6 novembre 2018 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président de La République Emmanuel Macron aux Éparges

Mesdames, Messieurs les Ministres ;

Mesdames, Messieurs les Parlementaires ;

Monsieur le Président du Conseil régional,

Monsieur le Président du Conseil départemental,

Monsieur le Maire,

Monsieur le Préfet de région,

Madame la Préfète,

chère famille GENEVOIX,

chère famille PORCHON,

Mesdames et Messieurs,

Je suis venu ce jour aux Eparges à la rencontre de nos morts. Je suis venu ce jour leur porter la gratitude intacte de la Nation. Je suis venu ce jour leur dire le respect inaltérable que leur sacrifice inspire aujourd'hui encore cent ans plus tard à la France.

Nous savons que les monuments, les commémorations, les parades n’ont jamais consolé les mères, les épouses, les enfants que nos soldats avaient laissés derrière eux. Nous savons que l’horreur des hécatombes, la sauvagerie des combats, la solitude des nuits de veille, la présence de la mort ne seront jamais compréhensibles à qui ne les a pas connues. La fraternité d’armes née de ces circonstances restera à jamais le secret de ceux qui la vécurent dans leur chair.

Mais nous savons aussi que sans leur sacrifice héroïque, la France aurait vécu dans une sujétion nouvelle, sous d’autres lois que celles qu’elle s’était choisies par son histoire et par son génie. Cette conviction fut celle de nos soldats. Elle anima nos chefs de guerre, nos plus hauts responsables comme CLEMENCEAU ou POINCARE, comme les officiers du haut commandement unis dans cette même certitude : la nécessité de combattre pour éviter la servitude et l’effacement de la France.

Sur le visage des soldats tombant sous le feu ennemi coulaient, dit-on, les larmes de ceux qui déjà regrettent les beautés d’une vie à peine commencée. Mais ils savaient pourquoi ils mourraient et ils savaient que d’autres après eux, malgré le regret, malgré l’amour des leurs, choisiraient aussi de mourir pour cette cause sacrée : la France.

D’autres encore qui ne moururent pas y laissèrent leur visage, leurs jambes, leurs bras, leur santé et parfois leur esprit. Tous y laissèrent leur jeunesse et leur insouciance. Tous le firent pour la patrie. Tous, bourgeois ou paysans, croyants ou athées, savaient sourdement qu’une certaine civilité, un certain rapport entre les êtres, une certaine conception de la vie, de la liberté, du droit, une certaine relation à notre passé, à notre histoire et donc à notre avenir, que tout cela qu’on appelait la France devait résister et survivre à ceux qui tentaient de l’abattre. Ils se battirent pour que la France restât la France.

Oui, ils étaient des patriotes mais, pour reprendre la forte parole de MALRAUX, “Ils firent la guerre sans l’aimer”. Cette guerre les surprit dans la fleur de leur jeunesse. Elle était inexplicable, elle devint impitoyable. Elle fut le tombeau d’une génération et la fin de bien des idéaux mais il fut une espérance ardente qui ne put s’éteindre : c’est la paix. Ces hommes se battirent parce qu’ils désiraient furieusement la paix et que repousser l’envahisseur au prix de leur vie en était le seul moyen.

Aussi ne suffit-il pas de remercier ceux de 14, il faut savoir nous montrer dignes d’eux. Il faut savoir lutter chaque jour pour que vive ce mélange d’idéalisme et de courage, d’esprit de justice et de fraternité, de générosité et de patriotisme qui les habitait lorsqu’ils montaient à l’assaut, qu’ils attendaient l’horreur dans la boue infecte des tranchées parce que ce sont là les vertus françaises. Il faut savoir chaque jour défendre à tout prix ce trésor précieux entre tous qu’ils ont conquis par le sang, la souffrance, les larmes, qui est la paix et qui se fonde sur l’amitié entre les peuples.

Rien de cela n’est donné. Rien de cela n’est acquis pour toujours. Ceux qui avaient survécu à la Grande Guerre n’eurent, hélas, pas à attendre beaucoup plus de vingt ans pour voir la guerre ressurgir en Europe et prélever sa moisson d’hommes, de femmes, d’enfants, inventant pour cela d’autres atrocités, d’autres barbaries. La France alors, une fois de plus, faillit sombrer. 

Des Poilus qui avaient survécu à la Grande Guerre moururent dans leur pleine maturité à l'été 40. C'est le signe que l'histoire peut bégayer si l'on n'y prend pas garde et que les mêmes démons travaillent toujours en profondeur nos sociétés, prêts à faire leur œuvre de chaos et de mort. Ici et aux alentours, les dévastations de 14-18 sont encore visibles. Les entonnoirs des mines, la terre retournée, les balafres des tranchées, tous se ressentent encore de l'horreur des combats qui vinrent blesser notre terre de France.

Mais aux Eparges, cette guerre a pris dans notre imaginaire une place à part. Ses sous-bois, ses coteaux, théâtres de combats sauvages et sanglants, sont des lieux que hante la présence de Dast, de Pannechon, de Prêtre, de Thellier, de Rive. Sous ces noms d’emprunt recouvrant des êtres bien réels et même sous le nom bien réel du lieutenant PORCHON, la figure du soldat de 14 s’est gravée dans nos mémoires, parce qu’elle s’était d’abord gravée dans celle de Maurice GENEVOIX qui y consacra ce livre incomparable, “Ceux de 14”.

Il y a écrit ses jours et ses nuits de combat sur les côtes de Meuse où il a été blessé et où il a vu tant de camarades mourir silencieusement. Par cet immense témoignage de fidélité et d’amour, ces morts que nous venons aujourd'hui honorer, ces héros anonymes que nous venons saluer, sont en quelque sorte encore vivants.

Ils vivent dans le souvenir de ceux qui, au fil des pages des décennies après, ont croisé leurs silhouettes, imaginé leurs visages, cru entendre leurs voix. Car c’est aussi le génie de la France que de tirer des pires souffrances cette expression la plus haute et la plus humaine qu'est la littérature. Grâce à elle coule dans nos veines un peu du sang des héros des Eparges, mais aussi de Verdun, de Champagne, de la Somme et de tous ces lieux où ils donnèrent pour nous ce qu'ils avaient de plus cher.

Ici, l'histoire s'est faite mémoire. Cette histoire nous honore, cette mémoire nous oblige. Maurice GENEVOIX fut le chantre de cette mémoire. Son immense récit est resté la pierre angulaire de son témoignage. Il fut à l'origine du Mémorial de Verdun. Par ses écrits, ses discours, ses interventions et ses articles, il ne cessa de redire ce que fut cette France généreuse et fière qui s'était engagée farouchement quand la liberté, le droit et la paix étaient attaqués. Il le fit sans rancœur, il le fit sans amertume. Par lui, la voix de ceux de 14 ne cesse de nous exhorter à ne pas baisser la garde et à conserver intacte notre vigilance quand le pire de nouveau réapparaît.

Il fut décidé en 1920 que le soldat inconnu serait le témoignage éternel des sacrifices offerts aux générations futures. Il est devenu l'emblème de tous les soldats morts pour la France, de ce sang versé par nos armées pour la défense de la patrie. Mais c'est au Panthéon que la République honore ses grands hommes. Elle y a consacré les soldats de l'an II et les combattants de 1870 ; les morts de 1830 et ceux de 1848 ; les écrivains morts pour la France pendant la Grande Guerre et ceux tombés pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle y a honoré les Justes.

Au moment où nous célébrons ce centenaire de la fin de la Grande Guerre, au moment où la voix des témoins s'est éteinte pour toujours, il est incompréhensible que ceux de 14 ne figurent pas dans ce lieu, eux dont la victoire a sauvé la patrie. Aussi je souhaite que l'an prochain ceux de 14, simples soldats, officiers, engagés, appelés, militaires de carrière, sans grade et généraux, mais aussi les femmes engagées aux côtés des combattants, non car ceux de 14 ce fut aussi celles de 14, toute cette armée qui était un peuple, tout ce grand peuple qui devint une armée victorieuse, soit honoré au Panthéon.

Je souhaite qu'ils franchissent ce seuil sacré avec Maurice GENEVOIX, leur porte-étendard, qui inlassablement et ou qu'il fut, sut faire résonner la voix et le combat de ses camarades. Je souhaite que le 11 Novembre prochain, un mémorial soit dévoilé afin que la nation leur rende l'hommage qui leur est dû. Jusque dans les heures les plus tragiques de la bataille, ces hommes de toutes provenances et de toutes conditions surent ce souvenir qu'ils étaient avant tout Français.

Je veux redire ici combien la nation est fière d’eux et combien leur exemple aujourd'hui encore doit nous inspirer. La lourde tâche qui aujourd'hui nous incombe est de les rendre fiers de nous. Puisse sur ce chemin nous guider la main fraternelle de Maurice GENEVOIX à qui, aujourd'hui, je veux laisser le dernier mot : « Accoururent réellement autour de la vieille citadelle, pèlerins des ossuaires qui jalonnent nos collines ou dispersés à travers nos provinces, nous nous serons, comme naguère, fraternels, unis dans un sentiment de l'homme qui dépasse la fortune des batailles et qui rejoint par dessus tant de morts un espoir qui ne peut mourir. » Cet espoir, mes chers amis, c'est la France.

Je vous remercie.

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