1 avril 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, et Mme Angela Merkel, Chancelière de la République fédérale d'Allemagne, notamment sur les convergences franco-allemandes en matière de régulation financière, à Londres le 1er avril 2009.

LE PRESIDENT - Je voudrais dire à mon tour combien je suis heureux de cette rencontre avec Angela MERKEL qui fait suite à d'innombrables réunions de nos collaborateurs et d'échanges téléphoniques, encore cette nuit, tous les deux.
L'Allemagne et la France parleront d'une seule voix. Je salue d'ailleurs la présence de Monsieur STEINBRÜCK et de Madame LAGARDE, nous parlerons d'une seule voix. Nos objectifs sont les mêmes sur les principes comme sur les modalités. Notre objectif est simple, comme l'a très bien dit la Chancelière, nous exigeons des résultats. A Washington on a posé des principes, à Londres, on veut du concret, des résultats.
Nous sommes dans une crise très importante qui provoque beaucoup de souffrance et les gens qui souffrent ne sont pour rien dans les origines de la crise. Cette crise est devenue économique mais elle est d'abord, elle est née, par la crise financière. C'est la raison pour laquelle l'Allemagne et la France, nous voulons que, dans les résultats du sommet, le principe d'une nouvelle régulation soit un objectif majeur. Nous comprenons très bien, d'ailleurs, l'Allemagne et la France ont pris toute leur part à la relance, cela va de soit, il faut mettre du carburant et nous l'avons fait. Mais nous disons que sans une nouvelle régulation, il n'y aura pas de confiance, et sans confiance, il n'y aura pas de reprise. C'est un objectif majeur non négociable.
Une fois le principe posé, nous nous sommes mis d'accord sur les mêmes lignes rouges.
Les paradis fiscaux. C'est une opportunité historique pour moraliser un système devenu immoral. C'est maintenant qu'il faut prendre les responsabilités, et les vingt Chefs de Gouvernement et Chefs d'État réunis devront le dire au monde entier : sont-ils pour la fin des paradis fiscaux ou sont-ils pour leur continuation ? Il n'y a pas trois positions, il y en a deux. Un paradis fiscal, c'est une place financière qui refuse de collaborer et de donner des renseignements sur l'origine des fonds. Y a-t-il en 2009 un chef d'État et de Gouvernement qui puisse se permettre de dire au monde entier qu'un paradis fiscal, c'est normal ? L'Allemagne et la France, nous pensons que c'est impossible. C'est très clair, il faut une liste. Et la marge de négociation, c'est de savoir si la liste est publiée tout de suite ou dans quelques jours. Il n'y a pas besoin de faire de grands sommets pour avoir la liste. Tout le monde sait bien cela.
Deuxième chose, la titrisation. Je rejoins parfaitement ce qu'a dit la Chancelière. Nous ne sommes pas contre le principe de la titrisation, sans rentrer dans les détails et en parlant sous le contrôle des Ministres des Finances, mais nous voulons une traçabilité. Après il peut y avoir, on en débat d'ailleurs nous même, l'Allemagne et la France, on prendra vraisemblablement la même position, mais on veut une traçabilité. Le principe qu'une banque qui titrise garde dans ses comptes une partie de ce qu'elle a titrisé, c'est simple, cela n'a rien de technique, c'est parfaitement clair.
Les « hedge funds », je ne vais pas redire ce qu'a mieux dit que moi la Chancelière, nous voulons que les « hedge funds » soient enregistrés et qu'ils soient contrôlés. On peut tout à fait accepter le débat : jusqu'à quel niveau d'importance du « hedge fund ». On doit enregistrer et contrôler. On peut en discuter. Mais le principe : aucune institution financière sans contrôle.
Les agences de notation, naturellement, quand on voit le scandale que représentait l'absence de transparence de certaines agences de notation. Des notations à triple A un vendredi qui devenaient des triple B un lundi. Il faut que les choses là aussi changent.
Enfin, dernier point, la question de la rémunération des traders et chacun doit le comprendre, c'est un problème mondial. Si l'Allemagne et la France décidaient que dorénavant ces rémunérations qui ont poussé à la prise de risque inconsidérée cessaient, si ce n'était pas une décision mondiale, cela voudrait dire que l'on pénalise nos pays. C'est donc une décision mondiale que celle de la moralisation - ou appelez cela comme vous le voulez - de la rémunération des traders.
Tout cela, ce sont des lignes rouges. Nous sommes tout disposés à parler du reste avec beaucoup d'ouverture d'esprit. Si ces problèmes sont clairement résolus.
Dernier point, je pense qu'il faut rendre hommage à Gordon BROWN, nous le faisons, Madame MERKEL et moi, de tous les efforts qu'il fait pour rassembler tout le monde. Je suis sûr qu'on arrivera à trouver des accords, mais il y a d'autres difficultés dont il n'est pas le moment de parler. Mais cela, c'est ce que nous voulons obtenir parce que nous le devons aux peuples qui nous regardent.
QUESTION - Bonjour, une question, je voudrais avoir un peu le détail des négociations parce que vous nous dites, nous avons nos listes rouges, mais j'ai l'impression qu'il y en a beaucoup qui sont déjà respectées. Sur les traders, est-ce que vous pouvez confirmer qu'il y a eu un accord entre vos Sherpas sur le fait qu'ils doivent être rémunérés à long terme en fonction des profits réellement réalisés et avec l'approbation des conseils d'administration ? Est-ce que vous pouvez confirmer qu'il y a un accord pour vendre une partie du stock d'or du FMI pour financer les pays les plus pauvres ? Est-ce que vous pouvez confirmer que le débat ne porte que sur la publication de la liste à condition qu'on laisse un délai pour un nouveau « screening » dans trois mois pour permettre de sortir ceux qui pourraient être sur la liste. Et dernière question, à Madame MERKEL notamment, j'ai cru comprendre que l'Allemagne n'était pas d'accord avec les visions françaises sur les normes comptables et sur le changement de gouvernance de l'IASB, est-ce que vous pouvez confirmer cela ?
MME MERKEL - Vous me demandiez s'il y avait un désaccord entre la France et l'Allemagne sur les normes comptables ? Non, pas de problème. Ce n'est pas un problème. Je ne vais pas bien entendu, préjuger de la réponse du Président français, mais l'heure n'est pas à des discussions de détails ici ce soir. Ce qui est en cause, c'est la pondération des objectifs. Ce qu'il faut dire, c'est qu'il y a eu des événements désastreux dans le monde, il faut sortir de la crise, il faut sortir du désastre £ mais cela ne doit pas se faire au prix de l'oubli des causes de la crise et ce pour éviter que la crise ne se répète. Alors, on a progressé, mais il y a encore en effet, c'est vrai, des progrès à faire sur les points que vous avez évoqués. Le message que nous voulons faire passer au monde, c'est celui que nous venons d'exposer, le Président et moi-même.
LE PRESIDENT - Je démens formellement la moindre divergence d'appréciation sur les normes comptables, à moins que vous soyez le troisième négociateur secret, au nom de l'Allemagne. En tout cas, Monsieur STEINBRÜCK, Madame LAGARDE, sur la question des normes comptables, je suis stupéfait.
Deuxièmement, et vous devez chacun le comprendre, depuis ce matin, j'ai peut-être vu quatre ou cinq textes successifs. Alors peut-être que tel ou tel d'entre vous a obtenu la copie d'un des textes. Il serait bon de voir que le texte ait été adopté avant que les chefs d'Etat et de Gouvernement ne se réunissent. Alors pourquoi on se réunirait ? L'époque - peut-être que vous en avez vu beaucoup - des sommets pour rien est terminée. Vous savez ce qui nous a amené à la situation où on est ? C'est la mainmise des techniciens sur des sujets éminemment politiques, notamment sur les normes comptables. On a voulu faire confiance à un certain nombre de techniciens qui se sont trompés.
Ce sommet, comme l'a dit la Chancelière, il y a beaucoup de progrès qui ont été accomplis, heureusement £ mais le compte n'y est pas encore. D'ailleurs si le compte y était, on pourrait repartir ce soir. Il y a aussi des agencements de communiqués. On peut se retrouver avec une petite phrase qui nous plait mise en annexe, cela il n'en est pas question.
Il y a des déclarations de principe, il y a des objectifs majeurs et je puis vous dire que sur les objectifs majeurs, avec Madame MERKEL, nous étions encore en discussion. Il s'agit de savoir quels sont les objectifs du sommet. Je comprends parfaitement que certains veulent parler de la relance, nous aussi. Nous, on ne se contente pas d'en parler, on la fait. Mais la régulation, ce n'est pas un gros mot, c'est un objectif majeur.
QUESTION - Madame la Chancelière, Monsieur le Président, vous venez de citer des objectifs tout à fait définitifs. Est-ce qu'en contrepartie, Madame, vous seriez prête à faire des compromis sur de nouvelles relances ? Et vous, Monsieur le Président, à titre de compromis, seriez-vous prêt à rester jusqu'à la fin du sommet ?
MME MERKEL - Il ne s'agit pas de marchandage ici, de maquignonnage. Vingt pays rassemblés au sein de ce G20 et nous devons avoir la même compréhension des choses, à savoir qu'une telle crise ne doit pas se répéter. Cette crise n'est pas une catastrophe naturelle, elle n'est pas le fruit du hasard, elle le résultat de dérives sur la durée que nous connaissons. Nous ne rendrions service à personne de ne pas fixer les objectifs nécessaires à ce que cette crise ne se reproduise pas.
Nous savons tous que plus de régulation est nécessaire, mais on ne peut pas dire que parce qu'on aura obtenu satisfaction, il faut que nous soyons gentils et sages sur un autre point. Il faut la gestion de la crise, c'est évident, et d'ailleurs les Européens peuvent tout à fait tenir la comparaison avec les Etats-Unis d'Amérique, nous avons fait la même chose que les Américains.
Et je suis tout à fait d'accord avec ce que préconise Gordon BROWN, à savoir qu'il faut apporter notre soutien aux pays plus faibles qui n'ont pas des ressources pour faire des programmes de relance parce que c'est aussi dans notre intérêt bien compris.
Mais ce n'est pas parce qu'on fera beaucoup de la relance, qu'on se contentera de faire un peu de régulation. Celui qui ne veut pas comprendre cela est condamné à revivre la même crise et c'est cela qu'il faut comprendre au G20.
LE PRESIDENT - Je voudrais rappeler que nous sommes dans un monde multipolaire. Nous ne considérons pas que quand l'Allemagne, la France, et l'Europe prennent la parole, on leur fasse une grâce en les écoutant. J'ajoute que comme l'a dit Angela, l'idée du G20, c'est l'Europe qui l'a voulue. On veut le succès du G20.
Sur le développement et sur la vente du stock d'or du FMI, on est tout à fait prêt bien sûr. Il ne faut pas que les pays pauvres qui souffraient avant la crise, se noient complètement pendant la crise, donc il faut les aider.
Si la crise s'aggrave, est-ce qu'on doit faire davantage ? Mais c'est ce qu'on n'a cessé de faire. Simplement, nous ne désignons personne comme responsable de la crise, mais nous disons que c'est une opportunité historique de construire un monde nouveau. Le mot « historique », c'est Angela MERKEL qui l'a employé et cette opportunité de construire un monde nouveau, nous ne voulons pas la laisser passer. Nous sommes au XXIe siècle, il est temps de poser les bases de la régulation du XXIe siècle. Ce n'est pas une question de caprice, ce n'est pas une question d'ego, c'est une question de résultat.
On nous attend au rendez-vous, est-ce qu'on sera à la hauteur du rendez-vous ou pas ? Naturellement, il faut faire des compromis, toujours, surtout quand on est vingt. Et en Europe, nous, on a bien l'habitude des compromis, c'est bien pour cela qu'on a construit l'Union européenne. Mais le compromis, il doit être de toutes les parties du monde. Surtout que la crise n'est pas spontanément née en Europe, franchement.
QUESTION - Madame la Chancelière, Monsieur le Président, qui visez-vous exactement quand vous dites que quelqu'un n'est pas au rendez-vous de l'histoire ? Est-ce que nous nous trompons en pensant qu'au cours des derniers jours, la résistance du Président américain a augmenté à l'égard des questions de la régulation ?
MME MERKEL - Non, pas vraiment, je ne crois pas. On vient de le dire, tout est encore en plein mouvement, il y a plusieurs textes et je crois qu'il y a encore beaucoup de possibilités de faire des progrès, on va aller de l'avant. Et même aux Etats-Unis, on parle maintenant beaucoup de régulation, le Ministre des Finances américain a fait des propositions dans ce sens.
Et je crois que l'heure est venue de faire du travail de fond, parce que ce qui ne sera pas décidé aujourd'hui et demain ne le sera pas dans les cinq ans à venir. Les normes minima qui n'auront pas été fixées d'ici demain ne le seront pas après-demain. On ne peut pas non plus dire on fera ce qu'on n'a pas fait cette fois-ci lors d'un troisième sommet.
Donc, nous jetons vraiment les bases de cette nouvelle architecture financière mondiale. Il faut que ce soient des bases solides. C'est la raison pour laquelle nous sommes très fermes et durs sur les détails, parce qu'on ne peut pas se permettre de rester vagues. Je crois que les chances sont tout à fait réelles d'obtenir satisfaction.
LE PRESIDENT - L'élection de Barack OBAMA a suscité un énorme espoir dans le monde et en Europe. Et vous savez la décision que le Gouvernement français a prise de réintégrer le commandement de l'OTAN, c'était une marque, d'abord, d'attachement à l'axe franco-allemand, à l'Europe et au lien transatlantique. Monsieur OBAMA a été élu sur l'idée du changement, « we can ». Et la tribune qu'il a publié en Allemagne comme en France, dans le monde entier, elle est excellente. Moi, j'ai confiance en Monsieur OBAMA, mais il faut sans doute, aux Etats-Unis comme en Europe, que l'administration suive ce que dit le leader. C'est Monsieur OBAMA qui parle dans sa tribune très bien des paradis fiscaux, de ce qu'il faut en faire. Je suis sûr qu'il va nous aider et je suis sûr qu'il le comprend.
Nous avons confiance, mais c'est aujourd'hui et demain, Angela l'a dit, après-demain trop tard. Les décisions on les prend aujourd'hui et demain. Il ne s'agit plus de faire des discours pour nous tous, nous les premiers, il s'agit de prendre nos responsabilités, c'est ce qu'on essaye de faire.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit à plusieurs reprises que vous n'accepteriez pas de compromis mou et que si c'était le cas, vous préféreriez même quitter. Est-ce que vous maintenez cette menace-là et quels sont les points sur lesquels vous ne transigerez pas ?
LE PRESIDENT - Je viens de le dire. Ecoutez d'abord, cela est embêtant pour moi de partir alors que je viens d'arriver. Deux, Angela MERKEL et moi, nous sommes exactement sur la même ligne, mais on ne veut pas gagner pour nous, nous pensons que nos positions sont les positions de bon sens et nous voyons que cela progresse. Simplement nous avons voulu tous les deux signifier que c'était historique et que devant l'histoire on ne peut pas biaiser. Et quant au point, c'est ce qu'a indiqué Madame MERKEL, je me suis contenté de reprendre ce qu'elle a dit, nous partageons les même convictions. Vous jugerez demain de ce qu'il en est du résultat, de ce qui n'est pas un combat, de ce qui est une discussion franche.