8 mars 2010 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur l'accès international au nucléaire civil, à Paris le 8 mars 2010.
Monsieur le Secrétaire général de l'OCDE et cher ami,
Monsieur le Directeur général de l'AIEA,
Je tiens à vous redire combien la France apprécie la clarté de vos premières déclarations. Il était temps. Nous avons besoin d'un homme honnête, d'un homme courageux. Croyez bien que nous soutiendrons votre action.
Monsieur le Président de la Commission européenne, avec qui j'ai tant de plaisir à travailler jour après jour,
Mesdames et Messieurs les ministres, cher Jean-Louis BORLOO, cher Bernard KOUCHNER, chère Christine LAGARDE,
Il est commun de dire aujourd'hui que nous sommes entrés dans une nouvelle ère nucléaire, vous avez dit celle de sa « Renaissance ».
L'analogie avec cette période glorieuse de l'histoire européenne suscitera sans doute bien des débats. Mais il y a des éléments communs avec la Renaissance : la remise en cause de schémas de pensée anciens, la remise en cause de peurs irrationnelles, la foi dans la science, la foi dans la technique, qui étaient les éléments de la Renaissance.
Il nous appartient de faire que cette redécouverte de l'énergie nucléaire soit une chance de progrès et de coopération pour l'humanité.
L'histoire du nucléaire est intimement mêlée à celle de la France contemporaine, en 1896, Henri BECQUEREL a découvert la radioactivité. Dans les années 70, la France a fait un choix historique : la création d'une filière industrielle complète de production massive d'électricité d'origine nucléaire.
Et à travers tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ce choix en faveur du nucléaire civil a constamment été confirmé. La France possède 58 réacteurs. La France s'engage avec les deux EPR qu'elle construit dans la troisième génération. La France disposera de 60 réacteurs nucléaires. La France poursuit ses efforts de recherche. La France veut coopérer avec tous les pays qui souhaitent le nucléaire civil.
La France, avec sept grands partenaires représentants quelques 34 Etats, a lancé le grand projet ITER de recherche sur la fusion, dont la construction va démarrer au mois de juin.
Cette antériorité ne donne à la France aucun privilège particulier. Mais cette antériorité confère à la France un devoir : celui de partager son expérience avec tous ceux qui veulent accéder ou qui veulent relancer des programmes nucléaires civils. C'est clair, c'est notre politique, c'est notre volonté.
J'ai proposé de réunir les ministres chargés de l'Énergie, en coopération avec l'AIEA et l'OCDE. Je souhaite que ce forum permette à tous de s'enrichir du point de vue des autres.
Mesdames et Messieurs, mes chers amis,
La population mondiale croît et s'enrichit. Nous aurons besoin de 40% d'énergie en plus d'ici 2030. Je le dis à tous idéologues, en dehors de cette salle : il va falloir trouver 40% d'énergie en plus d'ici 2030. La solution n'est pas dans les idéologies de la décroissance ou du repli. Les idéologies de la décroissance sont des idéologies égoïstes, qui veulent maintenir les pauvres dans la pauvreté. C'est cela la décroissance, c'est fermer la porte du progrès et du mieux vivre à ceux qui n'ont rien.
La priorité - je parle sous le contrôle de Jean-Louis BORLOO, dont je veux saluer l'action en la matière - c'est la lutte contre le changement climatique. Mon prédécesseur avait dit « La maison brûle ». Tout doit donc être mis en oeuvre pour sauver la maison, pour sauver la planète, pour respecter nos objectifs en termes de lutte contre le réchauffement climatique. Nous avons besoin de l'énergie nucléaire. Il n'y a pas une seule personne sérieuse qui peut penser qu'on peut respecter nos objectifs avec les seules énergies renouvelables. Mais nous, la France, nous ne disons pas : « il ne faut que le nucléaire ». Nous disons : « il faut le nucléaire civil et il faut les énergies renouvelables ». Il faut les deux pour protéger la planète, pour respecter nos engagements dans la lutte contre le réchauffement climatique.
J'ajoute que 80% de la croissance de la consommation électrique d'ici 2030 viendra de pays non membres de l'OCDE. Il faut donc que le nucléaire s'implante dans de nouveaux pays ou ces nouveaux pays n'auront pas le progrès économique, ne sortiront pas de la misère. Donc, que les choses soient claires, la vision de la France, c'est un monde qui ne doit pas se diviser entre pays possesseurs de la technologie nucléaire, arcboutés sur un privilège, et les peuples réclamant un droit à la compétence nucléaire que les autres leur refuseraient. Cette vision-là, nous n'en voulons pas. Le nucléaire civil peut être, aux yeux de la France, le ciment d'une nouvelle solidarité internationale, où chacun aura besoin des autres pour aller de l'avant.
Le rôle des États sera absolument crucial parce que pour aller vers le nucléaire, il faut un engagement scientifique puissant, parce qu'il faut former des générations de techniciens, et d'ingénieurs.
Il faut un engagement financier fort, parce qu'il faut prévoir l'investissement, la modernisation puis le démantèlement.
Il faut un engagement de sûreté et de sécurité, car nous sommes responsables devant nos peuples de la sûreté et de la sécurité.
Certains diront que tel ou tel pays n'en est pas capable. Je considère qu'il y a derrière ce type de préjugé un mépris de l'autre qui est intolérable : des accidents nucléaires, il y en a eu dans des pays du « nord ». Le Nord n'a aucune leçon à donner au Sud. Ma conviction est à l'opposé, pour peu que nos Etats travaillent ensemble dans la durée, avec une vision partagée, la sureté et la sécurité seront un objectif auquel, tous, nous pourrons répondre.
Je souhaite aborder devant vous les points qui me paraissent essentiels pour une renaissance réussie du nucléaire.
1/ Il y a d'abord - et permettez-moi de mettre les pieds dans le plat - la question du financement : Je ne comprends pas et je n'accepte pas l'ostracisme du nucléaire dans les financements internationaux. Il y a là matière à scandale. Les institutions financières internationales ne financent pas aujourd'hui les projets nucléaires civils. La situation actuelle revient, en fait, à condamner les pays à une énergie plus chère et plus polluante. Beau résultat ! Je propose de changer cela, exigeant que la Banque mondiale, la BERD, les banques de développement s'engagent résolument dans le financement d'une énergie nucléaire civile propre.
Il y a ensuite un autre scandale : les problèmes de l'attribution de crédits carbone par les mécanismes de développement propre. Pour des raisons idéologiques d'un autre temps, un pays qui s'engage dans le nucléaire civil ne peut pas bénéficier de crédits carbone. Alors que les crédits financent toutes les autres énergies décarbonées ! Or, l'énergie nucléaire civile est parfaitement décarbonée. Quelle est la logique de cette position ? Aucune. Mais quelles sont les conséquences de cette situation ? Les crédits « carbone » plus coûteux, plus rares, et une orientation biaisée des choix d'investissement dont souffrent qui ? D'abord les pays les plus pauvres. Je propose donc et j'appelle tous les pays qui partageraient cette position à nous rejoindre, que toutes les énergies décarbonées puissent être financées par les crédits de CO2 dans la nouvelle architecture mondiale de l'après-2013. Voulons-nous oui ou non être au rendez-vous des objectifs de réduction d'émission de gaz à effet de serre, d'énergie carbonée ? Pour être au rendez-vous, il faut le nucléaire et le renouvelable, les deux.
2/ Ma seconde recommandation sera que nous prenions soin d'associer étroitement nos populations aux projets. Le temps où l'on pouvait imposer une installation nucléaire - comme d'ailleurs à mon avis toute installation industrielle sensible, je pense à la chimie, au pétrole, -- à une population au mépris de ses préoccupations appartient au passé. Du secret nait l'inquiétude. Nos projets doivent être transparents et à tous les pays qui veulent s'engager dans le nucléaire civil, la France dit : « la meilleure garantie de réussite pour convaincre vos populations, c'est la transparence ». Il ne peut pas y avoir de développement du nucléaire civil sans engagement de la transparence.
3/ Ma troisième proposition consistera à donner la priorité à la formation. Il ne s'agit pas seulement, même si c'est le coeur de la question de former des ingénieurs et des techniciens pour opérer dans les centrales. Il s'agit de maîtriser les aspects scientifiques et économiques, je pense à la construction, à la gestion du projet, à la commercialisation de l'électricité. Nous sommes dans l'interdépendance assumée. Notre intérêt collectif est que le développement du nucléaire soit le fait d'hommes et de femmes disposant de formations solides.
En France, l'ouverture internationale est maintenant acquise. Depuis 2007, nous avons triplé le nombre d'étudiants dans le nucléaire. Il y a un problème, mes chers amis, massif de formation de nos élites. Nous manquons tous, dans le monde entier, d'ingénieurs et de techniciens dans la filière. Nous avons en France triplé le nombre de nos étudiants. Cette année, le master international en France recevra des étudiants du monde entier : de Jordanie, de Pologne, des Emirats arabes unis, de l'Argentine, de la Chine, de l'Inde, du Vietnam, de la Tunisie et de l'Algérie. Nous voulons partager avec vous notre compétence. Il y a du travail pour tout le monde. En 2009, le Commissariat à l'Energie Atomique français - désormais Commissariat aussi aux énergies alternatives - a accueilli 1.000 doctorants et post-doctorants étrangers, dont 14% sont issus du Maghreb.
C'est bien. Mais nous voulons aller encore plus loin et nous allons passer à la vitesse supérieure en créant un Institut international de l'énergie nucléaire qui abritera une Ecole internationale du nucléaire. Il concentrera les meilleurs enseignants, les meilleurs chercheurs pour offrir une formation de très haute qualité, à Saclay, où nous allons faire le plus grand campus d'Europe, et à Cadarache. Cet Institut fera partie intégrante d'un réseau international de Centres d'excellence spécialisés en cours de constitution. Nous allons mettre en place un premier centre en Jordanie. D'autres centres de formation au nucléaire avec le soutien de la France vont se développer, comme l'Institut franco-chinois de l'énergie nucléaire, que nous créons en coopération avec l'université de Canton. A terme, mon espoir est de voir se former un vaste réseau scientifique qui fédérera les efforts internationaux. J'ajoute et j'ai demandé à Bernard KOUCHNER d'ouvrir un grand nombre de bourses pour les étudiants étrangers dans le nucléaire. Vous le comprenez bien, nous avons besoin, nous tous dans le monde, de former des générations d'ingénieurs et de techniciens. Ce n'est pas un pays qui y arrivera, mais le pays qui a été le premier dans le nucléaire civil est prêt à partager sa compétence, son expertise et son expérience avec vous.
4/ Ma quatrième proposition consiste à faire de la sûreté une priorité collective. Disons-le, le nucléaire, ce n'est pas anodin. Même si toutes les activités humaines ont leurs risques : que l'on pense aux désastres et aux milliers de victimes causés par le pétrole, le charbon, la chimie, le gaz ! La sûreté nucléaire n'est pas un enjeu national, c'est une préoccupation, Monsieur le directeur général, collective.
Grâce à une vigilance de chaque instant, il n'y a jamais eu en Europe occidentale d'accident nucléaire significatif. Pensons par ailleurs à l'inverse au traumatisme mondial entraîné par les accidents de Tchernobyl et aux Etats-Unis.
Il est nécessaire de confier la supervision à une Autorité de sûreté indépendante. Je ne suis pas adepte d'une application aveugle du principe de précaution, qui aboutit le plus souvent à ne rien faire. Mais face à des risques réels, il faut appliquer des normes strictes.
En Europe, cher José Manuel BARROSO nous devons encore progresser. C'est en juin 2009 que nous avons adopté - je dirai enfin ! C'est de notre faute - une directive sur la sûreté nucléaire. Les régulateurs européens organiseront en 2011 à Bruxelles une conférence pour renforcer leur coopération. Et un projet d'Institut européen de formation à la sûreté est sur la table. Il pourrait devenir le premier d'un réseau international d'experts de la sûreté nucléaire.
Chaque pays va devoir faire ses choix. Mais pour éclairer les décisions à l'avenir, je souhaite qu'un organe indépendant, sous l'égide de l'AIEA, établisse sur des bases scientifiques et techniques incontestables une grille d'analyse internationale, je demande, Monsieur le directeur, que vous classiez les réacteurs proposés sur le marché selon le critère de la sûreté. Car aujourd'hui le marché ne classe que selon le critère du prix. Que l'AIEA prenne la responsabilité de dire : voilà les différents réacteurs qui sont sur le marché, voilà le classement sur le thème de la sûreté.
Le mois prochain, à Washington, plusieurs dizaines de pays sont invités par le Président OBAMA à débattre de la sécurité nucléaire. Le Conseil de Sécurité de l'ONU a déjà énoncé des principes obligatoires, je pense à la résolution 1540. Plus il y aura d'installations nucléaires dans le monde, plus la mise en oeuvre stricte des décisions du Conseil de Sécurité sera nécessaire.
5/ Cinquième priorité, le respect de la non-prolifération. La non-prolifération est une pierre angulaire de la sécurité internationale. Personne n'a intérêt à une nouvelle course aux armements. Et personne ne souhaite avoir dans son voisinage un Etat qui triche. Je veux redire combien les décisions volontaires prises en 2003 par la Libye ont de ce point de vue un caractère historique. Je ne partage pas, loin de là, toutes les orientations et toutes les déclarations de la Libye. Mais que la Libye ait, sur une base volontaire, renoncé à l'armement nucléaire en 2003, on aimerait que d'autres pays aujourd'hui fassent comme eux. Je vois des observateurs bien sévères avec les uns, oubliant ce qu'ils ont fait, et pas assez avec d'autres, refusant de regarder ce qu'ils font.
On ne peut pas d'un côté --et c'est la proposition que la France met sur la table-- demander la coopération nucléaire civile, avec le partenariat de long terme et la responsabilité que cela implique, et de l'autre renier ses obligations internationales. Je propose donc que nous suspendions notre coopération nucléaire avec les pays qui ne respectent pas leurs obligations. L'Union européenne l'a déjà décidé, le G8 l'a déjà proposé. Ma conception du droit et de la justice, ce n'est pas que celui qui triche qui doit avoir les mêmes droits que celui qui est honnête. La France sera intraitable pour la défense du droit de chaque État à accéder au nucléaire à des fins pacifiques. Mais la France sera intraitable à l'encontre de ceux qui violent les normes de sécurité collective. Si on respecte le droit international, on a le droit à la coopération pour l'accès au nucléaire civil, si on le viole, on n'a le droit à aucune collaboration.
6/ Dernier point l'accès au combustible nucléaire. Face à l'ampleur des investissements et à la durée des projets, certains, à juste titre, s'inquiètent des risques d'interruption des livraisons. La sécurité de l'approvisionnement en combustible est réalisée aujourd'hui par des accords de long terme. Je crois qu'il faut aller plus loin et mettre en place des assurances de fournitures dans le cadre de l'AIEA, Monsieur le directeur. Il s'agit d'un engagement collectif : en cas de rupture d'approvisionnement, les autres fournisseurs apporteront des solutions. Et pour crédibiliser cet engagement, je propose la création d'une Banque du combustible à l'AIEA, financée par des contributions internationales. Le projet est prêt, le financement existe depuis que l'Union européenne, sous présidence française, avec l'accord de M. BARROSO, a décidé d'apporter 25 millions d'Euros pour le boucler.
Si le nombre de réacteurs se développe très largement, peut se poser la question de la construction de nouvelles unités d'enrichissement et de retraitement/recyclage, répondant aux nécessités industrielles. Certains ont voulu, il y a quelques années, interdire à de nouveaux pays d'accéder à ces capacités, au motif qu'elles seraient dangereuses en tant que telles. La France refuse une telle approche qui serait aberrante économiquement et qui serait une atteinte au droit légitime de développer l'énergie à des fins pacifiques.
Il est urgent de conclure un Traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires et de doter l'AIEA de moyens de vérification renforcés sur les technologies sensibles.
7/ Pour terminer, je voudrais aborder la question de la gestion des combustibles usés et des déchets ultimes. Face à l'accumulation des combustibles nucléaires usés, certains pratiquent le stockage de longue durée en l'état -c'est le choix des Etats-Unis, de la Suède et de la Finlande.
D'autres misent sur la valorisation de cette ressource par le recyclage. C'est le choix de la France, de la Russie et du Japon. Ce recyclage permet de valoriser au maximum la ressource en uranium, tout en réduisant au minimum les déchets ultimes à stocker. Il me semble que c'est la voie la plus prometteuse pour l'avenir. C'est pourquoi la France veut continuer à coopérer avec de nombreux pays en mettant ses installations de retraitement/recyclage au service de tous ceux qui n'en ont pas.
Mesdames et Messieurs,
Vous l'avez compris, le développement responsable de l'énergie nucléaire est un enjeu fondamental pour l'avenir de la planète.
Nous devons travailler ensemble à une nouvelle gouvernance du nucléaire qui s'appuiera sur une AIEA renforcée et nous comptons sur M. AMANO pour cela et pour définir l'affirmation d'une vision collective.
Je souhaite que vos travaux, animés par Jean-Louis BORLOO, permettent d'en établir les fondations. Mesdames et Messieurs, nous n'avons pas à dire au monde de choisir entre le progrès et la sécurité, entre la pauvreté ou le respect de l'environnement. Nous avons là, grâce aux chercheurs du XXe siècle, une énergie considérable, partageons-là le mieux possible, utilisons-la le mieux possible à des fins environnementales, à des fins pacifiques, pour aider à ce que vos pays sortent de la pauvreté, pour aider à la transition avec la fin programmée des énergies fossiles, le tout en parfaite complémentarité avec le développement des énergies renouvelables.
Voilà l'engagement de la France. La France ne fait pas cela pour donner une leçon, la France ne fait pas cela pour se mettre en exergue, même pas pour montrer l'exemple. La France fait cela parce qu'elle est convaincue que le partage de l'énergie nucléaire civile à des fins pacifiques est un élément décisif pour le respect des préoccupations environnementales et d'un meilleur partage des richesses sur la planète
Je vous remercie.
Monsieur le Directeur général de l'AIEA,
Je tiens à vous redire combien la France apprécie la clarté de vos premières déclarations. Il était temps. Nous avons besoin d'un homme honnête, d'un homme courageux. Croyez bien que nous soutiendrons votre action.
Monsieur le Président de la Commission européenne, avec qui j'ai tant de plaisir à travailler jour après jour,
Mesdames et Messieurs les ministres, cher Jean-Louis BORLOO, cher Bernard KOUCHNER, chère Christine LAGARDE,
Il est commun de dire aujourd'hui que nous sommes entrés dans une nouvelle ère nucléaire, vous avez dit celle de sa « Renaissance ».
L'analogie avec cette période glorieuse de l'histoire européenne suscitera sans doute bien des débats. Mais il y a des éléments communs avec la Renaissance : la remise en cause de schémas de pensée anciens, la remise en cause de peurs irrationnelles, la foi dans la science, la foi dans la technique, qui étaient les éléments de la Renaissance.
Il nous appartient de faire que cette redécouverte de l'énergie nucléaire soit une chance de progrès et de coopération pour l'humanité.
L'histoire du nucléaire est intimement mêlée à celle de la France contemporaine, en 1896, Henri BECQUEREL a découvert la radioactivité. Dans les années 70, la France a fait un choix historique : la création d'une filière industrielle complète de production massive d'électricité d'origine nucléaire.
Et à travers tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ce choix en faveur du nucléaire civil a constamment été confirmé. La France possède 58 réacteurs. La France s'engage avec les deux EPR qu'elle construit dans la troisième génération. La France disposera de 60 réacteurs nucléaires. La France poursuit ses efforts de recherche. La France veut coopérer avec tous les pays qui souhaitent le nucléaire civil.
La France, avec sept grands partenaires représentants quelques 34 Etats, a lancé le grand projet ITER de recherche sur la fusion, dont la construction va démarrer au mois de juin.
Cette antériorité ne donne à la France aucun privilège particulier. Mais cette antériorité confère à la France un devoir : celui de partager son expérience avec tous ceux qui veulent accéder ou qui veulent relancer des programmes nucléaires civils. C'est clair, c'est notre politique, c'est notre volonté.
J'ai proposé de réunir les ministres chargés de l'Énergie, en coopération avec l'AIEA et l'OCDE. Je souhaite que ce forum permette à tous de s'enrichir du point de vue des autres.
Mesdames et Messieurs, mes chers amis,
La population mondiale croît et s'enrichit. Nous aurons besoin de 40% d'énergie en plus d'ici 2030. Je le dis à tous idéologues, en dehors de cette salle : il va falloir trouver 40% d'énergie en plus d'ici 2030. La solution n'est pas dans les idéologies de la décroissance ou du repli. Les idéologies de la décroissance sont des idéologies égoïstes, qui veulent maintenir les pauvres dans la pauvreté. C'est cela la décroissance, c'est fermer la porte du progrès et du mieux vivre à ceux qui n'ont rien.
La priorité - je parle sous le contrôle de Jean-Louis BORLOO, dont je veux saluer l'action en la matière - c'est la lutte contre le changement climatique. Mon prédécesseur avait dit « La maison brûle ». Tout doit donc être mis en oeuvre pour sauver la maison, pour sauver la planète, pour respecter nos objectifs en termes de lutte contre le réchauffement climatique. Nous avons besoin de l'énergie nucléaire. Il n'y a pas une seule personne sérieuse qui peut penser qu'on peut respecter nos objectifs avec les seules énergies renouvelables. Mais nous, la France, nous ne disons pas : « il ne faut que le nucléaire ». Nous disons : « il faut le nucléaire civil et il faut les énergies renouvelables ». Il faut les deux pour protéger la planète, pour respecter nos engagements dans la lutte contre le réchauffement climatique.
J'ajoute que 80% de la croissance de la consommation électrique d'ici 2030 viendra de pays non membres de l'OCDE. Il faut donc que le nucléaire s'implante dans de nouveaux pays ou ces nouveaux pays n'auront pas le progrès économique, ne sortiront pas de la misère. Donc, que les choses soient claires, la vision de la France, c'est un monde qui ne doit pas se diviser entre pays possesseurs de la technologie nucléaire, arcboutés sur un privilège, et les peuples réclamant un droit à la compétence nucléaire que les autres leur refuseraient. Cette vision-là, nous n'en voulons pas. Le nucléaire civil peut être, aux yeux de la France, le ciment d'une nouvelle solidarité internationale, où chacun aura besoin des autres pour aller de l'avant.
Le rôle des États sera absolument crucial parce que pour aller vers le nucléaire, il faut un engagement scientifique puissant, parce qu'il faut former des générations de techniciens, et d'ingénieurs.
Il faut un engagement financier fort, parce qu'il faut prévoir l'investissement, la modernisation puis le démantèlement.
Il faut un engagement de sûreté et de sécurité, car nous sommes responsables devant nos peuples de la sûreté et de la sécurité.
Certains diront que tel ou tel pays n'en est pas capable. Je considère qu'il y a derrière ce type de préjugé un mépris de l'autre qui est intolérable : des accidents nucléaires, il y en a eu dans des pays du « nord ». Le Nord n'a aucune leçon à donner au Sud. Ma conviction est à l'opposé, pour peu que nos Etats travaillent ensemble dans la durée, avec une vision partagée, la sureté et la sécurité seront un objectif auquel, tous, nous pourrons répondre.
Je souhaite aborder devant vous les points qui me paraissent essentiels pour une renaissance réussie du nucléaire.
1/ Il y a d'abord - et permettez-moi de mettre les pieds dans le plat - la question du financement : Je ne comprends pas et je n'accepte pas l'ostracisme du nucléaire dans les financements internationaux. Il y a là matière à scandale. Les institutions financières internationales ne financent pas aujourd'hui les projets nucléaires civils. La situation actuelle revient, en fait, à condamner les pays à une énergie plus chère et plus polluante. Beau résultat ! Je propose de changer cela, exigeant que la Banque mondiale, la BERD, les banques de développement s'engagent résolument dans le financement d'une énergie nucléaire civile propre.
Il y a ensuite un autre scandale : les problèmes de l'attribution de crédits carbone par les mécanismes de développement propre. Pour des raisons idéologiques d'un autre temps, un pays qui s'engage dans le nucléaire civil ne peut pas bénéficier de crédits carbone. Alors que les crédits financent toutes les autres énergies décarbonées ! Or, l'énergie nucléaire civile est parfaitement décarbonée. Quelle est la logique de cette position ? Aucune. Mais quelles sont les conséquences de cette situation ? Les crédits « carbone » plus coûteux, plus rares, et une orientation biaisée des choix d'investissement dont souffrent qui ? D'abord les pays les plus pauvres. Je propose donc et j'appelle tous les pays qui partageraient cette position à nous rejoindre, que toutes les énergies décarbonées puissent être financées par les crédits de CO2 dans la nouvelle architecture mondiale de l'après-2013. Voulons-nous oui ou non être au rendez-vous des objectifs de réduction d'émission de gaz à effet de serre, d'énergie carbonée ? Pour être au rendez-vous, il faut le nucléaire et le renouvelable, les deux.
2/ Ma seconde recommandation sera que nous prenions soin d'associer étroitement nos populations aux projets. Le temps où l'on pouvait imposer une installation nucléaire - comme d'ailleurs à mon avis toute installation industrielle sensible, je pense à la chimie, au pétrole, -- à une population au mépris de ses préoccupations appartient au passé. Du secret nait l'inquiétude. Nos projets doivent être transparents et à tous les pays qui veulent s'engager dans le nucléaire civil, la France dit : « la meilleure garantie de réussite pour convaincre vos populations, c'est la transparence ». Il ne peut pas y avoir de développement du nucléaire civil sans engagement de la transparence.
3/ Ma troisième proposition consistera à donner la priorité à la formation. Il ne s'agit pas seulement, même si c'est le coeur de la question de former des ingénieurs et des techniciens pour opérer dans les centrales. Il s'agit de maîtriser les aspects scientifiques et économiques, je pense à la construction, à la gestion du projet, à la commercialisation de l'électricité. Nous sommes dans l'interdépendance assumée. Notre intérêt collectif est que le développement du nucléaire soit le fait d'hommes et de femmes disposant de formations solides.
En France, l'ouverture internationale est maintenant acquise. Depuis 2007, nous avons triplé le nombre d'étudiants dans le nucléaire. Il y a un problème, mes chers amis, massif de formation de nos élites. Nous manquons tous, dans le monde entier, d'ingénieurs et de techniciens dans la filière. Nous avons en France triplé le nombre de nos étudiants. Cette année, le master international en France recevra des étudiants du monde entier : de Jordanie, de Pologne, des Emirats arabes unis, de l'Argentine, de la Chine, de l'Inde, du Vietnam, de la Tunisie et de l'Algérie. Nous voulons partager avec vous notre compétence. Il y a du travail pour tout le monde. En 2009, le Commissariat à l'Energie Atomique français - désormais Commissariat aussi aux énergies alternatives - a accueilli 1.000 doctorants et post-doctorants étrangers, dont 14% sont issus du Maghreb.
C'est bien. Mais nous voulons aller encore plus loin et nous allons passer à la vitesse supérieure en créant un Institut international de l'énergie nucléaire qui abritera une Ecole internationale du nucléaire. Il concentrera les meilleurs enseignants, les meilleurs chercheurs pour offrir une formation de très haute qualité, à Saclay, où nous allons faire le plus grand campus d'Europe, et à Cadarache. Cet Institut fera partie intégrante d'un réseau international de Centres d'excellence spécialisés en cours de constitution. Nous allons mettre en place un premier centre en Jordanie. D'autres centres de formation au nucléaire avec le soutien de la France vont se développer, comme l'Institut franco-chinois de l'énergie nucléaire, que nous créons en coopération avec l'université de Canton. A terme, mon espoir est de voir se former un vaste réseau scientifique qui fédérera les efforts internationaux. J'ajoute et j'ai demandé à Bernard KOUCHNER d'ouvrir un grand nombre de bourses pour les étudiants étrangers dans le nucléaire. Vous le comprenez bien, nous avons besoin, nous tous dans le monde, de former des générations d'ingénieurs et de techniciens. Ce n'est pas un pays qui y arrivera, mais le pays qui a été le premier dans le nucléaire civil est prêt à partager sa compétence, son expertise et son expérience avec vous.
4/ Ma quatrième proposition consiste à faire de la sûreté une priorité collective. Disons-le, le nucléaire, ce n'est pas anodin. Même si toutes les activités humaines ont leurs risques : que l'on pense aux désastres et aux milliers de victimes causés par le pétrole, le charbon, la chimie, le gaz ! La sûreté nucléaire n'est pas un enjeu national, c'est une préoccupation, Monsieur le directeur général, collective.
Grâce à une vigilance de chaque instant, il n'y a jamais eu en Europe occidentale d'accident nucléaire significatif. Pensons par ailleurs à l'inverse au traumatisme mondial entraîné par les accidents de Tchernobyl et aux Etats-Unis.
Il est nécessaire de confier la supervision à une Autorité de sûreté indépendante. Je ne suis pas adepte d'une application aveugle du principe de précaution, qui aboutit le plus souvent à ne rien faire. Mais face à des risques réels, il faut appliquer des normes strictes.
En Europe, cher José Manuel BARROSO nous devons encore progresser. C'est en juin 2009 que nous avons adopté - je dirai enfin ! C'est de notre faute - une directive sur la sûreté nucléaire. Les régulateurs européens organiseront en 2011 à Bruxelles une conférence pour renforcer leur coopération. Et un projet d'Institut européen de formation à la sûreté est sur la table. Il pourrait devenir le premier d'un réseau international d'experts de la sûreté nucléaire.
Chaque pays va devoir faire ses choix. Mais pour éclairer les décisions à l'avenir, je souhaite qu'un organe indépendant, sous l'égide de l'AIEA, établisse sur des bases scientifiques et techniques incontestables une grille d'analyse internationale, je demande, Monsieur le directeur, que vous classiez les réacteurs proposés sur le marché selon le critère de la sûreté. Car aujourd'hui le marché ne classe que selon le critère du prix. Que l'AIEA prenne la responsabilité de dire : voilà les différents réacteurs qui sont sur le marché, voilà le classement sur le thème de la sûreté.
Le mois prochain, à Washington, plusieurs dizaines de pays sont invités par le Président OBAMA à débattre de la sécurité nucléaire. Le Conseil de Sécurité de l'ONU a déjà énoncé des principes obligatoires, je pense à la résolution 1540. Plus il y aura d'installations nucléaires dans le monde, plus la mise en oeuvre stricte des décisions du Conseil de Sécurité sera nécessaire.
5/ Cinquième priorité, le respect de la non-prolifération. La non-prolifération est une pierre angulaire de la sécurité internationale. Personne n'a intérêt à une nouvelle course aux armements. Et personne ne souhaite avoir dans son voisinage un Etat qui triche. Je veux redire combien les décisions volontaires prises en 2003 par la Libye ont de ce point de vue un caractère historique. Je ne partage pas, loin de là, toutes les orientations et toutes les déclarations de la Libye. Mais que la Libye ait, sur une base volontaire, renoncé à l'armement nucléaire en 2003, on aimerait que d'autres pays aujourd'hui fassent comme eux. Je vois des observateurs bien sévères avec les uns, oubliant ce qu'ils ont fait, et pas assez avec d'autres, refusant de regarder ce qu'ils font.
On ne peut pas d'un côté --et c'est la proposition que la France met sur la table-- demander la coopération nucléaire civile, avec le partenariat de long terme et la responsabilité que cela implique, et de l'autre renier ses obligations internationales. Je propose donc que nous suspendions notre coopération nucléaire avec les pays qui ne respectent pas leurs obligations. L'Union européenne l'a déjà décidé, le G8 l'a déjà proposé. Ma conception du droit et de la justice, ce n'est pas que celui qui triche qui doit avoir les mêmes droits que celui qui est honnête. La France sera intraitable pour la défense du droit de chaque État à accéder au nucléaire à des fins pacifiques. Mais la France sera intraitable à l'encontre de ceux qui violent les normes de sécurité collective. Si on respecte le droit international, on a le droit à la coopération pour l'accès au nucléaire civil, si on le viole, on n'a le droit à aucune collaboration.
6/ Dernier point l'accès au combustible nucléaire. Face à l'ampleur des investissements et à la durée des projets, certains, à juste titre, s'inquiètent des risques d'interruption des livraisons. La sécurité de l'approvisionnement en combustible est réalisée aujourd'hui par des accords de long terme. Je crois qu'il faut aller plus loin et mettre en place des assurances de fournitures dans le cadre de l'AIEA, Monsieur le directeur. Il s'agit d'un engagement collectif : en cas de rupture d'approvisionnement, les autres fournisseurs apporteront des solutions. Et pour crédibiliser cet engagement, je propose la création d'une Banque du combustible à l'AIEA, financée par des contributions internationales. Le projet est prêt, le financement existe depuis que l'Union européenne, sous présidence française, avec l'accord de M. BARROSO, a décidé d'apporter 25 millions d'Euros pour le boucler.
Si le nombre de réacteurs se développe très largement, peut se poser la question de la construction de nouvelles unités d'enrichissement et de retraitement/recyclage, répondant aux nécessités industrielles. Certains ont voulu, il y a quelques années, interdire à de nouveaux pays d'accéder à ces capacités, au motif qu'elles seraient dangereuses en tant que telles. La France refuse une telle approche qui serait aberrante économiquement et qui serait une atteinte au droit légitime de développer l'énergie à des fins pacifiques.
Il est urgent de conclure un Traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires et de doter l'AIEA de moyens de vérification renforcés sur les technologies sensibles.
7/ Pour terminer, je voudrais aborder la question de la gestion des combustibles usés et des déchets ultimes. Face à l'accumulation des combustibles nucléaires usés, certains pratiquent le stockage de longue durée en l'état -c'est le choix des Etats-Unis, de la Suède et de la Finlande.
D'autres misent sur la valorisation de cette ressource par le recyclage. C'est le choix de la France, de la Russie et du Japon. Ce recyclage permet de valoriser au maximum la ressource en uranium, tout en réduisant au minimum les déchets ultimes à stocker. Il me semble que c'est la voie la plus prometteuse pour l'avenir. C'est pourquoi la France veut continuer à coopérer avec de nombreux pays en mettant ses installations de retraitement/recyclage au service de tous ceux qui n'en ont pas.
Mesdames et Messieurs,
Vous l'avez compris, le développement responsable de l'énergie nucléaire est un enjeu fondamental pour l'avenir de la planète.
Nous devons travailler ensemble à une nouvelle gouvernance du nucléaire qui s'appuiera sur une AIEA renforcée et nous comptons sur M. AMANO pour cela et pour définir l'affirmation d'une vision collective.
Je souhaite que vos travaux, animés par Jean-Louis BORLOO, permettent d'en établir les fondations. Mesdames et Messieurs, nous n'avons pas à dire au monde de choisir entre le progrès et la sécurité, entre la pauvreté ou le respect de l'environnement. Nous avons là, grâce aux chercheurs du XXe siècle, une énergie considérable, partageons-là le mieux possible, utilisons-la le mieux possible à des fins environnementales, à des fins pacifiques, pour aider à ce que vos pays sortent de la pauvreté, pour aider à la transition avec la fin programmée des énergies fossiles, le tout en parfaite complémentarité avec le développement des énergies renouvelables.
Voilà l'engagement de la France. La France ne fait pas cela pour donner une leçon, la France ne fait pas cela pour se mettre en exergue, même pas pour montrer l'exemple. La France fait cela parce qu'elle est convaincue que le partage de l'énergie nucléaire civile à des fins pacifiques est un élément décisif pour le respect des préoccupations environnementales et d'un meilleur partage des richesses sur la planète
Je vous remercie.