22 octobre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans le quotidien marocain "Le Matin du Sahara" du 22 octobre 2007, notamment sur les relations franco-marocaines et sur la politique d'immigration.

Q - Monsieur le Président de la République, merci infiniment d'accorder au "Matin" cette interview. Pourriez-vous nous situer globalement le cadre de votre prochaine visite au Maroc ? Est-elle limitée aux sujets bilatéraux, pour une relation considérée de part et d'autre comme exceptionnelle, ou sera-t-elle aussi consacrée à d'autres thèmes ? A des questions régionales et internationales, par exemple ?
R - Vous avez raison : le lien qui unit la France au Maroc a quelque chose d'exceptionnel, quand on regarde tout ce que nous avons bâti ensemble. Sa Majesté Mohamed VI me fait l'amitié de m'inviter en visite d'Etat alors même qu'il vient juste de former son gouvernement et d'ouvrir la législature d'un nouveau parlement. Et je suis heureux d'effectuer au Maroc, pays que je connais bien, ma première visite d'Etat depuis mon élection.
La première chose que je lui dirai, c'est que je souhaite que cette amitié franco-marocaine, dont j'avais constaté la force quand j'étais ministre de l'intérieur, soit le ciment d'une relation toujours plus intense et diversifiée entre nos deux pays et entre nos deux peuples. Ces réformes ambitieuses que le Souverain a lancées dans des domaines essentiels pour la modernisation du Maroc, la France est déterminée à les soutenir. J'aurai l'honneur d'être accueilli lundi par Sa Majesté à Marrakech. Nous aurons un premier entretien où nous aborderons vraisemblablement toutes les grandes questions politiques du moment, puis nous présiderons à la signature d'une dizaine de grandes conventions dans les domaines les plus variés. Cela démontrera d'emblée l'étendue de notre partenariat.
Je me rendrai le lendemain à Rabat, où je serai accueilli par les présidents des deux chambres pour m'exprimer devant les parlementaires réunis, ce qui est également un grand honneur pour moi. Je souhaite rendre hommage à cette démocratie marocaine qui avance et je saisirai l'occasion qui m'est offerte pour m'exprimer sur notre partenariat.
De là, je me rendrai à Tanger où je visiterai le port de Tanger Med, qui témoigne de façon éclatante des réussites de ce partenariat, et j'aurai l'occasion de prononcer un discours sur ce projet d'Union méditerranéenne que j'ai à coeur et que le Maroc m'a fait l'amitié d'accueillir de façon très positive.
Mercredi, de retour à Marrakech, j'achèverai ma visite par un échange avec des chefs d'entreprises français et marocains sur la meilleure manière de renforcer nos relations économiques. Je verrai Sa Majesté à chacune des journées de ma visite. Donc vous le voyez, ce sera une visite riche, intense, où nous discuterons de tout ce qui nous tient à coeur et où nous prendrons aussi un certain nombre d'engagements assez importants pour l'avenir.
Q - Lors de votre campagne électorale, et aussitôt après votre élection à la présidence de la République, vous avez lancé le projet ambitieux de construction de l'Union de la Méditerranée auquel Sa Majesté le Roi Mohammed VI adhère. Peut-on savoir ce qu'il est devenu six mois après ? Quelle est réellement sa vocation ?
R - L'Union de la Méditerranée est un projet que je porte et auquel de nombreux pays, dont le Maroc, ont bien voulu apporter leur soutien. Je suis d'ailleurs très heureux que les pays de la rive Sud de la Méditerranée contribuent à la réflexion qui se poursuit sur ce projet. Dans mon esprit, l'Union de la Méditerranée a vocation à réunir les pays riverains autour de projets concrets, car la Méditerranée est notre patrimoine commun. Son avenir se joue autour de quelques domaines clés dans lesquels nous avons le devoir de progresser ensemble : je pense au développement économique, à l'environnement, au dialogue des cultures ou à la sécurité. C'est à travers ces solidarités concrètes que se fortifiera notre conscience méditerranéenne, que nous construirons ensemble la paix, la sécurité et le développement en Méditerranée. La réflexion a beaucoup progressé depuis six mois.
J'ai été très heureux de recevoir parmi les premiers le soutien de Sa Majesté à l'Union de la Méditerranée et j'écouterai avec intérêt ses suggestions dès aujourd'hui. Le Maroc est aux yeux de tous l'exemple d'un pays qui a su ancrer une relation forte avec l'Europe et sa participation à l'Union de la Méditerranée n'en aura que plus de poids.
Q - L'immigration est un thème récurrent certes, mais elle est désormais replacée dans un nouveau contexte réglementaire et politique, notamment après l'adoption des amendements sur les tests volontaires de l'ADN contre lesquels se dresse une partie de la classe politique et de la société civile. Cette nouvelle réglementation vise-t-elle pour l'essentiel les populations d'Afrique et du Maghreb comme certains le soutiennent ? Quel est fondamentalement son objectif ?
R - L'immigration est un enjeu majeur pour la France et la situation actuelle n'est pas satisfaisante : les migrations légales se font peu et mal, la circulation normale des personnes se heurte à de plus en plus d'obstacles et, dans le même temps, l'immigration clandestine perdure. Parce que certains ne veulent pas respecter les règles, parce que des trafiquants d'êtres humains, qui sont de véritables criminels, s'enrichissent de manière scandaleuse sur le dos de misérables qui, trop souvent, meurent avant même d'avoir rejoint les rives de l'Europe, les étrangers qui feraient, eux, le projet de venir en France de façon légale, pour une courte période ou de manière plus durable, sont littéralement pris en otage.
J'ai ainsi souhaité que les migrants appelés à s'installer durablement en France puissent être choisis en tenant compte des capacités d'accueil de notre pays et des besoins de notre économie. Et ces besoins existent : ainsi, alors que la France a besoin de professionnels, dans des domaines comme le bâtiment, l'hôtellerie ou l'informatique, seuls 11.000 étrangers ont été accueillis en France en 2006 pour des motifs professionnels. Notre volonté est de faire passer l'immigration professionnelle de 7 % à 50 % des personnes qui s'installent durablement en France.
Dans cette optique, le projet de loi dont vous parlez a pour objectif de s'assurer que le droit à une vie familiale normale s'applique dans le respect des capacités d'accueil et d'intégration de la France. Ce projet de loi prévoit que le regroupement familial sera lié au degré de connaissance de la langue française et des valeurs de la République, ainsi qu'à des conditions de ressources. Parce qu'il vaut mieux se poser la question de l'intégration des candidats à l'immigration le plus tôt possible et ne pas attendre que des problèmes se posent. Demander aux candidats au regroupement familial de se mettre en situation de bien s'intégrer dans notre pays, c'est leur donner toutes les chances pour y réussir.
Parlons maintenant des tests ADN qui, je sais, ont fait l'objet de critiques dans votre pays comme aussi, vous le savez, de certains en France. L'introduction de ces tests dans le projet de loi est une initiative parlementaire. Je la respecte, et je la respecte d'autant plus qu'elle a été débattue en détail par les deux assemblées et qu'elle a été adoptée. On a dit beaucoup de choses fausses sur cet amendement. De quoi s'agit-il vraiment ? Il s'agit de permettre aux personnes qui le demandent, aux personnes qui sont volontaires, de prouver leur filiation et de ne risquer à aucun moment d'être confrontées à une accusation ou à un soupçon de fraude. Or on le sait, la fraude documentaire existe dans certains pays. Et les tests ADN sont utilisés dans nombre de pays européens.
Q- Le problème du Sahara bloque et menace même l'édification du Maghreb, un des pivots de la construction de l'ensemble méditerranéen que vous voulez construire. Quelle politique la France, dont le soutien pour une solution négociée aux Nations unies a été précieux, adopte-t-elle aujourd'hui à l'égard de ce problème ? Et quel rôle pourrait-elle ou devrait-elle jouer pour activer un processus de normalisation et d'édification régionale ?
R- Sur le dossier du Sahara, la France se félicite que les parties au conflit aient commencé à discuter sur la base de la résolution 1754 du Conseil de sécurité. Après la première rencontre de négociations à Manhasset, la France souhaite qu'un véritable dialogue s'engage sur le fond.
Quel peut être le contour d'un règlement politique de la question du Sahara ? La résolution 1754 cite le plan d'autonomie présenté par le Maroc et le qualifie de crédible et de constructif. C'est aussi le point de vue de la France. Pour nous, le règlement politique de la question du Sahara est une nécessité qui n'a que trop attendu : l'enjeu est de redonner une perspective à des populations qui en sont privées, de prévenir la multiplication des trafics en tous genres, qui fragilisent la région et qui ciblent l'Europe et de lutter contre le risque terroriste, qu'il ne faut ni surestimer, ni écarter. Au-delà, le bénéfice à attendre d'un règlement, c'est la relance de la construction de l'Union du Maghreb arabe et de véritables progrès vers une intégration régionale qui se fera au bénéfice de tous.
Q - Les relations franco-marocaines sont de l'avis de tous excellentes. La coopération économique, financière et commerciale est exemplaire. Une communauté française de plus en plus nombreuse est implantée au Maroc. Que représente le Maroc pour la nouvelle France que vous dirigez ?
R - Le Maroc représente pour la France un partenaire de premier plan. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : premier investisseur, avec 60 % des investissements étrangers depuis 2000, la France a confiance dans l'avenir du Maroc. 500 filiales d'entreprises françaises implantées dans le pays, où elles emploient au total 180.000 personnes, participent à sa croissance et témoignent de son attractivité. Je serai accompagné durant ma visite de nombreux entrepreneurs français.
J'irai visiter le site de Tanger Med, où de grandes entreprises françaises ont choisi d'investir, je pense à l'alliance Renault-Nissan dont le projet est emblématique des engagements que prennent nos opérateurs au Maroc.
Je verrai aussi à Rabat les travaux d'aménagement du Bouregreg, où nos entreprises ont des projets. Tout cela, c'est pour la France le signe d'un Maroc qui bouge, d'un Maroc que la France continuera de soutenir.La France au Maroc, c'est une aide au développement de 200 millions d'euros par an, une communauté de plus de 32.000 concitoyens immatriculés, trente écoles qui scolarisent 27.000 élèves. Vous avez d'un côté d'immenses chantiers de réformes que le Souverain a lancés et de l'autre côté une présence française importante : l'équation est simple. Ma décision, c'est de mettre toutes nos forces au service du développement marocain.