7 octobre 2011 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les relations entre la France et l'Arménie, à Erevan (Arménie) le 7 octobre 2011.

Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement,
Chers amis arméniens,
Chers compatriotes,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais vous dire la joie et l'émotion qui sont les miennes d'être aujourd'hui en Arménie, quelques jours seulement après la célébration du 20e anniversaire de votre indépendance, sur cette place de France qui dit si bien les liens qui unissent nos deux pays.
La statue de Rodin dédiée au peintre Jules Bastien-Lepage qui est dévoilée aujourd'hui achèvera de donner à cette place le visage de l'amitié entre la France et l'Arménie.
Depuis toujours, mes chers amis, l'Arménie est dans le cur des Français, nos deux pays, l'Arménie et la France, se ressemblent.
L'Arménie, comme la France, est riche d'une histoire deux fois millénaire, et l'Arménie comme la France est attachée à sa culture. Elle revendique une identité qui s'est forgée dans les épreuves de l'Histoire et c'est dans l'adversité que Français et Arméniens se sont le mieux révélés, et qu'ils ont découvert une force en eux qu'ils ne soupçonnaient même pas.
Les liens entre la France et l'Arménie sont enracinés dans la longue durée.
La Chrétienté, les Croisades appartiennent à notre histoire commune.
Le dernier roi d'Arménie se trouve aux côtés des rois de France dans la basilique de Saint-Denis.
Le Collège arménien, inauguré par Lamartine, est aujourd'hui encore, à Sèvres, un lieu de référence pour l'enseignement de l'arménien en Europe. Au XIXe siècle, l'élite arménienne a été formée à Paris.
Mais c'est dans les terribles épreuves du siècle passé qu'a fini de se nouer l'amitié indéfectible entre l'Arménie et la France.
Au lendemain de la première entreprise d'extermination de l'histoire moderne, des dizaines de milliers d'Arméniens ont cherché et trouvé refuge en France. Ils y ont trouvé dans la France une seconde patrie, sans jamais oublier l'Arménie.
La France a reconnu la sentence de mort décrétée alors contre tout un peuple en l'appelant par son nom, le seul nom possible, le génocide, un génocide.
Ici à Erevan, je veux dire à la Turquie qu'elle doit regarder son histoire en face.
Il n'y a que les grands pays qui sont capables de regarder leur histoire en face, et la réconciliation ne peut se faire qu'à ce prix.
Mes chers amis, la France est fière de tous ces fils et ces filles d'Arménie, qui lui ont donné le meilleur d'eux-mêmes, et qui l'ont enrichie.
La France n'oublie pas ce qu'elle doit à des hommes comme Missak Manouchian, héros de la résistance contre les nazis, c'est un Arménien qui nous a aidé à retrouver notre honneur et notre liberté.
Chers amis,
L'héritage des siècles a fait de la France et de l'Arménie, à jamais, des nations surs. Nous devons maintenant nous projeter dans l'avenir, nous devons relever ensemble les défis de l'avenir.
Avec la fin du communisme, avec la fin de l'Union soviétique, l'Arménie a retrouvé la maîtrise de son destin.
Le 21 septembre 1991 s'est ouvert un nouveau chapitre de votre histoire.
D'abord, hélas, ce furent des années de guerre.
Des années ponctuées d'épreuves et de souffrances.
L'Arménie les a surmontées grâce aux vertus de son peuple : le courage, l'ardeur au travail, une formidable envie de vivre, qui est le propre des Arméniens.
Vous pouvez être fiers du chemin parcouru depuis l'Indépendance !
L'alternance au pouvoir, la construction d'une démocratie apaisée, l'admission au sein du Conseil de l'Europe, le rapprochement avec l'Union européenne £ tout cela, c'est autant de succès dont le peuple et le gouvernement arménien peuvent être fiers.
L'Arménie a le droit de ne plus vivre en état de guerre, fût-elle larvée.
L'Arménie a le droit de ne plus vivre enclavée, car cet isolement imposé empêche son développement et l'avenir de sa jeunesse.
Le temps est venu de trouver le chemin d'une paix durable.
Le temps est venu de concrétiser l'espérance qu'avait fait naître, Monsieur le Président, dans le monde entier la signature des protocoles entre l'Arménie et la Turquie.
Le temps est venu de prendre le risque de la paix, car le risque le plus grand pour l'Arménie, c'est celui de l'immobilisme.
La France sera à vos côtés, et redoublera d'efforts pour vous aider à trouver un règlement juste, durable, pacifique.
Aucun pays, mieux que la France, ne comprend ce que représente pour l'Arménie le Haut-Karabagh.
Aucun pays, plus que la France, ne mesure le poids de la Turquie dans la mémoire collective arménienne.
Mais aucun pays ne sait davantage que la France, mes chers amis, qu'il n'est de blessure si vive qui ne puisse être guérie, qu'il n'est de fossé si profond entre deux peuples qui ne puisse être comblé. C'est le chemin que la France a emprunté avec l'Allemagne après 1945, alors que le souvenir de l'occupation et des atrocités de la guerre était encore si douloureux. C'est sur les ruines du conflit le plus meurtrier de l'Histoire qu'a été renouée l'amitié entre deux peuples, le peuple allemand et le peuple français. Une amitié qui est aujourd'hui plus que jamais le pilier de l'Europe.
Il aura fallu la vision d'hommes d'exception, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, pour que soit scellée la réconciliation entre la France et l'Allemagne.
Arméniens, Azerbaidjanais, Turcs, c'est ce chemin qu'il vous faut à votre tour emprunter. Il n'y en a pas d'autres. C'est le chemin de la paix. Je sais que le peuple arménien en a la volonté, et que son Président en a l'étoffe. C'est ce même message de paix que je porterai tout à l'heure à Bakou et que j'adresserai aux dirigeants turcs.
La France aidera l'Arménie. Elle aidera l'Arménie à développer son économie.
La France et ses entreprises seront à vos côtés.
Nos deux économies ont commencé de se lier l'une à l'autre.
Nos deux peuples aiment travailler ensemble parce qu'ils se respectent, parce qu'ils ont en partage des trésors de culture et de civilisation, parce qu'ils se comprennent.
Je pense à l'Université française d'Arménie, d'où sortent chaque année plus de 200 jeunes économistes et juristes arméniens.
Je pense aux 250 écoles arméniennes qui enseignent le français, aux écoles bilingues maternelles, primaires et professionnelles.
Je pense aux centaines d'étudiants arméniens qui étudient dans les universités françaises et je les souhaite encore plus nombreux pour l'avenir.
Le moment est venu de franchir une nouvelle étape, avec la création d'un véritable lycée français, ici en Arménie, à Erevan, qui de la maternelle à la terminale, formera les élites francophones arméniennes de demain. C'est la décision que nous avons prise.
Le temps est venu, Monsieur le Président, pour l'Arménie de devenir un membre à part entière de la grande famille francophone.
L'Arménie aime le Français, aime la culture française, sans jamais oublier sa propre langue et sa propre culture.
Au moment même où je m'adresse à vous, des archéologues français et arméniens travaillent main dans la main pour exhumer le passé glorieux de l'Arménie qui appartient au patrimoine de l'humanité.
Il existe entre nos deux pays une soif de culture partagée qui a peu d'équivalent dans le monde.
Robert Gediguian, Serge Avedekian, Alain Terzian, Simon Abkarian, Vahan Martirosian, André Manoukian, Michel Legrand, Hélène Segara, et Charles Aznavour, ce sont de grands Français et de grands Arméniens, c'est tout le génie de notre mélange qui est incarné dans ces personnalités.
Peu de peuples au monde ont traversé au cours de leur histoire autant d'épreuves que le peuple arménien.
Plus rares encore sont ceux qui, comme le peuple arménien, ont dû lutter pour leur survie même, contre des forces qui voulaient vous anéantir.
Si la nation arménienne célèbre cette année le 20e anniversaire de son indépendance, c'est à elle-même qu'elle le doit, car les peuples victimes de génocide savent au plus profond d'eux-mêmes que c'est d'abord en comptant sur leurs propres forces qu'ils sauveront leurs enfants et leur donneront un avenir.
La France est fière d'avoir accueilli les enfants persécutés d'Arménie.
Ces enfants d'Arménie sont devenus des enfants de France.
Bien plus qu'un don, cette statue de Rodin est, d'abord, l'expression de ce que la France doit à l'Arménie, son amie et sa sur, qui lui a tant donné par le cur et par l'esprit.
Vive l'Arménie et vive la France !