9 décembre 2003 - Seul le prononcé fait foi

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Toast de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur l'action publique de M. Jean Chrétien et les relations franco-canadiennes, Paris le 9 décembre 2003.

Monsieur le Premier ministre, Mon cher Jean,
Ma Chère Aline,
Vous recevoir à Paris est pour ma femme et pour moi un plaisir, un bonheur et un honneur. La visite en France du Premier ministre du Canada marque toujours un moment fort, un moment d'émotion. Pour tous les Français, le Canada est ce pays immense, cette terre infinie de promesses qui occupe une place particulière dans les coeurs. C'est le souvenir d'un épisode glorieux de notre histoire nationale, qui, malheureusement, s'achève sur une profonde blessure. C'est la fidélité à ses origines d'une communauté livrée à elle-même voici deux siècles et demi et qui sut prospérer, conquérir sa place dans le projet canadien, rester aussi française malgré l'histoire. C'est l'espérance, le rêve d'Amérique, toujours renouvelés.
Cette réussite, cette modernité, vous en êtes, mon Cher Jean, tu en es mon Cher Jean, l'un des principaux, l'un des très grands artisans. Votre visite intervient à un moment particulier, puisque vous avez décidé hélas de vous retirer. Je veux vous dire ce soir mon regret de vous voir quitter vos fonctions que vous avez assumées de façon si éminente, le mot est faible et le jugement est celui de la terre entière et de ses responsables, mais surtout mon admiration pour l'oeuvre que vous laissez, et ma gratitude pour les combats que nous avons menés ensemble.
C'est peu dire que votre parcours a été exceptionnel : quarante années de vie publique, trois postes successifs de Premier ministre, dans lesquels vous avez investi vos belles qualités d'homme et de chef. Défendant avec ténacité et avec intelligence votre vision du Canada, de sa place en Amérique, de sa place dans les affaires du monde. Emportant, à force de conviction, la décision dans les circonstances les plus âpres, j'en ai été à maintes reprises témoin.
Ce que vous avez accompli au service de votre pays et du message qu'il porte dans le monde est tout à fait considérable. Il n'est guère de domaine où vous n'ayez imprimé votre marque. En souvenir du voyage inoubliable au cours duquel vous m'avez fait découvrir les splendeurs du grand Nord, en hommage à notre passion commune pour les peuples premiers et notamment les Inuits, permettez-moi d'évoquer votre action comme ministre des Affaires indiennes et du Nord. Vous avez eu à coeur d'aider les membres des premières Nations à se perpétuer dans la dignité et le plein exercice de leurs droits. Et vous êtes l'un des seuls hommes d'Etat de la planète à avoir assumé cette responsabilité et l'avoir fait avec efficacité et dignité pour les peuples dont vous aviez la charge. Cela mérite d'être souligné et cela témoigne d'un coeur particulièrement généreux et d'une intelligence particulièrement émouvante.
Premier ministre, vous avez présidé au mouvement par lequel le pacte constitutif de votre pays a pu être réaffirmé au terme d'un processus exemplaire.
Sous votre autorité, le Canada a retrouvé le chemin de l'équilibre budgétaire, de la croissance, de la création d'emplois dans un monde où, hélas, on connaissait les problèmes et les difficultés économiques et sociales. Il enregistre le Canada des performances impressionnantes, qui le placent au premier rang des pays du G8, ça c'est votre oeuvre. Ce succès éclatant doit beaucoup à l'action courageuse que vous avez menée notamment pour réformer l'Etat et restaurer sa situation budgétaire. Les résultats auxquels vous êtes parvenu dans ces domaines forcent notre admiration car ils sont sans équivalent.
Sur la scène internationale, vous avez sans cesse agi, je peux en témoigner, au nom des valeurs qu'incarne le Canada : la diversité, la solidarité, la paix. Je tiens tout particulièrement à saluer votre engagement au service de la Francophonie au Canada et sur la scène internationale.
Notre monde aujourd'hui a besoin de sécurité. Il a besoin pour cela de justice et de stabilité. Je suis fier que nous nous soyons si souvent retrouvés côte à côte dans les enceintes internationales pour rappeler la primauté du droit, l'importance du multilatéralisme et le devoir de solidarité avec les plus démunis. A titre personnel, j'ai toujours infiniment apprécié de travailler avec vous en amitié, en complicité même, au service de l'idéal que nos deux pays partagent, l'idéal d'un monde où l'emporteront la tolérance, l'équité et l'humanisme.
Ce monde-là, nous avons eu à coeur de le faire progresser. En défendant pied à pied nos positions sur le développement durable. En luttant contre le réchauffement climatique par la ratification, malgré les difficultés, malgré les oppositions, de l'indispensable Protocole de Kyoto. En oeuvrant à une ouverture responsable du commerce international et des marchés de capitaux. En promouvant avec détermination cette idée neuve qu'est la défense de la diversité culturelle, combat dont nous avons pu, ensemble, saisir la Francophonie et l'Unesco. En soutenant ensemble la création de la Cour pénale internationale et l'interdiction universelle des mines antipersonnel. En faisant front commun pour maintenir et consolider la place centrale que doivent occuper les Nations Unies dans le règlement des conflits et des crises internationales. En engageant nos forces armées sur le terrain au service de la paix en Bosnie, en Afghanistan, en Ituri. En oeuvrant au service de l'Afrique, à laquelle nous sommes tous les deux très attachés, en nouant avec le NEPAD un partenariat exceptionnel, à Kananaskis, lors du Sommet historique du G8, placé sous votre présidence. Et s'il y eut entre nous, parfois, des différences, elles ont toujours été traitées dans l'esprit de confiance et d'amitié qui marque nos rapports.
Monsieur le Premier ministre, mon Cher Jean,
Le Canada est pour la France bien plus qu'un partenaire et bien plus qu'un allié. Affective et profonde, marquée par les liens si intimes noués entre nos peuples, notre relation a gagné depuis dix ans, sous votre impulsion, en force et en intensité. Et je voulais tout simplement vous en remercier avec une profonde reconnaissance.
Ensemble, nous venons de visiter au Parc de la Villette la très belle exposition consacrée au Canada d'aujourd'hui et à sa modernité. Elle montre combien votre pays s'est transformé, jusqu'à s'imposer dans la communauté des nations et aux yeux des autres pays développés comme un véritable modèle. Le Canada a beaucoup investi dans sa jeunesse, dans l'éducation, dans la recherche, dans les nouvelles technologies. Vous-même, vous êtes beaucoup engagé dans ce domaine aussi.
En même temps, cette grande exposition lance les commémorations qui vont marquer, tout au long de l'année 2004, le 400e anniversaire de l'arrivée de Samuel de Champlain au Canada.
Cette première installation européenne dans ce pays lointain allait être suivie, quatre ans plus tard, par la fondation de Québec, que nous célébrerons en 2008.
C'était le début d'une très longue amitié entre la France et le Canada. De part et d'autre de l'Atlantique, un lien se nouait que rien jamais, ni l'éloignement, ni les erreurs et les accidents de l'histoire, ni les tragédies, n'a pu défaire. Dans les malheurs, l'indéfectible fidélité des Français du Canada et de leurs descendants s'incarnait dans leur attachement à notre langue. Par leur obstination, ils obligeaient leur pays à ce bilinguisme, à ce dialogue culturel qui fondent aujourd'hui sa force, son génie, sa personnalité. Et grâce à vous j'ai pu, à l'occasion du Sommet francophone de Moncton, célébrer à Memramcook les liens indéfectibles entre la France et les Acadiens.
Cette coopération, cette aventure culturelle difficile mais féconde, ce dialogue entre anglophones et francophones se poursuivent aujourd'hui, avec aussi les cultures et les langues des nations premières que le Canada a pleinement reconnues à votre initiative et sous votre impulsion. Ils s'enrichissent encore des milliers de nouveaux arrivants, femmes et hommes de toutes origines, venus de tous les horizons de la planète exprimer leurs talents et refaire leur vie à la faveur de cette convivialité que l'on ne rencontre que trop rarement ailleurs. Les grandes métropoles canadiennes, qui débordent d'énergie et de vitalité, sont le brillant témoignage de ce dynamisme multiculturel.
Chaque jour, le Canada, terre multiple, terre de différences, cultive et perfectionne dans la paix et la tolérance le goût de vivre ensemble. Il démontre à chaque instant toute la promesse, toute la richesse de l'Autre. En tout cela, je crois, le Canada est pleinement dans le siècle. Il démontre que, la diversité est un gage d'ouverture et de succès.
*
Enfin, c'est à vous deux, mon Cher Jean, ma Chère Aline, que je veux rendre hommage, à l'occasion de cette soirée d'amitié.
Au terme d'une longue et brillante carrière, pendant laquelle Aline a été la compagne des bons, mais aussi des mauvais jours, une carrière qui vous a laissé peu de répit, peu de temps, une nouvelle vie commence pour vous deux. Bernadette se joint à moi pour vous souhaiter beaucoup, beaucoup de bonheur. Je ne suis pas absolument convaincu que ça durera très longtemps, je parle de la tranquillité. Mais ça c'est un autre problème.
C'est à ce bonheur, cher Jean, chère Aline, que je lève mon verre, en l'honneur d'un homme d'Etat exceptionnel et prestigieux, qui a écrit beaucoup de belles et fortes pages de l'histoire de son pays, et du monde et en l'honneur de son épouse à qui je présente mes très respectueux et affectueux hommages. Je le lève, mon cher Jean, à l'avenir du Canada. Je le lève au lien indéfectible entre le Canada et la France.
Vive le Canada,
Vive la France.