Retrouvez le discours du Président Emmanuel Macron au siège de la Banque centrale européenne, pour la fin de mandat de son Président Mario Draghi et la cérémonie de passation à Christine Lagarde :

28 octobre 2019 - Seul le prononcé fait foi

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DISCOURS D’EMMANUEL MACRON À LA BANQUE CENTRALE EUROPEENNE

Monsieur le président de la Banque centrale européenne, cher Mario DRAGHI,

Monsieur le Président de la République, cher Sergio,

Madame la Chancelière, chère Angela,

Monsieur le Ministre-Président du Land de Hesse,

Madame la Présidente élue de la Commission européenne, chère Ursula,

Madame la Présidente désignée de la Banque centrale européenne, chère Christine,

Mesdames et Messieurs les commissaires, les ministres et les gouverneurs,

Mesdames et Messieurs, chers amis.

Si nous sommes aussi nombreux aujourd'hui à Francfort autour de vous, cher Mario, ce n'est pas seulement pour saluer un mandat bien mené à la présidence de la Banque centrale européenne. Ce qui nous réunit aujourd'hui dépasse largement le cadre de la politique monétaire. Je laisserai d'ailleurs à d'autres, plus qualifiés que moi, le soin d'analyser et de prolonger l'immense héritage que vous laissez en la matière. Ce que nous célébrons par-dessus tout aujourd'hui, c'est l'action d'un homme qui a porté très haut le rêve européen et qui l'a porté dans cette institution qui a montré durant la crise financière - je parle là devant votre prédécesseur et votre successeure - toute sa solidité et sa robustesse. Un homme qui aura été dans ses discours et ses décisions un digne héritier des pères fondateurs de l'Europe. Cette filiation, cher Mario, vous place dans les pas de Jean MONNET, de Robert SCHUMANN, de Konrad ADENAUER et de vos illustres compatriotes Alcide DE GASPERI et Altiero SPINELLI.

À Milan, il y a quelques semaines, vous avez prononcé un de ces discours qui auront jalonné votre mandat et qui sont désormais gravés dans la pierre qui bâtit l'Europe. Aux étudiants de l'Université catholique qui vous remettait un prix, vous avez évoqué trois qualités qui font un bon décideur public : le savoir, le courage et l'humilité. Ces qualités, cher Mario, vous les honorez et les avez ici incarnées.

Le savoir, vous l'avez acquis et conquis par une formation académique et une expérience professionnelle exceptionnelle, vous l'avez sans cesse nourrie de vos échanges avec les plus brillants chercheurs en économie et vous l'avez transmis par vos enseignements et vos conférences. Cette expertise reconnue de tous a été décisive pour asseoir votre autorité intellectuelle auprès de vos pairs, des observateurs du marché, comme on dit, et bien au-delà.

Du courage et même de l'audace, il vous en a tant fallu au cours de ces huit dernières années. Plongé dans la crise des dettes souveraines de la zone euro, à peine installé dans vos fonctions, vous avez mené une action appuyée par vos équipes de la BCE, venues en nombre aujourd'hui vous témoigner leur estime qui a été décisive pour sauver l'Europe du naufrage. L'histoire retiendra évidemment, et Madame la Chancelière faisait référence à cette phrase il y a quelques instants, ce 26 juillet 2012 où vous avez affirmé la détermination de la BCE à faire tout ce qui était en son pouvoir pour sauver l'euro. « Whatever it takes », trois mots, trois mots qui décrétaient avec autant de force que de simplicité l'irréversibilité de l'euro face à des marchés que l'on croyait incontrôlables. Puis, tout au long de votre mandat, vous avez pris des décisions non moins audacieuses pour stimuler la reprise du crédit ou prévenir le risque de déflation en zone euro.

Votre courage se mesure aussi à l'immense ambition européenne que vous n'avez jamais cessé de porter contre les vents de reflux et les voies du repli. Face aux insuffisances de l'Union économique et monétaire, vous avez appelé à la mise en place d'une véritable union bancaire et à l'établissement d'une capacité budgétaire de la zone euro d'une taille importante, dotée d'une fonction de stabilisation. Tout comme Madame la Chancelière, je me félicite d'abord de l'accord franco-allemand trouvé à Meseberg sur ce sujet, puis de l'accord européen trouvé en décembre dernier, qu'il nous faudra poursuivre dans des temps qui demeureront chahutés et où ces instruments, cette stratégie, demeurent plus indispensables que jamais. Ce courage, cher Mario, a pu, paraît-il parfois, vous valoir des critiques. Cela l'a rendu encore plus indispensable.

Récemment, vous avez, avec le soutien unanime du conseil des gouverneurs de la BCE, appelé la politique budgétaire à jouer pleinement son rôle face au ralentissement actuel en invitant les États membres disposant des marges de manœuvre budgétaire à agir de manière résolue, efficace et rapide. Nous savons tous ici combien cela est nécessaire et je ne peux que saluer le courage du responsable public qui a su, dans le respect de son mandat, appeler les États membres à faire preuve d'ambition et à dépasser parfois nos dogmes. C'est désormais à nous, chefs d'État et de gouvernement, de porter ce fameux « whatever it takes ». Pour être à la hauteur de votre courage et de votre clairvoyance, nous devons être les dépositaires de cet héritage, le vôtre, cette certitude de la pérennité de l'euro et la nécessité de son renforcement qui fera la force de notre Europe entière.

Quant à l'humilité qui vous caractérise, elle n'a, je crois, rien d'étranger à la formation jésuite que vous avez reçue. Fondée sur une réflexion sans cesse critique sur votre propre action, cette humilité vous a conduit à constamment reconnaître la préséance du politique pour protéger votre institution. Vous avez toujours veillé à inscrire vos décisions dans le strict cadre de votre mandat. N'oublions pas que le fameux « whatever it takes » était précédé d’un « within our mandate », à l'intérieur de notre mandat. C'est aussi cette humilité, cette éthique qui vous ont animé lorsque vous avez eu le souci de rendre compte de vos actes devant les parlementaires nationaux et européens.

Enfin, cher Mario, vous me permettrez d'ajouter à ces qualités rares une quatrième qui vous caractérise, il me semble, peut-être plus encore que les trois précédentes : l'humanité. Dans le monde de la finance et des banques centrales, qui peut paraître d'une froideur distante, cette qualité a peut-être parfois été moins perceptible. Et pourtant, pétri de cet humanisme européen qui est né comme vous en Italie, vous avez toujours gardé conscience que ce qui importait le plus, au-delà des mots et des chiffres, c'est la vie des gens. Cela a toujours été votre boussole et vous ne vous êtes pas égaré sur le chemin, vous avez agi pour eux, pour tous, pour ce qu'on appelle dans mon pays, et cela a un sens : l'intérêt général. Cet humanisme européen vous place résolument dans la lignée de ces grands fondateurs et de ces grands esprits. C'est pourquoi, je le disais, c'est bien plus qu'un mandat réussi à la tête de cette institution que vous nous laissez aujourd'hui. Ce que vous nous léguez, cher Mario, c'est le flambeau de l'humanisme européen, car en sauvant l'euro, c'est la protection de l'Europe et de ses peuples que vous avez assurée et fortifiée. Désormais, cette voie que vous avez tracée, cet humanisme qui, pendant huit ans, s'est traduit dans le concret de vos actions, nous incombe à tous. Je sais combien la Présidente LAGARDE, qui maintenant aura la charge dans quelques jours de vous succéder, sait la place et l'importance de cet héritage. Je sais aussi toute l'importance qu'elle accorde à l'indépendance et la responsabilité qui va avec. Je sais combien elle aura à cœur de laisser dans cette belle institution sa marque.

Pour répondre aux aspirations des peuples face à un monde de fractures et de turbulences, vous avez mené ce combat. Ce combat, vous l'avez au fond mené tout au long de votre carrière. Alors, au moment où vous vous apprêtez à quitter ces lieux, cher Mario, nous sommes là pour vous promettre que nous serons nombreux à poursuivre votre engagement et nous essaierons d'être à la hauteur. Je sais combien cette institution que vous avez présidée pendant 8 années se tiendra à la hauteur, car elle a montré sa solidité durant ces années. Elle a montré la force des institutions quand l'Europe a le courage de s'en doter et de l'esprit européen qu'elle porte. Et cela continuera. Nous vous le devons comme nous le devons aux Européens. Je sais aussi que vous y prendrez encore votre part, au-delà d'un repos amplement mérité, car cet humanisme vit en vous. Où que vous soyez, quoi que vous fassiez, vous continuerez à faire vivre en Europe cet esprit pour l'Europe.

Je vous en remercie, nous vous en remercions.

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