23 janvier 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur l'effort en faveur des musées en France, à Colmar le 23 janvier 2016.

Monsieur le Président de la Confédération suisse,
Madame la ministre de la Culture,
Monsieur le président du Conseil régional,
Monsieur le président du Conseil départemental,
Mesdames, messieurs parlementaires et élus,
Monsieur le maire,
C'est un événement exceptionnel qui se déroule ici, à Colmar. Vous l'aviez voulu, Monsieur le maire, vous aviez insisté. Ici, beaucoup vous connaissent. Lorsque vous demandez quelque chose, au bout de quelques années vous l'obtenez.
A plusieurs reprises, lorsque je suis venu en Alsace, vous m'aviez fait part de cette rénovation remarquable du musée Unterlinden et vous m'aviez suggéré avec insistance de venir pour l'inauguration.
J'avais attendu d'abord que le Président de la Confédération suisse soit désigné. Depuis le début de l'année, c'est fait, il est là. Que le président de la région soit élu £ il est là, président d'une grande région. Il était aussi jusqu'à ce mois de janvier président de la région Alsace. Je veux ici le saluer tout particulièrement.
C'est en effet une épopée extraordinaire qui nous réunit ce matin. Elle commence il y a 500 ans lorsque le couvent des Antonins commande à deux artistes un retable pour l'autel de l'église. Il est réalisé à Isenheim, à une vingtaine de kilomètres d'ici. Il est peint par Matthias GRUNEWALD, sculpté par Nicolas DE HAGUENAU et la trace qu'ils ont laissée nous saisit encore aujourd'hui.
Il y a un siècle, l'écrivain HUYSMANS disait qu'il fallait quelques minutes pour se reprendre, une fois que l'on avait vu cette uvre. Je n'ai pas eu ces quelques minutes car immédiatement, le maire m'a conduit dans la salle suivante, tout en me disant que je pourrai désormais vaincre toutes les tentations, ayant vu le retable.
Autrefois en effet, on soignait à l'hospice d'Isenheim les malades atteints du « mal des ardents ». C'était un mal terrible, qui conjuguait des hallucinations avec la gangrène. Les malheureux qui en étaient atteints trouvaient matière à consolation à leur arrivée devant cette uvre énigmatique et puissante. Les terribles plaies dont ils souffraient n'étaient rien en comparaison avec celles du Christ.
Aujourd'hui, heureusement, ce sont les bien-portants qui viennent visiter et admirer le retable. C'est toujours un lieu de pèlerinage d'une certaine façon, mais pour la culture, pour la beauté, pour l'émotion. Le retable est devenu un élément non seulement du patrimoine de Colmar et de l'Alsace mais de l'humanité toute entière. La France défend l'héritage exceptionnel que les siècles lui ont légué et le met au service de la création, de toutes les créations. Votre musée en est l'illustration.
C'est le rôle du ministère de la Culture que de promouvoir le patrimoine et la création. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu, avec le Premier ministre, que les moyens du ministère de la Culture soient non seulement sauvegardés mais augmentés. Pas seulement pour les grands établissements de Paris mais aussi pour tous les équipements culturels de nos régions : bibliothèques, cinémas, musées.
Nos musées sont plébiscités: 65 millions de visiteurs par an, deux Français sur trois visitent au moins une fois dans l'année un musée, une exposition ou un monument. Le musée Unterlinden fait partie de ce réseau des 1220 musées de France. J'insiste sur le maillage territorial parce que c'est une chance pour notre pays d'avoir des collections, des expositions dans tout le pays pour favoriser l'accès de tous et accueillir aussi de nombreux touristes.
La culture est plus que notre bien commun, c'est aussi un élément majeur de l'appartenance collective à la nation. La culture, c'est l'expression de la liberté, c'est aussi le rayonnement de la France. C'est pourquoi le terrorisme, celui qui nous a frappés l'année dernière, celui qui frappe de nombreux pays dans le monde s'attaque à l'idée même de culture. Lorsqu'il frappe des jeunes dans des salles de spectacle, lorsqu'il vise des touristes dans des musées, le terrorisme veut détruire l'idée de la liberté, l'idée de la culture. Il s'attaque au patrimoine de l'humanité.
Je pense à ce qui a été détruit à Tombouctou et que nous sommes en train de reconstruire £ ou ce qui a été, hélas, massacré à Palmyre. L'ancien conservateur a été décapité, les temples détruits.
La culture, nous ne devons pas seulement la protéger, nous devons aussi la mettre à la disposition du public et, notamment, du public de demain, je pense aux enfants.
C'est le sens de l'opération que vous avez d'ailleurs menée ici, « la classe, l'uvre », qui fait travailler les enfants à la découverte des collections dans le cadre scolaire. Ensuite, ces mêmes enfants présentent les uvres au public.
Nous avons le devoir de permettre à chaque enfant de France, dans son parcours scolaire, l'accès à des lieux comme le musée Unterlinden. De leur faire pratiquer un art à l'école notamment durant le temps libéré par les rythmes scolaires.
Je sais qu'après les attentats de novembre dernier, les établissements scolaires ont suspendu les visites au musée ou au théâtre et parfois hésitent à les reprendre. C'est une consigne qui a été un temps nécessaire. Aujourd'hui, nous ne devons en rien priver les enfants et encore moins de culture. Des moyens de sécurisation considérables ont été déployés partout, et donc je le dis ici, ces sorties scolaires doivent reprendre, les visites doivent se multiplier.
L'Etat est présent sur tout le territoire à travers de grands établissements, vous les connaissez, de grandes institutions. 41 musées nationaux et 4 musées français font partie des 10 monuments les plus visités au monde. Je veux aussi insister sur le fait que ces institutions se sont décentralisées, je pense au Louvre à Lens mais aussi Pompidou à Metz ou au MuCEM à Marseille.
Il nous faut aussi des musées territoriaux et je veux saluer le rôle des régions en particulier pour appuyer cet effort en termes d'équipement et parfois même de fonctionnement. L'Etat a mis en place un plan pour les musées territoriaux, 130 millions d'euros déployés ces 4 dernières années.
L'Etat investit aussi dans les collections, ici elles sont admirables, mais l'Etat n'y est pour rien, sauf peut-être s'agissant de la fiscalité du mécénat. Il est très important que nous puissions continuer à acquérir des uvres majeures, comme encore récemment deux REMBRANDT qui s'apprêtaient à quitter le territoire. Les collections doivent circuler de musée en musée et évoluer. L'Etat accompagne ce mouvement à travers les Fonds régionaux d'acquisition ou le Fonds du patrimoine.
La fiscalité, je l'évoquais, prévoit des dispositions spécifiques pour le mécénat. Elles sont régulièrement évoquées par les parlementaires. Je veux ici confirmer l'orientation qui est la nôtre. Ces mécanismes permettent d'enrichir le patrimoine de la nation et sont à ce titre très importants. J'en veux pour preuve les collections du musée Unterlinden ou bien encore celles du musée Picasso à Paris.
J'évoquais le rôle des collectivités locales et notamment de la région. La nouvelle région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, Monsieur le président, est riche de 121 musées de France. La marque de l'Alsace, c'est aussi un pass musée transfrontalier qui, depuis 15 ans, fédère 320 musées en Alsace, en Suisse et en Allemagne. C'est une très bonne initiative que je souhaite voir se multiplier pour les régions frontalières.
Le rayonnement de nos musées contribue à l'attractivité touristique du pays. Trois touristes sur quatre disent venir en France pour visiter une exposition ou un monument. Je sais et vous l'avez rappelé Monsieur le maire, que les Suisses, les Allemands, les Autrichiens viennent Colmar découvrir les chefs-d'uvre de ces musées.
Le New York Times - dont je ne recommande pas spécifiquement la lecture mais à qui il arrive de dire du bien de nous, très souvent même, s'agissant de nos start-up, de la vitalité de notre économie- a évoqué il y a quelques jours Colmar. Parmi les 52 destinations à visiter absolument en 2016 selon ce grand journal, Colmar fait partie du voyage.
Je suis heureux d'être ici à vos côtés, Monsieur le Président du Conseil fédéral suisse, cher JOHANN SCHNEIDER-AMMANN. D'abord parce que votre présence témoigne des liens profonds et anciens qui unissent nos deux pays, mais aussi de la relation économique que nous tissons depuis des décennies et de la confiance que nous nous portons. Nous avons réussi à apporter des solutions à un certain nombre de dossiers qui traînaient depuis trop longtemps
Parmi ces dossiers, il y avait je parle à l'imparfait l'aéroport Bâle-Mulhouse. Je me réjouis que nous soyons en mesure d'annoncer aujourd'hui un accord sur la fiscalité applicable à l'aéroport, qui sera introduit dans une convention entre nos deux pays. Cet accord contribuera et nous le savons, de manière déterminante à l'attractivité de nos territoires, de la région.
Votre présence, Monsieur le Président, nous est également chère parce que c'est la culture et la francophonie qui sont constitutives du rayonnement de nos deux pays. Je suis également à vos côtés pour faciliter vos relations avec l'Union européenne. Je sais que le temps presse sur certains sujets en cours et j'interviendrai auprès de la Commission européenne pour faciliter leur règlement autant qu'il est possible.
Je reviens au musée Unterlinden.
Mesdames et messieurs, je veux d'abord saluer le discernement de celles et ceux qui ont rendu cette inauguration possible.
D'abord une association, une simple association néanmoins centenaire, la société SCHONGAUER, gardienne non seulement du musée mais de l'esprit du musée, de l'âme du musée. Une association de bénévoles qui a su patiemment, discrètement, enrichir les collections au-delà du retable. Grâce à sa bonne gestion, au produit des entrées payantes, aux concours publics, aux donations exceptionnelles venant de personnes privées- je veux en citer une en particulier réalisée par Jean-Paul PERSON - et de grandes galeries, dont celle de Jeanne BUCHER.
Une réussite que nous devons à ces concours et à une administration particulièrement scrupuleuse.
Nous la devons également à la ville de Colmar et à vous, Monsieur Gilbert MEYER, puisque vous avez impulsé cette rénovation. Les partenaires vous ont accompagné, comment auraient-ils pu faire pour vous résister ?
La région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, et avant elle l'Alsace a fait fait plus que son devoir. Le Conseil départemental également. L'Etat vous a suivi. Il y a aussi de nombreux mécènes et je veux également les saluer.
C'est un grand projet - 46 millions d'euros - mais c'est un investissement pour le patrimoine et pour l'avenir. Vous avez voulu veiller aux coûts de fonctionnement et vous avez là un outil remarquable. C'est la France tout entière qui est gagnante quand ces opérations sont bien menées, car nous le savons, un grand équipement culturel est aussi un facteur d'attractivité et donc de tourisme. C'est un levier pour l'économie, des entreprises y concourent, d'autres s'installent là à cause de ce rayonnement culturel. Je pourrais multiplier les exemples, il y en a partout sur le territoire.
Vous avez également voulu que cette rénovation soit une création architecturale, et vous avez réussi. Je veux saluer ici l'agence bâloise HERZOG ET DE MEURON et aussi nos architectes. Vous avez réussi le défi de vous inspirer des volumétries existantes, de respecter l'identité du lieu et de l'intégrer dans l'espace urbain qui a été considérablement embelli.
Vous n'avez pas simplement rénové le musée, vous l'avez étendu, développé, ouvert. Les collections, si je puis dire, respirent mieux et les visiteurs seront plus nombreux.
Vous avez également voulu créer une harmonie entre les uvres du passé et les uvres plus contemporaines. Avec le retable d'Issenheim, qui est la pièce majeure, mais vous avez aussi accueilli des créateurs contemporains, je pense à SOULAGES et je n'oublie pas Guernica. Si bien qu'il y a 7 000 années d'histoire de l'art qui sont ici présentes, dans ce formidable musée de Colmar. Je veux aussi saluer à travers le travail de Pantxica DE PAEPE, conservatrice en chef du musée, le professionnalisme de l'équipe du musée qui en a fait un équipement de référence.
La chance ne vient pas simplement parce qu'on l'attend. Il ne suffit pas d'avoir un retable ou des collections. Il faut une mobilisation collective pour que ce patrimoine soit valorisé artistiquement et économiquement et qu'il profite à tous.
La chance, il faut aller la chercher, il faut aller la provoquer parfois. Il y a toujours celles et ceux qui s'inquiètent du coût. En fait et vous l'avez compris ici, c'est un investissement.
Au-delà de ces calculs, vous avez fait un choix qui honore votre région, parce que je sais ici ce qu'ont été les douleurs de l'Histoire et notamment à Colmar, entre 1944 et 1945. La culture vient donner ici le plus beau des messages, la force de la beauté face au malheur, la volonté humaine face au découragement.
Mesdames et messieurs, cet exemple en est une fois encore la preuve, la France est un grand pays qui parfois, cela peut nous arriver, doute de lui-même. Il faut atteindre le malheur le plus éprouvant et vivre des drames pour que nous nous rendions compte que la France est aimée comme rarement un pays l'a été.
La France vient de recevoir de nombreux témoignages de soutien et d'hommages. Je veux d'ailleurs ici remercier les Suisses pour leurs signes d'amitié. Dans tous les grands lieux culturels, le drapeau français a été exposé, dans tous les lieux où le public se retrouvait, stades ou autres, la Marseillaise a été entonnée. Chaque fois, la culture française, l'idéal français, les valeurs de la France ont été célébrées.
Cela doit nous conduire d'abord à être à la hauteur de l'amour qui nous est porté et aussi de l'attente de la France dans tant de régions du monde pour défendre la liberté. Nous devons être aussi à la hauteur par nos choix culturels. Ces choix traduisent notre conception du monde, le rapport que nous voulons avoir avec les autres. Ils disent également plus qu'aucun discours ne pourra le délivrer l'espoir que nous avons en nous-mêmes et dans le message que nous portons.
Voilà le sens aussi de cette inauguration. C'est un acte de confiance que vous avez posé, un acte de confiance dans votre ville, dans votre région, votre département - un acte de confiance à l'égard de la France et aussi à de nos voisins européens.
L'Europe aujourd'hui s'interroge : les réfugiés, l'avenir de la présence du Royaume-Uni dans l'Union, l'unité même de certains pays, quand des régions veulent s'en séparer.
Nous devons donc être conscients aussi que vous avez également posé un acte de confiance envers l'Europe.
C'est ensemble que vous avez décidé de cette formidable rénovation, c'est ensemble que nous l'inaugurons avec nos amis suisses, parce qu'ici c'est l'histoire de l'Alsace, c'est aussi l'histoire de la France et de l'Europe, une belle grande histoire ouverte à toutes les influences, à tous les arts, à tous les pays. C'est au nom de cette histoire-là que nous devons continuer à agir.
Merci.