Pendant ses quatre premières années, de projets avortés en propositions éphémères, la IIIe République ne dispose d’aucun socle constitutionnel stable. La nature même du régime reste en suspens, soumise à un bras de fer entre républicains, monarchistes orléanistes et légitimistes.
Ce n’est qu’au début de l’année 1875 que l’Assemblée met fin à ce régime du provisoire : trente personnalités politiques, majoritairement monarchistes, sont chargées d’élaborer un ensemble de lois fondamentales pour étayer et pérenniser la nouvelle organisation politique.
Par la loi du 24 février 1875, la commission des Trente organise le Sénat. Le choix du bicamérisme offre un contrepoids à la représentation populaire à l’Assemblée Nationale.
La loi du 25 février règlemente les pouvoirs publics. Le célèbre amendement Wallon, par la mention d’un « Président de la République », valide la nature républicaine du nouveau gouvernement. Par méfiance des mouvements d’opinion populaire qui ont mené Louis-Napoléon Bonaparte au pouvoir, on confie son élection au vote des parlementaires, et non pas au suffrage universel. Élu pour sept ans, irresponsable devant les Chambres, le Président de la République dispose d’un pouvoir fort, qu’il partage toutefois avec un gouvernement dirigé par un Président du Conseil aux attributions importantes.
Enfin la loi du 16 juillet 1875 définit les rapports des pouvoirs publics.
Elles sont complétées par les lois organiques du 2 août et du 30 novembre 1875 qui précisent les procédures électorales.
Le régime que ces lois bâtissent marie ainsi les principes de la République et ceux de la monarchie constitutionnelle.
La loi du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs publics
ARTICLE PREMIER. - Le pouvoir législatif s'exerce par deux assemblées : la Chambre des députés et le Sénat. - La Chambre des Députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions déterminées par la loi électorale. - La composition, le mode de nomination et les attributions du Sénat seront réglés par une loi spéciale.
ART. 2. - Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible.
ART. 3. - Le président de la République a l'initiative des lois, concurremment avec les membres des deux chambres. Il promulgue les lois lorsqu'elles ont été votées par les deux chambres ; il en surveille et en assure l'exécution. - Il a le droit de faire grâce ; les amnisties ne peuvent être accordées que par une loi. - Il dispose de la force armée. - Il nomme à tous les emplois civils et militaires. - Il préside aux solennités nationales ; les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui. - Chacun des actes du président de la République doit être contresigné par un ministre.
ART. 4. - Au fur et à mesure des vacances qui se produiront à partir de la promulgation de la présente loi, le président de la République nomme, en Conseil des ministres, les conseillers d'Etat en service ordinaire. - Les conseillers d'Etat ainsi nommés ne pourront être révoqués que par décret rendu en Conseil des ministres. - Les conseillers d'Etat nommés en vertu de la loi du 24 mai 1872 ne pourront, jusqu'à l'expiration de leurs pouvoirs, être révoqués que dans la forme déterminée par cette loi. - Après la séparation de l'Assemblée nationale, la révocation ne pourra être prononcée que par une résolution du Sénat.
ART. 5. - Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat. - En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour de nouvelles élections dans le délai de trois mois.
ART. 6. - Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du Gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. - Le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison.
ART. 7. - En cas de vacance par décès ou pour toute autre cause, les deux chambres procèdent immédiatement à l'élection d'un nouveau Président. - Dans l'intervalle, le Conseil des ministres est investi du pouvoir exécutif.
ART. 8. - Les chambres auront le droit, par délibérations séparées prises dans chacune à la majorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du Président de la République, de déclarer qu'il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. - Après que chacune des deux chambres aura pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée nationale pour procéder à la révision. - Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles, en tout ou en partie, devront être prises à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale. - Toutefois, pendant la durée des pouvoirs conférés par la loi du 20 novembre 1873 à M. le maréchal de Mac-Mahon, cette révision ne peut avoir lieu que sur proposition du Président de la République.
ART. 9. - Le siège du pouvoir exécutif et des deux chambres est à Versailles.
Loi du 24 février 1875 relative à l'organisation du Sénat
ARTICLE PREMIER. - Le Sénat se compose de trois cents membres : deux cent vingt-cinq élus par les départements et les colonies, et soixante-quinze élus par l'Assemblée nationale.
ART. 2. - Les départements de la Seine et du Nord éliront chacun cinq sénateurs ; - Les départements de la Seine-Inférieure, Pas-de-Calais, Gironde, Rhône, Finistère, Côtes-du-Nord, chacun quatre sénateurs ; - La Loire-Inférieure, Saône-et-Loire, Ille-et-Vilaine, Seine-et-Oise, Isère, Puy-de-Dôme, Somme, Bouches-du-Rhône, Aisne, Loire, Manche, Maine-et-Loire, Morbihan, Dordogne, Haute-Garonne, Charente-Inférieure, Calvados, Sarthe, Hérault, Basses-Pyrénées, Gard, Aveyron, Vendée, Orne, Oise, Vosges, Allier, chacun trois sénateurs ; - Tous les autres départements, chacun deux sénateurs. - Le territoire de Belfort, les trois départements de l'Algérie, les quatre colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion et des Indes françaises éliront chacun un sénateur.
ART. 3. - Nul ne peut être sénateur s'il n'est Français, âgé de quarante ans au moins et s'il ne jouit de ses droits civils et politiques.
ART. 4. - Les sénateurs des départements et des colonies sont élus à la majorité absolue, et, quand il y a lieu, au scrutin de liste, par un collège réuni au chef-lieu du département ou de la colonie, et composé : 1° des députés ; 2° des conseillers généraux ; 3° des conseillers d'arrondissement ; 4° des délégués élus, un par chaque conseil municipal, parmi les électeurs de la commune. - Dans l'Inde française, les membres du Conseil colonial ou des conseils locaux sont substitués aux conseillers généraux, aux conseillers d'arrondissement et aux délégués des conseils municipaux. - Ils votent au chef-lieu de chaque établissement.
ART. 5. - Les sénateurs nommés par l'Assemblée sont élus au scrutin de liste et à la majorité absolue des suffrages.
ART. 6. - Les sénateurs des départements et des colonies sont élus pour neuf années et renouvelables par tiers, tous les trois ans. - Au début de la première session, les départements seront divisés en trois séries, contenant chacune un égal nombre de sénateurs. Il sera procédé, par la voie du tirage au sort, à la désignation des séries qui devront être renouvelées à l'expiration de la première et de la deuxième période triennale.
ART. 7. - Les sénateurs élus par l'Assemblée sont inamovibles. - En cas de vacance par décès, démission ou autre cause, il sera, dans les deux mois, pourvu au remplacement par le Sénat lui-même.
ART. 8. - Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des députés, l'initiative et la confection des lois. - Toutefois, les lois de finances doivent être, en premier lieu, déposées à la Chambre des députés et votées par elle.
ART. 9. - Le Sénat peut être constitué en Cour de justice pour juger, soit le Président de la République, soit les ministres, et pour connaître des attentats commis contre la sûreté de l'Etat.
ART. 10. - Il sera procédé à l'élection du Sénat un mois avant l'époque fixée par l'Assemblée nationale pour sa séparation. - Le Sénat entrera en fonctions et se constituera le jour même où l'Assemblée nationale se séparera.
ART. 11. - La présente loi ne pourra être promulguée qu'après le vote définitif de la loi sur les pouvoirs publics.
Loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics
ARTICLE PREMIER. - Le Sénat et la Chambre des députés se réunissent chaque année le second mardi de janvier, à moins d'une convocation antérieure faite par le Président de la République. - Les deux chambres doivent être réunies en session cinq mois au moins chaque année. La session de l'une commence et finit en même temps que celle de l'autre. - Le dimanche qui suivra la rentrée, des prières publiques seront adressées à Dieu dans les églises et dans les temples pour appeler son secours sur les travaux des assemblées.
ART. 2. - Le Président de la République prononce la clôture de la session. Il a le droit de convoquer extraordinairement les chambres. Il devra les convoquer si la demande en est faite, dans l'intervalle des sessions, par la majorité absolue des membres composant chaque chambre. - Le Président peut ajourner les chambres. Toutefois, l'ajournement ne peut excéder le terme d'un mois ni avoir lieu plus de deux fois dans la même session.
ART. 3. - Un mois avant le terme légal des pouvoirs du Président de la République, les chambres devront être réunies en Assemblée nationale pour procéder à l'élection du nouveau Président. - A défaut de convocation, cette réunion aurait lieu de plein droit le quinzième jour avant l'expiration de ces pouvoirs. - En cas de décès ou de démission du Président de la République, les deux chambres se réunissent immédiatement et de plein droit. - Dans le cas où, par application de l'article 5 de la loi du 25 février 1875, la Chambre des députés se trouverait dissoute au moment où la présidence de la République deviendrait vacante, les collèges électoraux seraient convoqués, et le Sénat se réunirait de plein droit.
ART. 4. - Toute assemblée de l'une des deux chambres qui serait tenue hors du temps de la session commune est illicite et nulle de plein droit, sauf le cas prévu par l'article précédent et celui où le Sénat est réuni comme Cour de justice ; et, dans ce dernier cas, il ne peut exercer que des fonctions judiciaires.
ART. 5. - Les séances du Sénat et celles de la Chambre des députés sont publiques. - Néanmoins, chaque chambre peut se former en comité secret, sur la demande d'un certain nombre de ses membres, fixé par le règlement. - Elle décide ensuite, à la majorité absolue, si la séance doit être reprise en public sur le même sujet.
ART. 6. - Le Président de la République communique avec les chambres par des messages qui sont lus à la tribune par un ministre. - Les ministres ont leur entrée dans les deux chambres et doivent être entendus quand ils le demandent. Ils peuvent se faire assister par des commissaires désignés, pour la discussion d'un projet de loi déterminé, par décret du Président de la République.
ART. 7. - Le Président de la République promulgue les lois dans le mois qui suit la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée. Il doit promulguer dans les trois jours les lois dont la promulgation, par un vote exprès de l'une et l'autre chambres, aura été déclarée urgente. - Dans le délai fixé par la promulgation, le Président de la République peut, par un message motivé, demander aux deux chambres une nouvelle délibération qui ne peut être refusée.
ART. 8. - Le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt que l'intérêt et la sûreté de l'Etat le permettent. - Les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger, ne sont définitifs qu'après avoir été votés par les deux chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi.
ART. 9. - Le Président de la République ne peut déclarer la guerre sans l'assentiment préalable des deux chambres.
ART. 10. - Chacune des chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de l'élection ; elle peut, seule, recevoir leur démission.
ART. 11. - Le bureau de chacune des deux chambres est élu chaque année pour la durée de la session, et pour toute session extraordinaire qui aurait lieu avant la session ordinaire de l'année suivante. - Lorsque les deux chambres se réunissent en Assemblée nationale, leur bureau se compose du président, des vice-présidents et secrétaires du Sénat.
ART. 12. - Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés, et ne peut être jugé que par le Sénat. - Les ministres peuvent être mis en accusation par la Chambre des députés pour crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions. En ce cas, ils sont jugés par le Sénat. - Le Sénat peut être constitué en Cour de justice par un décret du Président de la République, rendu en Conseil des ministres, pour juger toute personne prévenue d'attentat contre la sûreté de l'Etat. - Si l'instruction est commencée par la justice ordinaire, le décret de convocation du Sénat peut être rendu jusqu'à l'arrêt de renvoi. - Une loi déterminera le mode de procéder pour l'accusation, l'instruction et le jugement.
ART. 13. - Aucun membre de l'une ou de l'autre chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions.
ART. 14. - Aucun membre de l'une ou de l'autre chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de la chambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit. - La détention ou la poursuite d'un membre de l'une ou de l'autre chambre est suspendue pendant la session, et pour toute sa durée, si la chambre le requiert.
Les révisions constitutionnelles
Loi du 21 juin 1879, portant abrogation de l'article 9 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875
ARTICLE UNIQUE. - L'article 9 de la loi constitutionnelle du 25 février1875 est abrogé.
Loi du 14 août 1884, portant révision partielle des lois constitutionnelles.
ARTICLE PREMIER. - Le paragraphe 2 de l'article 5 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, relative à l'organisation des pouvoirs publics, est modifié ainsi qu'il suit : - " En ce cas, les collèges électoraux sont réunis pour de nouvelles élections dans le délai de deux mois et la Chambre dans les dix jours qui suivront la clôture des opérations électorales. "
ART. 2. - Le paragraphe 3 de l'article 8 de la même loi est complété ainsi qu'il suit : - " La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision. - " Les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la République. "
ART. 3. - Les articles 1 à 7 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875, relatifs à l'organisation du Sénat, n'auront plus le caractère constitutionnel.
ART. 4. - Le paragraphe 3 de l'article premier de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, sur les rapports des pouvoirs publics, est abrogé.
Loi constitutionnelle du 10 août 1926, complétant la loi constitutionnelle du 25 février 1875.
ARTICLE UNIQUE. - La loi constitutionnelle du 25 février 1875, relative à l'organisation des pouvoirs publics est complétée par un article ainsi conçu : - " L'autonomie de la caisse de gestion des bons de la défense nationale et d'amortissement de la dette publique a le caractère constitutionnel.
Seront affectés à cette caisse, jusqu'à l'amortissement complet des bons de la défense nationale et des titres créés par la caisse :
1° Les recettes nettes de la vente des tabacs ;
2° Le produit de la taxe complémentaire et exceptionnelle sur la première mutation des droits de succession et les contributions volontaires ;
Le produit des ressources ci-dessus énumérées au cours du premier exercice qui suivra la promulgation de la présente loi, constitue la dotation annuelle minimum de la caisse d'amortissement.
3° En cas d'insuffisance des ressources ci-dessus pour assurer le service des bons gérés par la caisse et des titres créés par elle, une annuité au moins égale, inscrite au budget. "
Mis à jour le : 15 décembre 2022