Le Président de la République s'est rendu à Toulon, ce mercredi 9 novembre 2022, pour un déplacement consacré à la présentation de la Revue nationale stratégique.

Depuis la Revue stratégique de 2017 et son actualisation en 2021, des crises de toute nature se sont succédées et la guerre a fait son retour sur notre continent. Au cœur de ces bouleversements majeurs pour nos sociétés et nos économies, certaines tendances se confirment ou s'accélèrent : compétition entre grandes puissances, généralisation des stratégies hybrides, enhardissement des puissances régionales ou encore effets de rupture liés aux nouvelles technologies, notamment numériques et spatiales.
 
Annoncée par le Président de la République le 13 juillet dernier lors de son discours aux armées, cette Revue nationale stratégique prépare les travaux d’une nouvelle loi de programmation militaire. Issue d’un travail interministériel, elle dresse un constat de l’évolution du contexte mondial et dessine l’ambition et les priorités stratégiques de la France à l’horizon 2030.

Lire la Revue nationale stratégique

Elle s’inscrit également dans la continuité et en complément de la boussole stratégique de l’Union européenne et du concept stratégique de l’OTAN, adoptés cette année.

Revoir le discours du Président :

9 novembre 2022 - Seul le prononcé fait foi

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DISCOURS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Madame la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, 
Monsieur le ministre des Armées, 
Monsieur le préfet, 
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, 
Monsieur le Chef d'état-major des Armées, 
Monsieur le secrétaire général de la Défense et de la sécurité nationale,
Monsieur le délégué général pour l'armement, 
Monsieur le secrétaire général pour l'administration, 
Messieurs les chefs d'état-major, 
Monsieur le directeur général de la gendarmerie nationale, 
Madame la directrice générale des Relations internationales et de la Stratégie, 
Messieurs les officiers généraux, 
Officiers, sous-officiers, officiers-mariniers, soldats, marins, aviateurs, 
Mesdames et Messieurs, 

Je suis heureux de vous retrouver ici, dans la rade de Toulon, à bord de ce beau porte-hélicoptères amphibie Dixmude où je vous avais adressé mes vœux en janvier 2018. Le 9 novembre n’est pas une date anodine. Elle parle d’adversité et de courage, de vision et de souveraineté. C’est l’anniversaire de la mort du général de Gaulle. Le courage de l’instant, la vision de l’avenir, c’est bien de cela dont je suis venu vous parler aujourd’hui. 

Car bien que ce bâtiment soit entouré d’eau abritée, la rade majestueuse, Monsieur le maire, un jour calme, ne nous méprenons pas, la période n'est pas au temps calme, mais au gros temps. La guerre est en Europe, avec ses risques d'escalade, ses licences, ses effets mondiaux. Elle coiffe une décennie de désinhibition de la violence, d'extension des confrontations à tous les domaines. Elle marque aussi un saut sans précédent dans l'univers hybride, qui est certes aussi vieux que la guerre, mais dont certaines puissances ont su intégrer et décupler les pratiques néfastes à l'ère digitale. L'agression contre l'Ukraine, enfin, risque de préfigurer de plus vastes rivalités géopolitiques à l'avenir que nous n'avons nulle raison d'accepter avec fatalisme et que nous n'entendons pas subir avec passivité. 

Ces évolutions, pour autant, ne sont pas neuves. Nous les avions correctement identifiées dans la Revue stratégique de 2017, et à nouveau en 2021 lors de son actualisation. Nous avions identifié les efforts d'adaptation à conduire pour assurer notre protection et notre souveraineté dans les nouveaux espaces de conflictualité : l'Espace exo-atmosphérique, les champs informationnels et cybernétiques, les espaces aéromaritimes et plus récemment, les fonds marins ; et pour faire face au retour de ce qu'on appelle la haute intensité, comme pour tenir tête aux menaces hybrides. 

Les engagements pris à l'issue de cette analyse et de son actualisation n'ont pas été les moindres. C'est un véritable réarmement de la Nation que nous avons décidé il y a cinq ans. Et c'est une satisfaction particulière pour moi de vous le dire aujourd'hui : ces engagements ont été tenus. Ils l'ont été grâce à votre travail, votre engagement, grâce aux parlementaires. Et je remercie les présidents des Commissions compétentes d'être là et d'avoir aussi veillé avec l'ensemble des Parlementaires engagés sur ces sujets durant ces dernières années. Mais depuis les liasses jusqu'à l'exécution, à l'euro près, les engagements pris ont été tenus. Ils l’ont été, et le projet de loi de finances pour 2023 en atteste encore. J'en suis fier, et nos armées le méritent. Cet effort est vital et il doit se poursuivre car nous le savons aussi, pour beaucoup de nos capacités, c'était une réparation nécessaire, mais il nous faut maintenant bâtir l'avenir. 

Parce que ce qui se joue en Ukraine n'est pas simplement une illustration des tendances déjà à l'œuvre : c'en est une accélération massive et, à certains égards, une clarification aussi d'autres aspects. À travers ces dizaines de milliers de morts, ses rigueurs, son échelle, à travers ses développements technologiques avec de nouvelles armes claironnées mais pas toujours probantes et d'anciennes qui se sont trouvées de nouveaux usages létaux. Enfin, parce que cette guerre clarifie aussi l'état du monde dans lequel nous sommes : l'affaiblissement des normes et des tabous, l'ivresse des appétits. Elle qualifie ce moment dangereux où l'équilibre ancien est contesté, et le nouveau n'est pas atteint. 

Cette accélération tragique rendait indispensable que nous révisions, actualisions, notre réflexion. Et cet exercice, nous l'avons conduit après la Boussole stratégique menée dans le cadre de l'Union européenne, et finalisé sous la présidence française de celle-ci ; et le concept stratégique nouveau de l'OTAN que nous avions souhaité lancer dès décembre 2019. Il s'ensuivait, logiquement, que nous puissions proposer derrière, nous-même, une actualisation de notre vision de la menace, de notre analyse stratégique du monde et que, à l'issue de celle-ci, une nouvelle loi de programmation puisse scander les années à venir pour nos armées. 

Au cours de l'été, donc, avec la réactivité qui sied aux moments de gravité, des travaux solides ont été conduits pour élaborer la Revue nationale stratégique, qui doit servir de base à la programmation militaire. J'aimerais remercier à cet égard tout particulièrement le ministère des Armées, bien sûr, le secrétariat général pour la Défense et la sécurité nationale, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères pour ce travail conduit en un temps exceptionnel et la mobilisation de tous vos talents. J'aimerais aussi remercier les parlementaires des Commissions consultées sur cette revue, qui ont pu apporter à la fois leur expertise et leur expérience, et nous permettre de l'enrichir. 

Comme toujours, l'enjeu de ce type de travaux est d'éviter le travers qui consiste à tirer des leçons du présent, en quelque sorte, pour le futur antérieur. Dans les Armées, on programme, en effet, sur plusieurs années, mais pour des orientations ou des équipements qui structureront notre outil militaire pour les décennies à venir. Et l'ensemble de celles et ceux qui y concourent le savent bien. Nous étions aux côtés de plusieurs de nos industriels il y a quelques jours et j'ai pu à nouveau en mesurer la profondeur temporelle et la nature des investissements. C'est pourquoi, si le temps est au cœur des choix qui sont les nôtres et que la vision impose de prendre des options claires, nous devons répondre à la fois aux problèmes d'aujourd'hui et à ceux de demain. Mais avec une préoccupation que nous devons avoir à chaque instant : c'est évidemment d'avoir présent à l'esprit que l'armée de 2030 que nous avons à bâtir, ses femmes et ses hommes comme ses capacités, elles ne doivent pas être l'armée idéale que nous aurions voulu en 2022, mais bien de l'armée de 2030, nécessaire face à l'évolution des risques, nos anticipations et les changements à prévoir. C'est pour cela que le travail réalisé avec cette RNS est si précieux. 

En 2017, le modèle d'armée que j'avais trouvé était, au fond, né de 2001 et du basculement du monde dans la lutte antiterroriste, de la logique de coup de poing dans des théâtres souvent permissifs. Tout n'a pas disparu de cet ordre. Le terrorisme n'a pas disparu et nous continuons de le combattre vigoureusement et il sera encore au cœur de nos combats. Mais les conditions ont néanmoins beaucoup changé. Nous avons réparé nos armées, durci le modèle pour faire face aux défis du jour et prévoir l'avenir. C'était indispensable. Du reste, certains des défis d'aujourd'hui seront durablement avec nous. Et, en particulier, quand la paix reviendra en Ukraine, il nous faudra là aussi en tirer toutes les conséquences, c'est-à-dire bâtir véritablement une architecture de sécurité nouvelle et un cadre rénové de stabilité et de contrôle des armements où l'Europe sera autour de la table. 

Mais il y a aussi les défis du futur : le risque de guerre de haute intensité entre Etats, les tensions croissantes en Asie, l'usage généralisé des drones, y compris dans les domaines où ils sont encore rares aujourd'hui, la banalisation des missiles dont on voit les premiers effets en Arabie, aux Émirats ou à Kiev, l'abaissement du seuil du cyber, les technologies de rupture, le quantique, l'intelligence artificielle, l'hypervélocité et notre environnement plus général où pèsent les risques sanitaires comme les risques climatiques. Et revenant de la COP 27 en Egypte, nul ne peut, ni ne doit, minorer l'enjeu de sécurité que représente également ce changement climatique. C'est désormais un monde où, contrairement à hier, quand on cherchait la paix par l’interdépendance, on cherche désormais l’indépendance en prévision des guerres. 

C’est tout cela qu’il faut anticiper, c'est-à-dire une révolution copernicienne du mode de conception des conflits, de notre géopolitique et des révolutions aussi qui se sont fortement accélérée durant ces cinq dernières années sur le plan technologique et qui vont continuer de le faire. Anticiper tout cela, c’est une nécessité pour avoir en 2030 les armées de la décennie à suivre et non celle de la décennie qui précède. Et poussant plus avant le propos, c’est aussi ce qu’il faut pour avoir non seulement les armées, mais également l'industrie de défense, l'économie et la société qui concourent à la souveraineté. Car l'un des enseignements des temps que nous vivons, c'est qu'il faut réapprendre à mobiliser les forces vives de notre nation, de ses entreprises, de ses femmes et de ses hommes au service de notre souveraineté, comme je l'ai porté avec constance ces derniers mois. 

Alors, quelle est la vision que porte cette revue nationale stratégique ? C'est celle d'une puissance indépendante, respectée, agile ; d'une puissance au cœur de l'autonomie stratégique européenne avec un fort ancrage atlantique, mais aux avants postes et au pivot du monde ; d’une puissance d'équilibre qui assume ses responsabilités et contribue, en partenaire fiable et solidaire, à la préservation du multilatéralisme et du droit international. 

Alors dans tout cela, il y a bien sûr des acquis, des confirmations de la LPM en cours que nous saurons consolider et renforcer, conformément à ce que je viens de dire, des intuitions qui ont été confirmées durant les cinq années passées. 

Il y a d'abord évidemment notre appréciation de la situation qui demeurera solide et souveraine et qui, grâce à un effort particulier sur le renseignement, nous permettra de mieux connaître, comprendre et prévoir. Et les investissements que nous avons faits pour consolider, tant en matière humaine que technologique, notre capacité autonome de renseignement, d'intelligence se sont avérés plus nécessaires que jamais et nous allons évidemment les consolider et les conforter dans le temps. 

Ensuite, c'est la rapidité de décision et d'engagement. Et je veux ici le rappeler, nous avons une force. Elle est institutionnelle, politique, organisationnelle : celle de pouvoir décider dans l'instant et de mettre en œuvre comme nulle autre puissance sur le sol européen ne peut le faire. Nous l'avons démontré avec Serval, nous l'avons démontré avec l'opération Hamilton, nous l’avons redémontré avec les décisions prises et le déploiement en Roumanie il y a quelques mois. Ceci est une force de nos armées : elle le demeure plus encore dans le contexte géopolitique que je viens d’évoquer. 

Il y a ensuite évidemment la dissuasion nucléaire, cette dorsale de notre sécurité crédible, moderne, dimensionnée dans le cadre d’une stricte suffisance. Elle continuera de reposer sur des principes simples et clairs qui garantissent notre liberté d’action et assurent et que nous serons préservés d’une agression majeure. Elle nous prémunit de toute agression d’origine étatique contre nos intérêts vitaux, d’où que vienne cette agression et quelle qu’en soit la forme. Ces intérêts vitaux, il est de ma responsabilité de les définir, de les actualiser. Du reste, comme je l’ai dit il y a plus de deux ans à l’Ecole de guerre, et puisque c’est ma conviction je le redis devant vous, aujourd’hui plus encore qu’hier, les intérêts vitaux de la France ont une dimension européenne. Nos forces nucléaires contribuent donc, par leur existence propre, à la sécurité de la France et de l’Europe. Le redire ici est nécessaire tant les discussions sur ce sujet se sont banalisées là où il faut garder la même sobriété dans la doctrine pour garder la même crédibilité. Mais gardons-nous d’oublier que la France a bien la dissuasion nucléaire et gardons-nous parfois de dramatiser quelques propos. 

Notre capacité à défendre notre territoire métropolitain et ultramarin face aux menaces anciennes, mais aussi nouvelles, de la frappe dans la profondeur aux attaques cyber, est également bien entendu au cœur de notre stratégie, autre confirmation indispensable. L’Europe en effet n’est désormais plus à l’abri de frappes de missiles, de drones, et nous devons intégrer cette réalité. Car la technologie met désormais à la disposition d'adversaires, qui ne sont pas toujours des États, les moyens de frapper à distance. Je sais, j'ai pu lire que d'aucuns en Europe y réfléchissent. Mais la défense aérienne de notre continent, c'est une question stratégique, solidaire et aux multiples ramifications, qui ne peut se résumer à la promotion d'une industrie nationale ou d'industries tierces aux dépens de la souveraineté européenne. Elle mérite donc une approche inclusive, en profondeur, reposant sur une analyse stratégique et intégrant tout le spectre de notre défense. Nous proposerons et nous contribuerons. Nous devrons aussi disposer dans les cinq ans d'une cyberdéfense de tout premier rang mondial. 

S’agissant de nos outremers qui sont une force de la Nation et signent notre présence permanente sur plusieurs continents, nos droits souverains dans tous les océans. On est Français, sous presque toutes les longitudes et presque toutes les latitudes. Nos outremers continentaux ou insulaires font largement l’état de puissance mondiale de la France, en Atlantique Nord, dans les Caraïbes, en Amérique du Sud, dans l’Océan Indien comme dans le Pacifique et sans oublier nos pôles. Ces terres, ces mers, les Français qui y vivent et en vivent sont exposés à des menaces dont la nature ou le degré appellent des déclinaisons ajustées de notre stratégie d'ensemble. Nous n'y manquerons pas. Notre détermination à assurer leur sécurité dans des régions qui parfois sont le théâtre aussi de politique du fait accompli reste inébranlable. Elle continuera de reposer sur nos forces de souveraineté, mais aussi sur l'attention accrue que nous portons aux menaces hybrides. 

Pour notre Europe, elle demeurera évidemment notre ancrage existentiel, notre univers de solidarité prioritaire et nous continuerons d'y être à la fois, si je puis m'exprimer ainsi, le rocher et l'aiguillon. Rocher de la seule puissance doté de l'arme nucléaire en Europe continentale, qui joue toujours un rôle clé dans sa sécurité et aiguillon pour faire progresser sa souveraineté, faire prospérer sa vision, développer une défense crédible, contribuer ainsi à la force de l'Alliance atlantique. 

L'agenda de renforcement profond de l'Europe de la défense est véritablement un acquis des cinq dernières années. Et notre stratégie, une vision d'abord affirmée des instruments proposés, puis des réalisations ont porté leurs fruits. C'est vrai pour les opérations, où nous avons inventé une nouvelle grammaire avec des opérations de formats innovants comme IRINI en Méditerranée ou Agénor dans le Golfe. Pour la culture opérationnelle, plus généralement, que nous avons travaillé à installer avec l'initiative européenne d'intervention et sa déclinaison sahélienne Takuba. Il en va de même de la culture stratégique avec la Boussole stratégique, véritable livre blanc de politique de défense européenne conclu en mars dernier et je mentionnerai également la Facilité européenne de paie créée à notre instigation en 2021, qui finance aujourd'hui le transfert d'équipements militaires, notamment vers l'Afrique et l'Ukraine. Et bien sûr l'agenda dit de Versailles pour le renforcement de notre souveraineté, la réduction de notre dépendance et la sécurisation de nos approvisionnements. Enfin, le soutien à l’industrie de défense via le Fonds européen de défense et l’instrument visant à renforcer l’industrie européenne de défense au moyen d’acquisitions conjointes. Si on regarde où nous étions il y a cinq ans, c’est une révolution mentale qui a eu lieu, profonde, pour certains de nos partenaires, copernicienne. Mais, nous n'avons pas pour autant fini le travail, loin de là. 

Tout ce que je viens d'évoquer ici nécessite encore des consolidations, des confirmations, une plus grande rigueur, si je puis dire, dans l'application strictement européenne. Mais l'Europe, ce sont aussi nos partenariats avec les différents pays qui la composent et que nous entendons accroître significativement. Et je dirais que ces partenariats sont d'autant plus envisageables que nombre de ces partenaires nous ont rejoint dans une approche française de la souveraineté de la défense européenne. C'est d'abord notre volonté de renforcer les liens avec l'Allemagne bien sûr, partenaire indispensable avec lequel nous sommes engagés dans des programmes profondément structurants. Nos forces sont faites pour se combiner. Excellence industrielle partagée évidemment, mais aussi réalité opérationnelle et ambition stratégique. Et de l'équilibre de notre partenariat dépend, je le crois aussi pour partie, la réussite du projet européen et je souhaite à cet égard que nous puissions obtenir des avancées décisives dans les prochaines semaines. 

Je souhaite aussi que nous puissions renforcer certains partenariats profondément innovants lancés ces dernières années. Celui, par exemple lancé avec la Belgique, CaMo, qui permet de créer l'intimité stratégique, opérationnelle et capacitaire et d'avancer de manière plus claire. Et nous en avons d'ailleurs testé là aussi toute la force dans le déploiement de ces derniers mois. Il nous faut également solidement engager des partenariats nouveaux avec l'Italie, la Grèce, plusieurs partenaires avec lesquels nous avons conclu des accords récents importants comme la Croatie ; et pouvoir proposer, offrir, avancer avec l'Europe de l'Est, les Pays baltes, les pays d'Europe du Nord qui sont en attente à cet égard de formes nouvelles de coopération, là aussi, évidemment, capacitaires mais opérationnelles et stratégiques. Ce sera notre devoir, dans le cadre des exercices à mener, de savoir proposer ces formes de coopération innovantes. Et je crois pouvoir dire que nous nous appuyons évidemment sur notre force propre, notre crédibilité, mais aussi, pour ne citer qu'une partie d'entre eux, nos déploiements actuels en Roumanie comme en Estonie. L'ensemble de ces pays qu’ils soient alliés ou non, savent qu’ils peuvent compter sur la France. 

Notre partenariat avec le Royaume-Uni doit aussi être porté à un autre niveau. Je souhaite que nous reprenions activement le fil de notre dialogue sur les opérations, les capacités, le nucléaire et le domaine hybride, et renouer avec l’ambition qui sied à nos deux pays, amis et alliés. Un sommet bilatéral se tiendra au premier trimestre de l’année qui vient. 

Enfin, je n’oublie pas le caractère structurant que la Méditerranée orientale et les Balkans occidentaux revêtiront dans les prochains mois et les prochaines années. Là aussi, membres de l'Union européenne ou pas, membres de l'OTAN ou pas, nous aurons à bâtir avec nombre de ces pays des alliances nouvelles. Tous ces efforts contribueront à la force de l'Alliance atlantique, même si, ils ne s'y réduisent pas tous. L'Alliance reste un cadre essentiel pour la sécurité collective. Les circonstances actuelles confortent sa pertinence dans sa vocation euro-atlantique, en particulier à l'heure du pivot américain vers l'Asie. Et je crois que nous avons su démontrer ces dernières années que l'Europe de la défense renforçait l'OTAN et ne venait pas l'affaiblir comme certains voulaient le laisser croire. Elle la renforce, elle l'arrime dans ce qui est sa vocation et son espace d'intérêts, et elle en est une composante clef comme la Déclaration de Rome, signée à l'automne 2021 entre les États-Unis d'Amérique et la France, a permis très clairement de le rappeler. Dans cette alliance, nous continuerons de jouer un rôle d'allié exemplaire, capable d'assurer le rôle de Nation cadre et de contribuer à la réassurance de nos partenaires et si nécessaire, à la défense du flanc oriental de l'Europe. Ceci est essentiel pour l'avenir du projet européen. 

Au-delà, la France a enfin toujours vocation à être aux côtés de ses partenaires étrangers. Nous souhaitons être pourvoyeurs de sécurité, de l'Afrique subsaharienne au golfe arabo-persique, en passant par la Corne de l'Afrique. Cela vaut aussi pour l'Indopacifique où nous avons proposé dès le printemps 2018 une stratégie innovante, claire, profonde, qui a ensuite inspiré une stratégie européenne un peu plus de deux ans plus tard, et où nous devons faire prospérer ce cercle de solidarité important, allant des Émirats arabes unis qui sont pour nous un partenaire exemplaire et fiable pour notre pays dans tous les domaines, en passant par Djibouti. Nous tenons à notre présence et nous avons là aussi une histoire et un avenir. En allant jusqu'à l'Inde, nous avons su bâtir dans tous les domaines des partenariats nouveaux que nous continuerons de compléter en allant jusqu'à l'Asie du Sud-Est et l'Océanie. Stratégie d'autonomie collective qui nous sera précieuse à l'heure où le monde risque de se refermer sur la grande confrontation géopolitique de demain. Stratégie où la France a vocation à la fois pour la défense du sol national, mais aussi pour ses amis, ses alliés, ses partenaires de la région à préserver la liberté de la souveraineté. 

Vous l'avez compris, cette nouvelle analyse de la situation, des menaces de notre rôle devra nous conduire, et c'est ce que les prochaines semaines et les prochains mois permettront de parachever, à adapter le format de nos armées, nos grands contrats et nos grands programmes, nos objectifs opérationnels au service desquels tout cela concourt afin, d'une part, d'assurer dans toutes ses composantes la défense du sol national et de nos ressortissants ; et d'autre part, d'être Nation cadre, structurant, autour de nous, en Europe, en Afrique comme au Proche et Moyen-Orient des coalitions d'armées partenaires. C'est cela que notre prochaine programmation militaire permettra pleinement de décliner à tous égards. 

Mais en complément des invariants que nous renforcerons, il est aussi des champs d'intervention dans lesquels nous devrons faire très différemment, d'autres que nous devrons presque inventer entièrement, et d'autres enfin, que nous devons résolument affermir, comme je m'y suis engagé il y a quelques mois, lors de l'élection présidentielle de cette année. La première de ces orientations concerne donc la conception et la mise en œuvre de ce rôle de pourvoyeur de sécurité que je viens d'évoquer, et qui contribue de manière importante à la prévention des conflits dans les zones où nous sommes déployés. Les formes traditionnelles sur lesquelles cette fonction se déclinait, avec des présences de nos forces à l'étranger, parfois vécues comme des contestations de souveraineté par certains ou utilisées par des puissances ennemies dans le champ de la lutte informationnelle, nous devons les réinventer radicalement dans l'espace et dans le temps. La manière de le réinventer sera précisément de bâtir cette nouvelle doctrine que j'évoquais, de savoir être cette Nation cadre innovante. Mais nous devons aussi, dans les prochains mois, savoir profondément changer de méthode. 

Notre engagement aux côtés de nos partenaires en Afrique doit désormais être centré sur une logique de coopération et d'appui à leurs armées. Cela doit se traduire par un dispositif plus léger et plus intégré avec elles. C'est pourquoi nous lancerons dans les prochains jours une phase d'échanges avec nos partenaires africains, nos alliés et les organisations régionales pour faire évoluer ensemble le statut, le format et les missions des actuelles bases militaires françaises au Sahel et en Afrique de l'Ouest afin de bâtir avec les intéressés une organisation et des instruments communs et partagés de soutien aux armées de la région. Cette stratégie sera finalisée d'ici six mois après les concertations et l'association étroite et intime que nous souhaitons conduire. C'est indispensable et c'est une des conséquences que nous tirons de ce que nous avons vécu ces dernières années dans toute la région du Sahel. 

De même, nos interventions doivent être mieux bornées dans le temps et ce dès le début. Nous n'avons en effet pas vocation à rester engagés sans limite de temps dans des opérations extérieures. C'est aussi pour cette raison que j'ai décidé, en concertation avec nos partenaires, d'officialiser aujourd'hui la fin de l'opération Barkhane. Notre soutien militaire aux pays africains de la région se poursuivra, mais selon les nouveaux principes que nous avons définis avec eux. Il se déclinera à l'échelle de chaque pays selon les besoins qui seront exprimés par nos partenaires : équipements, formations, partenariats opérationnels, accompagnements dans la durée et intimités stratégiques. Il viendra aussi, et oserais-je dire, surtout en soutien des efforts civils déployés par les autorités africaines pour répondre aux tensions communautaires, aux vulnérabilités sociales et économiques que tentent d'exploiter les groupes terroristes. Au fond, notre partenariat n'a de sens que s'il est un partenariat véritable qui répond à l'expression de besoins explicites venant des armées africaines et s'il s'inscrit en complémentarité des partenariats économiques, politiques et administratifs dans ces pays. 

Repenser nos modes d'action, cela vaut non seulement pour nos déploiements à l'étranger, mais aussi pour le territoire national. À cet égard, l'économie générale de l'opération Sentinelle pourra continuer à être revue en lien avec les autres services de l'État afin de garantir la liberté d'action des armées tout en répondant aux nouveaux enjeux sécuritaires. 

La deuxième grande orientation que nous devons prendre est celle du champ des perceptions, dont l'importance va croissant, et que nous devons investir avec une détermination nettement accrue. On a ainsi vu comment, en Afrique — et je l'ai évoqué implicitement dans les propos que je viens de tenir ou ailleurs — souvent à l'instigation d'acteurs extérieurs — des récits malveillants s'implanter, être démultipliés par des jeux de miroirs, par des bots, des trolls, tout un bestiaire digital mis à contribution dans une manœuvre très bien intégrée, il faut bien le dire, par plusieurs de nos rivaux pour contester notre sécurité et notre rayonnement et propager, outre de faux récits, un appétit de violence, manipuler les populations civiles et accroître encore l’hybridité des conflits. Nous ne serons pas les spectateurs patients de cette évolution. Nous devrons savoir la détecter sans délai, l’entraver et à notre tour, -mais à la manière d'une démocratie-, la devancer, en user à notre profit dans les champs numériques et physiques. 

Convaincre fait partie clairement des exigences stratégiques, mais nous devons profondément revoir nos voies et moyens de le faire dans ce nouveau contexte. Il nous revient ainsi de penser la promotion, sans orgueil, mais sans inhibition malvenue, de notre cause. Une attitude qui serait seulement réactive, voire défensive, pourrait passer pour une forme de passivité. Ce ne sera pas la nôtre. 

Aussi l'influence sera-t-elle désormais une fonction stratégique, dotée de moyens substantiels, coordonnée au plan interministériel, avec, pour sa déclinaison internationale, un rôle central du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. 

Enfin et sans être là exhaustif, aujourd'hui, nous devons affermir la force morale de la nation sous toutes ses formes. Je l'ai évoqué le 13 juillet dernier à vos côtés à Brienne : le temps est venu d'une mobilisation plus intégrale pour nous renforcer collectivement face à ces défis historiques. Il s'agit, pour emprunter un vocabulaire adapté à notre rassemblement aujourd'hui, de passer au poste de mise en garde. 

J'ai déjà dit, il y a quelques mois, que nous devons faire pivoter notre économie et nous adapter au nouveau contexte, pousser avec notre industrie de défense vers de nouveaux efforts et nous mettre en posture d'économie de guerre. Le travail a commencé. Je sais votre mobilisation à tous dans les circonstances exceptionnelles que nous vivons. Mais dans le cas d'un conflit de haute intensité nous concernant directement, cela se jouerait évidemment sur une tout autre échelle. Et c'est une véritable mobilisation industrielle et économique que nous devons avoir d'ores et déjà pensée dans cette perspective. 

Il en va de même de nos infrastructures civiles, de nos réseaux, dont nous devons renforcer la protection à l'heure où, comme on le voit avec l'agression contre l'Ukraine, certaines puissances ne se sentent plus liées par les limitations du droit de la guerre. 

Mais au-delà, je pense aussi à notre capacité à mobiliser la Nation, les collectivités et la population de manière permanente, dans une posture de vigilance et en cas de crise grave. Au fond, nous en avons eu un aperçu lors de la crise Covid qui n'était pas qu'un immense défi sanitaire, mais aussi une forme de métaphore de conflit. Le territoire est attaqué de toutes parts, les réseaux perturbés, la logistique mise à mal. Les armées ont alors montré une capacité remarquable à planifier, déployer des hôpitaux de campagne, organiser des transferts de malades par train, par avion, pour alléger les urgences engorgées. Elles ont montré une force logistique, une organisation, une réactivité, un état d’esprit et une pratique remarquables ; mais que la société entière doit avoir en partage. L’esprit de résilience, d’organisation, de planification doit irriguer nos ministères civils. De territoriale, la résilience de la Nation, notion fondamentalement interministérielle, doit désormais intégrer les nouvelles menaces que j’ai évoquées, qu’elles soient logistiques, énergétiques, environnementales, informationnelles, culturelles, psychologiques. 

Parce que beaucoup de nos ennemis l’ont intégré et parce que laisser des vulnérabilités dans quelques-uns de ces champs serait mettre à mal notre capacité à résister des agressions ou même à mener certaines des opérations qui sont aujourd’hui les nôtres ; parce qu’une Nation est un tout. 

Si l’on regarde plus profondément encore, ce sont bien les forces morales de la Nation qu’il faut encourager. La force morale de la Nation n’est pas l’addition des forces morales des Français, elle est leur produit. C’est la raison pour laquelle je compte beaucoup sur le développement de la réserve opérationnelle, et nous l’intégrerons là aussi dans notre programmation, sur le service civique, ainsi que sur notre grand projet de service national universel. J’aurai l’occasion dans les prochaines semaines d’y revenir plus longuement. L’engagement au service du bien commun comme jalon du parcours de chaque femme et de chaque homme de ce pays, de chaque citoyen, c’est une opportunité individuelle et une chance collective : ce doit être le ciment qui renforcera la cohésion de la société et la résilience de la Nation. Là est l’enjeu, là est notre objectif. 

Il ne s’agit pas de militariser la société, mais bien de renforcer l’esprit de résilience, sa force morale et de faire converger toutes ces forces vives, militaires comme civiles, pour la défense de notre souveraineté. 

Voilà, Mesdames et Messieurs, à grands traits, l’ambition que nous fixons avec cette Revue nationale stratégique. Beaucoup a été fait, et pourtant beaucoup reste à faire. Car après avoir sollicité les veilleurs, c’est maintenant le tour du timonier. Il faudra en effet, sur cette base, construire une loi de programmation, assurer son adéquation aux défis et garantir sa cohérence. Ce ne sont pas de minces défis. 

Cette loi, qui sera présentée au Parlement au début de l’année prochaine, devra dépeindre à travers ses articles, à travers aussi ses tableaux de chiffres, ses engagements, une France unie, forte, autonome dans ses appréciations, et souveraine dans ses décisions, robuste et crédible, respectée dans son statut d’État doté de l’arme nucléaire, moteur de l’autonomie stratégique européenne, alliée exemplaire dans l’espace euro-atlantique, partenaire fiable et crédible. Une France sereine pour son avenir et maîtresse de son destin. 

Mais nous pouvons aborder cet exercice avec confiance. Confiance d’abord en raison de l’immense valeur de nos forces armées et la prise d'armes que nous venons de partager l'a encore illustré. Confiance également grâce à la grande qualité de notre base industrielle et technologique de défense qui a montré sa plasticité et sa compétence dans ces temps difficiles, aiguillonnée efficacement par la DGA. Confiance, bien sûr, grâce au ministère civil qui concourt dans leur activité à l'effort de souveraineté nationale. Et confiance surtout, dans notre Nation, dans ses ressorts moraux, dans sa détermination, car ce sont ces valeurs qui font que notre pays à la charnière des mondes porte et portera toujours haut, clair, son ambition. 

Vive la République ! Vive la France !

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