6 janvier 1999 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la modernisation de l'administration, son adaptation aux réglementations communautaires, la nécessité d'assurer la sécurité des personnes et des biens et sur la notion de "responsabilité professionnelle" des agents publics, Paris le 6 janvier 1999.

Monsieur le Premier Ministre,
Madame et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie, Monsieur le Président, des voeux que vous venez de me présenter au nom des corps constitués. A mon tour, je forme, pour vous et pour tous ceux qui vous sont chers, les voeux les plus chaleureux pour cette année 1999.
Ces voeux sont aussi destinés, à travers vous, à toutes celles et tous ceux, qui, dans les ministères et dans les services déconcentrés, en métropole et outre-mer, en France et à l'étranger, ont choisi de mettre leur énergie et leur compétence au service de nos compatriotes.
Douze mois seulement nous séparent désormais de l'an 2000. Au-delà de la valeur symbolique des dates, c'est pour nous l'occasion de réfléchir ensemble, et vous venez de le faire, Monsieur le Président, à l'évolution de notre administration.
A l'aube du troisième millénaire, notre pays a plus que jamais besoin, vous l'avez souligné, d'une administration à l'écoute des citoyens et qui sache répondre à leurs attentes. Une administration autrement dit moderne et responsable.
L'administration française plonge loin ses racines dans l'histoire de notre pays. Mais sa tâche s'est longtemps limitée aux missions régaliennes de l'Etat. Ce n'est qu'au début du XXème siècle, à la suite de la première guerre mondiale puis de la crise des années trente, que son champ d'action s'est progressivement étendu au secteur économique et social.
A la Libération, notre administration a su se mobiliser pour reconstruire une France ravagée par la guerre. Contrainte d'agir dans l'urgence, avec des moyens réduits, elle a réussi à faire face aux graves problèmes de production, d'approvisionnement et de logement que connaissait notre pays. Elle a jeté les bases d'un essor industriel rapide.
Depuis 1958, notre administration a été confrontée à un nouveau défi : celui de la construction européenne. La signature du traité de Rome a profondément bouleversé notre économie. Elle nous a amenés à modifier nos procédures de décision, à moderniser notre appareil de production. L'administration française, sous l'impulsion alors du Général de Gaulle, a franchi avec succès cette nouvelle étape.
Avec le temps, sa capacité d'adaptation, son esprit d'initiative ont paru s'essouffler. L'image de l'Etat s'est quelque peu brouillée.
L'expérience des nationalisations a entraîné l'Etat sur un terrain qui n'est pas le sien, le secteur concurrentiel. Son action y a perdu en cohérence et en légitimité.
L'Etat n'a pas été capable de tirer, pour lui-même toutes les conséquences du vaste mouvement de décentralisation heureusement lancé en 1982. Dessaisis d'une part de leurs compétences et de leurs prérogatives, ses services n'ont pas su redéfinir leur rôle ni leur raison d'être.
Il est temps, je crois, de clore cette période de doute et d'incertitude. Notre administration doit trouver en elle-même les ressources nécessaires pour faire face aux nouveaux défis qui l'attendent. Pour mieux servir nos concitoyens, il lui faut s'adapter et se moderniser. Faire sienne l'exigence de responsabilité qui s'exprime aujourd'hui dans notre société.
Mieux servir nos concitoyens, c'est d'abord prendre toute la mesure des bouleversements qui résultent, pour l'Etat, de l'accélération de la construction européenne.
Depuis la signature de l'Acte unique, nombreuses sont les compétences qui ont été transférées au niveau communautaire. L'arrivée de l'euro, qui est depuis le 1er janvier la monnaie officielle de la France, va amplifier ce mouvement.
Mais transfert n'est pas synonyme de dessaisissement. Bien au contraire. Le rôle de l'administration française est aussi important que par le passé, si ce n'est davantage.
C'est elle qui est chargée de défendre les intérêts de notre pays lors de l'élaboration des normes au niveau communautaire. Cela requiert une connaissance intime des circuits de décision et une coordination sans faille entre les ministères.
C'est elle qui est chargée d'assurer l'application du droit européen. Il lui incombe notamment de veiller à une transposition des directives à la fois complète et conforme aux traditions de notre droit.
C'est elle qui devra, par un vigoureux effort d'information et d'accompagnement, faciliter l'adhésion de nos compatriotes à leur nouvelle monnaie.
Il faut que chaque ministère se donne les moyens d'assurer pleinement et efficacement ces nouvelles missions, sous peine de voir notre pays affaibli dans le jeu communautaire. Nous avons d'ailleurs commencé à le faire. Il faut aller plus loin en nous inspirant de l'expérience de certains de nos partenaires. Sachons bien que la compétition des territoires a vraiment commencé en Europe.
Mieux servir nos concitoyens, c'est aussi savoir s'adapter pour répondre à l'évolution de leurs besoins. Le principe d'adaptation est l'un des principes fondamentaux du service public. Il est aujourd'hui plus que jamais d'actualité.
Cela veut dire, pour l'Etat, renoncer aux missions qui ne sont pas ou qui ne sont plus les siennes. L'Etat n'a rien à faire dans le secteur concurrentiel. Ce n'est pas son rôle de produire des biens et des services marchands. Il doit également tirer toutes les conséquences, dans son organisation comme dans son fonctionnement, des nouvelles compétences désormais dévolues aux collectivités locales.
Pour lui aussi, le principe de subsidiarité constitue désormais la règle. Son intervention n'est justifiée que lorsqu'elle apporte une valeur ajoutée par rapport à l'initiative privée ou à l'initiative locale.
Si, dans certains domaines, il nous faut aujourd'hui moins d'Etat, dans d'autres, il faut un Etat plus souple, plus présent et plus efficace pour répondre à des besoins nouveaux, qu'il s'agisse notamment de la lutte contre l'exclusion, ou de la protection de l'environnement.
Il faut aussi un Etat plus présent pour répondre aux attentes, pressantes de nos concitoyens en matière de sécurité.
Nous devons nous rendre à l'évidence. Beaucoup de Français ont le sentiment que l'Etat n'est pas en mesure d'assurer partout la sécurité des personnes et des biens. L'insécurité grandit, tant en zone urbaine qu'en zone rurale.
Il s'agit là d'un sujet de préoccupation majeure pour l'ensemble des Français. Nos compatriotes sont de plus en plus nombreux à être confrontés à la délinquance et à la violence dans leur vie quotidienne. Une violence qui touche d'abord évidemment les plus faibles d'entre nous, ceux qui ne peuvent se défendre seuls, ceux qui vivent dans des quartiers ou des zones difficiles.
Le devoir de l'Etat est donc de faire respecter la sécurité des personnes et des biens.
J'appelle l'ensemble des administrations à se mobiliser, avec les collectivités locales, pour lutter contre un fléau qui menace la cohésion nationale. Un fléau qui s'attaque aux fondements mêmes de notre société.
Tous les services de l'Etat sont concernés. Je pense notamment à l'école, qui est le lieu où s'enseignent les règles élémentaires de la morale et de la citoyenneté. Le lieu où l'on apprend le respect de soi et le respect de l'autre. Le lieu où l'on apprend à vivre ensemble. Je pense aussi aux services sociaux, aux services du travail et de l'emploi. Car, dans un contexte de chômage persistant, l'intégration par l'emploi reste le remède le plus sûr au délitement des liens sociaux. Je pense aussi, bien sûr, à la police, à la gendarmerie et à la justice. Car il n'est pas de lutte efficace contre la violence sans une sanction rapide et appropriée. La sanction constitue un repère indispensable. Elle est la traduction concrète du principe de responsabilité qui fonde le pacte républicain.
Mieux servir nos concitoyens, c'est aussi leur offrir un Etat plus moderne, plus efficace.
Notre administration ne doit pas entrer dans le troisième millénaire en quelque sorte à reculons. A l'âge de l'information, elle devrait pouvoir s'appuyer sur un grand réseau de communication interne. Un réseau qui relierait non seulement les agents d'une même administration mais aussi l'administration centrale à ses services déconcentrés. Un réseau qui deviendrait le lieu, sur l'ensemble du territoire, d'une véritable coopération interministérielle.
Elle doit savoir utiliser Internet pour dialoguer avec les usagers, pour simplifier les procédures administratives, pour éviter les déplacements inutiles, pour contribuer au désenclavement des zones isolées.
Les nouvelles technologies de l'information et de la communication constituent un atout pour le service public. C'est à vous d'en tirer le meilleur parti.
Le passage à l'an 2000 sera un défi technologique majeur. La continuité du service public exige que des services essentiels tels que les hôpitaux, les moyens de transport de distribution d'énergie, d'autres encore ne soient pas bien sûr paralysés, le 1er janvier 2000, par un accident informatique. Je sais que toutes les précautions nécessaires naturellement ont été prises. Je sais que vous avez pris conscience de l'ampleur du problème. Il faut que nous soyons tous prêts à temps.
Tirer parti des ressources offertes par les nouvelles technologies, c'est l'un des moyens de construire une administration de proximité.
Des progrès ont déjà été accomplis. La réforme de janvier 1997, qui a confié aux autorités locales l'ensemble des décisions administratives individuelles, a marqué un progrès très important. La déconcentration de la gestion des professeurs de l'enseignement secondaire au niveau des rectorats, pour prendre un autre exemple, constitue également un pas dans la bonne direction.
Mais il faut aller plus loin. Beaucoup reste à faire pour compléter l'oeuvre de décentralisation par un effort équivalent de déconcentration, pour que celle-ci entre réellement dans les moeurs des administrations.
Mieux servir nos concitoyens, c'est enfin bâtir une administration plus responsable.
La responsabilité, en matière administrative, n'est pas une responsabilité comme les autres. Le droit public s'est efforcé de trouver, depuis plus d'un siècle, un point d'équilibre entre le principe de la responsabilité personnelle du fonctionnaire et les exigences du fonctionnement des services publics.
Cet équilibre est aujourd'hui remis en cause par une recherche systématique de la responsabilité pénale des agents publics, sans toujours tenir compte des réalités et des contraintes de leur fonction. Prenons garde qu'une pénalisation excessive de la responsabilité des fonctionnaires ne finisse par paralyser l'action administrative.
Mieux vaut développer, dans le secteur public, une notion qui existe depuis longtemps dans le secteur privé : la responsabilité professionnelle. Elle repose sur des principes de bon sens. On s'engage sur des objectifs assortis de moyens. On est jugé sur des résultats. La sanction de l'échec est objective et devrait être immédiate. Il est regrettable que cette démarche soit si lente à progresser dans le secteur public. Il faut y introduire davantage une culture d'évaluation et de responsabilité. Il faut rendre toute sa portée à l'article 15 de la Déclaration de 1789 qui affirmait déjà le droit de la société de demander compte à tout agent public de son administration.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Ainsi recentrée sur un certain nombre de missions modernisées, notre administration a un rôle essentiel à jouer à l'aube d'un siècle qui sera marqué par l'accélération inévitable de la mondialisation. A l'heure où les échanges se multiplient, où informations, marchandises et capitaux sillonnent le monde, se jouant des distances et des frontières, nous avons plus que jamais besoin d'Etat. Un Etat capable d'élaborer et de faire respecter les règles du jeu. Un Etat prêt à assumer son rôle d'arbitre. Un Etat qui sache s'adapter.
Je vous remercie.