19 mars 2014 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Déclaration conjointe de M. François Hollande, Président de la République, et Mme Cristina Fernandez de Kirchner, présidente de la Nation argentine, sur les relations entre la France et l'Argentine, à Paris le 19 mars 2014.

« Mesdames, Messieurs, j'ai accueilli, avec beaucoup de plaisir la Présidente de l'Argentine, Cristina KIRCHNER, qui effectue une visite importante ici en France.
Il y a d'abord les liens culturels entre nos deux pays. Ils vont être symbolisés par l'inauguration, demain, du Salon du livre par la Présidente et par le Premier ministre français. Ce Salon du livre est dédié aux auteurs argentins, à la culture argentine et à l'amitié entre nos deux pays.
Les relations entre la France et l'Argentine vont au-delà de la culture. Nous avons un partenariat politique qui, je le rappelle, a été fondé il y a 50 ans, à l'occasion d'un voyage célèbre que le général de GAULLE a fait en Amérique Latine et tout particulièrement en Argentine. Nous célébrons, d'une certaine façon, le 50ème anniversaire de cette relance de la relation politique entre nos deux pays.
Nous avons également une relation économique intense avec des priorités que nous avons fixées depuis plusieurs mois, autour de l'énergie, de la médecine, de l'agronomie, des nanotechnologies. L'Argentine est un grand pays scientifique qui a fait des technologies, le cur de son développement. C'est la raison pour laquelle la Présidente ira visiter, à Grenoble, plusieurs laboratoires et que nous avons établi une coopération entre nos instituts de recherche, le CNRS et son équivalent argentin.
Nous avons aussi la volonté de multiplier les échanges universitaires. Il y aura un accord passé prochainement pour la reconnaissance mutuelle des diplômes entre nos universités. Je rappelle qu'il y a 1 000 étudiants argentins qui sont accueillis en France et que nous avons aussi 1 000 étudiants français qui sont en Argentine. Quand je donne ces chiffres, j'ai conscience que c'est trop peu, bien trop peu, par rapport à ce que nous pouvons faire.
L'Argentine est le troisième partenaire commercial de la France en Amérique du Sud. La France y a d'ailleurs un excédent. C'est la raison pour laquelle la Présidente veut que nous augmentions encore nos échanges, notamment dans le transport et dans le spatial. Là encore, des décisions importantes ont été prises par l'Argentine qui vont renforcer notre relation
La France veut que l'Argentine puisse sortir de ses difficultés financières. L'Argentine est en train d'y parvenir et nous faisons tout pour qu'au Club de Paris, là où se négocient les règlements financiers, nous puissions soutenir les démarches de l'Argentine parce que c'est notre intérêt. C'est bien sûr l'intérêt de l'Argentine, mais c'est également le nôtre de commercer encore davantage avec l'Argentine.
Je veux terminer sur les discussions que nous avons eues sur les problèmes internationaux : Syrie, Liban puisque ce sont des pays qui comptent en Argentine, compte-tenu des communautés qui y vivent et l'Ukraine - nous nous sommes retrouvés sur des principes simples, notamment celui du respect du droit international et de l'intégrité des frontières.
Voilà le sens de ce déplacement. Je remercie encore la Présidente Cristina KIRCHNER de sa présence pendant plusieurs jours. Je sais que ce n'est jamais facile. Elle donne un éclat tout particulier au Salon du livre, qui est en l'honneur de l'Argentine, à l'occasion du Centième anniversaire de la naissance de Julio CORTAZAR. »
Mme Cristina FERNANDEZ DE KIRCHNER, présidente de la Nation argentine :
« Merci beaucoup Monsieur le Président. Bonjour, Mesdames et Messieurs les journalistes de France, d'Argentine et de la presse internationale. Je tiens à remercier le Président de la République française pour l'invitation de l'Argentine en qualité d'invité d'honneur du Salon du livre, manifestation littéraire la plus importante au monde.
C'est un moment tout particulier. Cette année marque le centenaire de la naissance d'un écrivain argentin qui a vécu longtemps à Paris, Julio CORTAZAR. Demain, avec le Premier ministre français, comme l'a signalé le Président, nous allons inaugurer ce Salon avec un pavillon argentin dans lequel seront nombre d'écrivains argentins.
Nous avons parlé des liens culturels, sociaux, politiques, commerciaux ainsi qu'historiques entre l'Argentine et la France. Je disais au Président que, hier, lors de la revue des troupes aux Invalides, la Marseillaise devait être le seul hymne universel, toujours lié aux idées de liberté. Il a marqué, d'une certaine façon, la Révolution française et le début de la modernité. Il a tellement influencé les luttes pour l'indépendance et la libération partout en Amérique du Sud. C'est pourquoi nos rapports remontent, par l'histoire même, à la naissance des idéaux de liberté dans notre région.
Nous avons aussi évoqué les relations commerciales entre l'Argentine et la France. Je disais qu'en 2003, la relation commerciale entre nos deux pays s'élevait à 300 millions de dollars et qu'il y avait un excédent pour l'Argentine parce que l'Argentine était encore en défaillance. Il n'y avait pas de consommation, il y avait une situation économique très mauvaise Le commerce était très mauvais, le niveau était très faible. Maintenant, après 10 années, le commerce bilatéral s'élève à 2,6 milliards de dollars avec un excédent très élevé aussi pour la France.
Cela veut dire que c'est important, pour les pays développés, de s'assurer que les pays émergents, ceux qui ont eu des problèmes d'endettement, puissent augmenter leur niveau de commerce. De cette façon, ils pourront aussi honorer leurs dettes et respecter leurs engagements.
Je voudrais remercier le gouvernement français d'agir en qualité d'amicus curiae devant la Cour suprême des Etats-Unis sur l'affaire liée à la réclamation d'un petit nombre de créanciers privés, les « sold out » comme on dit. Ils n'ont pas accepté la restructuration de la dette, acceptée par 93% des créanciers lors de deux processus de restructuration de la dette, lors du gouvernement du Président KIRCHNER d'abord et ensuite lors de mon propre gouvernement. Seulement 7% de l'ensemble des créanciers, une partie toute petite du total, veulent faire tomber l'accord de restructuration des dettes souveraines le plus important au monde. Ceci a des retombées non seulement pour les Argentins, mais pour le monde entier.
Un des problèmes principaux pour les pays, à l'heure actuelle, est l'endettement. On a évoqué la situation en Ukraine avec le Président. La dette de l'Ukraine représente 99% du PIB. Quelle serait la situation pour l'Ukraine ou pour d'autres pays avec des problèmes si un petit groupe de représentants des capitaux financiers, implantés dans des paradis fiscaux et qui ne paient pas d'impôts dans leurs pays d'origine, arrivait à obtenir ce qu'il cherche ? Ce serait un vrai scandale moral et politique.
Nous remercions le gouvernement français de sa décision et de son ferme soutien pour nos négociations avec le Club de Paris. Nous aurons des négociations à partir du 29 mai.
C'est important aussi pour toutes les sociétés européennes. Si nous trouvons un accord avec le Club de Paris, les entreprises européennes qui créent des emplois pour les Européens auront des crédits par l'intermédiaire de leurs agences nationales. Elles pourront contribuer à la croissance de leurs économies nationales et à la croissance économique mondiale.
Nombre d'entreprises françaises sont implantées en Argentine. Après cette rencontre, j'aurai un entretien avec le PDG de TOTAL, une société française très importante dans le secteur du pétrole et du gaz, qui détient des investissements très importants en Argentine. Elle a décidé d'augmenter ses investissements en Argentine qui concernent l'exploitation off-shore, en association avec YPF, la société pétrolière qui a été récupérée par l'Etat argentin. Heureusement, nous avons trouvé un accord avec la société REPSOL. Cet accord va être analysé par l'assemblée des actionnaires en Espagne. Cela va être aussi discuté au Congrès argentin.
L'Argentine est déjà un pays pétrolier. Il faut le dire. Nous avons la deuxième réserve la plus importante de gaz de schiste, la quatrième de pétrole de schiste. Tout cela est certifié par l'agence des Etats-Unis, ce qui veut dire que nous sommes un acteur très important dans le domaine de l'énergie.
Nous sommes aussi une puissance dans les domaines alimentaires, de de la science et de la technologie. Il faut le rappeler car cela veut dire que nous sommes des partenaires importants.
Nous espérons aussi voir des bonnes négociations entre l'Union européenne et le Mercosur. Nous avons parlé avec nos partenaires brésiliens. Nous avons également parlé des progrès avec le Président de la République française. Je pense que nous pouvons nous attendre à de bons résultats et à un bon accord.
Si la raison de cette rencontre est liée à la culture, il s'agit aussi d'approfondir tous nos rapports. Nous avons invité le Président HOLLANDE à visiter l'Argentine pour approfondir nos liens bilatéraux.
Nous avons aussi parlé des questions internationales comme la situation en Ukraine. C'est un souci pour nous aussi. L'Argentine est un pays engagé en faveur de la paix, un pays qui a toujours participé aux missions de maintien de la paix. Nous nous engageons très fortement au cours de toutes les missions des Nations unies à Chypre, en Haïti, partout dans le monde Nous pensons que la question de l'Ukraine doit être résolue dans un cadre de négociations politiques et de paix.
Nous en avons parlé avec le Président HOLLANDE. Ce serait un paradoxe tragique que justement, en 2014, quand on marque le triste centenaire de la Première Guerre mondiale, l'Europe et le monde doivent voir des situations de conflits armés. Dans ce sens, j'espère vraiment que la maturité, la sérénité, la responsabilité prévaudront chez toutes les parties concernées.
Le point de l'intégrité territoriale signalée par le Président est très important sans doute. Mais il faut que les puissances pensent à ce que l'intégrité territoriale soit un principe appliqué à tous. Parce que mon pays souffre d'une atteinte à son intégrité territoriale : l'affaire des îles Malouines. Les grandes puissances se sont prononcées en faveur de consultations chez les habitants des îles, les insulaires des Malvinas. Ce referendum n'a aucune valeur. Si on pense à la situation en Crimée qui est tout proche de la Russie, quelle serait la valeur d'un referendum dans une colonie d'Outre-mer à 14 000 km du Royaume Uni ?
Un principe fondamental pour le droit international doit être la cohésion, la cohérence. On ne peut pas parler ou défendre l'intégrité territoriale seulement pour la Crimée, et non pour les Malouines. Si on est d'accord, on soutient la souveraineté et l'intégrité de tous les pays. Parce qu'après tout, les Malvinas ont toujours été argentines. La Crimée, jusqu'au 19 février 1954, appartenait à la Russie. Elle a été offerte par Nikita KHROUCHTCHEV aux Ukrainiens
Si nous ne sommes pas cohérents, il n'y a pas de droit, il n'y a pas de respect, c'est alors une simple question de rapports de force. Les plus forts sont ceux qui décident. Je pense que c'est souvent parce que l'on obéit à ce que disent les plus forts que le monde est dans cette situation. Tout le monde doit être cohérent et agir en conséquence.
Demain nous allons avoir une rencontre avec le Premier ministre de la République française pour inaugurer le Salon du livre. Je suis sûre que ce sera une manifestation merveilleuse. Nous allons partager, échanger nos goûts sur les cultures française, européenne et argentine. Je suis très cinéphile : François TRUFFAUT, Jean-Luc GODARD, entre autres, sont des icônes, pas seulement en France, mais aussi en Argentine, partout dans le monde. Ma fille est cinéaste, elle adore le cinéma français. Elle dit que « c'est culte ».
Merci beaucoup à tous les Français, à la France et à vous, Monsieur le Président, pour ce chaleureux accueil. Merci à toutes et tous.