10 mai 2013 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, à l'occasion de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et leurs abolitions, à Paris le 10 mai 2013.

Monsieur le président du Sénat,
Monsieur le président de lAssemblée nationale,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Madame la présidente du Comité National pour la Mémoire et l'Histoire de l'Esclavage,
Mesdames et messieurs,
Nous sommes le 10 mai. Et le 10 mai, cest la journée nationale des mémoires de la traite, de lesclavage et de leurs abolitions. Pourquoi cette date ? Parce que cest ce jour-là que fut adoptée à lunanimité par le Sénat en 2001 la loi TAUBIRA, dont je salue ici la présence.
Pour la première fois, la République reconnaissait la réalité de lesclavage et la considérait comme un crime contre lhumanité.
Depuis 2006, chaque 10 mai, est organisée une cérémonie pour que ne soit oublié ce que fut la tragédie de lesclavage et du combat pour son abolition.
Dautres dates servent aussi de points de repère.
Dans les outre-mer, chaque territoire a son moment de recueillement : le 27 avril à Mayotte, le 22 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane et le 20 décembre à La Réunion.
Le 23 mai, ce sont les victimes de lesclavage qui sont honorées. Cette année, Victorin LUREL représentera la République à linauguration de deux monuments à Sarcelles et à Saint-Denis. Ces uvres sont le fruit des efforts du « Comité de la marche du 23 mai » animé par Serge ROMANA qui a permis à de nombreux Antillais de retrouver la trace de leurs ancêtres africains ainsi que lorigine de leur nom. Puisquils en avaient été privés, comme pour mieux nier leur existence.
Le souvenir requiert un travail et je tiens à saluer les artisans de la mémoire.
Ainsi, Luc SAINT-ELOI, qui a conçu la belle exposition, visuelle et sonore, installée aujourdhui dans le jardin du Luxembourg.
Mais aussi les membres du Comité pour la mémoire et lhistoire de lesclavage, qui aident la Nation à se rappeler ce que fut la traite négrière. Cette déportation en masse qui a duré plusieurs siècles à léchelle de plusieurs continents. Cette monstrueuse entreprise qui a considéré quun être humain, à cause de la couleur de sa peau, pouvait être réduit à létat de marchandise. Cet outrage fait par la France à son propre honneur et à sa propre grandeur avec le Code noir de 1685 qui ravalait les esclaves au rang de « biens meubles ».
Mais ce nest pas tant cette blessure profonde qui est rappelée aujourdhui, que la longue lutte qui a permis de sen affranchir.
Un mouvement où se rencontrent lHexagone et les outre-mer, avec des héros glorieux, avec la grande figure de Toussaint Louverture ou anonyme, avec des combats qui sont rappelés dans des lieux de mémoire. Je veux en mentionner ici quelques-uns.
Le mémorial martiniquais du Cap 110 au Diamant rend hommage aux milliers desclaves morts pendant la traversée des océans : ce voyage de la mort est évoqué par Guy DESLAURIERS et Patrick CHAMOISEAU dans le film Passage du milieu.
A La Réunion, le cimetière des esclaves de Saint-Louis accueille ceux qui nont trouvé la liberté que dans la mort.
En Guadeloupe, le boulevard des Héros aux Abymes célèbre le sacrifice des esclaves pour leur libération : DELGRES, IGNACE et la mulâtresse SOLITUDE.
A Pointe-à-Pitre un projet emblématique est en train de sortir de terre : Le « Mémorial ACTe ». Il se dressera sur le site de lancienne usine sucrière de Darboussier et sera le centre le plus important au monde consacré au souvenir de la traite et de lesclavage. uvre de réconciliation, geste de paix, ce projet était jusquà présent porté par la seule région Guadeloupe. Jai décidé que lEtat apporterait sa contribution à cette réalisation qui rayonnera dans toute la Caraïbe et au-delà.
Mais lHexagone aussi a ses évocations.
Je pense à Champagney, en Haute-Saône, qui fait écho aux voix des paysans de France qui surent sélever dès 1789 contre lesclavage et qui avaient ajouté à leur cahier de doléances un article 29, ainsi rédigé : « Les habitants et communautés de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les nègres dans les colonies sans avoir le cur pénétré de la plus vive douleur ». Champagney entretient depuis 1971 la Maison de la négritude
Je pense aussi à Chamblanc, en Côte dOr, où se trouve la maison dAnne-Marie JAVOUHEY qui libéra 147 esclaves à Mana en Guyane et dont le souvenir est aujourdhui symbolisé par 147 arbres plantés dans « La forêt de la mémoire ».
Et forcément à Nantes avec le Mémorial de labolition de lesclavage inauguré en mars 2012 par le maire de lépoque, Jean-Marc AYRAULT.
Lhistoire de labolition mérite également dêtre rappelée. Elle est luvre commune des humanistes blancs labbé GREGOIRE ou Victor SCHOELCHER- et des esclaves qui ont résisté à leur propre sort et qui ont contribué à leur propre émancipation. Les uns et les autres y ont leur part. Au nom de la République, car la République est née avec le combat contre lesclavage car la République cest labolition. 1794-1848.
Notre responsabilité cest une fois encore de donner un avenir à cette mémoire, regarder vers demain plus encore que vers hier, en se rappelant les messages dAimé CESAIRE dont nous célébrerons dans un mois le centenaire de la naissance.
Le premier, cest limpossible réparation. Ce qui a été a été. « Il y aurait une note à payer et ensuite ce serait fini », écrivait-il « Non, ce ne sera jamais réglé. » LHistoire ne sefface pas. On ne la gomme pas. Elle ne peut faire lobjet de transactions au terme dune comptabilité qui serait en tous points impossible à établir. Le seul choix possible, cest celui de la mémoire, et cest la vigilance, et cest la transmission.
Je noublie pas non plus lavertissement dAimé CESAIRE.
Si lesclavage a disparu en France la haine, le mépris qui lont rendu possible, sont, eux, toujours là. « Le racisme est là. Il nest pas mort ». Il prend dautres formes, dautres visages, et toujours il doit être combattu sans répit, sans faiblesse et sans silence. Comme doit être pourchassée toute discrimination. Ce poison contre légalité.
Enfin, la liberté nest pas un don de la nature ou un acquis de la civilisation, cest un apprentissage, une conquête de chaque jour, une victoire jamais achevée. En un mot, la liberté cest une responsabilité dont les peuples comme les êtres doivent savoir être dignes. Et continuer à se battre pour elle, au nom du progrès et de lhumanité. Mais aussi de la solidarité à légard du monde.
La traite nous renvoie à la dette souscrite à légard de lAfrique.
Nous savons la part funeste prise par la France dans lexploitation des terres dAfrique soumises à ce négoce barbare qui mit des hommes, des femmes et des enfants au fond dune cale pour être transportés là où lexploitation indigne de leur travail réclamait de les déposer.
Jai tenu, le 12 octobre 2012, à rendre hommage à ces victimes sur lîle de Gorée, à la « maison des esclaves ». Cétait à Dakar. Et je me suis incliné au nom de la France en souvenir de ces êtres humains qui entendaient le rester face à ceux qui ne létaient déjà plus.
Je sais aussi ce que notre République doit au sacrifice de milliers dAfricains venus la libérer. Et aujourdhui, cest au nom de cette solidarité que la France est intervenue au Mali pour lutter contre lintolérance, le fanatisme et la terreur.
Cette journée souvenir du 10 mai est loccasion de nous rassembler autour de nos valeurs essentielles.
La France est consciente de son histoire. Elle la regarde franchement pour la dépasser sans jamais rien effacer. Cest la condition de notre unité. Mais la France est fière de sa diversité de lhexagone ou des outre-mer, tous les citoyens contribuent, à travers leurs identités, leurs singularités, leurs parcours, leurs origines. Ils sont bien plus que des héritiers, ils sont les bâtisseurs de notre avenir.
Car jen suis sûr, cest la paix des mémoires réconciliées qui permettra à la France dêtre plus forte pour relever les défis de son temps.
Je vous remercie tous ici dy contribuer.