LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu les articles 6, 7 et 58 de la Constitution ;

Vu l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 modifiée relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment son article 30 ;

Vu le décret n° 64-231 du 14 mars 1964 modifié pris pour l'application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, notamment ses articles 26 et 27 ;

Vu le décret n° 8&-213 du II mars 1980 modifié fixant, pour les départements et territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre et Miquelon, les modalités d'application ou d'adaptation du décret du 14 mars 1964, notamment son article 13 ;

Vu la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 modifiée sur le vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République ;

Vu le décret n° 76-950 du 14 octobre 1976 modifié portant application de la loi organique du 31 janvier 1976, notamment son article 44 ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel en date du II mai 1988 proclamant Monsieur François MITTERRAND Président de la République et la date à laquelle celui-ci a pris ses fonctions ;

Vu le décret n° 95-285 du 10 mars 1995 portant convocation des électeurs pour l'élection du Président de la République ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel en date du 6 avril 1995 arrêtant la liste des candidats à l'élection du Président de la République et constatant le dépôt de leur déclaration de situation patrimoniale ;

Vu la déclaration du Conseil constitutionnel en date du 26 avril 1995 faisant connaître les résultats du premier tour de scrutin ;

Vu les rectifications apportées aux résultats du premier tour de scrutin pour les départements du Calvados, de la Côte-d'0r, de l'Essonne, de l'Indre, de la Loire, de la Manche, du Pas-de-Calais et du Val-de-Marne ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel en date du 27 avril 1995, arrêtant la liste des candidats habilités à se présenter au second tour de l'élection du Président de la République ;

Vu pour l'ensemble des départements, la Nouvelle-Calédonie, Mayotte, la Polynésie française, Saint-Pierre et Miquelon et Wallis et Futuna, les procès-verbaux établis par les commissions de recensement ainsi que les procès-verbaux des opérations de vote portant mention des réclamations présentées par des électeurs et les pièces jointes ;

Vu les résultats consignés dans le procès-verbal établi par la commission électorale instituée par l'article 5 de la loi du 31 janvier 1976 susvisée ainsi que les réclamations présentées par des électeurs mentionnées dans les procès-verbaux des opérations de vote ;

Vu les réclamations qui ont été adressées au Conseil constitutionnel en application de l'article 28 du décret du 14 mars 1964 susvisé ;

Vu le procès-verbal rectifié de la commission de recensement du département des

Bouches-du-Rhône pour le premier tour parvenu au Conseil constitutionnel le 9 mai 1995 ;

Vu les rapports des délégués du Conseil constitutionnel ;

Les rapporteurs ayant été entendus ;

Après avoir opéré diverses rectifications d'erreurs matérielles, procédé aux redressements qu'il a jugé nécessaires et aux annulations énoncées ci-après ;

- SUR LES OPERATIONS ELECTORALES DANS CERTAINS DEPARTEMENTS :

l. Considérant que dans la commune de Chevregny (Aisne) où 138 suffrages ont été exprimés, il ressort de l'examen de la liste d'émargement que, de manière générale, le vote de chaque électeur n'a pas été constaté par apposition de sa propre signature en face de son nom sur ladite liste en méconnaissance des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 62-1 du code électoral ; qu'il y a donc lieu d'annuler les résultats du scrutin dans la commune en cause ;

2. Considérant que le bureau de vote unique de la commune de Saint-Martin de Bromes (Alpes-de-Haute-Provence), dans lequel 244 suffrages ont été exprimés, a été fermé de 12 h 30 à 13 h 50 et que l'urne a été laissée sans surveillance pendant une heure vingt ; que cette interruption des opérations électorales et cette fermeture du bureau de vote intervenues en violation de l'article R. 41 du code électoral constituent des irrégularités ; que par suite, compte tenu des circonstances de l'espèce, il y a lieu d'annuler les résultats du scrutin dans le bureau de vote en cause ;

3. Considérant que dans le 5° bureau de vote de la commune de Lavelanet (Ariège), dans lequel 807 suffrages ont été exprimés, il n'a pas été procédé au contrôle de l'identité des électeurs au moyen d'un titre d'identité, en violation des dispositions des articles L. 62 et R. 60 du code électoral ; que le rappel des obligations qui s'imposent en la matière, effectué par le délégué du Conseil constitutionnel en fin de matinée, est resté sans effet comme il l'a lui-même consigné sur le procès-verbal des opérations de vote à 17 heures ; que le Conseil constitutionnel n'est pas en mesure de s'assurer de la sincérité des résultats du scrutin dans le bureau de vote considéré ; qu'il y a lieu par suite d'en annuler les résultats ;

4. Considérant qu'il résulte des articles L. 62 et L. 63 du code électoral qu'il ne peut être mis à la disposition des électeurs qu'une seule urne par bureau de vote ; que, par suite, c'est en violation de ces prescriptions que deux urnes ont été mises à la disposition des électeurs dans l'unique bureau de vote d'une part de la commune des Riceys (Aube) dans lequel 846 suffrages ont été exprimés et d'autre part de la commune de Sévignac (Côtes d'Armor) dans lequel 735 suffrages ont été exprimés ; qu'il y a donc lieu d'annuler les résultats du scrutin dans les communes en cause ;

5. Considérant que dans le bureau de vote de Monestier d'Ambel (Isère) où 43 suffrages ont été exprimés, le délégué du Conseil constitutionnel a relevé diverses irrégularités, notamment la présence du seul président du bureau à la table de vote, le nombre insuffisant des membres du bureau inscrits, l'absence de table de décharge pour le dépôt des enveloppes et des bulletins et enfin l'absence de panneaux d'affichage à l'extérieur du bureau, en méconnaissance des articles R. 42, L. 51 et L. 58 du code électoral ; qu'en outre, le délégué a constaté que certains électeurs qui exigeaient le respect des règles relatives à l'organisation du scrutin se sont heurtés à un refus du président du bureau de vote sans que, au surplus, celui-ci avance une quelconque justification à l'appui de ses décisions ; que, par suite, il y a lieu d'annuler les résultats du scrutin dans le bureau de vote en cause ;

6. Considérant qu'il est allégué que dans le département de la Loire un soutien tardif à l'un des deux candidats a été publié par la presse locale le samedi 6 mai 1995 et qu'un tract qualifié de " diffamatoire " contre l'un des deux candidats aurait été diffusé ; qu'il est allégué en outre qu'un tract appelant à voter pour l'un des deux candidats aurait été diffusé à des personnes âgées dans le même temps que leur ont été distribuées les professions de foi ; que ces circonstances ne peuvent être regardées comme ayant affecté le résultat du scrutin dans ce département dès lors que, d'une part, la réalité du soutien en cause n'est pas contestée, que, d'autre part, il n'est pas allégué que le candidat mis en cause n'ait pu répondre utilement au tract contesté et qu'enfin l'ampleur de la diffusion critiquée n'est ni établie ni même évaluée par le protestataire ;

7. Considérant que dans le bureau de vote de la commune de Lannes (Haute-Marne), où 158 suffrages ont été exprimés, il a été fait usage d'une urne métallique en violation des dispositions de l'article L. 63 du code électoral en vertu desquelles l'urne électorale est transparente ; que, par suite, les résultats du scrutin doivent être annulés dans le bureau considéré ;

8. Considérant que dans le bureau de vote n° 3 de la commune de La Charité sur Loire (Nièvre), où 697 suffrages ont été exprimés, il n'a pas été procédé au contrôle de l'identité des électeurs en méconnaissance des articles L. 62 et R. 60 du code électoral ; qu'en outre, un électeur ayant déclaré être en possession d'un titre d'identité a refusé de le produire et qu'invité par le président du bureau à s'expliquer avec le délégué du Conseil, il a violemment apostrophé ce délégué sans provoquer l'intervention des membres du bureau de vote ; que cet électeur a ensuite été admis à voter par le président du bureau sans présenter de titre d'identité ; que la volonté de ne pas se conformer aux prescriptions des articles L. 62 et R. 60 du code électoral est manifeste ; qu'en conséquence, il y a lieu d'annuler le résultat du scrutin dans ce bureau ;

9. Considérant qu'il résulte des articles L. 62 et L. 63 du code électoral qu'il ne peut être mis à la disposition des électeurs qu'une seule urne par bureau de vote ; que par suite c'est en violation de ces prescriptions que deux urnes ont été mises à la disposition des électeurs d'une part dans la commune de Sains

10. Considérant qu'il résulte des constatations effectuées par le délégué du Conseil constitutionnel dans le ler bureau de la commune de Waziers (Nord), dans lequel l 269 suffrages ont été exprimés, qu'il n'a pas été procédé, au moyen de titres d'identité, au contrôle de l'identité des électeurs en violation des dispositions des articles L. 62 et R. 60 du code électoral ; qu'invité par le délégué du Conseil à se conformer aux textes en vigueur, le président de ce bureau de vote est délibérément passé outre ; que cette circonstance met le Conseil constitutionnel dans l'impossibilité de s'assurer de la sincérité du scrutin ; que par suite il y a lieu d'annuler l'ensemble des suffrages dans le bureau considéré ;

11. Considérant que si un électeur de la commune du Pré-Saint-Gervais (Seine-St-Denis) fait valoir que le maire n'a pas été désigné comme président d'un des 7 bureaux de vote, alors qu'il n'était pas justifié d'un quelconque empêchement le concernant, cette irrégularité, à la supposer établie, n'a pas eu dans les circonstances de l'espèce pour effet de porter atteinte à la liberté ou la sincérité du scrutin ;

12. Considérant que dans les bureaux de vote de la salle des fêtes et de la mairie de Saint-Junien (Haute-Vienne) dans lesquels 2 562 suffrages ont été exprimés, les électeurs n'ont pas été invités à passer par l'isoloir et leur identité n'a pas été contrôlée pendant toute la durée des opérations électorales, en violation des dispositions des articles L. 62 et R. 60 du code électoral ; que cette irrégularité s'est poursuivie en dépit des observations faites par le magistrat délégué du Conseil constitutionnel ; que, compte tenu de la persistance des bureaux de vote à ne pas appliquer les dispositions susvisées après l'intervention de ce magistrat, le Conseil constitutionnel n'est pas en mesure de s'assurer de la sincérité du scrutin ; que par suite il y a lieu d'annuler l'ensemble des suffrages émis dans les bureaux en cause ;

13. Considérant que, pour tout bureau de vote où le nombre des émargements était inférieur au nombre de bulletins et enveloppes trouvés dans l'urne, la commission de recensement des Vosges a décidé de retrancher du nombre de suffrages obtenu par le candidat arrivé en tête dans le bureau concerné, un nombre de voix égal à la différence constatée ; que cette opération qui n'entrait au demeurant pas dans les attributions de la commission telles qu'elles sont définies au 1er alinéa de l'article 26 du décret susvisé du 14 mars 1964, a eu pour conséquence d'annuler 12 suffrages qui doivent être regardés, eu égard à la faiblesse des discordances relevées, comme ayant été régulièrement exprimés ; qu'il y a donc lieu de rectifier les résultats issus des travaux de la commission et de majorer le résultat de chacun des candidats du nombre de suffrages dont la décision de la commission l'avait privé, soit 9 pour Monsieur Lionel JOSPIN et 3 pour Monsieur Jacques CHIRAC ;

14. Considérant que la circonstance, invoquée par une électrice du 20e bureau de la commune de Maisons-Alfort (Val-de-Marne), que les enveloppes fournies aux électeurs de ce bureau ont été établies lors de la consultation électorale organisée en 1988 en vue de l'élection du Président de la République est sans incidence sur la régularité des opérations électorales, dès lors que la mise à disposition de telles enveloppes, d'un modèle uniforme pour ce bureau, satisfaisait en l'espèce aux prescriptions de l'article L. 60 du code électoral en vertu desquelles les enveloppes fournies aux électeurs doivent être d'une couleur différente de celle de la précédente consultation électorale ;

15. Considérant qu'il résulte d'éléments d'instruction supplémentaires recueillis par le Conseil constitutionnel postérieurement à la déclaration susvisée du 26 avril 1995 que s'il n'a pas été procédé jusqu'aux environs de midi, le 23 avril 1995, dans deux bureaux de vote de la commune d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) à la constatation de l'identité des électeurs avant que les enveloppes leur soient remises en méconnaissance de l'article L. 62 du code électoral, en revanche il a été procédé à un contrôle de leur identité au moment du vote conformément à l'article R. 60 du même code ; que dans ces conditions, il y a lieu de prendre en compte les suffrages exprimés dans ces deux bureaux ;

16. Considérant que, dans le bureau n° 4 de la commune de Païta (Nouvelle-Calédonie), dans lequel 648 suffrages ont été exprimés, il n'a pas été procédé au contrôle de l'identité des électeurs en méconnaissance des dispositions des articles L. 62 et R. 60 du code électoral ; que, compte tenu de la persistance du bureau de vote à ne pas exiger la présentation des titres prévus par la réglementation, en dépit des observations faites par le délégué du Conseil constitutionnel, le Conseil constitutionnel n'est pas en mesure de s'assurer de la sincérité du scrutin ; que, par suite, les résultats de celui-ci doivent être annulés dans le bureau considéré ;

- SUR DES RECLAMATIONS ADRESSEES AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL PAR CERTAINS ELECTEURS :

17. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 28 du décret susvisé du 14 mais 1964 que la faculté de saisir directement le Conseil constitutionnel est réservée aux candidats ainsi qu'au représentant de l'Etat ; qu'un électeur ne peut contester les opérations qu'en faisant porter au procès-verbal des opérations de vote mention de sa réclamation ; qu'il suit de là que les réclamations adressées directement au Conseil constitutionnel ne sont pas recevables ;

- SUR L'ENSEMBLE DES RESULTATS DU SCRUTIN DU SECOND TOUR :

18. Considérant que la circonstance, invoquée par un électeur à l'appui de sa réclamation, que certaines recommandations et décisions du Conseil supérieur de l'audiovisuel adoptées avant le premier tour de scrutin l'auraient été au terme d'une procédure irrégulière au regard de l'article 46 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée n'a, en l'espèce, pas eu pour effet de porter atteinte à la régularité ou à la sincérité du scrutin ;

19. Considérant que, compte tenu des rectifications et annulations opérées, les résultats du premier tour ci-après et du second tour de scrutin doivent être arrêtés conformément aux tableaux annexés à la présente décision ;

20. Considérant que les résultats du second tour sont les suivants :

- Electeurs inscrits : 39 976 944

- Votants : 31 845 819

- Suffrages exprimés : 29 943 671

- Majorité absolue : 14 971 836

- Ont obtenu :

- Monsieur Jacques CHIRAC : 15 763 027

- Monsieur Lionel JOSPIN : 14 180 644

- Qu'ainsi Monsieur Jacques CHIRAC a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés requise pour être proclamé élu ;

En conséquence,

PROCLAME:

Monsieur Jacques CHIRAC Président de la République française à compter de la cessation des fonctions de Monsieur François MITTERRAND, laquelle, en vertu de l'article 6 de la Constitution, aura lieu, au plus tard, le 21 mai 1995 à 0 heure.

Les résultats de l'élection et la déclaration de la situation patrimoniale de Monsieur Jacques CHIRAC seront publiés au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans ses séances des 10, 11 et 12 mai

1995

où siégeaient : MM. Roland DUMAS, Président, Etienne DAILLY, Maurice FAURE,

Marcel RUDLOFF, Georges ABADIE, Jean CABANNES, Michel AMELLER, Jacques

ROBERT et Mme Noëlle LENOIR.

Décision publiée au J.O. du 14 mai 1995, p. 8149

Mis à jour le : 15 décembre 2022