5 janvier 2016 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la place des religions en France et sur la lutte contre le terrorisme, le racisme et l'antisémitisme, à Paris le 5 janvier 2016.
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le ministre,
Monseigneur,
Monsieur le Métropolite,
Monsieur le Grand Rabbin de France,
Monsieur le Président du Consistoire,
Monsieur le Président du Conseil français du Culte musulman,
Monsieur le Président de la Fédération protestante de France,
Monsieur le Président de lUnion bouddhiste de France,
Je vous adresse tous mes voeux. Je suis attaché à cette cérémonie. Elle manifeste la relation harmonieuse que la République entretient avec les religions.
Elle est aussi une marque de considération pour ce que vous représentez au sein de notre société. Et un symbole dattention au regard que vous portez sur les grands problèmes de notre temps.
Mais cette rencontre prend cette année une signification particulière, alors que le pays est encore sous lemprise du deuil et quil doit se rassembler pour affronter une menace redoutable. Celle du terrorisme islamiste.
En janvier comme en novembre, vous avez su, conformément à vos traditions et à vos rites, trouver les mots et les gestes pour exprimer votre compassion à légard de toutes les victimes, de leurs familles et de leurs proches. Vous avez aussi appelé à la cohésion afin que personne ne se laisse gagner « par laffolement et par la haine » comme la dit très justement Mgr André Vingt-Trois.
Ainsi, le Cardinal archevêque de Paris a célébré une messe solennelle à Notre-Dame le dimanche 15 novembre, au cours de laquelle les grandes orgues de la cathédrale ont interprété de façon particulièrement émouvante notre hymne national.
Les Juifs de France, ont payé un lourd tribut à la barbarie djihadiste avec lattaque de lHyper Cacher où je me suis rendu ce matin, ont voulu manifester leur chagrin le 11 janvier dernier à la Grande synagogue de la Victoire. Jy étais présent avec le chef du Gouvernement israélien, Benjamin Netanyahou. Vous y avez dit, Monsieur le Grand Rabbin de France, que notre pays avait retrouvé ce jour-là les valeurs qui avaient fait de lui le phare du monde. Nous nous souviendrons longtemps des 17 bougies allumées tour à tour en mémoire des victimes des attentats, dont la dernière fut allumée conjointement par deux figures emblématiques du courage et de lamour maternel blessé que sont Latifa Ibn Ziaten et Eva Sandler. Une autre cérémonie a été organisée en ce même lieu le 15 novembre pour porter le deuil de 130 nouvelles victimes.
Dans ce contexte dramatique, il était particulièrement nécessaire décarter demblée tout amalgame entre la religion de paix que pratiquent les Musulmans de France et les utilisations odieuses de lislam par les assassins commandités par Daech. Cest ainsi que le Conseil français du Culte musulman, après avoir condamné avec force les attentats du mois de janvier, a appelé à prononcer le vendredi 20 novembre, dans toutes les mosquées de France, un prêche pour « dire et de redire haut et fort que lislam authentique se trouve à des années-lumière de lidéologie de haine des criminels terroristes ». Et quelques jours plus tard, ce sont la quasi-totalité des institutions représentant les Musulmans de France qui ont adopté à lInstitut du monde arabe un « Manifeste citoyen » pour dire leur attachement à la République.
Je tiens à vous dire à mon tour aussi haut et aussi fort que vous lavez fait que les Français de confession musulmane, par le sang quils ont versé pour la défense de la patrie, par leur travail au service du pays, par leurs talents, font pleinement partie de notre histoire et de notre nation. Jamais la République ne tolérera que lon sen prenne à eux dans le combat que nous livrons, avec eux, contre le terrorisme.
Je veux aussi signaler dautres gestes.
La Fédération protestante de France a appelé lensemble de ses membres à sunir dans la prière, ainsi « quà cultiver inlassablement la fraternité et la solidarité au coeur de la société française ».
Au nom de lAssemblée des évêques orthodoxes de France, vous avez invité, Monseigneur Emmanuel, tous vos fidèles à prier pour les victimes et pour tous les pays touchés par le terrorisme. Je veux rappeler ici que les chrétiens dOrient qui sont présents dans cette région depuis des siècles et des siècles contribuent à léquilibre et à la diversité si nécessaire et à lharmonie entre les hommes.
Enfin, lUnion bouddhiste de France, fidèle à son message de non-violence, a invité tous ses membres à dédier leurs pratiques quotidiennes aux victimes et à la paix.
Tous ces gestes ont été une source de réconfort pour tous les Français. Quils soient croyants ou non, ils y ont vu le signe de lunité nationale qui doit nous rassembler dans les temps dépreuves.
Jai également voulu avec le Premier ministre que lensemble des lieux de culte qui pourraient faire lobjet dattaques soient protégés par les forces de sécurité, dans le cadre dun dispositif concerté avec toutes les autorités religieuses. Il a démontré son efficacité à loccasion des fêtes de Noël. Mais nous avons vu à Valence quil y avait eu aussi une tentative pour attaquer nos soldats auprès dune mosquée.
Mais la concorde nationale et les règles de sécurité ne nous dispensent pas de procéder à un examen de conscience.
Linvocation de la religion comme prétexte aux massacres dinnocents, le fait même que les assassins soient prêts à sacrifier leur propre vie pour accomplir leur projet criminel et augmenter le nombre de leurs victimes, nous ramène à des temps les plus obscurs et les plus lointains de notre histoire et pourtant, pour plusieurs dentre eux, les assassins qui ont commis ces abominations ont grandi ici. Ce sont de jeunes Français qui rejoignent les groupes terroristes en Syrie et en Irak. Ceux-là mêmes qui ont été élevés dans les écoles de la République. Ce qui exige de redoubler defforts pour la transmission, lEducation et laccompagnement. Il nous faut aussi faire preuve de la plus grande vigilance face à la radicalisation quelle soit produite sur internet ou entretenue par les prêcheurs de haine. Je le confirme ici : leurs auteurs seront implacablement poursuivis.
Nous ne pouvons pas accepter non plus que des enfants soient déscolarisés, ni davantage tolérer que certains établissements puissent délivrer des enseignements contraires à nos lois. Cest pourquoi jai demandé avec le Premier ministre à la ministre de lEducation nationale de renforcer les procédures de contrôle des établissements denseignement hors contrat, et de mobiliser ladministration et les collectivités pour éviter que des enfants ne soient soustraits à lobligation scolaire au nom de raisons incompatibles avec les valeurs de la République.
Je naccepte pas non plus que la belle notion de laïcité soit instrumentalisée par certains, en vue de combattre lexpression publique dun culte ou pour stigmatiser tel ou tel groupe de croyants.
La laïcité est un principe juridique de neutralité, qui simpose à lEtat et à ses représentants. Ce principe garantit à chacun le droit de croire ou de ne pas croire, ainsi que le droit dexercer son culte dans des conditions dignes et paisibles. « La Laïcité, comme la dit Emile POULAT, cest une société qui donne place à tous. »
Et cest faire un bien mauvais usage de la laïcité que de tenter de rendre impossible lexercice de la pratique religieuse en sopposant par exemple à la construction de lieux de prière dès lors que ce qui sy produit ne trouble pas lordre public et que les règles de financement sont claires.
Jai voulu que la lutte contre le racisme et lantisémitisme soit érigée en grande cause nationale. Auprès du Premier ministre, un plan de lutte interministériel, coordonné par le préfet Gilles Clavreul, a été adopté et doté de moyens significatifs, publics et également privés de façon à mobiliser autant quil est possible les ressources pour agir, pour informer, pour dissuader mais aussi pour lutter contre tout ce qui entretient le racisme et lantisémitisme. Lamartine avait eu cette belle phrase : « Je suis de la couleur de ceux quon persécute ». Cette phrase na rien perdu de son actualité.
Les agressions racistes, antisémites, ne concernent pas simplement leurs victimes et les proches, mais la communauté nationale dans son ensemble.
Je sais ce quest votre engagement et notamment le dialogue que vous avez entre vous pour lutter contre toutes les formes de racisme et dantisémitisme. Je sais aussi ce que vous faites pour favoriser la concorde et la fraternité.
Les organisations dinspiration religieuse apportent à notre société une solidarité à légard des plus démunis et également envers les migrants qui parviennent sur notre sol après avoir survécu à de terribles épreuves. Et dans laccueil des réfugiés, comme dans la lutte contre la pauvreté, cest vrai que les pouvoirs publics sont les premiers concernés. Mais vous, je le sais, vous êtes les premiers mobilisés avec des milliers de bénévoles qui agissent auprès des personnes en détresse doù quelles viennent et quelle que soit leur foi. Cest ensemble que nous devons agir en faisant en sorte de faire respecter les lois, cest notre devoir, notamment par rapport à cette question majeure quest celle des réfugiés et que vous puissiez également apporter votre concours pour soulager la détresse des plus démunis.
Je veux enfin saluer ce qua été la contribution des autorités religieuses au succès de la Conférence sur le climat qui sest tenue à Paris à la fin de lannée dernière. Javais réuni, à linitiative de Nicolas Hulot, un Sommet des consciences et vous vous y êtes tous associés £ je vous remercie parce que cela a été un moment rare où, venant du monde entier, toutes les forces spirituelles ont pu exprimer leur attente, leur exigence mais également leur mobilisation. Et vous avez à cette occasion-là exprimé que lêtre humain peut faire son bonheur, mais aussi participer à son propre malheur. Il construit et il détruit en même temps. Vous savez aussi mieux que dautres que lenvie du présent nest pas toujours fidèle à lobligation davenir, même si nous savons que la planète est unique et quil faut donc la préserver. Nous en sommes les dépositaires non pour la consommer, mais pour lhumaniser.
Ainsi, sil appartient aux responsables politiques de prendre les décisions qui relèvent des Etats, il revient à toutes les forces spirituelles de concourir à élever les nations et les peuples au-delà de leurs seuls intérêts matériels et à agir pour la paix et pour la tolérance.
Tel était le sens des voeux que je voulais vous adresser aujourdhui. De la gratitude pour ce que vous faites pour favoriser la compréhension entre nos concitoyens et pour dissuader tous ceux qui veulent entretenir un message de haine. Et en même temps je vous appelle à vous exprimer autant quil est possible pour faire en sorte que ceux qui doutent parfois, ceux qui sinterrogent souvent, ceux qui craignent dêtre victimes puissent trouver espoir et confiance. Si nous voulons écarter les surenchères, les amalgames, les stigmatisations qui peuvent produire des discriminations, nous devons aussi rappeler à chaque fois que la religion est un message de paix et quelle doit contribuer à unir les hommes et non pas à entretenir la haine de lautre.
Voilà pourquoi la République entretient cette relation avec les religions. Nous sommes chacun à notre place mais, tout en ayant des démarches différentes, nous participons au même objectif : unir notre pays et concourir à la paix.
Meilleurs voeux à vous, à tous vos proches et à vos fidèles.