5 janvier 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur le rôle du Conseil constitutionnel, à Paris le 5 janvier 2016.


Monsieur le Président, cher Jean-Louis DEBRE,
Monsieur le Premier ministre,
Madame la Garde des Sceaux,
Mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
Je tiens à vous remercier pour vos voeux qui s'adressent, au-delà de ma personne, au rôle qui est le mien dans la période que nous traversons.
Les miens pour cette nouvelle année vont vers votre institution mais aussi plus particulièrement vers les membres qui vont la quitter dans quelques semaines.
D'abord vers vous, Monsieur le Président, qui achevez une présidence de neuf ans ce qui n'était pas arrivé depuis Robert Badinter.
Durant ce mandat, vous avez présidé le Conseil avec une compétence juridique puisée dans votre formation de magistrat, alliée à une expérience politique particulièrement riche puisque vous avez été successivement député, ministre et Président de l'Assemblée nationale. Et je n'oublie pas la mairie d'Evreux. Vous avez ainsi pu donner aux décisions de votre institution une autorité et un respect qui ont mis un terme à toutes les contestations qui avaient, pendant longtemps, émaillé la vie du Conseil constitutionnel.
Vous avez veillé à ce que le Conseil occupe sa juste place : celle d'une cour constitutionnelle sans être un gouvernement des juges £ qu'il soit le garant des droits sans être le censeur des choix faits par les pouvoirs issus du suffrage universel.
Indépendance, impartialité, intelligence telles sont les qualités avec lesquelles vous avez exercé votre fonction.
Vous avez été particulièrement soucieux de la cohérence des décisions rendues par le Conseil constitutionnel. C'est là votre legs le plus précieux.
Car la qualité, la prévisibilité et la continuité de la jurisprudence, voilà ce qui forge le prestige de votre Institution. Et la défense constante des principes fondamentaux, sans jamais céder aux humeurs du moment, voilà ce qui fonde sa légitimité.
Vous avez démontré que le souci de la cohérence, pouvait aller de pair avec l'exigence d'un changement. C'est sous votre présidence qu'est entrée en vigueur, le 1er mars 2010, la question prioritaire de constitutionnalité qui autorise un justiciable à saisir le Conseil sur une loi promulguée.
C'était une réforme majeure, dont on ne mesure pas toujours assez la difficulté pour le Conseil car il s'agissait de passer d'une vingtaine d'affaires par an dans le contrôle a priori à plus de cent décisions à rendre chaque année. De deux par mois à deux par semaine. Vous l'avez réussi : vous avez jugé en 5 ans plus de recours que pendant les 50 années précédentes. Et vous y êtes parvenus non seulement à moyens constants, mais surtout en gardant inchangées les méthodes de travail pour l'examen des affaires.
Avec vous, deux membres éminents du Conseil cesseront leurs fonctions cette année : Renaud DENOIX de SAINT MARC et Guy CANIVET, nommés par les Présidents des deux Assemblées, en février 2007. La présence concomitante au Conseil constitutionnel, pendant 9 ans, d'un ancien Vice-Président du Conseil d'Etat qui fut par ailleurs Secrétaire Général du Gouvernement et d'un ancien premier président de la Cour de cassation a largement contribué à la qualité de vos décisions et à la constitution de votre jurisprudence.
Ils ont apporté, outre leur immense compétence juridique, leur hauteur de vue et leur connaissance incomparable des rouages de nos institutions.
J'ai également une pensée particulière pour le regretté Hubert HAENEL qui nous a quittés l'année dernière, et je salue une fois encore Jean-Jacques HYEST que nous avons installé au mois d'octobre.
Nous nous retrouvons aujourd'hui, après une année terrible qui a vu la France plusieurs fois frappée par le terrorisme, avec une intensité jusque-là inconnue. Notre pays est engagé sur de multiples fronts, à l'extérieur comme à l'intérieur, pour défendre la Nation et protéger les Français.
Face à de telles menaces, nous avons dû prendre des mesures exceptionnelles sans jamais renoncer à nos principes, sans jamais édulcorer nos valeurs, sans jamais céder sur nos libertés.
La République est notre bouclier. Après chaque attentat, c'est autour d'elle que les Français se sont rassemblés pour s'opposer à la terreur £ c'est en brandissant ses symboles qu'ils ont affirmé leur unité et leur volonté de résister £ et c'est de la République qu'ils attendent, aujourd'hui, une réponse impitoyable contre l'ennemi qui nous a pris pour cibles, mais dans le respect du droit.
Le droit est une force et non pas une faiblesse dans une démocratie.
Le droit, c'est notre Constitution car c'est elle qui énonce nos principes fondamentaux dans son préambule et nos règles essentielles dans ses articles qui contribuent à la stabilité indispensable à nos Institutions chères au Général de Gaulle.
La Constitution est une arme car, lorsque les circonstances l'exigent, puisqu'elle donne aux pouvoirs publics les moyens d'agir et de légiférer.
Suite aux attentats de janvier dernier, le gouvernement a présenté une loi sur le renseignement afin de donner une plus grande efficacité à nos services et un cadre légal à leurs activités.
Ce projet a suscité des débats sur les risques qu'il pouvait présenter pour la protection de la vie privée - compte tenu en particulier des nouveaux moyens technologiques, j'ai alors décidé, en application de l'article 61 de la Constitution, de vous saisir de cette loi. C'était la première fois sous la Vème République. Les doutes devaient être levés, les inquiétudes vérifiées et les éventuelles approximations écartées.
Votre décision du 23 juillet dernier a conforté la légitimité de ce texte. La partie censurée car insuffisamment précise, relative à la surveillance des communications électroniques internationales, a immédiatement fait l'objet d'une nouvelle législation, que vous avez validée par une seconde décision fin novembre.
De nouvelles mesures ont également été prises pour assurer la protection de nos concitoyens après les attentats du 13 novembre.
D'abord l'instauration de l'état d'urgence décrété dans la nuit du 13 au 14 novembre. Il a été prolongé par un vote du Parlement pour une période de 3 mois. Vous avez eu à en connaître par le biais d'une QPC, le 11 décembre dernier, à propos d'une assignation à résidence. Vous y avez répondu onze jours plus tard, en validant la conformité de cette procédure à la Constitution.
Mais le régime de l'Etat d'urgence, qui donne à l'exécutif des pouvoirs particuliers, est fixé par une loi qui remonte à 1955. Ce texte n'est plus en rapport avec les menaces que nous connaissons aujourd'hui.
Aussi, devant le Parlement réuni en Congrès, j'ai proposé de réviser la Constitution pour introduire, à l'article 36, l'état d'urgence. Je connais bien la prudence qu'il faut avoir avant de toucher à la loi fondamentale qui est au coeur du pacte républicain, et qui a déjà subi pas moins de 19 modifications depuis 1992.
Mais j'ai considéré que la Constitution doit encadrer tout ce qui peut paraitre exceptionnel ou exorbitant du fonctionnement normal de la République et j'ai estimé nécessaire que soient précisées les conditions du déclenchement de l'état d'urgence comme les moyens accordés aux autorités civiles pour prévenir un péril imminent ou faire face à des événements particulièrement graves.
Enfin, une loi sur la procédure pénale et sur la lutte contre le crime organisé que préparent la Garde des sceaux, le ministre des Finances et le ministre de l'Intérieur et qui a été présentée au Conseil des ministres sera soumise au Parlement, et j'imagine que le débat l'enrichira. Elle vise à donner plus de moyens d'intervention aux procureurs et aux autorités administratives, notamment pour assigner à résidence les personnes de retour du djihad mais cela se fera sous le contrôle du juge. Je ne doute pas qu'elle vous sera soumise à l'issue de la procédure législative et vous pourrez donc en juger la conformité à la Constitution.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
Vous êtes désormais systématiquement saisis de toutes les lois votées et votre activité s'en est encore intensifiée avec l'usage de la QPC.
Vous avez jugé l'année dernière 146 décisions, dont 86 en contrôle de la loi et 68 QPC tout en examinant le contentieux des élections sénatoriales. Vous avez déclaré 15 cas de non-conformité totale ou partielle et formulé 12 réserves d'interprétation. Certaines de vos décisions ont conduit le Gouvernement et le Parlement à prendre de nouvelles initiatives.
C'est le cas par exemple s'agissant de l'application du grand principe du droit pénal « non bis idem » en matière d'infractions financières. Le projet de loi sur la transparence de la vie économique prévoira donc que les manquements aux règles de marché puissent être sanctionnés soit par la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, soit par le juge pénal mais pas par les deux.
Dans une autre décision QPC du 23 janvier 2015, vous avez jugé conforme à la Constitution la déchéance de nationalité pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme. Eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme, vous avez jugé que cette sanction n'était pas manifestement disproportionnée.
Par ailleurs, des projets de loi particulièrement importants ont été soumis à votre contrôle.
Je pense notamment à la nouvelle organisation territoriale de la République, ainsi qu'à la loi sur la délimitation des Régions et sur les scrutins. Vous les avez toutes validées, mais vous avez en rappelé que ces évolutions ne devaient pas remettre en cause l'indivisibilité de la République, l'usage de la langue française, la laïcité ou tout autre principe garanti par notre Constitution.
Depuis plusieurs années, vous avez examiné avec un scrupule auquel je veux rendre hommage les lois de finances et de financement de la sécurité sociale avec la volonté de faire respecter l'égalité devant les charges publiques comme le droit de propriété.
Vos décisions récentes nous conduisent à étudier les moyens d'améliorer le taux de recours à la prime d'activité dont vous avez validé la constitutionnalité sans recourir au mécanisme de réduction dégressive de la CSG que vous n'avez pas autorisé sous cette forme.
Je pense aussi à la loi pour la croissance et l'activité. Vous en avez validé l'essentiel, mais vous avez censuré quelques dispositions notamment les modalités d'indemnisation dans le cadre de la justice prud'homale qui ne respectaient pas le principe d'égalité. Nous en tiendrons le plus grand compte dans les textes que nous aurons à présenter prochainement.
Enfin, je n'oublie pas qu'en 2015, comme les années précédentes, une large part des dispositions que vous avez invalidées l'ont été pour des raisons liées à la procédure parlementaire. Vous dénoncez la pratique d'amendements qui contribuent à rendre illisibles des textes faute d'en respecter la cohérence. Nous partageons votre point de vue mais le Parlement est souverain.
Mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, face à aux menaces qui pèsent sur notre pays, les Français attendent d'abord de nos institutions qu'elles fassent tout pour les protéger. Cette demande s'adresse à tous les pouvoirs : au Gouvernement comme au Parlement, aux administrations comme aux juridictions.
Mais les Français attendent aussi de nous que nous défendions nos principes et nos valeurs. C'est le rôle du Conseil constitutionnel de fixer les limites, de dire quand l'atteinte aux libertés devient injustifiée, de poser un cadre infranchissable au-delà duquel nous oublierions qui nous sommes et pour quoi nous nous battons. Quand la peur se fait pressante, quand la menace est trop présente, quand l'actualité envahit les esprits, vous êtes là pour rappeler le droit et le devoir de résister aux solutions du repli, de la fermeture qui trahirait l'esprit de la France.
Je remercie votre Conseil de nous le rappeler à chaque grande occasion et j'adresse mes meilleurs voeux à votre Institution et à chacune et chacun d'entre vous.