22 août 2019 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe du Président Emmanuel Macron et de Narendra Modi, Premier ministre de la République d'Inde

Monsieur le Premier ministre, cher Narendra,
Mesdames, Messieurs.

C’est un grand plaisir pour moi de vous accueillir, ici, à Chantilly, dans ce château, pour votre seconde visite en France en deux ans et la première depuis votre réélection. Je garde un souvenir exceptionnel de l’accueil que vous m’aviez réservé lors de ma visite en mars 2018 dans votre pays et tout particulièrement à Bénarès, dans un lieu, je le sais, qui vous est cher. Nous l'évoquions tout à l’heure, ensemble, lors de notre échange. Et c’est la raison pour laquelle j’ai aussi voulu vous accueillir à mon tour au château de Chantilly en ce qui est un des joyaux du patrimoine français, de notre histoire, dans une région qui m’est chère et d’où je viens et à un moment du cours du monde qui rend particulièrement importante notre discussion. Voici quelques mois vous avez été réélu à la tête de la plus grande démocratie du monde, 900 millions d’Indiens se sont rendus aux urnes et ont exprimé un choix clair. C’est une victoire pour vous dont je vous félicite ici à nouveau mais c’est aussi un signe de vitalité démocratique en Inde, pays le plus peuplé du monde, et dans une zone où les valeurs que nous avons en partage de respect du pluralisme, des droits et des libertés ne sont pas unanimement répandues et doivent constamment être défendues.


Nous venons d’avoir avec le Premier ministre, comme c’est toujours le cas, une discussion riche et substantielle, c’est pourquoi nous avons décidé d’avoir un long tête-à-tête avant de poursuivre, dans un format élargi juste après ce point presse, nos échanges. Nous avons d’abord évoqué les priorités du sommet du G7 à venir et nous allons y revenir dans quelques instants. La participation de l’Inde que j’ai souhaitée au sommet du G7 de Biarritz était en effet, à mes yeux, essentielle. Cela fait partie de la recomposition du système international à laquelle nous devons travailler parce qu’il est impossible aujourd’hui sur des enjeux tels que la lutte contre le réchauffement climatique, la protection de la biodiversité, la protection de nos libertés dans l’espace numérique de ne pas compter avec l’Inde dans le monde tel qu’il est et pour les raisons-même que je viens d’évoquer.


Cette démarche de pleine association de l’Inde aux responsabilités de la gouvernance mondiale nous l’avons décidée pour le G7 comme nous la portons au Conseil de sécurité des Nations Unies en soutenant son accession au statut de membre permanent. Je crois très profondément que la confiance qui existe entre nos deux pays ainsi que l’attachement commun que nous portons à la fois à notre indépendance et à la construction d’un multilatéralisme fort est une alliance essentielle pour relever les défis contemporains et obtenir ensemble des résultats.


Nous l’avons d’ailleurs démontré sur des sujets aussi importants que celui de l’accord de Paris sur le climat, où après le retrait américain en juin 2017, quand le monde entier pouvait douter de notre capacité à maintenir un niveau d’ambition, nous avons non seulement confirmé ce qui avait été décidé et acté ensemble mais nous avons mis sur pied à Delhi ensemble l’Alliance solaire internationale que 73 États ont aujourd’hui rejoint.


C'est dans ce même esprit de confiance et de responsabilité partagée, d'ambition que le Premier ministre MODI m’a confirmé aujourd'hui son soutien aux priorités que nous porterons à Biarritz en la matière. Sur le climat et la biodiversité d'abord, l'Inde, qui est en voie d'atteindre en avance ses objectifs nationaux, confirme son soutien à la pleine mise en œuvre de l'accord de Paris en acceptant justement de rehausser son niveau d'ambition mais également en s'engageant à présenter une stratégie de décarbonation de long terme dès l'année prochaine. L'Inde se joint aux efforts que nous allons mener en faveur de la promotion de systèmes de refroidissement plus propres et plus efficaces pour renforcer l'amendement de Kigali sur les HFC, ce qui est un point important que nous avons évoqué. Nous allons lancer le travail, il nous faut à la fois lancer la mobilisation de tous les Etats, également un travail d'expertise pour engager nos économies dans la réduction de ces industries et de ces gaz, avoir à la fois un travail d'expertise, de transformation industrielle et engager les autres Etats autour de nous. Cette mobilisation commencera au G7 et l'engagement de l’Inde à nos côtés est à cet égard essentiel. Enfin l'Inde apporte son soutien à la Charte de la biodiversité adoptée par les ministres de l'environnement à Metz ce qui est aussi un point important.


A mes yeux l'engagement de l'Inde sur ces sujets est absolument essentiel et compte-tenu de ce que représente ce pays et des démonstrations passées que nous avons su faire ensemble sur l'Alliance solaire internationale c'est, d'une part, un engagement extrêmement fort mais c'est aussi l'engagement que nous prenons l'un avec l'autre de construire sur ces sujets des solutions utiles et concrètes. Et ce que nous souhaitons sur la réduction des gaz HFC comme sur la biodiversité c'est pouvoir ensemble, avec nos partenaires, construire un agenda concret de solutions alternatives. Je veux ici remercier vivement le Premier ministre MODI pour son esprit de responsabilité et de décision. Je crois qu'à cet égard, aussi compte tenu de la présence de l'Inde au G7, les décisions que nous acterons et les engagements que nous prenons sont historiques en la matière sur des sujets où nos concitoyens nous regardent. Nous assumerons de notre côté toutes nos responsabilités aussi en matière de financements comme de transferts de technologie et j'ai confirmé au Premier ministre MODI l'entière mobilisation de la France pour accompagner l'Inde dans les objectifs ambitieux qu'elle s'est fixée en matière de transition écologique, d'énergies renouvelables, d'infrastructures durables. Et d'ailleurs la mobilisation que la France conduit aussi à l'occasion de ce G7 pour obtenir des engagements clairs pour le Fonds Climat, après avoir œuvré pour l'indispensable réforme de la gouvernance de celui-ci, quelques semaines avant le sommet climat aux Nations Unies où la France a été mandatée sur le sujet du financement avec la Jamaïque par le Secrétaire général des Nations Unies, montre notre engagement concret à l'égard de pays comme l'Inde en la matière. Nous discuterons dans un instant avec le Premier ministre MODI d'autres sujets qui seront au cœur de ce G7 comme le numérique, la cybersécurité et l'engagement que nous voulons pour développer en particulier l'entrepreneuriat en Afrique, autant de sujets sur lesquels je sais que l'Inde sera elle aussi à nos côtés pour œuvrer utilement.


Nous avons aussi évoqué ensemble l'approfondissement de notre partenariat stratégique et de l'ensemble de notre coopération bilatérale. C'est le deuxième grand sujet de discussion que nous venons d'avoir. En effet nous avons constaté des progrès importants actés depuis la visite que j'ai effectuée en Inde au début de l'année 2018 selon les orientations que nous avions définies. Nous avons renforcé notre coopération maritime et renforcé notre coopération dans le cadre de l'axe indopacifique. L'exercice franco-indien Varuna au large de Goa en mai dernier a été d'ailleurs d'une ampleur inédite avec l'implication de 6 bâtiments de chacune de nos 2 marines dont nos porte-avions. Notre coopération spatiale a également été approfondie avec des accords à nouveau scellés aujourd'hui-même sur le co-développement d'une constellation de surveillance maritime et sur l'entraînement des astronautes indiens et la participation de la France à la mission indienne vers Vénus. Et j'en profite ici pour féliciter publiquement, je viens de le faire dans notre tête-à-tête, l'Inde pour le lancement d'une mission vers la Lune le 22 juillet dernier. En matière de lutte contre le terrorisme, nous sommes mobilisés ensemble après l'attentat de Pulwama en février 2019 pour que les responsables d'actes terroristes soient clairement identifiés et listés par les Nations Unies, et les résultats obtenus sont à mes yeux une claire victoire de cette coopération franco-indienne. Nous avons également intensifié nos efforts dans le cadre de l'initiative lancée en France l'année dernière – No money for terror – à laquelle l'Inde a apporté une participation active et efficace.
Notre coopération de défense et d'armement est également très solide, et je dois le dire elle est solide parce qu'elle est fondée sur une confiance inébranlable et sur le respect par la France des principes du Make in India, et surtout sur le fait que nous partageons une vision stratégique : la nécessité de défendre la stabilité dans la région, de lutter contre le terrorisme et de protéger partout la liberté de la souveraineté, ce qui est d'ailleurs au cœur de notre stratégie indopacifique. Et donc à ce titre et dans ce cadre nous avons d'ores-et-déjà obtenu des résultats. La livraison, dans quelques semaines et dans les délais, du premier Rafale indien, sera un moment symbolique extrêmement important pour cette coopération structurante qui s'inscrit dans le temps. Nous avons également évoqué toutes les coopérations en matière maritime navale, en matière aérienne sur les différents sujets et les progrès que nous comptons faire ensemble dans les prochains mois dans le cadre d'une relation d'État à État, de gouvernement à gouvernement qui est véritablement la structure que nous entendons donner à la coopération de défense et d'armement entre nos deux pays.


Sur le nucléaire civil enfin nous avançons, nous avons confirmé aujourd'hui l'objectif de franchir des étapes décisives sur le projet Jaitapur d'ici la fin de l'année pour parvenir dans les meilleurs délais à un accord final et nous sommes au rendez-vous : nos industriels sont mobilisés, les coopérations souhaitées sont en train de se déployer et les experts, en septembre, se réuniront activement pour lever les derniers détails. C'est notre volonté d'avancer ensemble sur ce sujet. Nous signons également à l'occasion de ce voyage du Premier ministre MODI un partenariat stratégique en matière de cyber sécurité et de numérique qui complète cette feuille de route et nos actons sur ce sujet, ensemble, la convergence de nos visions politiques et nous posons les jalons pour une action commune forte dans des secteurs stratégiques du super calcul comme de l'intelligence artificielle. Nous avons également abordé l'ensemble de nos coopérations bilatérales. J'ai souligné ma volonté que nos coopérations économiques soient plus dynamiques et nous sommes sur la bonne voie : nos échanges économiques ont augmenté de 25 % en 2 ans. Nous allons instaurer un mécanisme de règlement des différends commerciaux et nous avons décidé aujourd'hui d'intensifier nos efforts dans le domaine des transports, de la ville durable et de l'eau. Nos échanges humains sont enfin eux aussi en pleine dynamique.


Nous actons aujourd'hui un accord très important de coopération sur la formation professionnelle et l'objectif que nous avions fixé en mars 2018 lors de ma visite en Inde de 10 000 étudiants accueillis en France d'ici 2020 a été obtenu dès cette année. Il y a donc deux explications possibles à ce phénomène : soit nous manquions d'ambition, monsieur le Premier ministre, soit nous avons très bien travaillé. C’est sans doute un peu des deux et donc je souhaite que nous puissions démultiplier les choses, c’est pourquoi nous avons fixé un nouvel objectif sur cette lancée : 20 000 étudiants en 2025. J’ajoute que de grands événements sont devant nous avec notamment la présence de l’Inde comme invitée d’honneur du prochain salon du livre et de très belles expositions à Delhi et à Paris. Tout cela me fait dire, monsieur le Premier ministre, que tout comme la France a fait le choix de l’Inde, l’Inde a fait le choix de la France.


Et je veux finir sur ce point : ce partenariat stratégique, qui se décline sur les grands sujets internationaux comme le climat et plusieurs autres, comme la force du partenariat stratégique bilatéral et régional et le cœur de notre stratégie indopacifique reposent sur la confiance. Cette confiance s'éprouve surtout dans les moments les plus difficiles, comme ce fut le cas entre nos deux pays par le passé. C'est sur cette base que nous avons eu un échange approfondi et franc sur la question du Cachemire. Le Premier ministre m'a décrit la situation qui prévaut après la décision de l'Inde d'abolir le statut spécial de l'État du Jammu-et-Cachemire. J'ai, pour ma part, rappelé qu'il appartenait à l'Inde et au Pakistan de résoudre leurs différends dans le cadre bilatéral, qu'il est de la responsabilité des deux parties d'éviter toute dégradation sur le terrain de nature à conduire à une escalade, de même que tous les efforts doivent être faits pour mettre fin à l'organisation d'actions terroristes transfrontalières. Le Premier ministre MODI m'a fait part des changements auxquels il avait procédé, qui relèvent de sa pleine souveraineté pour ce qui est des aspects juridiques, mais aussi de son engagement très ferme à maintenir la stabilité dans la région et à lutter activement contre toute forme d'escalade et contre toute résurgence d'activités terroristes. La France demeurera évidemment attentive à ce que les intérêts et les droits des populations civiles soient dûment pris en compte dans les territoires de part et d'autre de la ligne de contrôle. Nous tenons beaucoup à cet esprit d'apaisement, de dialogue, et nous tenons beaucoup à l'efficacité de cette politique de stabilité et de lutte contre le terrorisme. C'est pourquoi aussi, comme je l'ai dit au Premier ministre MODI, j'aurai, dans les prochains jours, un échange en ce sens avec le Premier ministre pakistanais pour lui rappeler aussi la volonté de la France de voir cette question traitée dans le cadre bilatéral, mais aussi le souci de la France de préserver la stabilité dans la région et la lutte contre toutes les formes de terrorisme.


Voilà, mesdames et messieurs, ce que je souhaitais ici dire, en remerciant à nouveau le Premier ministre MODI pour cette deuxième visite. Vous êtes ici dans un lieu qui est au cœur de l'histoire française, qui a marqué les grands siècles, dont les parcs et une partie de l'architecture rappellent la grande époque et le grand siècle français, et qui porte aussi une part de l'histoire de la France au-delà de nos frontières. C'est aussi un lieu qui a accueilli nombre d'événements organisés par des familles indiennes, et quelques films de Bollywood. Je souhaite que cette coopération, à laquelle nous tenons beaucoup l'un et l'autre, puisse se poursuivre dans ces lieux historiques. Nous continuerons notre échange dans quelques instants, et je souhaite que ces lieux puissent nous inspirer parce que ce qui préside à notre relation, c'est le respect mutuel, la confiance, et la conscience profonde que je crois que nous avons l'un et l'autre et qu'ont nos deux pays, que le monde actuel nous impose de nous élever parfois au-delà de nos conditions, de nos intérêts strictement nationaux, pour prendre un peu de la charge de ce qu'est la stabilité du monde et le traitement des grandes questions. Merci, monsieur le Premier ministre, d'être là.

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