2 juin 2013 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la communauté juive en France, à Paris le 2 juin 2013.

Monsieur le président du Consistoire,
Monsieur le grand Rabbin de Paris,
Mesdames, Messieurs, qui représentez les Communautés juives de France,
Monsieur lambassadeur dIsraël,
Je tenais à venir mexprimer à votre Congrès pour évoquer la place du Consistoire, mais aussi celle des juifs en France. Votre institution a une longue histoire, une belle histoire. Non pas quavoir été créée par Napoléon, autoriserait davoir tous les droits. Mais Napoléon a fait de grandes réformes. Parmi ces réformes, il avait décidé dun décret nous étions le 30 mai 1806 et il avait ainsi rédigé le texte, car il rédigeait tout, avec les mots suivants : « il sera formé dans notre bonne ville de Paris une assemblée dindividus professant le judaïsme et habitant le territoire français. » De cette assemblée le Sanhedrin réunie à lHôtel de Ville, sortira, quelques mois plus tard, le Consistoire.
Il sinscrivait dans la suite de la Révolution française et de la reconnaissance par la République de la citoyenneté des juifs de France. Linstitution était donc le symbole de lintégration et reconnaissait la pleine et entière participation des juifs à la Nation. Cest ainsi que les juifs trouvèrent en France, une terre de promesses où ils purent senraciner, sans jamais avoir à renoncer à leurs traditions. Le modèle consistorial traduit lattachement des juifs à la France. Cest aussi la raison de ma présence.
Le Consistoire a évolué ensuite avec la République. Il sest adapté au fil des circonstances et des épreuves et des législations. Il a subsisté après la loi de séparation des Eglises et de lEtat de 1905. Avec une autre forme, puisquà ce moment-là, linstitution publique officielle a cessé dexister et le Consistoire est devenu ce quil est aujourdhui : le porte-parole dassociations cultuelles dont vous constituez lunion. En Ile-de-France, où se trouve la communauté juive la plus importante de notre pays, plus de la moitié des synagogues sont encore aujourdhui affiliées au Consistoire de Paris.
Avec la création du CRIF, la question aurait pu se reposer : quel est le rôle du Consistoire ? Le CRIF, cest linterlocuteur politique et laïc qui dialogue avec les pouvoirs publics £ le Consistoire lui, se situe sur les sujets plus spécifiquement religieux et cest dailleurs le sens que vous avez donné à vos propos. Je salue les associations qui se reconnaissent en lui. Elles sont nombreuses, elles sont vivantes. Je sais aussi quil y en a dautres notamment les communautés libérales, « massorti » et « loubavitch » qui forment la diversité du judaïsme français. Cette pluralité existe aussi à lintérieur même du Consistoire dont les représentants, venus de toute la France, et même dautres pays européens, sont réunis ici aujourdhui.
Mais venir à votre congrès, ce nest pas simplement évoquer lhistoire, cest parler du présent et surtout de lavenir, cest dentendre un certain nombre de vos interrogations, de vos inquiétudes.
Pour y répondre, je le fait aujourdhui en adressant trois messages : le premier, cest notre lutte implacable contre lantisémitisme, car lantisémitisme na pas reculé après les tragédies de Toulouse. Hélas, il a même progressé. Les violences se sont multipliées.
Il y a plus dun an vous avez rappelé ce drame , à Toulouse, des enfants juifs sont morts, assassinés parce quils étaient juifs, Les juifs de France sinterrogent encore, avec une certaine angoisse : quel sera leur avenir, si dans un pays comme le nôtre, celui de la République, celui des droits de lhomme, celui des libertés, il peut y avoir une tragédie comme celle-là ?
Toulouse, jy suis allé, au lendemain des assassinats, voir les parents de lécole, des familles éplorées. Toulouse, jy suis retourné avec le Premier ministre NETANYAHOU pour dire quensemble nous étions solidaires dans lépreuve. Ensemble, nous étions conscients des menaces, mais ensemble nous étions capables de les surmonter. Toulouse, jy suis revenu pour avoir des paroles, toujours à légard des familles, mais aussi de lensemble de la population qui sétait mobilisée, il y a un an, pour surmonter ensemble la douleur £ pour montrer que la France est plus forte que la haine qui voudrait nous diviser.
Oui, je sais ce que vous éprouvez encore aujourdhui. Des organisations viennent également mexprimer leurs doutes. Jai reçu, il y a quelques mois, les organisations américaines de la communauté juive qui mont dit : alors, que faites-vous contre lantisémitisme ? Je leur ai répondu : nous luttons, nous luttons tous les jours.
Mais linterpellation va plus loin, parce que je sais quil y a des juifs en France qui se posent la question. Elle ne me fait pas plaisir, elle est même une souffrance. Cette question, quelle est-elle ? Est-ce que nous pourrons encore vivre ici dans notre pays ? Est-ce que nous avons encore une place dans le destin national ? Est-ce que la France est capable de faire vivre ensemble des citoyens de religions différentes, de cultures différentes, dorigines différentes, de couleurs différentes, de situations différentes ? Je réponds oui. Oui, parce que cest notre histoire, oui parce que cest notre devoir, oui parce que cest notre espoir, parce que cest la République.
Lavenir des juifs de France est en France. Faut-il encore assurer la sécurité. La République ne sera en paix avec elle-même que lorsque la peur aura disparue. Je lai dit, il y a encore trop dagressions, trop de violence, trop de messages antisémites. La République doit être à vos côtés pour vous protéger, pour protéger vos écoles, vos lieux de culte, vos établissements culturels.
Protéger, cest dabord dissuader. Le ministre de lintérieur, Manuel VALLS est très attentif à ce que les forces de lordre continuent à assurer une présence effective. Je lui ai demandé, mais il y était déjà prêt, que les dispositifs mis en place répondent effectivement aux besoins que vous exprimez et quil poursuive le dialogue avec vos associations. Les mesures de soutien financier à la sécurisation des bâtiments qui sont en vigueur depuis 2005 ont été prolongées en 2012 et le seront bien sûr en 2013. Mais ils doivent être affectés aux moyens de surveillance, qui seront les plus efficaces et nous sommes maintenant certains que ces outils-là sont les plus efficaces pour dissuader et, le cas échéant, pour retrouver.
Protéger, cest aussi lutter par tous les moyens, je lai dit, contre le racisme, la xénophobie, lantisémitisme. Un plan global, préparé par le Premier ministre, a été présenté dans tous les domaines : éducation, formation, activité de jeunesse, sport, armée Rien ne doit être négligé. Une attention doit être portée sur la diffusion des messages haineux sur internet. La Garde des Sceaux, ici présente, avec le ministre de lIntérieur, en ont fait un axe prioritaire de leur action.
Ce nest pas simple car il y a la responsabilité dopérateurs internationaux, il y a lanonymat, il y a tous les moyens pour échapper aujourdhui à la législation. Alors cette législation sera corrigée car nous ne pouvons pas tolérer que des messages haineux puissent utiliser des moyens techniques pour diffuser, hélas, leur sinistre contenu.
Le deuxième message que je voulais vous adresser est celui de la laïcité. Ce nest pas toujours simple daboutir au bon équilibre entre la liberté de conscience, la liberté religieuse qui est un élément de la laïcité et, en même temps, le respect de légalité, de la neutralité de lespace public, de la capacité à faire vivre notre pays en dehors de la sphère religieuse tout en lui accordant sa place. Nous voyons bien, sur la question de lécole, le Président du Consistoire la évoqué, la nécessité de permettre à tous les écoliers et étudiants de passer leurs examens sans quils soient contraints de renoncer à une liberté religieuse. Et nous comprenons aussi que compte tenu des religions en France, si le calendrier scolaire devait navoir que des exceptions, il serait difficile dorganiser un certain nombre de concours et dexamens, surtout quil y en a beaucoup. Nous avons donc demandé au ministre de lEducation nationale de trouver la juste solution, le bon compromis, léquilibre qui permet à chacun dêtre à sa place.
Vous avez aussi évoqué labattage rituel. Vous nêtes pas le seul culte à y être attentif. Le sujet est là-encore apparemment simple. LEtat na pas à se prononcer ou à juger des pratiques internes à un culte dès lors quelles sinscrivent dans le cadre du droit. Alors, le ministre de lAgriculture entend maintenir lencadrement réglementaire de labattage rituel mais dans le dialogue avec les représentants des cultes et conformément au droit européen.
Le cadre juridique existe. Ce sont les lois de la République. Cest la laïcité. Mais comme il peut y avoir des situations nouvelles ou dautres qui apparaissent sous une autre forme, jai créé un Observatoire de la laïcité qui sera saisi de toutes ces questions. Cet observatoire comprend des personnalités très différentes, avec le souci du pluralisme. Chaque fois quil sera nécessaire de mieux comprendre et parfois de mieux réglementer et exceptionnellement de légiférer, nous le ferons après son avis.
Mais, il appartient à chacun de prendre ses responsabilités. Le Consistoire les a toujours assumées. Le Sanhédrin proclamait déjà en 1807 : « les juifs se sont fait un devoir de soumettre aux lois de lEtat et depuis la Révolution ». Ils nen ont pas connus dautres. Voilà ce qui a toujours été votre ligne de conduite : le respect de la République, le respect des règles qui sont celles de tous.
Vous êtes également soucieux, compte tenu de ce que représente lEurope, dêtre la principale communauté juive dEurope, aussi pleinement intégrée dans cette construction. Le Congrès juif européen fédère les juifs de plus de 40 pays. Et je sais le rôle que joue Moshe KANTOR, qui ne peut pas être là ce matin et que je veux saluer. Car il agit, justement, pour promouvoir lidée européenne.
Mais il agit aussi dans un autre domaine, essentiel à mes yeux : la non-prolifération des armes nucléaires. Ce qui me permet dévoquer lurgente, limpérieuse nécessité dempêcher lIran daccéder à larme nucléaire. Ce nest pas seulement Israël qui est menacé. Cest lensemble de la région qui se trouve ou qui se trouverait bouleversée par léventuelle accession à larme nucléaire de lIran. Ce nest pas dailleurs seulement le Moyen-Orient qui verrait sa sécurité éventuellement mise en cause : cest lEurope qui se trouverait elle-même, éventuellement, visée par la détention de cette arme. Jaurai loccasion de men entretenir avec lensemble des responsables de la région. Je me rendrai au Proche-Orient dans les mois qui viennent, je rencontrerai le premier ministre NETANYAHOU pour prendre conscience des grands risques qui menacent cette région.
Jai évoqué lIran. Je dois parler de la Syrie, avec lintervention aujourdhui, proclamée du Hezbollah en Syrie. Hezbollah dont la France a demandé, pour la partie militaire, que cette organisation puisse figurer sur la liste des organisations terroristes. LEurope a été solidaire sur ces questions, y compris sur la délicate décision de lever lembargo sur les armes. Avec la question aussi qui est posée, et sur laquelle nous devons être très attentifs, pour ne pas dire très exigeants : où iraient ces armes ? Et avec lobligation qui nous est donc faite, dune part de chercher la solution politique pour la Syrie et, dautre part, de faire la pression militaire, mais en étant sûrs que lopposition syrienne soit pleinement consciente aussi de ses responsabilités.
LEurope : je sais lécho que dans certains esprits, lidée européenne peut faire surgir. La belle idée. Et en même temps, le terrible souvenir de la Shoah : six millions de Juifs ont vu en Europe un tombeau, hélas, il y a 70 ans. Faire vivre le judaïsme européen, cest donc prouver que la vie peut lemporter sur la haine, et que la haine elle-même peut toujours être vaincue. Mais le combat nest jamais terminé. Aujourdhui, en Hongrie, en Grèce, il y a des mouvements qui se réclament, non pas de lextrême droite, mais du nazisme, alimentés on nous dira que cest une circonstance atténuante par la crise. Mais cest toujours la crise qui produit les dérives, et ce fut le cas dans les années 30. Mais nous le savons aujourdhui, nous connaissons les processus, nous voyons lévolution des discours. En Europe, puisque cest en Europe, nous ne devons pas laisser faire.
Cest la raison pour laquelle, tout ce qui peut contribuer à faire connaître notre histoire, à promouvoir notre culture européenne, tout ce qui peut favoriser la bataille contre les ignorances et les malentendus, tout ce qui peut rapprocher les peuples, doit être encouragé par la France. Parmi ces initiatives, il y en a une à laquelle votre Président est particulièrement attaché : le Centre européen du judaïsme. LEtat, cétait en 2012, avant même que je naccède à la responsabilité qui est la mienne, lEtat sétait engagé à soutenir ce projet, à la condition quil comporte un versant culturel, scientifique et européen, dans sa conception et dans son fonctionnement. Le Conseil régional dIle de France a pris la même position, et vous devez donc faire en sorte de faire aboutir ce projet. Sur le plan des principes vous naurez pas de mal. Sur le plan financier, je vous demande de faire preuve dune grande imagination.
Les programmes, les intervenants, lesprit je vous fais confiance : la grande diversité des cultures juives dEurope, le dialogue avec toutes les religions car votre centre européen peut aussi avoir ce sens-là. Tout aussi important est de donner une dimension universelle au judaïsme et à sa conception des libertés, du dialogue, de la compréhension et du respect. Les mots même que vous avez utilisés, Monsieur le grand Rabbin... Cest dans cet esprit que je mexprime devant vous aujourdhui. Devant des Français rassemblés autour de leur religion et ils en ont bien le droit : cest leur liberté, cest une part de leur identité.
Mais vous êtes rassemblés aussi autour de la République, autour de votre appartenance à la France, de votre fierté dêtre membres, à part entière, de cette grande nation. Conscients de ce que vous lui avez apporté. Je ne vais pas faire ici la liste de toutes celles et de tous ceux qui, par le sacrifice de leur vie, dans certaines circonstances douloureuses de notre histoire ou par leur travail, leur talent, leur mérite, ont fait que la France est ce quelle est aujourdhui. Ils veulent donc être les artisans de la France de demain. La situation de notre pays, les réformes quil convient daccomplir, les dépassements au-delà des intérêts individuels quil convient de réussir. Tout cela exige une nation qui soit au clair avec elle-même, qui soit unie sur lessentiel.
Pour les divisions, nous nous faisons confiance. Pour les sensibilités, elles sont multiples. Pour les grands débats, ils existent. Mais pour ce qui fait que nous sommes une Nation en marche qui entend être toujours, non seulement respectée dans le monde, mais porteuse de valeurs ??. Partout où je vais, en Afrique, en Amérique, en Asie, partout la France est regardée, attendue, espérée parce que nous sommes la France, parce que nous portons un message qui fait que nous ne voulons pas être une exception, ni le prétendons.
Mais nous voulons être un exemple de vie, de vie en commun, un exemple de liberté, un exemple de solidarité. Alors la France, parce quelle est la France et parce quelle entend rester la France a besoin de tous, elle a besoin de vous, de ce que vous apportez par votre esprit dentreprise, par vos engagements, par vos initiatives, par vos talents, par vos mérites. Elle a besoin de vous et vous, vous avez besoin de la République et de la France. Parce que, sans elle, vous nêtes pas ce que vous êtes. Alors, cest la force de notre union qui nous donnera la capacité de vivre ensemble et de réussir tous ensemble. Merci.