2 février 2005 - Seul le prononcé fait foi

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Toast de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur l'ancienneté et le développement des relations franco-sénégalaises, à Dakar le 2 février 2005.

Monsieur le Président de la République du Sénégal,
Mon cher, je dirai, mon très cher ami,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,
L'amitié, et l'affinité entre le Sénégal et la France, viennent une fois encore de se manifester à travers le mémorable accueil que ma délégation et moi-même avons reçu ce soir à Dakar. Un accueil si chaleureux, si souriant, si empli de joie de vivre £ un intense moment d'émoi, un intense moment d'émotions partagées. Un accueil sénégalais riche de cette qualité, de cette "teranga" qui lui est propre. Je voudrais que la population de Dakar, les Autorités sénégalaises et vous-même, Monsieur le Président ou cher ami, trouviez dans mes remerciements l'expression des sentiments très profonds de proximité et d'estime du peuple français à l'égard de vous-même et du peuple sénégalais. Ces sentiments viennent de loin. Nos regards se sont croisés, voici plus de trois siècles, suscitant une sympathie réciproque, une sympathie qui ne s'est jamais démentie.
Les racines de cette relation singulière entre la France et le Sénégal demeurent dans la mémoire vivante, où sont gravés les noms de ceux qui ont façonné une histoire commune, le Damel du Cayor, Lat Dior et son fils Mbakhane Diop, Faidherbe, Van Vollenhoven, Lamine Gueye, Léopold Sedar Senghor et bien d'autres... Une histoire faite de rencontres réussies, d'épisodes glorieux, de combats communs, des combats pour la liberté, pour la dignité, mais aussi de moments sombres et que nous devons également assumer. Dakar en offre le témoignage, comme une des plus belles cités d'Afrique née de la vision d'avenir des pères fondateurs du Sénégal moderne face à Gorée, lieu de mémoire d'un trafic infâme et honteux qui demeure une tache indélébile dans l'histoire de l'humanité.
Demain, Monsieur le Président, nous nous rendrons ensemble à Saint Louis, parce que c'est là que tout a commencé entre le Sénégal et la France. Je saluerai également les valeureux frères d'armes que nous avons eus à nos côtés et auxquels nous ne rendrons jamais assez hommage.
Ces fils du Sénégal ont versé leur sang pour la France et pour la liberté. Nous ne l'oublierons jamais. Les épreuves du Sénégal seront toujours les nôtres, comme ce fut le cas lors du terrible drame de Joola, qui a bouleversé les Français et suscité un profond élan de fraternité entre nos deux peuples.
Au-delà du passé, ce qui frappe, c'est que notre histoire récente porte la marque d'une rare convergence sur le contenu de nos relations mais aussi sur le regard que nous portons sur le monde et sur les grands principes qui doivent le guider.
C'est un fait que nous partageons pleinement avec le Sénégal l'adhésion aux principes démocratiques, aux libertés publiques, au respect de la vie humaine. Ensemble nous nous attachons à les faire progresser dans le monde. Le peuple sénégalais a été appelé de longue date à se déterminer par voie d'élections. Sa maturité politique, comme l'ouverture démocratique favorisée par votre prédécesseur, le Président Diouf et par vous-même, ont permis cette alternance tranquille à laquelle tout citoyen moderne aspire naturellement. Le Sénégal vient de donner un nouveau témoignage de son attachement aux droits de l'Homme en abolissant la peine de mort, à votre initiative Monsieur le Président, ce que vous me permettrez de saluer tout particulièrement. Comment également ne pas se réjouir des heureuses perspectives qu'ouvre l'émergence de la paix en Casamance. Vous avez su, par votre ténacité et par votre engagement, convaincre ceux qui s'étaient dévoyés dans la violence de vous rejoindre dans cette oeuvre essentielle et historique que constitue toute réconciliation nationale.
C'est dans ce même esprit que vous vous êtes investi personnellement Monsieur le Président, avec détermination et imagination, pour élaborer des solutions aux situations conflictuelles surgies en Afrique. C'est ainsi que pour Madagascar comme pour la Côte d'Ivoire, vous avez engagé les protagonistes sur la voie du dialogue, préalable indispensable à tout accord. Nous vous avons appuyé pleinement car nous partageons les mêmes analyses pour préserver ou rétablir la paix et la stabilité en Afrique.
C'est pourquoi nous nous retrouvons si souvent côte à côte, engagés dans les opérations de maintien de la paix. A cette occasion je dois rendre hommage aux Forces armées sénégalaises qui, au Liberia comme en République démocratique du Congo ou en Côte d'Ivoire, ont montré leur professionnalisme et leur très grand sens du devoir. De son côté, la France est fière de servir sous commandement sénégalais dans la force ONUCI déployée en Côte d'Ivoire pour préserver la paix civile et soutenir les efforts de réconciliation.
Notre confiance partagée dans l'avenir de l'Afrique inspire aussi notre action conjointe au service du NEPAD. Ensemble, lors des Sommets du G8 à Gênes, à Kananaskis, à Evian, nous avons défendu cette conception moderne et responsable de votre continent et de la solidarité internationale, largement due à votre vision, Monsieur le Président. Nous allons intensifier notre engagement cet été à Gleneagles, puisque le Royaume-Uni consacre à juste titre ce rendez-vous à l'Afrique et au développement, nous nous y retrouverons. 2005 doit être l'année d'un tournant dans la lutte contre la pauvreté et la mobilisation pour une Afrique pleinement insérée dans la mondialisation. A condition que la communauté internationale sache prendre des décisions courageuses et novatrices pour le financement du développement, vous venez de l'évoquer à l'instant C'est le sens des propositions, qu'en accord avec vous, que j'ai présentées à Davos la semaine dernière sur une taxation internationale au bénéfice du développement. Ensemble, nous pouvons faire progresser cette proposition en vue du Sommet de New York de septembre prochain.
Notre convergence se poursuit dans d'autres domaines où la communauté internationale doit aussi progresser. L'environnement, pour lequel nous soutenons ensemble le projet de création d'une Organisation des Nations Unies pour l'environnement. La lutte contre le sida, à laquelle j'ai proposé de consacrer le produit d'un premier prélèvement international de solidarité. Il permettra, en particulier, l'accès universel et gratuit des malades aux soins, dans les pays les plus pauvres ou les plus touchés. Sous votre impulsion, Monsieur le Président, mon cher ami, le Sénégal, encore une fois pionnier et exemplaire, a déjà fait ce choix de la gratuité. Je tiens à vous en donner témoignage et à vous exprimer reconnaissance et estime.
Dans l'esprit du NEPAD, en relation avec les grandes négociations visant à réduire cette "fracture agricole" que vous évoquiez à l'instant et qui est si préjudiciable à l'Afrique, vous avez lancé le "Dakar agricole" qui s'ouvre vendredi ici même, à Dakar. Je serai heureux d'y prendre part pour y exposer les vues françaises qui, une fois de plus, sont si proches des vôtres, car elles visent à l'efficacité et surtout à l'équité.
Monsieur le Président, mon cher ami, par de telles initiatives vous contribuez à donner au Sénégal une dimension particulière dans le monde, chacun le reconnaît. Votre pays est écouté car vous êtes porteur d'une vision et d'une ambition servies par une volonté peu commune.
En vous tournant vers le monde, en y faisant entendre la voix du Sénégal, vous avez la chance de pouvoir vous appuyer sur l'ardeur du peuple sénégalais et notamment de sa jeunesse si pleine de talents et si impatiente de les exprimer. Les signes du dynamisme sénégalais sont éclatants et multiples : le formidable essor urbain de Dakar, la réussite des jeunes entreprises dans les nouvelles technologies, l'exploitation des créneaux compétitifs, des expérimentations prometteuses en agronomie. Et puis de grands projets d'infrastructures qui remodèlent le pays et l'inscrivent dans le vaste ensemble de l'Afrique de l'Ouest. Oui, le Sénégal se montre entreprenant et attractif. Les chefs d'entreprises français le savent bien. Ceux qui m'accompagnent sont là pour témoigner que la France, votre premier partenaire économique, ne se désengage pas du Sénégal mais au contraire lui marque sa confiance et souhaite accompagner sa montée en puissance dans la région.
Le Sénégal est en mouvement.
Les réformes économiques, la bonne gestion des Finances publiques, le soutien de la communauté internationale ont produit leurs effets bénéfiques, grâce notamment à un allègement déterminant de la dette extérieure auquel la France a pris sa part et c'était légitime et naturel.
Dans un monde concurrentiel, la qualité de l'environnement de l'entreprise reste un élément décisif. Tous les investisseurs, qu'ils soient sénégalais ou européens, se rejoignent pour souhaiter que l'attention particulière du Gouvernement sénégalais en la matière se poursuive et porte ses fruits.
Certes le développement de l'Afrique dépendra aussi des investissements privés. Mais pour répondre aux attentes de cette jeune Nation qu'est encore le Sénégal, pour surmonter de dures contraintes climatiques, des chocs aussi ravageurs que ceux des criquets ou les aléas des cours mondiaux, pour financer les infrastructures indispensables, le pays doit pouvoir compter sur une aide publique généreuse. La France n'entend pas diminuer son appui, mais au contraire lui donner, dans un partenariat rénové, sur lequel nous nous sommes mis d'accord une efficacité accrue. Je vous confirme que nous resterons très présents dans la santé, en renouvelant comme vous le souhaitez notre appui à l'hôpital principal de Dakar. Dans l'éducation, également, en reconstruisant un nouveau lycée français qui pourra accueillir, à des conditions abordables, davantage d'élèves sénégalais et répondre aux attentes d'une communauté française dont tout indique qu'elle devrait croître dans les années qui viennent.
Parce qu'il n'y a pas de développement sans sécurité, nous continuerons à renforcer notre partenariat dans le domaine militaire en participant notamment à la formation et à l'équipement de l'armée sénégalaise.
Et puisque nous sommes dans la patrie de Léopold Sedar Senghor, nous soutiendrons, Monsieur le Président, votre volonté de renforcer le rayonnement de Dakar en matière de culture et de francophonie. Cette influence sur les esprits à travers les écrivains, les chercheurs, les cinéastes ou les artistes sénégalais a toujours donné à votre pays une place essentielle en Afrique et dans le monde.
Nous autres Français, sommes trop sensibles à cette dimension pour ne pas y retrouver une autre convergence de nos deux peuples. Entre Sénégalais et Français il y a une vibration commune, une même perception du monde, un même sentiment de destins liés. Je l'ai toujours personnellement ressenti, mais peut-être jamais plus que ce soir.
C'est ce sentiment profond que j'invoque en apportant au peuple sénégalais le salut fraternel de toutes les Françaises et de tous les Français.
Je lève mon verre en votre honneur, Monsieur le Président, mon cher ami, à notre amitié, celle du Sénégal et de la France que nous avons à coeur de célébrer et de servir ce soir.
Vive le Sénégal,
Vive la France,
Vive l'amitié franco-sénégalaise.