13 février 2008 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Interview de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, à France 2 le 13 février 2008, sur la lutte contre la maladie d'Alzheimer.

JEAN-LUC DELARUE - Monsieur le Président, bonsoir et merci de nous recevoir pour répondre à nos questions sur Alzheimer, tout autour de la maladie. Merci de répondre aux questions que se posent les gens qui sont sur le plateau ce soir mais aussi toutes les personnes qui sont devant leur écran avec beaucoup d'attente et beau coup d'espoir.
Donc le Plan Alzheimer qui est un combat lancé à grande échelle est pour vous un engagement personnel, comme vous l'avez dit £ la grande priorité en matière de question de santé.
Alors pourquoi, comment, quand vous avez pris une telle décision ? Est-ce que c'est à la suite d'une réflexion personnelle ? Est-ce que c'est à la suite de rencontres ?
LE PRESIDENT - On a presque un million de nos compatriotes qui sont aujourd'hui frappés par Alzheimer. Et on en a entre 225 et 250 mille de plus chaque année. C'est un défi considérable. Si le Président de la République ne s'engage pas dans cette bataille là, on ne réussira pas. Pourquoi ? D'abord parce que l'impulsion doit venir du plus haut niveau de l'Etat, et deuxièmement parce qu'on a besoin de coordonner. Parce que le premier problème d'Alzheimer, c'est que quand quelqu'un se trouve touché, les interlocuteurs sont multiples. Il est perdu par l'annonce de la maladie, et il est perdu parce qu'il ne sait pas quoi faire. Ni pour lui, ni pour ses proches. J'ajoute que c'est une maladie dont on sait très peu de choses. Je me suis entouré des meilleurs conseils et du Professeur Ménard.
Vous-même, vous avez diffusé un certain nombre de reportages très bouleversants, je pense à cette jeune malade d'Alzheimer, je crois Fabienne, et je voudrais lui dire à elle et à sa fille que l'on va mettre le paquet en matière de recherche médicale. Il faut que l'on trouve pourquoi cette maladie et ce qu'est cette maladie.
JEAN-LUC DELARUE - Là sur ce sujet on part de loin. Aujourd'hui c'est quand même le grand mystère sur Alzheimer. Il y a eu des essais sur les vaccins thérapeutiques, qui ont été des impasses. Donc est-ce que l'on peut espérer sur un plan à cinq ans comme celui-ci qui est extrêmement ambitieux, avec des moyens sans précédent, avec trois ministères qui sont lancés dans le combat changer les mentalités ? Changer le regard sur les personnes qui sont touchées ? Aider les aidants ?
LE PRESIDENT - Non mais déjà on va mettre tous les chercheurs ensembles. On va adosser sur l'Inserm une fondation. Il faut que l'on trouve. Il faut que l'on comprenne. On met deux cents millions d'euros uniquement sur la recherche pour commencer sur un plan d'un milliard six cent mille euros. Les meilleurs chercheurs, on va tous les mobiliser et le 1er juillet je serai Président de l'Union européenne, cette année, et je vais demander que le combat contre Alzheimer soit un combat européen. Il faut que tous les chercheurs, de partout, en Europe et dans le Monde échangent des informations et que l'on trouve des solutions. C'est un élément, pour moi, majeur. Le XXe siècle a fait beaucoup de progrès sur les maladies cardiovasculaires. Il faut que le XXIe siècle fasse des progrès sur les maladies neurovégétatives.
JEAN-LUC DELARUE - Oui, parce que la France est plutôt bien placée en matière de recherche. On est 6e au niveau mondial, mais simplement 11e en ce qui concerne la maladie d'Alzheimer c'est...
LE PRESIDENT - Ecoutez, j'ai décidé que l'on « mettrait le paquet » si vous me permettez cette expression, on va le mettre. Et c'est toute la difficulté du plan Alzheimer, c'est qu'il faut aboutir et agir partout à la fois. Je prends juste un exemple : je veux que l'on annonce la maladie selon un protocole bien défini. Cela ne doit pas être un coup de feu en pleine tête. Vous imaginez, 46 ans et on vous annonce que vous avez Alzheimer. Qu'est ce que cela veut dire ? Qu'est ce qu'il va m'arriver ? C'est épouvantable. On doit accompagner l'annonce de la maladie.
Ensuite je souhaite qu'il y ait des consultations, parce que plus on fait de diagnostic précoce, plus on a de chance d'arrêter la maladie dans des limites acceptables. L'autre jour à Nice j'ai vu des malades à des stades divers. C'est une maladie épouvantable, on est étranger à soi-même. On ne reconnaît plus les siens. Pour la famille c'est abominable, ce qui arrive. Car on a le sentiment que le malade perd sa dignité. Je souhaite qu'il y ait un coordonnateur, qui permette à chacun, touché par cette maladie, ou à sa famille de trouver la réponse. Médicale, sociale. Je souhaite que l'on puisse choisir entre rester à son domicile ou être dans une maison spécialisée.
JEAN-LUC DELARUE - Je crois que c'est une question importante Monsieur le Président. Justement de qui va choisir ? En préparant cette émission, plus je me rapprochais du tournage de cette émission, plus j'avais le sentiment que jusqu'au bout, les malades d'Alzheimer étaient conscients de ce qui se passait autour d'eux. Plus exactement tout à fait la même personne évidemment parce que quand on efface les souvenirs, on n'a pas exactement la même identité mais néanmoins conscients. Pleins d'humanité, plein de ressentis, certes la capacité de raisonnement est altérée, mais le coeur reste extrêmement sensible. Alors, à partir de quel moment c'est la famille qui doit décider, garder ou placer. Et jusqu'à quel moment on peut laisser le malade choisir.
LE PRESIDENT - Moi, je crois qu'il n'y a pas de réponse automatique parce que d'abord, c'est une maladie qui est multiple, qui a des niveaux multiples, qui ne frappe pas de la même façon, qui ne doit pas être appréhendée de la même façon selon qu'on attrape cette maladie ou qu'elle se révèle à 82 ans et à 46 ans. Je ne dis pas que c'est moins douloureux à 82 ans, mais je pense qu'il faut que nous créons dans ce triangle magique, le malade - qui doit être prioritaire car ce n'est pas parce que l'on est malade que l'on doit perdre sa dignité - la famille qui a un rôle considérable à jouer, et le médecin traitant. C'est dans ce triangle magique là que la décision doit être prise. Alors moi, je ne sais pas, en fonction de l'évolution de la maladie si c'est le malade qui doit primer, si c'est la famille ou si c'est le médecin traitant. Je pense qu'il faut mettre du pragmatisme, de la cohérence et un travail d'équipe. C'est toute la difficulté de cette maladie et sans doute quelque chose qui est spécifique à cette maladie, c'est qu'elle implique les familles et les use, elle les bouffe de l'intérieur. Parce que quand on a une personne que l'on aime qui devient étrangère à elle-même, qui tout d'un coup rit aux éclats, ou pleure ou tremble, ou vous pose pour la 18e fois la même question, disparaît dans la nature. C'est un élément de stresse, la vie des gens n'est pas facile, il y a le boulot, la vie de la famille, les soucis, et il y a en plus cette personne qu'il faut porter. Donc pour nous, le plan Alzheimer, qui doit beaucoup au Professeur MENARD, pour nous, ce que l'on a voulu faire, c'est répondre à toutes les questions posées, mais avec pragmatisme. Il n'y a pas une seule réponse.
JEAN-LUC DELARUE - C'est-à-dire que ce sera plus simple pour les familles ? Il y aura un seul interlocuteur, un seul guichet d'entrée ? Un numéro de téléphone ?
LE PRESIDENT - Il y aura un seul numéro de téléphone, il y aura un seul interlocuteur, il y aura un coordinateur, il y aura davantage de places en maison, davantage de places de jour. Mettez-vous à la place d'une fille qui veut accompagner sa mère, elle a son travail, elle a son salaire, elle peut s'en occuper le soir venu déjà, c'est un engagement total, mais dans la journée, il faut qu'elle puisse travailler, qu'elle puisse s'occuper de ses enfants, il faut qu'elle puisse vivre.
JEAN-LUC DELARUE - Là, je reçois une femme d'une cinquantaine d'année qui vit avec sa maman qui a 82 ans, qui vivent au 7e étage d'un immeuble avec ascenseur, mais l'ascenseur ne fonctionne pas. Cette femme travaille, elle touche une petite pension aussi pour aider sa maman. Quand tout a été dépensé, le salaire, l'aide ménagère, le loyer, il leur reste à peu près une centaine d'euros par mois. Donc c'est vrai que pour ces familles précaires c'est encore plus difficile de vivre et d'affronter la maladie. Est-ce que financièrement, l'on va réussir à pouvoir aider les familles ?
LE PRESIDENT - Oui, l'on va doper le nombre d'aidants à domicile. Parce que la solution, ça ne peut pas être de mettre tout le monde dans des maisons spécialisées. Donc l'on va doper le nombre d'aidants, on va les prendre en charge, on donnera une réponse personnalisée à chacun. Vous savez, j'ai du prendre une décision difficile, car c'est assez facile de venir à la télévision et dire, voilà, on a débloqué 1,6 milliards d'euros. Mais c'est plus difficile de les trouver. C'est pour cela que j'ai voulu les franchises. A tous ceux qui me disent, il faut plus d'argent pour Alzheimer. Ils le trouvent où ? Il y a un déficit de 6 à 7 milliards de l'assurance-maladie. Je n'ai pas le droit de creuser les déficits. Et j'ai voulu trouver cet argent pour la maladie d'Alzheimer et pour un autre chantier qui me tient très à coeur, qui est celui des soins palliatifs. Enfin, écoutez, les gens ont droit de mourir dans la dignité, quand on est à bout, quand il n'y a plus de solution, on doit être accompagné, on doit tenir la main à quelqu'un. On ne peut pas rester seul chez soi comme une bête, et encore, les animaux de compagnie sont des êtres humains, vivants qui doivent être respectés.
Et, partant, les besoins sont immenses. Mais j'ai voulu prendre la mesure du défi sanitaire, sans précédent, que représente la maladie d'Alzheimer. Et c'est, là aussi ma présence ici, je fais toute confiance au Ministre de la santé Roselyne BACHELOT, mais ce n'est pas simplement une question de ministre de la santé. C'est une question de nation toute entière. Cette maladie là, elle peut arriver à tout le monde. Elle peut frapper chaque famille et ceux qui se trouvent face à cette maladie, ils ne doivent pas se sentir seuls. C'est le devoir de la nation et si le mot solidarité à un sens, c'est aussi pour Alzheimer.
JEAN-LUC DELARUE - Oui, cela veut dire aussi changer le regard sur les personnes les plus fragiles de notre pays, changer le regard peut-être sur les personnes âgées en général, celles qui ne sont plus directement productives, mais qui font partie de notre vie aussi. Je crois que c'est un point important. Je voudrais pour conclure, Monsieur le Président, que l'on revienne sur l'histoire de Fabienne, de sa famille et en particulier de sa fille Harmonie qui a 16 ans. Fabienne qui a 46 ans et qui a appris, il y a deux ans, qu'elle avait la maladie d'Alzheimer. Sa fille qui a 16 ans et qui a toute difficulté à l'accepter, vous pouvez le comprendre. Les malades jeunes, c'est quelque chose de particulier qui apparaît dans le plan. Il y a 10 000 personnes a peu près, entre 30 et 60 ans, pour l'instant, puisque c'est une maladie sous-diagnostiquée. Cela pourrait être vous, cela pourrait être moi. 10 000 personnes pas an, ce n'est pas rien. Pour ces malades jeunes en général, pour Fabienne et Harmonie qui sont sur le plateau, qu'avez-vous à leur dire ?
LE PRESIDENT - Je veux leur dire, d'abord la recherche. Parce que la différence entre quelqu'un de jeune et quelqu'un qui l'est moins, c'est que quelqu'un de jeune il doit pouvoir avoir l'expérience de vivre et que l'on trouve. Je veux dire à Harmonie, que l'on prend un engagement devant elle et tous ceux qui sont dans cette situation là. On va trouver. On ne peut pas ne pas trouver. On ne sait rien, on va se donner les moyens de trouver et de trouver vite pour guérir les gens comme sa mère. La deuxième chose c'est que dans le plan, nous imaginons un accompagnement, un traitement et un suivi différencié pour les malades jeunes, parce que cette femme de 46 ans, il faut qu'elle continue à vivre. Il ne s'agit pas simplement de l'emmener faire du dessin ou de la poterie ou de la mettre devant une carte géographique pour lui apprendre à se souvenir où se trouve l'Europe et où se trouve l'Asie. Cela ne peut pas être la même réponse. J'ajoute que pour sa fille, il faut qu'on l'aide, il faut l'aide d'un accompagnant, il faut qu'il y ait des médecins. Il faut qu'à chaque instant, on explique ce qu'il se passe, comment on va ralentir la maladie. Mon objectif, c'est qu'on arrive à ralentir la maladie et puis que l'on arrive à la guérir. On a les meilleurs scientifiques, on a les meilleurs médecins, on a mis tout le monde sur le pont, on va trouver, il n'y a pas d'autre solution. Et pour un malade de 46 ans, il faut garder l'espoir, l'espoir dans quoi ? Dans la recherche. Vous savez, j'ai rencontré beaucoup de médecin, le Professeur DUBOIS et tant d'autres et je me disais, quand même, ils sont admirables ces gens, ils se mettent sur cette maladie dont on croyait au début que c'était la maladie des vieux. Et j'aimerais tellement que nos compatriotes, quand ils voient quelqu'un de frappé, ils se disent, « cela pourrait être moi » et derrière ce « moi » c'est une personne humaine, qui a besoin qu'on lui tende la main et qu'on respecte sa dignité.
J'ai été heureux de pouvoir être votre invité pour porter ce témoignage.
JEAN-LUC DELARUE - Merci Monsieur le Président.LE PRESIDENT - Merci.