Il aimait mener des entreprises de pensées, et penser le rôle des entreprises. Economiste et dirigeant du groupe Scor, figure du monde social, Denis Kessler s’est éteint le 9 juin, au terme d’une carrière façonnée à son image, exigeante, inattendue et ambitieuse.
Né à Mulhouse le 25 mars 1952, dans une Alsace pour laquelle il conserva un attachement constant, Denis Kessler fut diplômé d’HEC en 1976, titulaire d’un DEA de philosophie, puis docteur en économie. Car cet esprit libre, d’une curiosité vorace, n’avait de cesse de multiplier les sources et combiner les approches afin de mieux élucider les secrets du gouvernement des hommes, et de l’administration des choses. Denis Kessler fixa bientôt dans le libéralisme son credo de pensée et d’action. Il y trouva même un modèle, Alexis de Tocqueville, et voulut, à son tour, mêler la réflexion à l’engagement.
En 1982, jeune économiste, il publia avec Dominique Strauss-Kahn un livre remarqué, « L’Epargne et la retraite ». Ce thème – l’assurance vieillesse et le système de protection sociale – fut dès lors un fil rouge de sa carrière éclectique, tant s’y dessinaient quelques-unes de ses idées forces : le primat du marché pour réaliser le bien-être de la société, l’idéal contractuel pour régler les rapports sociaux, ou les limites de l’Etat pour agréger les préférences face au risque. Professeur des universités, Denis Kessler passa aux travaux pratiques en devenant, en 1990, président de la Fédération française des sociétés d’assurance. En 1998, Ernest-Antoine Seillière l’appela pour le seconder à la tête du Conseil national du patronat français, dont il venait de prendre la présidence. Dans un contexte de tension avec le gouvernement de Lionel Jospin autour des 35 heures, Denis Kessler apporta sa puissance conceptuelle et sa créativité politique pour transformer le CNPF, devenu MEDEF, en acteur combattif. Ce fut lui qui inventa les universités d’été de l’organisation patronale, et lui qui mena une forme de révolution culturelle et idéologique pour faire du MEDEF, au-delà de l’expression des intérêts des entreprises, le porte-voix d’une vision plus étanche et contractualiste des rapports entre l’Etat et la société, où chacun des acteurs, à commencer par les entreprises, s’auto-régulerait.
En 2002, Denis Kessler prit la tête du réassureur Scor, alors en mauvaise posture. L’analyste de la main invisible du marché devint alors l’une des figures les plus visibles, et reconnues, du patronat français. Il ne se départit jamais de ce qui faisait le nœud de sa vie, et de sa carrière : le goût des idées, et la croyance que celles-ci pouvaient mener le monde. En mai 2021, il quitta ses fonctions opérationnelles pour ne garder que la présidence de Scor. Elu à l’Académie des sciences morales et politiques en 2016, passé de la chaire des universités aux sièges des conseils d’administration, Denis Kessler avait diversifié son groupe vers ses domaines d’élection, avec le rachat, en 2014, des Presses universitaires de France et des éditions Belin.
Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire d’un homme qui avait fait de la pensée du risque le moteur de son action, et le ressort de son engagement dans la vie économique et sociale du pays. Ils adressent à ses proches, à ceux qui travaillaient et créaient à ses côtés, leurs condoléances émues.
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