14 décembre 1994 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la mission des familles, le devoir des Etats à leur égard et les mesures prises pour faire progresser la politique familiale en France, Paris le 14 décembre 1994.

Mesdames et Messieurs,
- Au terme de l'année internationale de la famille, c'est un honneur pour nous de recevoir de vos mains, madame la Présidente, la déclaration des droits de la famille que l'Union internationale des organismes familiaux a choisi de proclamer, comme vous venez de le rappeler, à Paris. Ce moment est important dans l'histoire de votre association. Il est important pour l'idéal que vous défendez. Qui aurait pu imaginer lors de la création de l'UIOF à Paris - je pourrais en rappeler les circonstances - qu'elle serait reconnue par les Nations unies comme représentante des familles du monde ? Qui pouvait penser qu'un jour, ce soir, toutes ces familles à travers vous, au-delà de leurs convictions religieuses, philosophiques, politiques, au-delà de leur histoire et de leurs traditions, de leur appartenance à des civilisations et des pays si différents, pussent se reconnaître dans un texte universel portant sur leurs droits et sur leurs devoirs ?
- Si vous y êtes parvenus, c'est sans doute grâce à la ténacité et à la passion portées à ce projet par votre Présidente, Mme Da Costa Macedo, mais également au travail de réflexion mené par votre Conseil pour aller à l'essentiel. M. Burnel, président de l'Union nationale des associations familiales, avait ouvert la voie en proclamant, en 1989, pour la France, à l'occasion du bicentenaire de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une déclaration des droits de la famille. J'avais participé à cette belle manifestation qui s'était déroulée à Bordeaux. La tâche avait été difficile à l'échelle d'un pays et paraissait impossible à l'échelle du monde.\
Il était utile, à ce moment de notre histoire, que soient réaffirmés les principes qui ont assuré la permanence de la famille à travers les siècles et dans toutes les sociétés £ le lien naturel entre les générations à partir duquel les autres liens se forment £ le lieu d'accueil de l'enfant et de toutes ces années si nécessaires pour que le petit de l'homme devienne à son tour autonome £ la mission de quête affective et de bonheur que les hommes attendent des relations privilégiées qui s'y établissent £ un rôle plus grand que jamais du fait de la prolongation de la vie humaine et qui pourtant, précisément, se trouve très souvent réduit par l'égoïsme général. C'est une valeur fondamentale de nos sociétés, un lieu de liberté où la femme a acquis des droits, où les enfants sont davantage désirés, où les jeunes restent plus longtemps.
- C'est vrai qu'au cours de notre vie nous avons constaté une évolution sérieuse de ces phénomènes, de la nature de ces relations familiales. Les trois générations se connaissaient : les grands-parents, les parents, les petits-enfants. Aujourd'hui, les conditions de vie, de logement, les difficultés matérielles - peut-être l'évolution des moeurs - font que cette jonction ne se fait plus et qu'il y a comme une sorte de coupure entre l'épanouissement de notre société et ses racines.
- Mais il n'est pas possible de parler de la famille comme d'un ensemble homogène. On ne peut oublier les inégalités croissantes qui subsistent entre elles : l'insécurité économique, les faibles revenus, le poids d'un travail pénible, qui constituent un défi perpétuel à la survie même de certaines d'entre elles.
- Aussi, je reçois, mesdames et messieurs, votre déclaration comme le rappel du devoir des Etats inscrits dans la constitution française : "assurer les conditions nécessaires au développement de la famille". C'est-à-dire aussi assurer et cela n'est pas dit, - mais je l'ajoute - plus de justice sociale. Que valent les droits si les familles ne peuvent disposer de revenus suffisants, d'un logement décent, d'équipements collectifs d'accueil, de la possibilité pour les parents de choisir librement entre leur métier et leurs responsabilités familiales, et enfin de possibilités d'éducation pour les enfants ?\
Mon souci constant - et je ne suis pas le seul à l'éprouver - a été de faire progresser la politique familiale française vers ces objectifs. Et je dois dire que, sur ce terrain-là, j'ai été puissamment aidé par l'UNAF dont nous parlions, l'ensemble des associations qui la composent, et plus particulièrement par leur Président, M. Roger Burnel.
- Lorsque j'ai été élu, en 1981, Président de la République, j'avais demandé au gouvernement que sa première décision soit d'augmenter fortement le SMIC et les allocations familiales de 50 % à l'époque. Elles restent aujourd'hui parmi les plus élevées du monde.
- Nous avons mené une politique en faveur du logement social, question qui se pose toujours avec la même acuité aujourd'hui et qui devrait être le point de mire de toutes les formations politiques quelles qu'elles soient.
- Enfin, on a le droit d'être préoccupé par l'évolution du travail qui rend plus difficile la vie familiale. Pour atténuer les conditions ou les conséquences de cette situation, a été créée une allocation parentale d'éducation qui permet aux parents de consacrer du temps à leurs enfants en contrepartie du versement d'une allocation. Et chaque pays a une législation qui tente d'approcher, et même de dépasser, celle que je cite. Car vous avez réussi, madame la Présidente et vous, mesdames et messieurs, à créer une émulation qui oblige chaque pays à considérer qu'il ne peut pas rester en arrière par rapport aux autres.
- La plus grande inégalité qui menace les familles c'est quand même toujours l'inégalité du savoir ! Si un enfant vit dans une famille défavorisée, comment voulez-vous qu'il supporte la concurrence scolaire ? Une année perdue c'est parfois une vie perdue. Une certaine reproduction de l'état social a tendance à s'établir de génération en génération au travers de cette inégalité. Eh bien, il faut que l'école bannisse cette carence qui tient aux structures même de notre société.
- Madame la Présidente, mesdames et messieurs, mon message - si on peut l'appeler ainsi - sera le vôtre. Nous devons ensemble tout faire pour que l'idéal de la déclaration des droits de la famille inspire nos sociétés. Faire de ces droits des objectifs, être sourcilleux sur leur respect : c'est le devoir élémentaire de chacun d'entre nous. Pour ma part, je proposerai, au nom de la France, d'intégrer la déclaration que vous m'avez remise ce soir parmi les textes fondamentaux des Nations unies.\