoir les mécanismes de répartition et la France doit en prendre sa part. Et de ce point de vue, il a donné la position de la France, mais il l'a fait dans un pays, l'Allemagne, qui a accueilli énormément de réfugiés et de migrants : un million.
Je pense qu'il faut prendre conscience, alors après c'est la décision de l'Allemagne, mais prendre conscience de ce que cela représente. Et quand Madame MERKEL, à juste titre, dit qu'elle a fait une grosse part de l'effort, il faut l'accompagner pour que justement il ne puisse pas y avoir au cours de l'année 2016 le même nombre de réfugiés. Parce que des pays comme l'Allemagne, la Suède, l'Autriche ne le pourront plus, on voit bien ce que fait l'Autriche en ce moment. Donc nous devons marquer notre solidarité, pas simplement en terme verbal - nous reconnaissons l'effort de l'Allemagne - nous devons avec Madame MERKEL travailler ce que j'ai fait tout au long de ces dernières heures et ce que je ferai encore au prochain Conseil européen pour que nos règles permettent d'avoir des accueils qui se fassent dans les pays les plus proches de la Syrie et de l'Irak, pour qu'il y ait un contrôle des frontières extérieures, pour qu'il y est bien sûr le traitement de ceux qui relèvent du droit d'asile et à ce moment-là, une répartition qui ne puisse pas être toujours dans les mêmes pays.
Et la France prendra sa part parce que la France doit, dans ce mécanisme de répartition, de manière volontaire mais aussi parce que c'est notre conception de l'Europe solidaire, faire l'accueil pour 30.000 réfugiés, c'est ce que j'ai dit au mois de septembre et que je confirme ici. Et s'il devait y avoir d'autres événements, nous verrions comment mettre en place d'autres mécaniques, mais pour l'instant sur les deux prochaines années c'est 30.000. Et nous en sommes loin, il faut le savoir, parce que compte tenu du fait que ce que nous avions mis en place n'a pas fonctionné, les centres hotspots, etc. D'où l'urgence de le rendre effectif au aujourd'hui, car comme cela n'a pas fonctionné, il y a eu cet afflux sans règles jusqu'en Allemagne, et beaucoup de pays se sont exonérés de leurs responsabilités.
Alors j'ai évoqué les réinstallations ou les re-localisations, c'est ce que nous aurons à faire : faire en sorte qu'en Turquie notamment ou en Jordanie, au Liban, nous puissions faire venir des personnes qui sont menacées et qui pourront trouver en France un accueil. Tout est prévu normalement pour cet accueil, je remercie d'ailleurs les communes qui ont prévu ces installations, mais nous tiendrons bon sur l'objectif de 30.000 sur deux ans.
Journaliste : Bonsoir Monsieur le Président. Donc au Royaume-Uni, la stipulation du traité sur l'Union sans cesse plus étroite continuera à s'appliquer au Royaume-Uni à l'avenir ?
LE PRESIDENT : Non puisque c'est sur ce point-là tout à l'heure la question m'a été posée je crois pas Béatrice HADJAJE, sur ce point-là, le Royaume-Uni n'est pas dans cette conception d'une Europe avec une union sans cesse plus étroite.
Journaliste : Donc sous la forme d'une déclaration politique ou dans un protocole annexé au traité ?
LE PRESIDENT : C'est dans le texte des conclusions du Conseil européen.
Journaliste : Une seule question, est-ce que vous n'avez pas une certaine crainte qu'après ce compromis que le Royaume-Uni a remporté, David CAMERON parle d'une victoire que d'autres pays membres réclament aussi une certaine façon de l'Europe à la carte ?
LE PRESIDENT : La victoire ce sera au mois de juin, pour savoir si les Britanniques veulent rester ou pas dans l'Union européenne. Il n'y a pas de victoire des uns contre les autres ce soir, il y a eu la volonté que nous puissions offrir aux Britanniques la possibilité de rester dans l'Union européenne, sans que les principes de l'Union soient mis en cause, voilà ce que nous avons fait. Et vous avez raison, il ne faut pas donner le sentiment que l'Europe est un self-service où on vient prendre ce que l'on veut - pour les uns les fonds structurels parce qu'ils sont nouveaux venus, pour les autres le marché unique parce que ça leur permet de vendre leurs produits, pour d'autres encore des travailleurs détachés qui viennent exercer des activités dans des pays qui leur font l'accueil.
Il ne peut pas y avoir une Europe où on prend ce que l'on veut et on ne vient pas contribuer, ce n'est plus l'Europe. Chacun doit avoir sa responsabilité et souvent, ceux qui refusent les étrangers qui viennent au titre du droit d'asile sont ceux qui étaient bien heureux qu'on puisse les accueillir quand le mur de Berlin s'est effondré. Donc c'est aussi ça une conception avec des valeurs communes que nous devons porter, vous avez parfaitement raison : il peut y avoir une Europe différenciée avec donc des rythmes différents, il ne peut pas y avoir une Europe où chaque Etat vient prendre ce qu'il veut.
En revanche quand il y a un problème je voulais parler du problème agricole il touche à la France mais pas seulement la France, à beaucoup de pays, c'est là qu'on attend aussi la solidarité de l'Europe, mais pas seulement la solidarité financière, ce n'est pas de ça dont il s'agit, l'efficacité d'une politique. L'Europe ce n'est pas simplement un budget où on vient prendre sa part, je rappelle que c'est la France mais aussi le Royaume-Uni, l'Allemagne, Italie qui sont des contributeurs nets, c'est-à-dire qu'on paye plus qu'on ne reçoit, et c'est ce qu'on appelle la solidarité finalement. Mais l'Europe ce n'est pas simplement un budget, l'Europe ce sont des politiques.
Moi je suis européen, non pas simplement pour partager un marché, un budget et une monnaie, je suis Européen pour qu'il y ait des politiques qui soient mises en oeuvre, des politiques extérieures, des politiques de défense, des politiques industrielles, des politiques agricoles, bref, des politiques pour être plus forts ensemble. Alors je pense que le selfservice - et je ne veux pas désagréable à l'égard mais garde un certain type de commerce, - c'est rapidement le bazar.
Journaliste, Sud-ouest : Je voulais savoir, vous avez parlé justement de politique, de politique extérieure, de politique de défense, d'une Europe plus forte dans ce domaine-là. Est-ce que vous pensez que l'Europe a été à la hauteur en Syrie, est-ce que vous pensez qu'elle a été à la hauteur pour que sur ses frontières puisqu'on est encore obligé de faire appel à l'OTAN comme quasiment il y a il y a 50 ans, est-ce que vous avez évoqué des projets que vous vouliez ensemble avec Angela MERKEL, est-ce que c'est sur ce point que vous voulez mener des projets avec des capacités intégrées ? Est-ce que vous participerez à la mission de l'OTAN en Grèce également, est-ce que la France participera ?
LE PRESIDENT : L'OTAN met en place des bateaux - mais attention, que l'on comprenne bien - qui doivent être des auxiliaires, des aides pour que les pays la Turquie, membre de l'OTAN nous avons donc des alertes qui peuvent permettre justement de faire si je puis dire la police des Mers. C'est bien que l'OTAN soit là mais c'est encore mieux s'il y a un système de gardes-côtes. Il est un peu dommage d'avoir attendu - FRONTEX a existé - cette crise pour bien comprendre qu'on avait besoin de moyens intégrés, de plus de bateaux même si la France prête les siens, et c'est bien légitime et c'est peut-être la meilleure des façons pour répondre à certaines situations d'urgence.
Mais l'Europe, elle découvre quelquefois quand il y a des problèmes qu'il faut apporter des solutions. Peut-être qu'il vaudrait mieux ne pas attendre qu'il y a des problèmes pour préparer les solutions. Cela a été vrai pour la crise bancaire, pour l'euro. Vous avez pensé faire une monnaie sans qu'il y ait de gouvernement économique. Et puis on a découvert quand même que c'était difficile, on a pensé qu'on pouvait contrôler la finance sans avoir d'autorité de supervision, on a vu que c'était impossible. Donc l'Europe, elle doit se doter d'instruments de pouvoir, il ne faut pas en avoir peur. Quelquefois, les nations peuvent apporter leurs propres capacités, mais je pense que vous évoquez la Syrie, vous évoquez un certain nombre de politiques extérieures, il faut aussi que l'Europe elle ait une politique de défense, il faut qu'elle soit capable de pouvoir intervenir sur le plan humanitaire.
Et je vois des évolutions, j'ai vu quand même à la suite des attentats dont la France a été hélas, la victime et la cible, nous avons appelé à la solidarité européenne et vous avez vu que l'Allemagne a pris des décisions qui, jusqu'à présent, étaient très difficiles à imaginer : de mettre à disposition un certain nombre de matériels et, donc, d'intervenir par au moins des moyens - avions ou autres de manière indirecte sur un certain nombre de lieux de conflits. On a vu les Pays-Bas, on a vu la Belgique, donc voilà, l'Europe est capable aussi face à un certain nombre de défis de réagir et de se constituer.
Ce qu'il faut, c'est le faire avant que les crises n'arrivent, mais sur cette question de la politique de défense et de la politique extérieure commune, je crois qu'il y a eu un certain nombre de progrès ces dernières années.
Voilà mesdames et messieurs, merci pour votre patience parce qu'un Conseil européen, ce n'est pas parce que ça dure longtemps qu'il se passe beaucoup de choses. Je voulais vous le dire pour que vous en tiriez en tout cas pour ma part une philosophie. Il y a des choses qu'on peut faire plus rapidement et quelquefois plus un intensément, mais enfin je ne vais pas prolonger la métaphore - vraiment, ne pensez pas que quand c'est forcément très long que c'est très passionné, ça n'a pas été un Conseil européen passionné. J'ai connu un Conseil européen passionné sur la Grèce notamment, mais aujourd'hui c'était un Conseil européen raisonné, mais avec une raison qui prenait du temps avant d'être traduite dans un texte. Voilà pourquoi ça a été aussi long et finalement fructueux.
Merci.