Le Président de la République a présidé ce vendredi 25 août dans la cour d’honneur de l’hôtel national des Invalides, un hommage national au Général d’armée Jean-Louis Georgelin, ancien chef d’état-major des armées, ancien Grand chancelier de la Légion d’honneur, représentant du Président de la République pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris.

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25 août 2023 - Seul le prononcé fait foi

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HOMMAGE NATIONAL DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE AU GÉNÉRAL JEAN-LOUIS GEORGELIN.

Le silence, seul, aujourd’hui, accompagne le départ du général GEORGELIN. Et comme en écho, sa voix nous revient. Cette voix qui le précédait toujours de quelques mètres. Dans le chantier de la reconstruction de Notre Dame de Paris, elle claquait, saluait, encourageait. Elle couvrait le bruit des outils et le vacarme des artisans. À l’Élysée, sa voix s’échappait dans la cour d’honneur, quand l’été venu, le général ouvrait sa fenêtre. Elle concurrençait à elle seule l’orchestre de la Garde républicaine, trompettes et tambours, montaient aux étages, faisait sourire d’avance ceux qui travaillaient avec lui. Voix rocailleuse des Pyrénées, abrupte ou chaleureuse. Ses vérités militaires et bonhommies un peu rudes. Accent théâtral qui lui faisait allonger les voyelles. Sa voix. Sa voix semblait toujours être prolongée par quelque écho, comme si le général conversait dans une crypte, dans une chapelle, dans les abbayes ou les églises qu'il aimait tant. Cette voix était l'expression de son caractère exceptionnel, autant que le moyen de convaincre, d'impressionner, quelquefois de réduire au silence tout ce qui entravait ses desseins. Le général, c'était cette voix, une force qui va, un mouvement qui venait de loin, de son pays natal, du Comminges d'Aspet, des brumes du pic de Cagire.

« Moi qui fus un soldat quand j'étais enfant », comme disait Victor HUGO. Né en 1948, Jean- Louis GEORGELIN fut un enfant de l'après-guerre et, à coup sûr, déjà un soldat. Un enfant élevé dans le souvenir et bientôt la rumeur des guerres. Son père, sous-officier, combattait à des milliers de kilomètres en Indochine puis en Algérie. Sa mère, Marcelle, fut pour toujours le pilier de sa vie. Ils attendaient, avec son frère et sa sœur, les nouvelles des combats. Et il resta peut-être à Jean-Louis GEORGELIN cette douleur et cette pudeur des gens qui attendent, qui marchent et qui espèrent. Mais, comme il le répétait sans cesse dans un emprunt peu orthodoxe,
« là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Et Jean-Louis GEORGELIN n’était que volonté.

Alors, de ses rêveries de promeneur solitaire, de cette connaissance intime du service de la patrie, le jeune homme fit sa vocation, il devint fantassin. Entré à Saint-Cyr, il y devint élève officier de 1967 à 1969 dans la promotion Brunet-de-Sairigné. Puis, ce fut le neuvième régiment de chasseur parachutiste, l’école d’application de l’infanterie à Montpellier, l’État-Major de l’armée de terre. Après un séjour aux Etats-Unis, Jean-Louis GEORGELIN intégra l’école de
 
guerre. En 1985, il revint à Saint-Cyr, cette fois-ci pour commander une promotion. Instructeur exceptionnel, professant éprouvant par ses actes la grandeur du métier d’officier, ce chef savait que diriger était d’abord montrer l’exemple. Alors, avec ces élèves officiers de la promotion cadet de la France libre, il accomplissait chaque mois une marche commando.

Encore aujourd’hui, ces derniers n’ont rien oublié de la malice de leur commandant, de son détachement bourru qui masquait l’attention affectueuse. Jean-Louis GEORGELIN voulait pour eux le meilleur, la liberté dans la discipline et l’entraide. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Et ce chemin s’éleva sans cesse. Après un retour dans son cher 153ème régiment d’infanterie de Mutzig, où il avait aussi servi jadis, il s’affirma comme un officier d’exception, bourreau de travail, meneur d’hommes déléguant avec confiance, mais toujours obsédé des détails, cet officier savait trancher, ne jamais s’embarrasser des fausses contraintes.

Son charisme tenait aussi à son érudition. « La culture générale est la véritable école de commandement » aimait-il à répéter. En 1997, envoyé en mission en ex-Yougoslavie, Jean- Louis GEORGELIN fut nommé Général de brigade. Une force qui va, toujours plus haut. Elle était chez lui un élan irrésistible, elle impressionnait et séduisait, mais elle cachait aussi un art du dialogue, de la négociation. Ainsi, Jean-Louis GEORGELIN savait être diplomate. Un très bon diplomate, selon le président Jacques CHIRAC, que le général servit comme chef d'Etat- major particulier à l'Elysée, à compter de 2002, lors de crises majeures : l'entrée en guerre en Afghanistan, les opérations de nos forces dans les Balkans, au Liban, en Côte d'Ivoire. Cette force, surtout, voulait servir. Servir un chef de l'Etat exige toujours de dire la vérité, pour inconfortable qu'elle soit. Parfois servir suppose de convaincre en menant auprès des administrations, selon ses mots, “un combat mobile d'usure”, enfin, d'assumer toute décision politique avec loyauté et esprit de devoir.

Chef d'Etat-major des armées sous la présidence de Nicolas SARKOZY, Jean-Louis GEORGELIN fut un serviteur exemplaire. Cette force n'était pas non plus dénuée de finesse. En 2010, le général GEORGELIN accéda à la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur, à ses pas telluriques qui faisaient trembler les médailles et les personnels de l'Hôtel de Salm, certains prirent crainte. Mais pendant 6 ans, avec une subtilité et une profondeur attentive, le général rénova l’Institution, comme ses bâtiments et ses collections. Cet amoureux du patrimoine savait redonner du lustre, en posant la lumière du jour sur les merveilles du passé, dont la grille du frère Denis, de l'ancienne abbaye royale.

Car cette force était aussi celle de la foi. Jean-Louis GEORGELIN était catholique. Comme il était soldat de la France, serviteur de l'Etat et de la République, sans rien d'incompatible entre ces trois aspirations. Avec l'agencement entre le spirituel et le temporel qui permet la vie en commun dans une république laïque. Sa foi se décelait à chacun de ses gestes, dans son dévouement pour des causes plus grandes que lui, dans cette charité qu'il pratiquait toujours dans l'ombre, dans sa joie, quand, installé à l'Élysée comme représentant spécial du Président de la République, il apprit qu'il aurait pour bureau une ancienne chapelle.
Dans sa distance paradoxale, aux hommes et aux choses, le général GEORGELIN ne se considérait pas comme un intellectuel. Son humilité le retenait de s'attribuer le titre. Il avait
 
pourtant tant lu et retenu de Blaise PASCAL, la différence entre les grandeurs naturelles et les grandeurs d'établissement. Les premières naissent des vertus physiques et morales qui doivent être admirées et reconnues. Les secondes sont l'expression de l'ordre social auquel l'on doit se conformer loyalement. Cette distance critique n'était jamais chez lui du cynisme. Il était chef installé dans la vie et cachait sans doute, toujours secrètement, ce petit chose et ses fragilités.

Avec une forme de liberté de jugement, de sagacité amusée, une distance qui faisait sa valeur de conseiller et son autorité de chef, son humanité. Oui, sa force était aussi une foi. Il était un soldat pénétré d'espérance, celui qui croyait au ciel et celui qui marchait au pas. Là étaient les deux nœuds du même bois.

En avril 2019, au lendemain de l'incendie de Notre-Dame de Paris, de là où je suis, j'ai appelé le général GEORGELIN. Il avait passé la nuit incrédule et meurtri. Il avait pensé, soulagé, que l'homme qui dirigeait l'intervention des sapeurs-pompiers, le général GALLET, était l'un de ses anciens élèves de Saint-Cyr dont il connaissait la valeur au feu et au front. Mais enfin, rien ne pouvait tellement le consoler. Notre-Dame de Paris était bien l'âme de la France. C'était même son enfance, quand, avec son père, ils avaient accompli un grand tour de nos monuments nationaux. C'était l'orgue jouant la musique de liturgie qui lui faisait monter les larmes et dont l'idée du silence, désormais dans la cathédrale ravagée, les lui faisait monter plus encore.

Lorsqu’en ce jour d'avril 2019, je lui ai confié le destin de ce chantier colossal, presque impossible, le Général GEORGELIN m’exprima qu’une chose : sa volonté de servir. Il ne bronche pas à l’exposé de sa mission : reconstruire en 5 ans. Lorsqu’il y a une volonté, il y a un chemin. Et aussitôt dans son regard, dans ses mots soigneusement choisis comme toujours, j’ai vu le Général convoquer chacune des qualités éprouvées lors de sa carrière.

L'ancien responsable de la planification et des finances à l'État-Major mettra en œuvre un calendrier que d'aucuns jugeaient déraisonnable. L'officier d'exception garantirait l'unité d'action entre tous les corps de métier. L'homme de volonté ne se laisserait pas impressionner par les experts, mais deviendrait lui-même le plus grand expert du sujet et les embarquerait. L'amateur secret de patrimoine veillerait à ce que le chantier fasse appel à des savoir-faire disséminés partout en France. Le diplomate paradoxal unirait les bonnes volontés de toutes les autorités temporelles et spirituelles.

Pendant 4 années, le Général GEORGELIN accomplit tout cela. Pour nos compatriotes, comme pour le monde entier, il devint une figure familière : le Général de la cathédrale. Le 8 décembre 2024, nous retrouverons Notre Dame de Paris parce que c'est le vœu de la nation entière et ce fut mon serment au peuple français. Et ce serment fut servi par sa volonté. Jean-Louis GEORGELIN ne vivait pas d'honneurs, mais d'espérances. Il avait un but. Sa vie a connu son terme avant de l'atteindre. Mais toutes les grandes œuvres nécessitent cette part d'effort qui n'attend pas forcément de récompenses.
Le 8 décembre 2024, les portes de Notre Dame s'ouvriront, les murs de la nef seront blanchis, les vitraux plus clairs, la splendeur du lieu plus pur encore, la Cathédrale retrouvera le culte. Seront là les catholiques. Vous serez là Monseigneur, et autour de vous, vos évêques, vos
 
prêtres et tant d'autres. Seront là tous ceux qui travaillaient avec lui et ne perdront plus jamais le goût de son exigence qui, quand elle était brusque, se rattrapait ensuite, par mille attentions.

Seront là, les femmes et les hommes du chantier, celles et ceux du général, comme on dit, ceux de Saint-Cyr ou de l'infanterie : ces adjoints, ces architectes, ces compagnons du grand œuvre seront là, les anonymes charpentiers et maçons, vigiles et orfèvres venant de la France entière qui, samedi, à l'annonce de sa mort, ont tous pleuré.

Mon général, le 8 décembre 2024, ces femmes et ces hommes penseront à vous. À votre silhouette, manquante parmi ces piliers, à la fierté que vous auriez éprouvée face à ce succès assurant à votre nom sa place dans la longue chaîne des temps. Nous penserons à vous. Je penserai à vous. À la manière que vous auriez eu de marcher un peu à part de la foule, dans la nef, prenant ce moment pour vous, rien qu'à vous, dans le secret et l'ombre de votre foi. Et vous serez là, mon Général : dans le carillon, à travers les coups de l'Angélus perçant le son des cloches de Notre-Dame de Paris. Toute la nation vous entendra encore. Nous entendrons votre voix rire, gronder, déclamer. Nous entendrons vos silences, aussi, qui disaient la solitude et les blessures pourtant tus.

Nous entendrons votre voix forte, déterminée, revenue d'outre-tombe. Mais toujours là. Voix patriote, Voix de la France. Cantique des Cantiques. Alors, nous pourrons vous dire merci. Adieu mon Général.

Vive la République, vive la France.

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