4 octobre 2007 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, notamment sur les relations franco-bulgares, la construction européenne, la Turquie et l'Europe et sur les relations internationales, à Sofia le 4 octobre 2007.
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais vous parler très franchement. Si vous me le permettez, je ne vais pas lire le discours qui m'a été préparé. N'applaudissez pas déjà, il était sans doute meilleur que ce que je vais vous dire. Mais ce que je vais dire, je vais vous le dire avec le coeur et, je l'espère, avec l'intelligence.
Vous êtes des jeunes Bulgares, vous êtes les citoyens d'un vrai pays, d'un vieux pays, d'un pays qui a une identité et une histoire. Etre en Europe ne signifie pas de renier son pays. L'Europe se construit sur des pays à l'identité forte. Aimer la Bulgarie et vouloir l'Europe, c'est parfaitement compatible. Personne ne doit renier son identité pour adhérer à l'Union européenne. Vous êtes les citoyens d'un pays dont l'histoire ne lui a fait aucun cadeau. Elle est longue, l'histoire de la Bulgarie, elle est lourde, l'histoire de la Bulgarie. Vous avez eu cinq siècles de domination ottomane. Je ne dis pas cela pour rappeler des mauvais souvenirs, je dis cela parce que la Bulgarie, l'âme bulgare ont su résister à cinq siècles d'occupation. Vous avez eu des dirigeants dans votre histoire, notamment dans l'histoire du vingtième siècle, qui n'ont pas pris les bonnes décisions au bon moment. Et vous vous êtes retrouvés à côté de ceux qui avaient perdu. Le peuple bulgare a été victime de ces mauvaises décisions.
Mais même dans ces heures sombres, le seul pays où la communauté juive a pu vivre sans être persécutée, c'est la Bulgarie. Cela fait partie de votre histoire. Et puis, vous avez connu cinquante ans d'occupation soviétique. Cinquante années où l'âme bulgare fut niée. Et je veux vous dire une chose : quand je rencontre des Européens de l'Est, je me demande parfois ce qu'ils doivent penser de nous, les Européens de l'Ouest, qui les avons laissés pendant cinquante ans de l'autre côté du mur ? Je veux dire du mauvais côté.
Dans mon pays, il y avait des gens qui trouvaient que cela était normal. Que la liberté, c'était pour l'Ouest et que la dictature, c'était pour l'Est. Comme si un Européen de l'Est ne valait pas un Européen de l'Ouest. Pour moi, tous les Européens ont le droit à la liberté. Yalta fut une erreur dramatique que vous avez payée d'abord, pas nous, c'est vous qui l'avez payée. Et ces cinquante années de l'autre côté, vous en êtes sortis seuls. Quand je dis seuls, c'est dans les tréfonds d'une société martyrisée que se sont trouvés dans les pays de l'Est qui nous ont rejoints, des femmes et des hommes qui ont eu le courage de dire non. On n'accepte pas cette fatalité. La liberté, l'identité, nous aussi, nous y avons droit. Il n'y a aucune raison pour que nous y renoncions. Il y a eu des grands hommes en Bulgarie, avec des martyrs, et des grands hommes dans l'Europe de l'Est. Je sais bien que je suis dans un pays à tradition orthodoxe mais je veux quand même dire que Jean-Paul II a compté dans la libération de cette Europe de l'Est. Il a eu le courage de se révolter. Que Lech Walesa et d'autres, ont porté ce message. Vous vous êtes libérés de vos chaînes et il était tout à fait naturel que l'Europe se réconcilie et vous fasse toute votre place. Il eût été invraisemblable qu'il soit donc plus facile de se libérer des chaînes du marxisme que de rentrer dans le camp de la liberté.
Ne pas vous accueillir aurait été une honte pour l'Europe. D'ailleurs, le mot "accueillir" n'est pas le bon mot. On accueille un étranger, vous n'êtes pas étranger à l'Europe puisque vous êtes des Européens, ni plus, ni moins que les Français. La France a été à l'origine de la construction européenne. Mais parce que la France était libre ! Vous n'avez pas été à l'origine de la construction européenne parce que vous étiez occupés, occupés sur votre territoire, occupés dans vos têtes par une idéologie qui ne voulait pas que vous réfléchissiez et que vous pensiez. La famille s'est donc reconstituée.
L'Europe est unie et, Monsieur le Président de la République bulgare, d'autres encore doivent nous rejoindre. Mais la question aujourd'hui, est : qu'allons nous faire ensemble de cette Europe ? Nous étions divisés et nous voilà rassemblés. Et maintenant ? Quel est l'avenir pour l'Europe ? Je suis venu vous dire, du fond de mes convictions, que vous devez occuper toute votre place en Europe. Que vous devez prendre la parole, que vous devez donner votre vision de l'avenir européen. Vous n'avez pas à vous excuser d'être les derniers arrivés parce que, pour arriver, il a fallu vous libérer. Et cela prend du temps. Vous devez porter un regard sur cette construction politique que nous sommes en train de faire. Vous aspirez plus que nos peuples au bonheur, à la croissance, à la prospérité, à l'éducation. Parce que vous avez été privés, des générations et des générations, de la croissance, du bonheur. Apportez-nous cette force, cette espérance, ce dynamisme des peuples qui ont faim de vivre. Alors que tant en Europe ne mesurent plus le prix de la liberté tant ils pensent que la liberté est un droit. La liberté n'est pas un droit, elle se mérite. Vous l'avez méritée ! Maintenant, définissez le projet que vous souhaitez être le nôtre. Et l'Europe a besoin de la jeunesse bulgare. Et l'Europe a besoin de la jeunesse hongroise. L'Europe a besoin de la jeunesse tchèque. Que vous-même, vous puissiez rassembler dans cette université, plusieurs centaines d'étudiants qui ont envie de vivre, qui sont francophones, après tout ce que vous avez connu pendant le vingtième siècle. C'est dire que l'âme bulgare n'est pas prête de mourir si vous avez su résister à cela.
J'ajoute, Mes Chers Amis, si vous me le permettez, qu'il faut maintenant donner une âme à l'Europe et la France veut, avec vous, lui donner cette âme. Faisons ensemble de l'environnement un enjeu européen et demandons, tous ensemble, Européens convaincus, au monde d'arrêter de sacrifier l'avenir de la planète. Faisons de l'Europe l'endroit du monde, où l'on respecte le mieux les règles environnementales. Où l'on pense à l'avenir et où l'on n'arrête pas de sacrifier la nature au profit d'autres enjeux. Saisissez-vous de l'enjeu environnemental pour en faire un grand enjeu européen. Parlez aussi de votre idée de la liberté. L'Europe a des valeurs universelles à porter et l'Europe ne peut pas accepter, nulle part dans le monde, que les Droits de l'Homme soient bafoués. L'Europe et les jeunes Bulgares sont européens. Elle doit protester quand on assassine des religieux ou des manifestants pacifiques en Birmanie, parce que ce qui se passe en Birmanie est également le problème de l'Europe. Parce que chaque fois que quelqu'un est opprimé, l'Europe doit se manifester et la jeunesse d'Europe doit dire qu'elle n'accepte pas qu'on bafoue les Droits de l'Homme partout sur la planète. Je veux d'ailleurs, de ce point de vue, vous dire une chose.
Le président de la République m'avait demandé de l'aider dans cette si tragique affaire des infirmières bulgares. Je veux m'en expliquer devant vous. Il ne s'agissait pas de sauver des infirmières parce qu'elles étaient bulgares. Depuis huit ans et demi, ces femmes étaient prisonnières et subissaient un sort injuste et cruel. Ces femmes-là, je l'ai dit pendant la campagne électorale française, elles sont aussi françaises que bulgares. Parce que chaque fois que quelqu'un est persécuté, la France doit se porter à ses côtés. Mais ces femmes-là, elles sont bulgares, donc européennes. Ce n'était pas la seule question de la Bulgarie, c'était la question de toute l'Europe, mobilisée pour faire arrêter un scandale que des femmes innocentes subissaient ce qu'elles ont subi pendant huit ans. Et la Bulgarie doit comprendre que, parce qu'elle est en Europe, elle ne sera plus jamais seule. Le message européen est tout entier dans cet exemple-là. L'Europe ne présente pas que des avantages.
L'Europe, ce sont des concessions, l'Europe, ce sont des compromis, l'Europe, ce sont des longues nuits de négociations mais, avec l'Europe, chacun des vingt-sept pays peut savoir et se dire : "s'il m'arrive un problème, vingt-six autres sont avec moi". Cela s'appelle la solidarité européenne, vous devez bien penser à cela. Je souhaite également que nous définissions les conditions d'un échange de nos étudiants, d'un partage de nos cultures, d'une volonté commune de faire de cet espace européen de 450 millions d'êtres humains, un endroit où demain vous allez pouvoir étudier dans n'importe quelle autre de nos capitales.
Demain, des étudiants d'autres pays d'Europe viendront ici, à Sofia, pour étudier, pour parler et pour échanger. Soyez ambitieux pour l'Europe, ne vous laissez pas voler l'Europe. Et je voudrais vous dire autre chose en terminant : "engagez-vous dans le débat public. Engagez-vous dans la construction de l'Europe. Engagez-vous dans la modernisation de la Bulgarie, quel que soit le parti politique, la famille d'idées dans laquelle vous vous reconnaissez". Les grands peuples sont des peuples qui se considèrent comme acteurs de leur avenir et non pas spectateurs. Et le vrai citoyen, c'est celui qui a le courage de s'engager, de ne pas penser qu'à lui, de penser à son pays, à la société dans laquelle il vit, de donner un peu de son temps au service de cette démocratie bulgare que vous avez attendue, que vos parents ont attendue depuis si longtemps. La meilleure chose que l'on peut rendre à son pays, c'est de se passionner pour le débat public et de s'engager dans le débat public.
Je veux que vous compreniez une chose, je ne viens pas, président d'un grand pays, rendre visite au président d'un pays plus petit. Je viens comme président d'un pays souverain rendre visite à un président d'un pays souverain, à égalité de droits et de devoirs, pour qu'ensemble, nous construisions l'Europe de demain et pour que nous soyons à la hauteur de ce qu'ont fait nos pères fondateurs, ceux qui, il y a soixante ans, ont inventé l'Europe. Je ne veux pas d'une Europe qui ne parle que de sujets accessoires, qui se réunit dans des réunions interminables où l'on s'ennuie plus souvent qu'à son tour, où l'on parle de sujets tellement compliqués que personne n'y comprend rien. Je veux réintroduire de la politique au vrai sens du terme en Europe. Je veux redonner un sens à la construction européenne. Et je veux que, de nouveau, ensemble, nous portions des valeurs communes au service de ce projet européen.
Mesdames et Messieurs, Mes Chers Amis, vous l'avez compris, je veux vous dire du fond du coeur : "vive la Bulgarie, vive la France et vive l'Europe".
Et naturellement, si M. Le Recteur et M. le Président me le permettent et si vous avez des questions à me poser, j'essayerai d'y répondre bien volontiers.
Q - Bonjour Monsieur Sarkozy. Merci pour votre discours très intéressant et très enrichissant. Ma question est liée au fait que l'entrée de la Bulgarie dans l'Union européenne a permis aux pays francophones de devenir majoritaires au sein de l'Union. Donc, comment, à votre avis, peut-on promouvoir une plus grande utilisation de la langue française dans la communauté européenne ? Merci.
R - D'abord, je voudrais dire combien les Français ont été émus et bouleversés que la Bulgarie choisisse, dans le courant des années 90, d'adhérer à la Francophonie. C'est une preuve d'indépendance, c'est une forme de courage. Comme chacun le sait ici, je suis un ami des Américains. Mais j'ai dit aux Américains que ce n'était pas leur intérêt d'avoir un monde qui s'aplatit, un monde où il n'y aurait qu'une langue, une histoire, une culture.
Et qu'un pays comme la Bulgarie choisisse la Francophonie, veuille défendre le français, qu'un Bulgare sur dix parle français, cela crée une obligation à la France. Cette obligation à la France, c'est d'envoyer plus de coopérants, plus d'enseignants, c'est d'accueillir davantage d'étudiants qui veulent apprendre le français dans nos universités. Et c'est, si vous le voulez bien, Monsieur le Recteur, que le gouvernement français s'occupe d'avoir des accords avec vos universités et notamment la vôtre pour vous aider, par des moyens financiers, par des moyens humains, par des livres, par du matériel, à développer cette Francophonie.
Voyez-vous, Madame, je ne veux pas que la Francophonie soit simplement un symbole, je ne veux pas que l'amitié soit simplement un échange de discours. Je veux que cela se traduise concrètement. Vous êtes un pays francophone, cela nous oblige. Nos universités doivent être des partenaires des vôtres. Pour obtenir la possibilité d'étudier en France, cela doit être plus facile lorsque l'on vient d'un pays francophone comme la Bulgarie que quand on vient d'un autre pays. Et notre engagement - je ferai des propositions dans ce sens - au service de l'apprentissage du français doit être à la hauteur des ambitions et des aspirations du peuple bulgare. Vous nous avez choisis, vous nous avez fait confiance, nous ne vous décevrons pas et nous nous investirons massivement pour que les Bulgares continuent à aimer et à apprendre le français. Vous savez, c'est Victor Hugo qui disait : "on torture, on massacre en Europe". Il parlait de la Bulgarie, déjà au dix-neuvième siècle. Il ne connaissait pas aussi bien la Bulgarie que Lamartine mais il avait fait de l'oppression des Bulgares à l'époque, une cause qui était la sienne. Je veux parler du grand Victor Hugo. Il parlait déjà de l'Europe, il parlait déjà de la Bulgarie et vous savez, dans notre histoire nationale et dans notre culture, Victor Hugo compte. Et le grand Victor Hugo a parlé au nom de ceux qui étaient martyrisés en Bulgarie. Notre responsabilité est d'assurer le prolongement de cette histoire-là, qui nous lie intimement.
Q - Monsieur le Président, dans le cadre de votre campagne électorale, vous vous êtes engagé sur la position consistant à ne pas admettre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Peut-on s'attendre à vous voir changer de position et quels sont vos arguments contre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ?
R - 10 % des Bulgares seulement sont d'origine turque. Ils n'y sont pour rien. C'est une question très importante. Je m'en suis entretenu longuement avec le président bulgare. Cette question est la suivante : l'Europe doit-elle avoir des frontières ? L'Europe a-t-elle vocation à s'élargir à tous les pays qui la bordent ? Certains pensent que oui, d'autres, dont je suis, disent : "attention".
Je crois à l'Europe politique, à l'Europe intégrée, à l'Europe solidaire. Nous sommes vingt-sept et décider à vingt-sept est déjà un processus terrifiant. Si nous accueillons demain la Turquie, cela veut dire que nous accueillons demain l'Ukraine. Cela veut dire que nous accueillons, ce que je souhaite d'ailleurs, l'ensemble des pays des Balkans, qui sont européens. Qui pourrait m'en vouloir de souhaiter que soient accueillis en Europe d'abord les pays européens ? La Turquie est un grand pays, la Turquie est une grande civilisation. Il nous faut d'excellents rapports avec la Turquie, mais la Turquie est en Asie mineure. C'est la géographie, ce n'est pas autre chose. On parle de l'adhésion de la Turquie depuis 1963 et cela ne se fait pas. Pourquoi, si c'était si simple ? En 2025, la Turquie aura cent millions d'habitants et nous sommes quatre cent cinquante millions d'Européens.
La question, Mademoiselle, n'est pas une question anecdotique, il ne s'agit pas simplement de faire rentrer la Turquie, il s'agit de la faire rentrer comme le pays d'Europe le plus peuplé, avec le plus de droits de vote et avec le plus de députés. Savez-vous, Madame, que les derniers pays qui sont rentrés, représentaient quatre-vingt millions d'habitants.
Regardez le séisme que cela a provoqué sur l'organisation de l'Europe. Il s'agit de faire rentrer cent millions d'habitants. Cela mérite quand même que l'on y réfléchisse, qu'on en débatte et que l'on sache ce que l'on doit faire de l'Europe.
Je voudrais dire une deuxième chose et c'est pour cela que j'ai proposé un groupe d'une dizaine de sages qui réfléchit au rêve européen. La Bulgarie l'a accepté et je l'en remercie.
Que voulons-nous faire de l'Europe dans l'avenir ? Est-ce que, par exemple, tous les pays de la Méditerranée ont vocation à adhérer à l'Europe ? Si la Turquie y adhère, quels seront les arguments pour refuser l'Algérie, le Liban, Israël, le Maroc, la Tunisie ? Quels seront les arguments à opposer à la Biélorussie et à l'Ukraine ? A ce moment-là, cela ne sera plus l'Europe politique que nous voulons, solidaire, mais une sous-région de l'ONU, c'est ma première remarque.
J'ai rencontré la semaine dernière à New York, M. Erdogan. Je lui ai dit ma position, je lui ai dit également de se méfier des hypocrisies. Beaucoup de pays disent qu'ils sont pour l'entrée de la Turquie mais ils pensent exactement le contraire. Et puis, il y a une deuxième question qui se pose : comment aide-t-on la Turquie à aller vers la démocratie et la laïcité. Certains disent : "la meilleure façon de l'aider, c'est de l'intégrer à l'Europe". Moi je réponds : "attention, c'est un objectif parfaitement louable de vouloir stabiliser et démocratiser la Turquie, mais pas au prix de la déstabilisation de l'Europe, d'un projet politique cohérent en Europe". Troisième élément : ce qui ne va pas et ce que je demande que l'on fasse en Europe, c'est que l'on réfléchisse au statut des pays frontaliers de l'Europe.
Regardez Mademoiselle, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation très dangereuse. Soit on dit oui et, dans ce cas, on fait rentrer un nouveau pays de cent millions d'habitants. Ce n'est pas une petite décision. Soit on dit non et, dans ce cas, on humilie un pays de cent millions d'habitants.
Est-ce que l'on ne pourrait pas réfléchir à un statut de partenaire, avant l'adhésion ? Pourquoi nous mettre tous dans le tout ou rien ? Tout si vous être dans l'Europe, rien si vous n'y êtes pas. Est-ce que vous pensez que si la Turquie rentre, le problème kurde devient un problème européen ? Est-ce que vous pensez qu'à l'école les enfants bulgares apprendront donc que les frontières de l'Europe s'arrêtent provisoirement à l'Irak, à la Syrie ? Et que dire aux autres ? Et au moment où nous serons trente-cinq, quarante, cinquante en Europe, qui pourra me dire que l'Europe aura une identité politique ? Qui pourra me dire que l'Europe pourra prendre position à travers le monde ? Là où on met déjà quarante-huit heures pour prendre la plus petite décision, on se réunira une semaine à cinquante pour faire les plus petits compromis possibles ?
J'essaie donc de trouver une voie qui permette de ne pas humilier la Turquie, mais de ne pas déstabiliser l'Europe, d'associer la Turquie à l'Europe, sans la faire entrer dans l'Europe. Cette voie, je crois que c'est la voie du bon sens. Je dois dire d'ailleurs que l'on ferait bien de parler franchement avec nos amis turcs. C'est une grande nation, une grande civilisation, ils méritent qu'on leur tienne un discours de vérité. Je ne veux pas les exclure, bien au contraire. Nous en avons besoin. Mais je dis simplement que l'Europe est un projet pour les pays européens, que la réunification de toute l'Europe, avec notamment la question des Balkans n'est pas finie. Il me semble que ce serait très aventureux de faire adhérer la Turquie, sans que nous ayons réfléchi à ce que nous voulons faire de l'avenir de l'Europe.
Et je vais terminer par-là. Il faut que je puisse dire cela sans être accusé d'être contre les Turcs parce que sinon, en Europe, on va arriver dans un système où plus personne ne dira rien, où plus personne ne voudra rien, où plus personne ne se battra pour l'idéal européen. Après tout, nous avons fait ensemble ce que nous avons fait pour unifier notre continent. Avant de nous ouvrir à d'autres pays, d'autres régions du monde, me semble-t-il, terminons nos projets européens. Mais, dans le fond, est-ce que l'on doit se plaindre qu'aucun pays ne veuille sortir de l'Europe et que tous les autres veuillent y entrer ? Finalement, c'est peut-être cela la victoire de l'idéal européen.
Q - Tout d'abord, je vous remercie de la part de tous les collègues et de tout le peuple bulgare pour votre visite et votre discours. Ma question est la suivante : est-ce que vous avez une idée des grèves des enseignants bulgares dans les dix jours passés ? Vous avez pris une position positive face aux infirmières bulgares en Libye, est-ce que maintenant vous allez répondre à la demande des enseignants bulgares : "sauvez-nous"?
R - Honnêtement, c'est sympathique votre question mais j'ai déjà bien assez à faire pour éviter qu'il y ait des grèves en France pour m'occuper des grèves en Bulgarie ! Mais, dans le fond, le fait qu'il y ait des discussions sociales et politiques en Bulgarie, cela prouve simplement ce que je vous souhaite de tout coeur, que la Bulgarie est devenue une démocratie.
Pendant tant d'années, manifester était dangereux, être en grève était interdit, se constituer en parti politique ou en syndicat n'était pas autorisé et le fait que l'on puisse venir en Bulgarie, à Sofia et vous entendre dire: "mais alors qu'est-ce que vous pensez de ce mouvement social ?" Ecoutez, bienvenue au club des démocraties et j'espère de tout coeur que, si vous venez en France, vous ne m'interrogerez pas sur ce que je pense des grèves en France !
Q - En quel point le succès collectif est un fait personnel dans les relations internationales contemporaines ?
R - Je suis chef de l'Etat depuis moins longtemps que le président bulgare puisque je ne suis arrivé, en quelque sorte, dans le club que depuis cinq mois. Mais il y a quelque chose qui m'a frappé, c'est la difficulté à assurer un leadership. J'étais à l'ONU la semaine dernière et mes collaborateurs avaient préparé un discours. On a beaucoup travaillé sur le discours et avant que le président français quel qu'il soit ne s'exprime, on lui explique : "attention Monsieur le Président, attention, il y a des codes, il y a des habitudes, il y a des choses que l'on peut dire, il y a des choses que l'on ne peut pas dire ". Moi je dis : "attention Monsieur, je veux dire tout ce que je pense, même si l'administration ne le pense pas". Il faut donc qu'à un moment donné, des chefs d'Etat et de gouvernement osent dire des choses qui viennent du coeur, qui sont fortes et qui peuvent être différentes.
Si c'est ça un succès individuel, je dis qu'il ne met pas en cause le consensus mondial. Je veux pouvoir dire à l'Europe : "arrêtez de parler des petits sujets, parlons des vrais sujets politiques". Je veux pouvoir dire à la tribune de l'ONU que nous sommes organisés pour l'ordre mondial du XXème siècle, alors que nous sommes au XXIème siècle. Je veux pouvoir dire qu'un certain nombre de compagnies pétrolières font des bénéfices qui sont injustes.
J'étais ministre des Finances en 2004. Le prix du baril de pétrole était alors de quarante-deux dollars. En 2007, il est de quatre-vingt-deux dollars, il a doublé. Dans le même temps, sortir un baril de pétrole coûte la même chose. Je dis que ces supers bénéfices doivent être partagés au service d'un certain nombre de pays en voix de développement qui n'ont pas les moyens de payer l'augmentation de la facture pétrolière, parce que le monde ne connaîtra pas la paix sur l'injustice. Il ne peut pas y avoir d'injustice si l'on veut la paix.
Mais, en même temps, pour les infirmières bulgares, si j'avais attendu que tout le monde soit prêt, que tout le monde me donne l'autorisation d'envoyer un avion avec Cécilia pour aller les chercher, eh bien, aujourd'hui, je serais en train de commenter le scandale de l'emprisonnement des infirmières bulgares et elles ne seraient toujours pas sorties. C'est vrai et le président peut le dire, que la diplomatie bulgare a très bien travaillé. C'est vrai que Mme Ferrero-Waldner a très bien travaillé. C'est vrai que le président Barroso a très bien travaillé. C'est vrai que les Allemands, les Italiens d'autres encore ont très bien travaillé. Mais, à un moment donné, il faut qu'il y en ait un qui accepte de mouiller son costume, qui aille les chercher et qui les ramène. Parce qu'il y a un moment donné où, parmi tous les médecins qui portent un diagnostic, il faut qu'il y en ait un qui fasse l'opération et qu'il guérisse. Je crois à l'action collective mais je crois aussi que l'action collective se nourrit, de temps en temps, d'un certain nombre de tempéraments qui ne contentent pas de parler et qui y vont.
Au fond, l'histoire du monde est marquée par des femmes et des hommes qui, à un moment donné, ont porté un projet politique fort. Et je souhaite que nous ayons des projets politiques forts, des convictions affichées et la volonté de bousculer le monde, de faire bouger les choses. Je suis de droite mais je ne suis pas conservateur. Je suis de droite et je ne suis pas immobile. J'ai d'ailleurs constitué un gouvernement ou j'ai été chercher dans l'opposition un certain nombre de gens pour travailler avec moi.
Pourquoi ? Parce qu'une fois que le peuple a choisi un projet présidentiel, une stratégie, mon devoir est d'aller chercher les meilleurs et les meilleurs se trouvent dans toutes les familles politiques. C'est pareil sur la scène internationale : il faut jouer collectif et puis, de temps en temps, il faut marquer un but et pour marquer un but dans une équipe, il faut que toute l'équipe soit au service de celui qui marque le but, mais si on lui passe le ballon le dernier, c'est parce que ce n'est pas le plus maladroit. Et si on ne lui passe pas le ballon, s'il a un peu de tempérament, il faut qu'il aille le chercher. Dans ma vie, les ballons, on ne me les a jamais donnés, j'ai toujours été les chercher.
Q - En 2008, la France occupera une place très intéressante sur la scène internationale avec M. Pascal Lamy à la tête de l'OMC, M. Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI et vous serez à la tête de l'Union européenne, à la tête de la présidence, au deuxième semestre. Sur quels grands dossiers, en matière de politique internationale, comptez-vous alors insister ?
R - Les objectifs de la Présidence française de l'Union seront les suivants : essayer de doter l'Europe d'une politique de l'énergie commune, sujet absolument considérable. Dans quarante ans, il n'y aura plus de pétrole, dans un siècle, il n'y aura plus de gaz.
Quelle sera l'énergie du futur ? Est-ce que nous n'avons pas intérêt, nous les 27 pays européens, à chercher ensemble pour trouver cette énergie du futur ? Premier élément, une politique de l'énergie européenne. Deuxième élément : une politique d'immigration européenne. Je souhaite qu'un jour, la Bulgarie puisse entrer dans l'espace commun de Schengen. C'est-à-dire sans visa, sans autorisation, que nous décidions, ensemble, d'une politique d'accueil des étrangers en Europe. Par exemple, si la France dit non pour un statut de réfugié politique, est-il normal que le même à qui l'un des pays européens a dit non puisse recommencer la même procédure dans chacun des 26 autres pays ? Le oui d'un pays devrait s'imposer aux autres, le non d'un pays devrait s'imposer aux autres également.
Je souhaite également une politique de défense commune. J'en parlais avec le président : nous avons des accords avec les Etats-Unis et la Bulgarie et la France sont membres de l'OTAN. Mais qui peut penser que l'Europe comptera si elle n'assure pas elle-même sa propre sécurité ? Qu'est-ce que nous faisons face aux menaces de pays terroristes, qu'est ce que nous disons aux quatre cent cinquante millions d'Européens ? Nous faisons un îlot de prospérité et nous ne pensons pas à le défendre ? Pour la défense, chacun d'entre nous doit avoir sa propre organisation, sans en parler aux autres ? Que faisons-nous avec cela ? Je souhaite à la fois l'entente avec les Américains et une défense indépendante. Puis, quatrième objectif, je souhaite une politique de l'environnement ambitieuse.
Sur les dossiers internationaux, nous aurons à gérer la question de la Russie. La Russie est un grand pays. C'est un pays qui a été humilié et qui veut prendre toute sa place sur la scène internationale et personne ne peut le lui reprocher. Mais la Russie doit comprendre qu'un grand pays a des droits, mais qu'un grand pays a des devoirs. Et, parmi ces devoirs, il y en a deux : celui d'être exemplaire sur le plan de la démocratie et celui d'être un facilitateur des grandes causes du monde et non pas un pays qui complique la résolution des grands problèmes du monde.
Nous aurons la question de l'Iran, grande civilisation et grand pays dont on ne peut accepter qu'il se dote de l'arme nucléaire avec tous les risques que cela comporte. Nous aurons la question du Liban : on ne doit pas laisser tomber le Liban, parce que le Liban, c'est cette idée de la diversité, dans un pays arabe et cette diversité est importante.
Nous aurons la question d'un Etat-Nation pour les Israéliens, et d'un Etat-Nation pour les Palestiniens. Ce ne sont pas des petits sujets. Ils vous concernent parce que tout ceci nourrit un terrorisme et un fanatisme que nous avons connu dans nos capitales européennes.
Ne pensez pas, mes chers amis bulgares, que le fracas du monde ne vous concerne pas, il vous concerne. Nous aurons la question de l'Afrique, un milliard d'habitants, quatre cent- soixante-dix millions de ces habitants ont moins de 17 ans. Si l'Afrique ne se développe pas, si les Africains ne donnent pas un emploi à leurs enfants, alors la situation deviendra ingérable pour un certain nombre de nos pays.
Nous aurons l'après-Kyoto et convaincre nos amis américains que, quand on est la première puissance du monde, on ne peut pas s'exonérer des obligations que l'on fait peser sur les autres. Ces dossiers-là, je souhaite que l'Europe puisse les affronter d'une seule voix, que l'Europe puisse porter ses valeurs universelles, que l'Europe puisse dire à la Chine : vous allez organiser un événement mondial, les Jeux Olympiques, alors usez de votre influence pour dire aux militaires birmans que la Birmanie a le droit à la liberté, comme n'importe quel autre pays dans le monde.
Voilà les idées que doit porter l'Europe. Je voudrais terminer par cela. Les démocraties ne doivent pas être faibles, les démocraties ne doivent pas renoncer, les démocraties ne doivent pas être couchées, les démocraties ne doivent pas parler à voix basse. Chaque fois qu'en Europe on a renoncé, on s'est reniés, on s'est aplatis, on a démissionné, chaque fois ce sont les Européens qui l'ont payé cher.
Souvenez-vous des années 30, de la montée du nazisme, de la montée d'Hitler. Un certain nombre d'Européens a voulu fermer les yeux, se boucher les oreilles, ne rien voir, ne rien comprendre, ne rien entendre, ne pas se mettre debout contre la folie, contre la tyrannie, contre la dictature qui montait, et nous l'avons payé cher.Chers Amis, la démocratie se mérite et le meilleur conseil que je puisse vous donner est d'être passionnément raisonnables. Mettez de la passion dans votre raison et n'acceptez pas que qui que ce soit vienne contester cette liberté que vous avez chèrement conquise. Je vous remercie.
Je voudrais vous parler très franchement. Si vous me le permettez, je ne vais pas lire le discours qui m'a été préparé. N'applaudissez pas déjà, il était sans doute meilleur que ce que je vais vous dire. Mais ce que je vais dire, je vais vous le dire avec le coeur et, je l'espère, avec l'intelligence.
Vous êtes des jeunes Bulgares, vous êtes les citoyens d'un vrai pays, d'un vieux pays, d'un pays qui a une identité et une histoire. Etre en Europe ne signifie pas de renier son pays. L'Europe se construit sur des pays à l'identité forte. Aimer la Bulgarie et vouloir l'Europe, c'est parfaitement compatible. Personne ne doit renier son identité pour adhérer à l'Union européenne. Vous êtes les citoyens d'un pays dont l'histoire ne lui a fait aucun cadeau. Elle est longue, l'histoire de la Bulgarie, elle est lourde, l'histoire de la Bulgarie. Vous avez eu cinq siècles de domination ottomane. Je ne dis pas cela pour rappeler des mauvais souvenirs, je dis cela parce que la Bulgarie, l'âme bulgare ont su résister à cinq siècles d'occupation. Vous avez eu des dirigeants dans votre histoire, notamment dans l'histoire du vingtième siècle, qui n'ont pas pris les bonnes décisions au bon moment. Et vous vous êtes retrouvés à côté de ceux qui avaient perdu. Le peuple bulgare a été victime de ces mauvaises décisions.
Mais même dans ces heures sombres, le seul pays où la communauté juive a pu vivre sans être persécutée, c'est la Bulgarie. Cela fait partie de votre histoire. Et puis, vous avez connu cinquante ans d'occupation soviétique. Cinquante années où l'âme bulgare fut niée. Et je veux vous dire une chose : quand je rencontre des Européens de l'Est, je me demande parfois ce qu'ils doivent penser de nous, les Européens de l'Ouest, qui les avons laissés pendant cinquante ans de l'autre côté du mur ? Je veux dire du mauvais côté.
Dans mon pays, il y avait des gens qui trouvaient que cela était normal. Que la liberté, c'était pour l'Ouest et que la dictature, c'était pour l'Est. Comme si un Européen de l'Est ne valait pas un Européen de l'Ouest. Pour moi, tous les Européens ont le droit à la liberté. Yalta fut une erreur dramatique que vous avez payée d'abord, pas nous, c'est vous qui l'avez payée. Et ces cinquante années de l'autre côté, vous en êtes sortis seuls. Quand je dis seuls, c'est dans les tréfonds d'une société martyrisée que se sont trouvés dans les pays de l'Est qui nous ont rejoints, des femmes et des hommes qui ont eu le courage de dire non. On n'accepte pas cette fatalité. La liberté, l'identité, nous aussi, nous y avons droit. Il n'y a aucune raison pour que nous y renoncions. Il y a eu des grands hommes en Bulgarie, avec des martyrs, et des grands hommes dans l'Europe de l'Est. Je sais bien que je suis dans un pays à tradition orthodoxe mais je veux quand même dire que Jean-Paul II a compté dans la libération de cette Europe de l'Est. Il a eu le courage de se révolter. Que Lech Walesa et d'autres, ont porté ce message. Vous vous êtes libérés de vos chaînes et il était tout à fait naturel que l'Europe se réconcilie et vous fasse toute votre place. Il eût été invraisemblable qu'il soit donc plus facile de se libérer des chaînes du marxisme que de rentrer dans le camp de la liberté.
Ne pas vous accueillir aurait été une honte pour l'Europe. D'ailleurs, le mot "accueillir" n'est pas le bon mot. On accueille un étranger, vous n'êtes pas étranger à l'Europe puisque vous êtes des Européens, ni plus, ni moins que les Français. La France a été à l'origine de la construction européenne. Mais parce que la France était libre ! Vous n'avez pas été à l'origine de la construction européenne parce que vous étiez occupés, occupés sur votre territoire, occupés dans vos têtes par une idéologie qui ne voulait pas que vous réfléchissiez et que vous pensiez. La famille s'est donc reconstituée.
L'Europe est unie et, Monsieur le Président de la République bulgare, d'autres encore doivent nous rejoindre. Mais la question aujourd'hui, est : qu'allons nous faire ensemble de cette Europe ? Nous étions divisés et nous voilà rassemblés. Et maintenant ? Quel est l'avenir pour l'Europe ? Je suis venu vous dire, du fond de mes convictions, que vous devez occuper toute votre place en Europe. Que vous devez prendre la parole, que vous devez donner votre vision de l'avenir européen. Vous n'avez pas à vous excuser d'être les derniers arrivés parce que, pour arriver, il a fallu vous libérer. Et cela prend du temps. Vous devez porter un regard sur cette construction politique que nous sommes en train de faire. Vous aspirez plus que nos peuples au bonheur, à la croissance, à la prospérité, à l'éducation. Parce que vous avez été privés, des générations et des générations, de la croissance, du bonheur. Apportez-nous cette force, cette espérance, ce dynamisme des peuples qui ont faim de vivre. Alors que tant en Europe ne mesurent plus le prix de la liberté tant ils pensent que la liberté est un droit. La liberté n'est pas un droit, elle se mérite. Vous l'avez méritée ! Maintenant, définissez le projet que vous souhaitez être le nôtre. Et l'Europe a besoin de la jeunesse bulgare. Et l'Europe a besoin de la jeunesse hongroise. L'Europe a besoin de la jeunesse tchèque. Que vous-même, vous puissiez rassembler dans cette université, plusieurs centaines d'étudiants qui ont envie de vivre, qui sont francophones, après tout ce que vous avez connu pendant le vingtième siècle. C'est dire que l'âme bulgare n'est pas prête de mourir si vous avez su résister à cela.
J'ajoute, Mes Chers Amis, si vous me le permettez, qu'il faut maintenant donner une âme à l'Europe et la France veut, avec vous, lui donner cette âme. Faisons ensemble de l'environnement un enjeu européen et demandons, tous ensemble, Européens convaincus, au monde d'arrêter de sacrifier l'avenir de la planète. Faisons de l'Europe l'endroit du monde, où l'on respecte le mieux les règles environnementales. Où l'on pense à l'avenir et où l'on n'arrête pas de sacrifier la nature au profit d'autres enjeux. Saisissez-vous de l'enjeu environnemental pour en faire un grand enjeu européen. Parlez aussi de votre idée de la liberté. L'Europe a des valeurs universelles à porter et l'Europe ne peut pas accepter, nulle part dans le monde, que les Droits de l'Homme soient bafoués. L'Europe et les jeunes Bulgares sont européens. Elle doit protester quand on assassine des religieux ou des manifestants pacifiques en Birmanie, parce que ce qui se passe en Birmanie est également le problème de l'Europe. Parce que chaque fois que quelqu'un est opprimé, l'Europe doit se manifester et la jeunesse d'Europe doit dire qu'elle n'accepte pas qu'on bafoue les Droits de l'Homme partout sur la planète. Je veux d'ailleurs, de ce point de vue, vous dire une chose.
Le président de la République m'avait demandé de l'aider dans cette si tragique affaire des infirmières bulgares. Je veux m'en expliquer devant vous. Il ne s'agissait pas de sauver des infirmières parce qu'elles étaient bulgares. Depuis huit ans et demi, ces femmes étaient prisonnières et subissaient un sort injuste et cruel. Ces femmes-là, je l'ai dit pendant la campagne électorale française, elles sont aussi françaises que bulgares. Parce que chaque fois que quelqu'un est persécuté, la France doit se porter à ses côtés. Mais ces femmes-là, elles sont bulgares, donc européennes. Ce n'était pas la seule question de la Bulgarie, c'était la question de toute l'Europe, mobilisée pour faire arrêter un scandale que des femmes innocentes subissaient ce qu'elles ont subi pendant huit ans. Et la Bulgarie doit comprendre que, parce qu'elle est en Europe, elle ne sera plus jamais seule. Le message européen est tout entier dans cet exemple-là. L'Europe ne présente pas que des avantages.
L'Europe, ce sont des concessions, l'Europe, ce sont des compromis, l'Europe, ce sont des longues nuits de négociations mais, avec l'Europe, chacun des vingt-sept pays peut savoir et se dire : "s'il m'arrive un problème, vingt-six autres sont avec moi". Cela s'appelle la solidarité européenne, vous devez bien penser à cela. Je souhaite également que nous définissions les conditions d'un échange de nos étudiants, d'un partage de nos cultures, d'une volonté commune de faire de cet espace européen de 450 millions d'êtres humains, un endroit où demain vous allez pouvoir étudier dans n'importe quelle autre de nos capitales.
Demain, des étudiants d'autres pays d'Europe viendront ici, à Sofia, pour étudier, pour parler et pour échanger. Soyez ambitieux pour l'Europe, ne vous laissez pas voler l'Europe. Et je voudrais vous dire autre chose en terminant : "engagez-vous dans le débat public. Engagez-vous dans la construction de l'Europe. Engagez-vous dans la modernisation de la Bulgarie, quel que soit le parti politique, la famille d'idées dans laquelle vous vous reconnaissez". Les grands peuples sont des peuples qui se considèrent comme acteurs de leur avenir et non pas spectateurs. Et le vrai citoyen, c'est celui qui a le courage de s'engager, de ne pas penser qu'à lui, de penser à son pays, à la société dans laquelle il vit, de donner un peu de son temps au service de cette démocratie bulgare que vous avez attendue, que vos parents ont attendue depuis si longtemps. La meilleure chose que l'on peut rendre à son pays, c'est de se passionner pour le débat public et de s'engager dans le débat public.
Je veux que vous compreniez une chose, je ne viens pas, président d'un grand pays, rendre visite au président d'un pays plus petit. Je viens comme président d'un pays souverain rendre visite à un président d'un pays souverain, à égalité de droits et de devoirs, pour qu'ensemble, nous construisions l'Europe de demain et pour que nous soyons à la hauteur de ce qu'ont fait nos pères fondateurs, ceux qui, il y a soixante ans, ont inventé l'Europe. Je ne veux pas d'une Europe qui ne parle que de sujets accessoires, qui se réunit dans des réunions interminables où l'on s'ennuie plus souvent qu'à son tour, où l'on parle de sujets tellement compliqués que personne n'y comprend rien. Je veux réintroduire de la politique au vrai sens du terme en Europe. Je veux redonner un sens à la construction européenne. Et je veux que, de nouveau, ensemble, nous portions des valeurs communes au service de ce projet européen.
Mesdames et Messieurs, Mes Chers Amis, vous l'avez compris, je veux vous dire du fond du coeur : "vive la Bulgarie, vive la France et vive l'Europe".
Et naturellement, si M. Le Recteur et M. le Président me le permettent et si vous avez des questions à me poser, j'essayerai d'y répondre bien volontiers.
Q - Bonjour Monsieur Sarkozy. Merci pour votre discours très intéressant et très enrichissant. Ma question est liée au fait que l'entrée de la Bulgarie dans l'Union européenne a permis aux pays francophones de devenir majoritaires au sein de l'Union. Donc, comment, à votre avis, peut-on promouvoir une plus grande utilisation de la langue française dans la communauté européenne ? Merci.
R - D'abord, je voudrais dire combien les Français ont été émus et bouleversés que la Bulgarie choisisse, dans le courant des années 90, d'adhérer à la Francophonie. C'est une preuve d'indépendance, c'est une forme de courage. Comme chacun le sait ici, je suis un ami des Américains. Mais j'ai dit aux Américains que ce n'était pas leur intérêt d'avoir un monde qui s'aplatit, un monde où il n'y aurait qu'une langue, une histoire, une culture.
Et qu'un pays comme la Bulgarie choisisse la Francophonie, veuille défendre le français, qu'un Bulgare sur dix parle français, cela crée une obligation à la France. Cette obligation à la France, c'est d'envoyer plus de coopérants, plus d'enseignants, c'est d'accueillir davantage d'étudiants qui veulent apprendre le français dans nos universités. Et c'est, si vous le voulez bien, Monsieur le Recteur, que le gouvernement français s'occupe d'avoir des accords avec vos universités et notamment la vôtre pour vous aider, par des moyens financiers, par des moyens humains, par des livres, par du matériel, à développer cette Francophonie.
Voyez-vous, Madame, je ne veux pas que la Francophonie soit simplement un symbole, je ne veux pas que l'amitié soit simplement un échange de discours. Je veux que cela se traduise concrètement. Vous êtes un pays francophone, cela nous oblige. Nos universités doivent être des partenaires des vôtres. Pour obtenir la possibilité d'étudier en France, cela doit être plus facile lorsque l'on vient d'un pays francophone comme la Bulgarie que quand on vient d'un autre pays. Et notre engagement - je ferai des propositions dans ce sens - au service de l'apprentissage du français doit être à la hauteur des ambitions et des aspirations du peuple bulgare. Vous nous avez choisis, vous nous avez fait confiance, nous ne vous décevrons pas et nous nous investirons massivement pour que les Bulgares continuent à aimer et à apprendre le français. Vous savez, c'est Victor Hugo qui disait : "on torture, on massacre en Europe". Il parlait de la Bulgarie, déjà au dix-neuvième siècle. Il ne connaissait pas aussi bien la Bulgarie que Lamartine mais il avait fait de l'oppression des Bulgares à l'époque, une cause qui était la sienne. Je veux parler du grand Victor Hugo. Il parlait déjà de l'Europe, il parlait déjà de la Bulgarie et vous savez, dans notre histoire nationale et dans notre culture, Victor Hugo compte. Et le grand Victor Hugo a parlé au nom de ceux qui étaient martyrisés en Bulgarie. Notre responsabilité est d'assurer le prolongement de cette histoire-là, qui nous lie intimement.
Q - Monsieur le Président, dans le cadre de votre campagne électorale, vous vous êtes engagé sur la position consistant à ne pas admettre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Peut-on s'attendre à vous voir changer de position et quels sont vos arguments contre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ?
R - 10 % des Bulgares seulement sont d'origine turque. Ils n'y sont pour rien. C'est une question très importante. Je m'en suis entretenu longuement avec le président bulgare. Cette question est la suivante : l'Europe doit-elle avoir des frontières ? L'Europe a-t-elle vocation à s'élargir à tous les pays qui la bordent ? Certains pensent que oui, d'autres, dont je suis, disent : "attention".
Je crois à l'Europe politique, à l'Europe intégrée, à l'Europe solidaire. Nous sommes vingt-sept et décider à vingt-sept est déjà un processus terrifiant. Si nous accueillons demain la Turquie, cela veut dire que nous accueillons demain l'Ukraine. Cela veut dire que nous accueillons, ce que je souhaite d'ailleurs, l'ensemble des pays des Balkans, qui sont européens. Qui pourrait m'en vouloir de souhaiter que soient accueillis en Europe d'abord les pays européens ? La Turquie est un grand pays, la Turquie est une grande civilisation. Il nous faut d'excellents rapports avec la Turquie, mais la Turquie est en Asie mineure. C'est la géographie, ce n'est pas autre chose. On parle de l'adhésion de la Turquie depuis 1963 et cela ne se fait pas. Pourquoi, si c'était si simple ? En 2025, la Turquie aura cent millions d'habitants et nous sommes quatre cent cinquante millions d'Européens.
La question, Mademoiselle, n'est pas une question anecdotique, il ne s'agit pas simplement de faire rentrer la Turquie, il s'agit de la faire rentrer comme le pays d'Europe le plus peuplé, avec le plus de droits de vote et avec le plus de députés. Savez-vous, Madame, que les derniers pays qui sont rentrés, représentaient quatre-vingt millions d'habitants.
Regardez le séisme que cela a provoqué sur l'organisation de l'Europe. Il s'agit de faire rentrer cent millions d'habitants. Cela mérite quand même que l'on y réfléchisse, qu'on en débatte et que l'on sache ce que l'on doit faire de l'Europe.
Je voudrais dire une deuxième chose et c'est pour cela que j'ai proposé un groupe d'une dizaine de sages qui réfléchit au rêve européen. La Bulgarie l'a accepté et je l'en remercie.
Que voulons-nous faire de l'Europe dans l'avenir ? Est-ce que, par exemple, tous les pays de la Méditerranée ont vocation à adhérer à l'Europe ? Si la Turquie y adhère, quels seront les arguments pour refuser l'Algérie, le Liban, Israël, le Maroc, la Tunisie ? Quels seront les arguments à opposer à la Biélorussie et à l'Ukraine ? A ce moment-là, cela ne sera plus l'Europe politique que nous voulons, solidaire, mais une sous-région de l'ONU, c'est ma première remarque.
J'ai rencontré la semaine dernière à New York, M. Erdogan. Je lui ai dit ma position, je lui ai dit également de se méfier des hypocrisies. Beaucoup de pays disent qu'ils sont pour l'entrée de la Turquie mais ils pensent exactement le contraire. Et puis, il y a une deuxième question qui se pose : comment aide-t-on la Turquie à aller vers la démocratie et la laïcité. Certains disent : "la meilleure façon de l'aider, c'est de l'intégrer à l'Europe". Moi je réponds : "attention, c'est un objectif parfaitement louable de vouloir stabiliser et démocratiser la Turquie, mais pas au prix de la déstabilisation de l'Europe, d'un projet politique cohérent en Europe". Troisième élément : ce qui ne va pas et ce que je demande que l'on fasse en Europe, c'est que l'on réfléchisse au statut des pays frontaliers de l'Europe.
Regardez Mademoiselle, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation très dangereuse. Soit on dit oui et, dans ce cas, on fait rentrer un nouveau pays de cent millions d'habitants. Ce n'est pas une petite décision. Soit on dit non et, dans ce cas, on humilie un pays de cent millions d'habitants.
Est-ce que l'on ne pourrait pas réfléchir à un statut de partenaire, avant l'adhésion ? Pourquoi nous mettre tous dans le tout ou rien ? Tout si vous être dans l'Europe, rien si vous n'y êtes pas. Est-ce que vous pensez que si la Turquie rentre, le problème kurde devient un problème européen ? Est-ce que vous pensez qu'à l'école les enfants bulgares apprendront donc que les frontières de l'Europe s'arrêtent provisoirement à l'Irak, à la Syrie ? Et que dire aux autres ? Et au moment où nous serons trente-cinq, quarante, cinquante en Europe, qui pourra me dire que l'Europe aura une identité politique ? Qui pourra me dire que l'Europe pourra prendre position à travers le monde ? Là où on met déjà quarante-huit heures pour prendre la plus petite décision, on se réunira une semaine à cinquante pour faire les plus petits compromis possibles ?
J'essaie donc de trouver une voie qui permette de ne pas humilier la Turquie, mais de ne pas déstabiliser l'Europe, d'associer la Turquie à l'Europe, sans la faire entrer dans l'Europe. Cette voie, je crois que c'est la voie du bon sens. Je dois dire d'ailleurs que l'on ferait bien de parler franchement avec nos amis turcs. C'est une grande nation, une grande civilisation, ils méritent qu'on leur tienne un discours de vérité. Je ne veux pas les exclure, bien au contraire. Nous en avons besoin. Mais je dis simplement que l'Europe est un projet pour les pays européens, que la réunification de toute l'Europe, avec notamment la question des Balkans n'est pas finie. Il me semble que ce serait très aventureux de faire adhérer la Turquie, sans que nous ayons réfléchi à ce que nous voulons faire de l'avenir de l'Europe.
Et je vais terminer par-là. Il faut que je puisse dire cela sans être accusé d'être contre les Turcs parce que sinon, en Europe, on va arriver dans un système où plus personne ne dira rien, où plus personne ne voudra rien, où plus personne ne se battra pour l'idéal européen. Après tout, nous avons fait ensemble ce que nous avons fait pour unifier notre continent. Avant de nous ouvrir à d'autres pays, d'autres régions du monde, me semble-t-il, terminons nos projets européens. Mais, dans le fond, est-ce que l'on doit se plaindre qu'aucun pays ne veuille sortir de l'Europe et que tous les autres veuillent y entrer ? Finalement, c'est peut-être cela la victoire de l'idéal européen.
Q - Tout d'abord, je vous remercie de la part de tous les collègues et de tout le peuple bulgare pour votre visite et votre discours. Ma question est la suivante : est-ce que vous avez une idée des grèves des enseignants bulgares dans les dix jours passés ? Vous avez pris une position positive face aux infirmières bulgares en Libye, est-ce que maintenant vous allez répondre à la demande des enseignants bulgares : "sauvez-nous"?
R - Honnêtement, c'est sympathique votre question mais j'ai déjà bien assez à faire pour éviter qu'il y ait des grèves en France pour m'occuper des grèves en Bulgarie ! Mais, dans le fond, le fait qu'il y ait des discussions sociales et politiques en Bulgarie, cela prouve simplement ce que je vous souhaite de tout coeur, que la Bulgarie est devenue une démocratie.
Pendant tant d'années, manifester était dangereux, être en grève était interdit, se constituer en parti politique ou en syndicat n'était pas autorisé et le fait que l'on puisse venir en Bulgarie, à Sofia et vous entendre dire: "mais alors qu'est-ce que vous pensez de ce mouvement social ?" Ecoutez, bienvenue au club des démocraties et j'espère de tout coeur que, si vous venez en France, vous ne m'interrogerez pas sur ce que je pense des grèves en France !
Q - En quel point le succès collectif est un fait personnel dans les relations internationales contemporaines ?
R - Je suis chef de l'Etat depuis moins longtemps que le président bulgare puisque je ne suis arrivé, en quelque sorte, dans le club que depuis cinq mois. Mais il y a quelque chose qui m'a frappé, c'est la difficulté à assurer un leadership. J'étais à l'ONU la semaine dernière et mes collaborateurs avaient préparé un discours. On a beaucoup travaillé sur le discours et avant que le président français quel qu'il soit ne s'exprime, on lui explique : "attention Monsieur le Président, attention, il y a des codes, il y a des habitudes, il y a des choses que l'on peut dire, il y a des choses que l'on ne peut pas dire ". Moi je dis : "attention Monsieur, je veux dire tout ce que je pense, même si l'administration ne le pense pas". Il faut donc qu'à un moment donné, des chefs d'Etat et de gouvernement osent dire des choses qui viennent du coeur, qui sont fortes et qui peuvent être différentes.
Si c'est ça un succès individuel, je dis qu'il ne met pas en cause le consensus mondial. Je veux pouvoir dire à l'Europe : "arrêtez de parler des petits sujets, parlons des vrais sujets politiques". Je veux pouvoir dire à la tribune de l'ONU que nous sommes organisés pour l'ordre mondial du XXème siècle, alors que nous sommes au XXIème siècle. Je veux pouvoir dire qu'un certain nombre de compagnies pétrolières font des bénéfices qui sont injustes.
J'étais ministre des Finances en 2004. Le prix du baril de pétrole était alors de quarante-deux dollars. En 2007, il est de quatre-vingt-deux dollars, il a doublé. Dans le même temps, sortir un baril de pétrole coûte la même chose. Je dis que ces supers bénéfices doivent être partagés au service d'un certain nombre de pays en voix de développement qui n'ont pas les moyens de payer l'augmentation de la facture pétrolière, parce que le monde ne connaîtra pas la paix sur l'injustice. Il ne peut pas y avoir d'injustice si l'on veut la paix.
Mais, en même temps, pour les infirmières bulgares, si j'avais attendu que tout le monde soit prêt, que tout le monde me donne l'autorisation d'envoyer un avion avec Cécilia pour aller les chercher, eh bien, aujourd'hui, je serais en train de commenter le scandale de l'emprisonnement des infirmières bulgares et elles ne seraient toujours pas sorties. C'est vrai et le président peut le dire, que la diplomatie bulgare a très bien travaillé. C'est vrai que Mme Ferrero-Waldner a très bien travaillé. C'est vrai que le président Barroso a très bien travaillé. C'est vrai que les Allemands, les Italiens d'autres encore ont très bien travaillé. Mais, à un moment donné, il faut qu'il y en ait un qui accepte de mouiller son costume, qui aille les chercher et qui les ramène. Parce qu'il y a un moment donné où, parmi tous les médecins qui portent un diagnostic, il faut qu'il y en ait un qui fasse l'opération et qu'il guérisse. Je crois à l'action collective mais je crois aussi que l'action collective se nourrit, de temps en temps, d'un certain nombre de tempéraments qui ne contentent pas de parler et qui y vont.
Au fond, l'histoire du monde est marquée par des femmes et des hommes qui, à un moment donné, ont porté un projet politique fort. Et je souhaite que nous ayons des projets politiques forts, des convictions affichées et la volonté de bousculer le monde, de faire bouger les choses. Je suis de droite mais je ne suis pas conservateur. Je suis de droite et je ne suis pas immobile. J'ai d'ailleurs constitué un gouvernement ou j'ai été chercher dans l'opposition un certain nombre de gens pour travailler avec moi.
Pourquoi ? Parce qu'une fois que le peuple a choisi un projet présidentiel, une stratégie, mon devoir est d'aller chercher les meilleurs et les meilleurs se trouvent dans toutes les familles politiques. C'est pareil sur la scène internationale : il faut jouer collectif et puis, de temps en temps, il faut marquer un but et pour marquer un but dans une équipe, il faut que toute l'équipe soit au service de celui qui marque le but, mais si on lui passe le ballon le dernier, c'est parce que ce n'est pas le plus maladroit. Et si on ne lui passe pas le ballon, s'il a un peu de tempérament, il faut qu'il aille le chercher. Dans ma vie, les ballons, on ne me les a jamais donnés, j'ai toujours été les chercher.
Q - En 2008, la France occupera une place très intéressante sur la scène internationale avec M. Pascal Lamy à la tête de l'OMC, M. Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI et vous serez à la tête de l'Union européenne, à la tête de la présidence, au deuxième semestre. Sur quels grands dossiers, en matière de politique internationale, comptez-vous alors insister ?
R - Les objectifs de la Présidence française de l'Union seront les suivants : essayer de doter l'Europe d'une politique de l'énergie commune, sujet absolument considérable. Dans quarante ans, il n'y aura plus de pétrole, dans un siècle, il n'y aura plus de gaz.
Quelle sera l'énergie du futur ? Est-ce que nous n'avons pas intérêt, nous les 27 pays européens, à chercher ensemble pour trouver cette énergie du futur ? Premier élément, une politique de l'énergie européenne. Deuxième élément : une politique d'immigration européenne. Je souhaite qu'un jour, la Bulgarie puisse entrer dans l'espace commun de Schengen. C'est-à-dire sans visa, sans autorisation, que nous décidions, ensemble, d'une politique d'accueil des étrangers en Europe. Par exemple, si la France dit non pour un statut de réfugié politique, est-il normal que le même à qui l'un des pays européens a dit non puisse recommencer la même procédure dans chacun des 26 autres pays ? Le oui d'un pays devrait s'imposer aux autres, le non d'un pays devrait s'imposer aux autres également.
Je souhaite également une politique de défense commune. J'en parlais avec le président : nous avons des accords avec les Etats-Unis et la Bulgarie et la France sont membres de l'OTAN. Mais qui peut penser que l'Europe comptera si elle n'assure pas elle-même sa propre sécurité ? Qu'est-ce que nous faisons face aux menaces de pays terroristes, qu'est ce que nous disons aux quatre cent cinquante millions d'Européens ? Nous faisons un îlot de prospérité et nous ne pensons pas à le défendre ? Pour la défense, chacun d'entre nous doit avoir sa propre organisation, sans en parler aux autres ? Que faisons-nous avec cela ? Je souhaite à la fois l'entente avec les Américains et une défense indépendante. Puis, quatrième objectif, je souhaite une politique de l'environnement ambitieuse.
Sur les dossiers internationaux, nous aurons à gérer la question de la Russie. La Russie est un grand pays. C'est un pays qui a été humilié et qui veut prendre toute sa place sur la scène internationale et personne ne peut le lui reprocher. Mais la Russie doit comprendre qu'un grand pays a des droits, mais qu'un grand pays a des devoirs. Et, parmi ces devoirs, il y en a deux : celui d'être exemplaire sur le plan de la démocratie et celui d'être un facilitateur des grandes causes du monde et non pas un pays qui complique la résolution des grands problèmes du monde.
Nous aurons la question de l'Iran, grande civilisation et grand pays dont on ne peut accepter qu'il se dote de l'arme nucléaire avec tous les risques que cela comporte. Nous aurons la question du Liban : on ne doit pas laisser tomber le Liban, parce que le Liban, c'est cette idée de la diversité, dans un pays arabe et cette diversité est importante.
Nous aurons la question d'un Etat-Nation pour les Israéliens, et d'un Etat-Nation pour les Palestiniens. Ce ne sont pas des petits sujets. Ils vous concernent parce que tout ceci nourrit un terrorisme et un fanatisme que nous avons connu dans nos capitales européennes.
Ne pensez pas, mes chers amis bulgares, que le fracas du monde ne vous concerne pas, il vous concerne. Nous aurons la question de l'Afrique, un milliard d'habitants, quatre cent- soixante-dix millions de ces habitants ont moins de 17 ans. Si l'Afrique ne se développe pas, si les Africains ne donnent pas un emploi à leurs enfants, alors la situation deviendra ingérable pour un certain nombre de nos pays.
Nous aurons l'après-Kyoto et convaincre nos amis américains que, quand on est la première puissance du monde, on ne peut pas s'exonérer des obligations que l'on fait peser sur les autres. Ces dossiers-là, je souhaite que l'Europe puisse les affronter d'une seule voix, que l'Europe puisse porter ses valeurs universelles, que l'Europe puisse dire à la Chine : vous allez organiser un événement mondial, les Jeux Olympiques, alors usez de votre influence pour dire aux militaires birmans que la Birmanie a le droit à la liberté, comme n'importe quel autre pays dans le monde.
Voilà les idées que doit porter l'Europe. Je voudrais terminer par cela. Les démocraties ne doivent pas être faibles, les démocraties ne doivent pas renoncer, les démocraties ne doivent pas être couchées, les démocraties ne doivent pas parler à voix basse. Chaque fois qu'en Europe on a renoncé, on s'est reniés, on s'est aplatis, on a démissionné, chaque fois ce sont les Européens qui l'ont payé cher.
Souvenez-vous des années 30, de la montée du nazisme, de la montée d'Hitler. Un certain nombre d'Européens a voulu fermer les yeux, se boucher les oreilles, ne rien voir, ne rien comprendre, ne rien entendre, ne pas se mettre debout contre la folie, contre la tyrannie, contre la dictature qui montait, et nous l'avons payé cher.Chers Amis, la démocratie se mérite et le meilleur conseil que je puisse vous donner est d'être passionnément raisonnables. Mettez de la passion dans votre raison et n'acceptez pas que qui que ce soit vienne contester cette liberté que vous avez chèrement conquise. Je vous remercie.