3 avril 2000 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur l'intégration de l'Afrique dans l'économie mondiale, le problème de la dette et la proposition française d'annuler jusqu'à 100 % des créances publiques bilatérales, qu'elles soient dues au titre de l'aide publique au développement ou au titre des créances commerciales sur les pays les plus pauvres et les plus endettés, Le Caire le 3 avril 2000.

L'encours de la dette africaine, qui s'élevait en 1998 à 310 milliards de dollars, représente, à l'évidence, une contrainte considérable. La France voit, dans le service de la dette, un obstacle à l'intégration dans l'économie mondiale lorsque celui-ci dépasse, par exemple, le budget consacré à l'éducation et la santé.
Ne devons-nous pas nous attacher à une approche diversifiée du traitement de la dette ? Car ce n¿est pas l¿endettement en lui-même qui pose un problème insurmontable mais la difficulté à générer les ressources nécessaires au service de la dette. Une situation d'endettement avec un encours dépassant la production annuelle de richesses peut apparaître inextricable. En réalité, il faut l'apprécier à la lumière de l'impact qu¿auront progressivement les mesures d'ajustement interne mises en ¿uvre pour la résoudre avec l¿appui de l'extérieur. Dès lors, la résolution des questions d'endettement peut se réaliser par un effort commun et partagé des créanciers et des débiteurs.
Ne convient-il pas, aussi, de préserver ou de restaurer l¿accès au marché financier international des pays africains ? C¿est déjà le cas pour les plus développés d¿entre eux et l¿engagement à leur côté des créanciers privés est un puissant levier de développement. L'Afrique doit trouver ou retrouver des capitaux étrangers pour investir et prospérer, en gérant cette faculté de façon prudente, pour éviter des retournements dangereux comme ceux qu¿ont connu les pays asiatiques.
Cela devrait rester vrai, même pour des pays très endettés qui disposent d'importantes ressources potentielles, gage de leur développement futur. Pourquoi une approche franche, confiante et réaliste de leurs problèmes d'endettement avec leurs créanciers publics et privés ne permettrait-elle pas de trouver une solution ? Rien ne serait plus dommageable pour eux que de s'enfermer dans une situation qui porterait atteinte à leur crédit auprès de la communauté financière internationale et compromettrait ainsi l'avenir de leur développement. Ensemble, il est possible de mieux répartir dans le temps la charge des versements des intérêts et de préserver la capacité de lever des ressources en faveur du développement.
Cependant, la dette demeure encore, dans de trop nombreux pays, un fardeau insoutenable. Une forte solidarité internationale est indispensable. La France s'est résolument engagée pour qu'une solution ambitieuse et définitive soit trouvée. D¿autres pays en ont également perçu la nécessité.
Lors du sommet de Lyon, en 1996, la mobilisation de la communauté financière internationale a permis de jeter les bases de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés. En juillet 1999, à Cologne, nous avons proposé trois nouvelles orientations pour renforcer cette initiative : générosité pour un allégement accru de la dette £ équité dans la répartition des efforts entre pays créanciers £ responsabilité de la part des pays bénéficiaires par la mise en place de politiques économiques et sociales rigoureuses.
Pour la France, l'annulation additionnelle de ses créances représentera un effort de près de 7 milliards de dollars. Au total, la France aura annulé, au cours des quinze dernières années, plus de 23 milliards de dollars en faveur des pays lourdement endettés.
J'ai proposé récemment que la France, dans la ligne des engagements pris à Cologne, porte à 100 %, et non pas 90 %, l¿annulation des créances publiques bilatérales qu¿elles soient dues au titre de l'aide publique au développement ou au titre des créances commerciales sur les pays les plus pauvres et les plus endettés. C'est une mesure que j'estime indispensable. A l'issue du processus engagé, c'est-à-dire à l'horizon de deux ou, au plus, trois ans, la France n'aura plus aucune créance annulable sur les pays les plus pauvres. J'appelle l'ensemble des pays créanciers à suivre cet exemple dans la mesure de leurs moyens.
Désormais la priorité doit aller à la mise en ¿uvre effective des décisions prises à Cologne. Il ne saurait être question de différer, encore une fois, les nécessaires réductions de dette. Il nous faut la mobilisation de tous, F.M.I., Banque Mondiale, pays créanciers et pays débiteurs. Le calendrier doit être respecté.
L¿initiative prise par les créanciers au profit des pays très endettés s¿accompagne d'importants changements dans les relations des pays bénéficiaires avec le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Ces relations mettent désormais l'accent sur la réduction de la pauvreté. Comment pourrait-on contester la priorité donnée, parmi d'autres, c'est vrai, à la lutte contre la pauvreté dans les objectifs des programmes d'ajustement structurel ?
L'annulation de la dette permet d¿y contribuer si les marges financières libérées sont affectées à des dépenses au profit des secteurs sociaux. Des mécanismes appropriés pourraient être mis en place pour suivre cette voie, par exemple la création de fonds spécialisés. Il y a là un sujet de concertation entre débiteurs, créanciers et donneurs d¿aide.
Mais je comprends les interrogations de pays africains sur l¿un des aspects de l¿initiative PPTE qui, leur réservant un accès exclusif aux dons, leur fermerait l'accès aux prêts. Comment concilier leur aspiration à plus de diversité dans leurs sources de financement avec un principe relevant de la logique propre aux institutions financières internationales ? Voilà qui nous montre que nous devons encore approfondir notre réflexion.
Moins de dette, et donc moins de pauvreté. Mais il faut aussi rechercher plus de croissance.
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C'est vrai, l¿Afrique subit encore, plus qu¿elle n¿en profite, son ouverture sur l¿extérieur. Les pays africains sont fortement dépendants du commerce international, par leurs exportations de matières premières qui représentent, en moyenne 25% de leur PIB, et même 35% dans 15 pays. Ils sont particulièrement sensibles aux variations des cours mondiaux de ces produits et l¿évolution tendancielle des termes de l¿échange leur a été défavorable. Leur part dans le commerce mondial, à peine 2 % actuellement, a décliné.
Il faut s¿attacher à renverser cette tendance. Par une plus grande ouverture des marchés des pays industrialisés, comme l¿Union européenne en a perçu la nécessité. Par un poids accru dans les négociations commerciales multilatérales. Par une meilleure intégration des pays africains. Par la régulation des marchés. La France a fait de la régulation un axe majeur de sa politique étrangère et elle comprend parfaitement la priorité que l'Afrique attache à la mise en place des mécanismes qui en découlent.
C¿est avec cette même préoccupation, celle d¿assurer des bases plus solides aux pays africains, qu'il faut s¿attacher à gagner la bataille de l'aide publique au développement. C'est là tout le sens du concept « d'additionnalité » retenu l'an dernier à Cologne. L'effort supplémentaire lié à la réduction de la dette ne doit pas se traduire par une diminution des autres composantes de l'aide qui demeurent indispensables. En prenant notamment la décision de maintenir le niveau exceptionnel de sa contribution au Fonds Européen de Développement, mon pays a témoigné de sa détermination à respecter l'ensemble de ses engagements, dans un souci de cohérence.
Enfin, il n¿y a pas de création de richesses supplémentaires sans investissements. Or la part de l¿Afrique est très modeste et déclinante dans les flux mondiaux d¿investissements privés, à peine 4% durant la période 1996/1997, contre 11% durant la décennie 1980. Et pourtant le taux de rentabilité des investissements y est plus élevé que dans bien d¿autres régions qui en attirent davantage. Tout ceci montre qu¿il faut aller plus loin dans des efforts qui ont déjà été accomplis, par vos pays, par notre partenariat. Nous avons fixé des objectifs pour la réduction de la pauvreté. Pourquoi ne pas nous en fixer pour les investissements qui feront la croissance de demain ?
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Mise en place d'une approche globale dans nos relations commerciales, choix de l'intégration régionale, traitements de la dette adaptés à la situation de chacun, maintien des flux d'aide publique au développement, encouragement donné à l¿investissement privé par de bonnes politiques économiques, voilà les clés de l'intégration de l'Afrique dans l¿économie mondiale.
Oeuvrons dans ce sens à la faveur du dialogue que nous engageons par ce premier Sommet.
Je vous remercie de votre attention.\