29 janvier 2011 - Seul le prononcé fait foi

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Lettre de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, adressée au chanteur irlandais Bono, en réponse à sa tribune dans "Le Monde" du 29 janvier 2011, sur l'aide au développement dans le cadre des sommets du G8 et du G20.

Cher Bono,
Je vous remercie de votre lettre en date du 26 janvier pour m'expliquer les raisons qui vous ont conduit à publier le lendemain une tribune dans la presse française.
Je trouve normal, sain et utile que vous m'interpelliez de manière aussi directe sur l'aide au développement au moment où débute la présidence française du G20 et du G8. Vous êtes totalement dans votre rôle, comme je suis maintenant dans le mien en vous rappelant la stratégie que je poursuis sans relâche depuis 2007 pour aider les pays les plus pauvres, en particulier d'Afrique. Nous suivons donc, vous et moi, les usages de début de présidence, même si la gravité du sujet qui nous mobilise tous deux ne me donne pas envie de me contenter de réponses toutes faites.
Je connais votre générosité, mais j'apprécie aussi beaucoup votre courage et votre efficacité. Nous avons souvent parlé ensemble, depuis notre rencontre de Heiligendamm en juin 2007, de votre engagement et de la cause que vous défendez et qui nous rapproche, l'Afrique. C'est avec le même langage de vérité que d'habitude, qui vous a parfois surpris, que je souhaite répondre sur le fond à vos remarques et propositions.
Vous m'invitez à passer des mots aux actes. Je suppose que vous parlez de la présidence du G20 et du G8, car pour ce qui concerne l'action de la France en matière d'aide au développement, le bilan me parait très clair.
Depuis 2007, l'aide au développement de la France a augmenté de plus de 30%, pour s'établir en 2010 à près de 10 milliards d'euros, soit 10% de l'APD mondiale. Je vous rappelle que la France, 5ème économie du monde, ne représente que 4% du PIB mondial. Nos dépenses d'APD sont passées de 0.4 à 0.5% du PIB en moins de 4 ans. C'est la principale progression des pays du G8 avec le Royaume-Uni. Je ne veux pas vous accabler de chiffres, mais l'aide de la France est celle de tous les pays du G8 qui est la plus concentrée sur l'Afrique, avec 60% du total.
Mes collaborateurs vous adresseront des explications détaillées sur l'ensemble de ces chiffres. Je sais que vous en contestez certains, mais nous ne faisons, comme tous nos partenaires, qu'appliquer dans la plus grande transparence la méthodologie définie par l'OCDE.
Malgré la crise, j'ai voulu que la France ne diminue pas sa solidarité avec les plus pauvres. J'ai plaidé sans relâche pour la réalisation des objectifs du millénaire et pour trouver des solutions au bénéfice des pays en développement dans la lutte contre le réchauffement climatique. Je rappelle que je suis le seul Chef d'Etat ou de gouvernement du G20 à avoir pris part à tous les Sommets des Nations Unies sur le développement depuis 2007, que c'est sur mon initiative qu'a pu être adopté à Copenhague en décembre 2009 le « fast start » de 30 milliards de dollars sur 3 ans (2010 -- 2012) et que la France a joué auprès de la Corée un rôle déterminant pour inscrire le développement à l'agenda du G20.
Pour ce qui concerne la présidence française du G20 et du G8 cette année, j'ai décidé d'accorder une forte priorité à l'Afrique. J'ai invité 8 pays africains, les membres du NEPAD et le Président de l'Union africaine à rencontrer le G8 à Deauville le 27 mai, pour renforcer notre partenariat. Celui-ci passe par la franchise : comment tenons-nous nos engagements respectifs ? Du côté du G8 bien sûr, en particulier dans les domaines de la santé et de la sécurité alimentaire, mais aussi du côté de l'Afrique, et je pense notamment à la gouvernance.
Au G20, nous mettrons l'accent sur la lutte contre la faim et sur les infrastructures. J'ai décidé de me rendre à Addis Abeba ce 30 janvier, devant l'Union africaine, pour expliquer tout cela. Mais aussi pour plaider fortement pour les financements innovants. L'APD ne suffira pas à relever les défis £ nous devons impérativement disposer de financements additionnels et pérennes.
Je me suis prononcé à plusieurs reprises en faveur d'une taxe sur les transactions financières. J'y suis très favorable à titre personnel et j'espère mobiliser le plus largement possible autour de cette idée. Mais je connais bien sûr la forte hostilité d'un grand nombre de pays. Je ne veux pas me résoudre en tout cas à ce que cette année soit une année de plus sans nouveaux financements innovants. Aussi, je souhaite que nous puissions examiner un « panier d'options » et que chaque pays du G20 décide d'en appliquer une ou plusieurs.
Vous évoquez dans votre article la nécessaire transparence de l'exploitation des ressources naturelles en Afrique. Je suis totalement en accord avec vous. La France organisera en mars à Paris une conférence d'experts mondiaux sur le sujet. Dès maintenant, j'ai décidé de demander à l'Union européenne d'adopter au plus vite une législation imposant aux entreprises du secteur extractif de publier ce qu'elles paient aux pays où elles sont installées.
Vous évoquez également la santé. Souvenez-vous : à Heiligendamm, je vous avais dit que j'y consacrerais 1 milliard de dollars par an pour les pays en développement £ aujourd'hui c'est 1 milliard d'euros que la France consacre chaque année à cet enjeu, dont plus de la moitié pour lutter contre les grandes pandémies. J'entends votre message sur le financement de nouvelles campagnes de vaccination. La reconstitution de l'Alliance mondiale des vaccins et de l'immunisation (GAVI) en juin sera critique. La France confirmera son engagement ancien en sa faveur, qui est de 25 millions d'euros pour 2011 mais augmentera progressivement pour atteindre 86 millions d'euros en 2026. Elle exhortera tous les pays qui le peuvent à contribuer à cette reconstitution.
Enfin, pour l'agriculture, je me réjouis du soutien que vous accordez aux travaux que j'ai lancé sur la volatilité des prix. Comme vous, je pense que la solution réside aussi dans l'augmentation de la production agricole, qui devra être d'au moins 70% d'ici 2050 pour nourrir le monde.
Le combat pour le développement est difficile, surtout en temps de crise, mais il est vital. Vous pouvez compter sur mon engagement mais j'ai aussi besoin de vous, de l'ensemble de la société civile dans le monde entier, pour mobiliser tous les gouvernements. J'entends faire de l'Afrique une priorité. C'est mon objectif constant depuis 2007. Vous pouvez être certain que je mettrai toutes mes forces à mettre en oeuvre l'agenda le plus ambitieux possible à la tête du G20 et du G8 cette année.
Je vous prie d'agréer, cher Bono, l'assurance de mes sentiments les meilleurs.