24 mai 2005 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Jacques Chirac, Président de la République, dans le journal "Pote à Pote" du 24 mai 2005, sur la lutte contre la "fracture sociale" et les discriminations à l'encontre des femmes.

QUESTION - N'est-il pas inquiétant de voir se propager un certain type de désespérance dans les quartiers ? Comment résorber la fracture socio-ethnique que vous avez évoquée à plusieurs reprises ? Comment casser les ghettos ?
LE PRESIDENT - Ce qui est en jeu est essentiel. Ce sont les valeurs sur lesquelles est fondée la République : l'égalité des droits et des chances, le respect de la dignité de l'homme, la tolérance. C'est notre modèle français et humaniste qui est en cause.
Ce combat est un combat pour la justice. C'est un combat pour notre avenir. C'est pour cela que j'y mets tout mon engagement et, en quelque sorte, aussi tout mon coeur.
La situation est difficile et on ne la changera pas en un jour. Mais nous nous sommes donné les moyens d'agir.
D'abord en s'attaquant au problème du logement et de l'urbanisme car on n'a pas réellement sa chance quand on vit dans un environnement dégradé et démoralisant. Le plan de rénovation urbaine, lancé par le Gouvernement, représente un effort de la Nation à la mesure des enjeux. D'ores et déjà, 120 programmes ont été lancés. Ils concernent un million de personnes.
Ensuite évidemment, il y a l'emploi. Plus que partout ailleurs le chômage fait des ravages dans les cités. La réponse, c'est la réforme de l'école et le plan de cohésion sociale. Donner à chacun la formation nécessaire pour accéder à l'emploi. Aider ceux qui sont enfermés dans les dispositifs d'assistance à aller vers l'emploi. Accompagner les jeunes en difficulté vers de vrais emplois en entreprise. Tels sont les objectifs que j'ai assignés au Gouvernement. Et nous avons mis en face des moyens sans précédent : 13 Mds d'euros sur 5 ans. Le plan de cohésion sociale commence à être mis en oeuvre. Les résultats seront bientôt au rendez-vous.
Enfin, il y a les discriminations. C'est le poison de la démocratie. C'est un "mur de verre" qui fait que quand on est né dans les quartiers trop souvent on n'a pas réellement sa chance. C'est pourquoi j'ai créé la haute autorité de lutte contre les discriminations. J'ai été heureux que Fadéla AMARA accepte d'y siéger. J'attends beaucoup de cette nouvelle institution si essentielle pour garantir l'égalité des chances.
C'est donc un effort massif qui est engagé. C'est un travail de longue haleine qui exige de la patience et de la détermination. Il est au coeur de mon action et de mon engagement pour la France.
QUESTION - On vous sait profondément attaché aux valeurs républicaines d'égalité entre les sexes, de refus des discriminations. Or, c'est le deuxième mandat que vous entamez et ces discriminations, à l'encontre de femmes et de jeunes filles, continuent aujourd'hui d'être pratiquées sur le territoire français. Comment envisagez-vous de remédier à ce problème ?
LE PRESIDENT - Oui, je suis particulièrement attaché au principe d'égalité entre les sexes rappelé par l'article premier de la Constitution française. D'abord parce qu'il en va du droit de toutes les femmes de choisir leur vie.
La priorité, c'est d'abord d'agir avec la plus extrême fermeté contre toutes les violences faites aux femmes, les violences physiques si nombreuses, mais aussi toutes ces violences plus insidieuses que constituent le harcèlement, les pressions de toutes sortes ou les mariages forcés. Mobilisation de tous les services de l'Etat, en particulier de la police et de la justice £ protection des victimes £ éloignement des conjoints violents du domicile conjugal : nous nous sommes donné les moyens d'agir avec rigueur. Et tout récemment, la loi du 30 décembre 2004 est venue compléter notre arsenal juridique en permettant de sanctionner les propos sexistes.
Le respect de la dignité des femmes passe aussi par l'affirmation du rôle essentiel de la mixité. C'est aussi pour cela que je me suis engagé pour redonner tout son sens au principe de laïcité dans l'enseignement public. Un principe qui n'est dirigé contre aucune croyance, mais qui permet à chaque enfant de se construire à l'abri de toute pression et de toute contrainte. Et j'ai été heureux de voir des mouvements comme "Ni putes ni soumises" s'engager courageusement dans ce combat.
L'égalité des sexes passe également par l'égalité professionnelle. Dans l'accès à certains métiers, dans la nomination aux postes de direction, dans l'obtention de salaires équivalents à ceux des hommes, dans la conciliation de leur vie professionnelle et familiale, les femmes rencontrent encore d'importantes difficultés. C'est une véritable perte pour notre société, qui se prive ainsi de grandes compétences. Face à une telle situation on ne pouvait plus attendre que la société change petit à petit. J'ai voulu que la loi intervienne. Le texte adopté en conseil des ministres le 24 mars dernier permettra d'avancer de manière décisive en matière d'égalité salariale en vue d'aboutir dans un délai de cinq ans à la suppression de tous les écarts de rémunération.
Le Traité instituant une constitution européenne va également nous permettre d'avancer plus rapidement vers cet objectif. Son article II-83 consacre en effet l'égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines, y compris en matière d'emploi, de travail et de rémunération. Ce sera un instrument puissant pour agir sur l'ensemble de notre droit et renforcer l'égalité professionnelle dans tous les compartiments de notre vie sociale. Et cela désormais à l'échelle de tout un continent.
QUESTION - Si le oui l'emporte, quelle sera votre vision de l'Europe dans le monde, et du rôle particulier de la France dans le monde ? Quelles sont vos perspectives en matière de sécurité des Etats, de paix, de développement social et économique ?
LE PRESIDENT - Chacun le sent, nous sommes à une étape historique dans la marche de l'Europe. Pour la première fois, c'est tout un continent qui se rassemble pour construire un destin commun dans le respect des Nations et des peuples. C'est une aventure unique. C'est pour cela que j'ai voulu un Référendum.
Pour la première fois, tous les pays d'Europe sont réunis après des siècles d'affrontements et l'horreur de deux guerres mondiales et du rideau de fer. Et pour la première fois, 25 pays européens affirment non seulement leur volonté de créer un marché commun, mais aussi une union politique des Nations et des peuples soudée par l'affirmation des mêmes valeurs. Cela veut dire que nous serons désormais 450 millions d'Européens à nous mobiliser pour défendre tout ce qui fait notre identité, toutes ces valeurs d'humanisme, d'égalité des sexes ou de refus des discriminations, ces libertés politiques et ces grandes conquêtes sociales qui font la force et la grandeur de l'Europe. On ne parle pas assez de la devise de l'Europe : Unis dans la diversité. Mais elle est symbolique de cette magnifique aventure de tolérance et d'ambition dans laquelle nous sommes engagés. C'est pour cela que j'ai dit que la Constitution européenne était la fille de 1789 et de 1989.
Avec l'Europe du traité constitutionnel, nous nous donnons aussi des chances nouvelles dans le domaine économique et social. Et nous donnons tout son sens à la solidarité entre les Nations et les peuples. En approfondissant la défense commune, en nous liant par des clauses d'assistance mutuelle en cas de catastrophes naturelles, en collaborant étroitement en matière de police et de justice, en mettant en place un véritable "bouclier sanitaire européen" et en joignant nos efforts pour la protection de l'environnement.
La Constitution permet enfin à l'Europe de porter haut des valeurs dont le monde a besoin. Le respect du droit, la justice, le dialogue entre les hommes et les cultures, le développement durable. Ce sont ces valeurs que la France a défendues et défend inlassablement. Sur l'Irak, pour l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto, pour la mise en place de financements innovants afin d'aider les pays les plus pauvres. Ces valeurs sont au coeur de la Constitution européenne. Ce sont des valeurs d'inspiration profondément françaises. Grâce au poids de l'Europe, nous serons infiniment plus forts pour les faire avancer dans le monde.
C'est pour cela que la Constitution et l'Europe ont tant besoin de l'adhésion et de l'engagement des peuples, c'est-à-dire de chacun d'entre-nous.